Mobilité et transports
le 10/09/2025
Marion TERRAUX
Jennifer OBRERO

Entre instabilité politique et constats partagés : que faut-il retenir de la conférence des financements de la mobilité ?

Ambition France Transports, Rapport de la Conférence, 9 juillet 2025, 18 juillet 2025

Comme nous vous l’avions annoncé, le Rapport final de la Conférence des mobilités a été transmis au ministre des Transports et a été rendu public à la fin du mois de juillet dernier.

Conscientes que l’heure était bien plus au bouclage des dossiers et des valises qu’à la réflexion sur l’avenir des mobilités, les auteures des présentes lignes ont alors considéré que cela serait le parfait sujet d’un focus de rentrée.

Naïves que nous sommes, c’était sans compter avec les affres de la Vème République !

Ainsi, à l’heure où nous vous écrivons, le Gouvernement actuel vit ses derniers instants en se contentant d’expédier les affaires courantes. Et si nouveau Premier ministre, Monsieur Sebastien Lecornu a été désigné, le nouveau Gouvernement, lui, ne l’est pas encore. Or, le sujet du financement des mobilités ne relève manifestement pas de la gestion des affaires courantes…

La question s’est donc posée. Fallait-il maintenir ce focus ?

Et notre réponse a été sans appel : Oui, absolument.

En effet, quels que soient les gouvernements à venir, ils devront se poser la question de l’avenir des mobilités dans un contexte de réseaux vieillissants, de fracture territoriale persistante et d’urgence climatique.

Or, lorsque plus de cinquante professionnels du secteur (parlementaires, fédérations professionnelles, fédérations d’usagers, experts en transports…) se réunissent pour échanger durant trois mois sur l’avenir de la mobilité et rendent un rapport sur un sujet aussi structurant, on ne peut pas se contenter de remiser le rapport rendu, aussi imparfait soit-il, dans l’armoire des projets avortés.

Il nous parait donc toujours plus d’actualité de l’évoquer, ne serait-ce que pour bien se rappeler les constats partagés et, dans une certaine mesure, pour résumer les solutions envisagées.

Pour rappel la conférence des financements avait institué quatre ateliers :

  • le modèle économique des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) et des services express régionaux métropolitains (SERM) ;
  • l’avenir des infrastructures routières ;
  • les infrastructures et services ferroviaires de voyageurs ;
  • le report modal et le transport de marchandises.

Et, le rapport de synthèse est structuré en trois parties, que nous résumons ici :

  • Le constat partagé d’investissements à réaliser (I)
  • Les solutions à court terme (II), dont on ne peut que constater qu’elles restent très insatisfaisantes
  • Les solutions à moyen terme et la manne des concessions autoroutières (III)

 

I. Les constats : le secteur de la mobilité nécessite un investissement massif

A. La nécessité d’un investissement massif dans les infrastructures de mobilité

Le Rapport final de la conférence fait état d’un besoin supplémentaire de financements de trois (3) milliards d’euros[1] par an jusqu’en 2031 au sein des trois réseaux de transports – ferroviaire, routier et fluvial – en raison de leur dégradation continue.

En pratique, cette dégradation engendre plusieurs conséquences concrètes pour les usagers : une baisse de la qualité de service, des risques pour leur sécurité ou encore la fermeture de certains axes bloquant leur déplacement.

Afin d’inverser cette tendance, les auteurs du rapport estiment que les investissements nécessaires sont les suivants :

Secteur Etat des lieux Objectifs des investissements Coût Durée
Réseau ferroviaire national Un réseau « hors d’âge » entrainant des ralentissements, une dégradation du service et des risques de fermeture de lignes

 

  • La régénération du réseau (augmentation du trafic et adaptation du réseau au changement climatique)
  • Prévoir une revue générale des lignes de dessertes fines du territoire est prévue afin de pouvoir préciser les investissements
Un plancher d’1,5 Md € par an du réseau structurant A partir de 2028
Réseau routier national Sous-investissement chronique : accumulation de la dette grise (estimée à 2,4 milliards d’euros) du réseau routier non concédé[2]
  • Résorber la dette grise[3] en améliorant l’état du réseau et en le modernisant :
    • Réduire l’empreinte environnementale de la route
    • Accueillir les nouveaux usages

Réaliser des travaux de résilience face au changement climatique.

1 milliard par an à court terme sur la période 2026-2031
Fret ferroviaire Nécessité de développer le fret ferroviaire
  • Accroître la performance et la résilience des infrastructures
  • Développer le fret ferroviaire
300 millions d’euros par an à court terme
Fret fluvial accumulation de la dette grise de 1,1 milliard d’euros fin 2023 entrainant une baisse de la qualité de service et un risque d’indisponibilité croissante de certaines voies régénération et la modernisation du réseau fluvial 200 millions d’euros par an à court terme

 

Le rapport fait état également de la nécessité d’investir de manière significative dans les infrastructures de recharge et les poids lourds électriques, correspondant aux ambitions déjà établies par la troisième stratégie nationale bas-carbone (SNCB3)[4].

B. La nécessité du développement d’une offre de transports entre les centres urbains et leur périphérie

L’objectif d’accroître les déplacements en transports collectifs de 25 % d’ici 2030 par rapport à 2019 répond à un enjeu écologique (décarbonation) et un enjeu d’équité sociale (mobilité alternative à la voiture et mobilité professionnelle).

Le rapport met en exergue le fait que cet accroissement passe par le renforcement des liaisons entre les villes-centres et leur périphérie ainsi que des périphéries elles-mêmes. En effet, ces territoires sont densément peuplés et la dépendance à la voiture individuelle est fortement marquée en raison, notamment, de l’absence d’offre de transports collectifs.

Néanmoins, même si le déploiement de services express régionaux métropolitains (SERM) vise à répondre à ces besoins, les objectifs dégagés se heurtent à une dure réalité : ce choc d’offre massif demeure difficile à quantifier en termes d’investissement car cela dépend fortement des différentes configurations locales et des choix politiques locaux mais aussi, comme le souligne le Rapport[5], par le fait que :

  • le modèle d’exploitation des transports publics est en perte d’efficience, avec un déficit d’exploitation par voyage multiplié par 2,2 entre 2003 et 2022, ce qui accroît la pression sur les finances des AOM ;
  • certaines recettes actuelles des AOM, locales et régionales, ont atteint un plafond, notamment concernant le versement mobilité dans les métropoles ;
  • les capacités d’investissement des collectivités locales, qui demeurent importantes, pourraient être réduites par l’enjeu de diminution du déficit et de la dette publics de la France.

 

II. Quelles solutions à court terme ?

A. La création d’un outil, le « ferroscope »

Le ferroscope est un outil dont la création a été proposée par l’atelier « infrastructures et services ferroviaires de voyageurs ».

Il s’agit d’une grille multicritères objectifs et transparents permettant de prioriser les investissements à réaliser.

Plus précisément, il y aurait deux « ferroscopes », l’un pour les investissements d’infrastructures et l’autre pour les projets de développement.

Ce projet intégrant les lignes de desserte fines, d’aucuns peuvent craindre que la mise en œuvre de ces ferroscopes ne soit rien d’autre qu’un moyen d’objectivation de la suppression de ces dessertes.

B. Les leviers de financement à mobiliser

Pour financer les investissements à court terme, sans pour autant tous les quantifier, la conférence a identifié plusieurs leviers qui pourront être mobilisés de façon concomitante jusqu’à 2035.

Levier de financement Stratégie dégagée
Générer des économies Diminuer les dépenses à coût constant :

(1)   Par l’optimisation et la cohérence des différents modes de transports (telle que la mise en place de solutions de cars express ou du covoiturage) ;

(2)   Par l’augmentation de la vitesse commercial des bus ;

(3)   Par l’ouverture à la concurrence (à noter que cette mesure n’est pas une nouveauté issue du Rapport… puisque les AOM procèdent déjà à cette mise en concurrence).

Augmenter la contribution de certains usagers et clients (1)   Augmenter progressivement la tarification des transports en commun urbains afin de financer un surcroît d’offre

(2)   En revanche, en ce qui concerne le secteur ferroviaire, la marge de manœuvre se révèle être plus restreinte dès lors que des augmentations tarifaire (péages) sont déjà prévues à l’horizon 2026.

(3)   S’agissant des usagers de la route, la conférence propose de progressivement élargir les mécanismes d’écocontribution territoriale sur les poids lourds empruntant certains réseaux routiers locaux très fréquentés

Cependant, le Rapport relève que la mise en place d’autre écocontribution par les Régions supposerait une nouvelle intervention du Législateur et une concertation avec les transporteurs.

Une autre hypothèse de financement se dégage du Rapport : celle de la mise en place de majorations ciblées des péages poids lourds sur les autoroutes concédées qui font face à des congestions importantes, comme le permet une disposition de la directive européenne Eurovignette (encore faudrait-il que cette dernière fasse l’objet d’une transposition en droit français, car à l’heure actuelle, elle n’a pas fait l’objet d’une transposition).

(4)   S’agissant du verdissement du transport de marchandises, le Rapport s’appuie sur un sondage… : 50 % des Français seraient favorables à payer plus chers leurs achats contre la garantie d’un transport plus respectueux de l’environnement[6]. Cette transformation passerait notamment par l’électrification des poids lourds comme évoqué précédemment.

Doter l’AFITF[7] de ressources fiscales pérennes et suffisantes Le Rapport propose de compléter les ressources de l’Agence essentiellement en redirigeant les ressources existantes.

Et la seule ressource véritablement nouvelle proposée est celle d’une nouvelle taxe sur la livraison de colis à domicile en zone urbaine assise sur les grandes entreprises du e-commerce afin de désinciter ces livraisons et lutter contre la congestion urbaine et la pollution de l’air. Cette taxe pourrait rapporter entre 50 et 200 millions par an.

Allouer des ressources directement sans transiter par l’AFIFT (1)   Le maintien du financement du réseau grâce au fonds de concours de la SNCF à hauteur de 500 millions d’euros par an sur les 1,5 milliards d’investissements supplémentaires. Le recours à l’emprunt par le SNCF ou encore la cession de certains actifs sont également des hypothèses émises par le Rapport ;

(2)   L’augmentation de 25 % de la redevance hydraulique pour financer l’entretien et la modernisation du réseau fluvial (ce qui représenterait 40 millions de recettes annuelles supplémentaires) ;

(3)   La mise en place de certificats d’économies d’énergies (CEE) à mobiliser davantage notamment pour les infrastructures cyclables ou l’achat de matériel roulant.

 

Et dans ce contexte, deux scénarii sont envisagés pour le renforcement du modèle économique des AOM et financer le nécessaire choc d’offre :

  • un scénario consistant à poursuivre la tendance historique à la part croissante de financement des transports en commun par le versement mobilité ;
  • un scénario visant à diversifier les ressources (par la création de multiples taxes nouvelles) sur lesquelles sont assises les AOM pour à la fois renforcer leur autonomie financière et leur lien avec les contribuables locaux.

Le Rapport conclu à la nécessité d’inscrire des financements dans un cadre pluriannuel stable et prévisible dès lors que des ressources importantes doivent être mobilisées alors que leur articulation entre elles doit être encore étudiée.

Mais il ne comporte aucune solution claire sur le financement des SERM.

 

III. À moyen terme (horizon 2035), les recettes provenant d’un nouveau système autoroutier à l’issue des concessions historiques permettront de consolider le modèle de financement des transports

Le Rapport rappelle l’échéance : les contrats des principales concessions d’autoroutes prendront fin entre le 31 décembre 2031 et le 30 septembre 2036.

  • Le maintien du niveau des péages

Les intervenants estiment que cela sera susceptible de générer des recettes supplémentaires (estimé en 2037 à environ 2,5 milliards par an) en créant un excédant sur un réseau qui est déjà construit. Ces recettes seraient alors affectées à l’AFITF pour la régénération et la modernisation des 3 réseaux de transports nationaux (routiers non concédés, ferroviaires et fluviaux).

Ils estiment, contrairement au choix effectué par l’Espagne, que la suppression de ces péages entrainerait une perte de 10 milliards par an.

  • Deux scénarii de gouvernance du système autoroutier proposés à l’issue des principales concessions

Excluant la prolongation des concessions actuelles en l’état, le modèle de la régie et la mise en place de sociétés régionales de gestions autoroutières, le rapport propose deux scenarii pour les gestions des autoroutes.

A. L’amélioration du système actuel de concessions avec des concessions de tailles plus petites que les plus grandes concessions actuelles

Hypothèse préférée de la Conférence[8], le Rapport propose de réviser la durée des contrats pour renforcer la prévisibilité sur les bénéfices et en incluant des mécanismes de partage des résultats en cas de rentabilité plus forte qu’anticipée.

Les recettes supplémentaires issues des autoroutes seraient prélevées sous forme de fiscalité affectées à la nouvelle AFITF, afin de financer en priorité la régénération et la modernisation des réseaux routiers nationaux non concédés, ferroviaires et fluviaux.

B. La mise en place d’un établissement public pour la gestion du réseau concédé et, éventuellement, non concédé

Cet établissement se financerait en percevant les péages. Il associerait les acteurs privés la conclusion de contrats de la commande publique. Le Rapport ne s’attarde pas et ne choisit pas le type de contrat en se limitant à évoquer les deux principaux : soit le marché public soit la concession.

 

Au final, le Rapport met en exergue un constat partagé : les investissements à réaliser sont certes d’une ampleur considérable mais ils sont aujourd’hui nécessaires.

Et si les solutions envisagées restaient au stade de l’esquisse, un projet de loi cadre était en préparation pour une présentation en décembre 2025… alors, évidemment, au vu du contexte politique actuel, la tenue de ce calendrier est aujourd’hui pour le moins incertaine.

Espérons toutefois que, quelle que soit la suite de la vie politique, une vision claire et stable de l’avenir des mobilités pourra se dessiner, permettant ainsi des investissements pérennes dans un secteur clé pour l’avenir de notre société.

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[1] en euros constants de 2025.

[2] Contrairement au réseau routier concédé qui présente un bon état général (Rapport, page 12)

[3] Pour rappel la notion de dette grise renvoie à un déficit d’investissement dans les infrastructures publiques.

[4] La SNBC 3 vise à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 et à réduire l’empreinte carbone de la France, en tenant compte des émissions importées : https://concertation-strategie-energie-climat.gouv.fr/les-grands-enjeux-de-la-snbc-3

[5] Page 15

[6] Sondages Toluna Harris interactive, « Les Français et leur perception du secteur des transports », avril 2025, disponible sur le site de la conférence

[7] Agence de financement des infrastructures de transport de France

[8] Tout en précisant, l’intérêt d’un scénario intermédiaire dans lequel des nouvelles concessions mieux régulées réserveraient une part de leur actionnariat à la puissance publique.