Environnement, eau et déchet
le 08/12/2022
Pauline DELETOILLEPauline DELETOILLE

Encadrement de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques dans les sites Natura 2000

Décret n° 2022-1486 du 28 novembre 2022 relatif à l'encadrement de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques dans les sites Natura 2000

Ce décret, publié le 30 novembre, renforce le contrôle des produits phytopharmaceutiques (plus couramment appelés pesticides) dans les zones Natura 2000.

Selon l’article L. 414-1 du Code de l’environnement, l’appellation commune de « sites Natura 2000 » regroupe un ensemble de sites terrestres ou maritimes désignés comme tels par décision de l’autorité administrative, soit comme zones spéciales de conservation, soit comme zones de protection spéciale. Par conséquent, ces sites font l’objet de mesures de conservation, de restauration ou de prévention, afin de permettre le maintien à long terme des habitats naturels et des populations des espèces de faune et de flore sauvages qui ont justifié leur délimitation.

En raison de leur particulière sensibilité, la protection de ces zones au titre des produits phytopharmaceutiques apparaît alors comme nécessaire.

C’est d’abord la directive-cadre 2009/128/CE sur les pesticides du 21 octobre 2009[1] qui a considéré que « l’utilisation de pesticides peut s’avérer particulièrement dangereuse dans certaines zones très sensibles telles que les sites Natura 2000 protégés en vertu des directives 79/409/CEE et 92/43/CEE. […] » (préambule, considérant 16).

A ce titre, l’article 12 de cette directive prévoit que les Etats membres de l’Union européenne doivent veiller à ce que l’utilisation de produits phytopharmaceutiques soit restreinte ou interdite dans les sites Natura 2000.

Cette obligation a fait l’objet d’une transposition en droit interne[2] par le biais de l’article L. 253-7 du Code rural et de la pêche maritime. En vertu de cette disposition, l’autorité administrative peut prendre toute mesure d’interdiction, de restriction ou de prescription particulière, s’agissant notamment de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques, dès lors que de telles mesures s’avèrent nécessaires à la protection de la santé publique et de l’environnement.

Ces mesures sont prises par arrêté conjoint des Ministres chargés de l’agriculture, de la santé, de l’environnement et de la consommation (article R. 253-45 du Code rural et de la pêche maritime) et s’appliquent explicitement aux sites Natura 2000 (article L. 253-7 du Code rural et de la pêche maritime, I, 3°).

En l’espèce, l’intervention du décret du 28 novembre 2022 doit s’apprécier en fonction de la décision rendue par le Conseil d’Etat le 15 novembre 2021[3], dans laquelle ce dernier a annulé la décision implicite de refus des Ministres de la transition écologique et solidaire, des solidarités et de la santé, de l’agriculture et de l’alimentation et de l’économie et des finances, de définir les mesures d’application des 2° et 3° du I de l’article L. 253-7 du Code rural et de la pêche maritime. En effet, les dispositions règlementaires actuelles ne permettaient pas « de garantir que l’utilisation de pesticides sera systématiquement encadrée voire interdite » sur les sites terrestres Natura 2000, « en méconnaissance des exigences posées par l’article 12 de la directive du 21 octobre 2009 précitée et des dispositions de l’article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime qui assurent sa transposition ».

Le juge administratif conclut que le pouvoir règlementaire doit être regardé comme n’ayant pas adopté les mesures règlementaires qui s’imposaient au regard des exigences du droit de l’Union européenne tel que transposé en droit interne. Par conséquent, il enjoint aux Ministres précédemment désignés de prendre les mesures règlementaires d’application qu’implique nécessairement le 3° du I de l’article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime.

Le présent décret entend apporter une réponse à la décision du Conseil d’Etat en complétant l’article R. 253-45 du Code rural et de la pêche maritime. Par dérogation au deuxième alinéa de cet article, qui prévoit une compétence interministérielle pour prendre les mesures nécessaires en matière de produits phytopharmaceutiques, le décret prévoit désormais que les préfets encadrent ou interdisent l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, dans les sites terrestres Natura 2000.

Depuis le 1er décembre 2022, l’article R. 253-45 est donc rédigé comme suit :

« L’autorité administrative mentionnée à l’article L. 253-7 est le ministre chargé de l’agriculture.

Toutefois, lorsque les mesures visées au premier alinéa de l’article L. 253-7 concernent l’utilisation et la détention de produits visés à l’article L. 253-1, elles sont prises par arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture, de la santé, de l’environnement et de la consommation.

Par dérogation au deuxième alinéa, le préfet encadre ou interdit l’utilisation des produits phytopharmaceutiques dans les sites terrestres Natura 2000, au regard des objectifs de conservation ou de restauration des habitats naturels et des espèces définis dans les documents d’objectifs, lorsque cette utilisation n’est pas effectivement prise en compte par les mesures, prévues au V de l’article L. 414-1 du code de l’environnement, définies dans le cadre des contrats et chartes ».

Un point de vigilance toutefois : les préfets ne peuvent encadrer l’utilisation des produits phytopharmaceutiques que lorsque cet encadrement n’a pas été prévu par les chartes et contrats.

En effet, les dispositions prévues au V de l’article L. 414-1 du Code de l’environnement énoncent que les sites Natura 2000 font l’objet de mesures de conservation, de restauration ou de prévention « définies en concertation notamment avec les collectivités territoriales intéressées et leurs groupements concernés ainsi qu’avec des représentants de propriétaires, exploitants et utilisateurs des terrains et espaces inclus dans le site ». Ces mesures sont prises dans le cadre de contrats ou de chartes.

Plus précisément, la gestion des sites Natura 2000 en France repose principalement sur une démarche contractuelle et volontaire :

  • les orientations sont d’abord définies par un document d’objectifs (DOCOB) ;
  • la gestion du site se fait par l’intermédiaire de contrats et chartes Natura 2000 signés par différents acteurs des sites (élus, agriculteurs, forestiers, chasseurs, pêcheurs, propriétaires terriens, associations, usagers et experts…).

Les mesures de protection de la faune et de la flore sont donc prises essentiellement dans le cadre de ces contrats et chartes.

Ce n’est qu’à défaut de cet encadrement contractuel que les préfets pourront agir sur le fondement du nouvel alinéa introduit, afin d’encadrer ou d’interdire l’utilisation de produits phytopharmaceutiques.

Cette intervention locale des préfets de département est la bienvenue, dès lors qu’elle permet de protéger davantage les sites Natura 2000.

 

[1] Directive 2009/128/CE du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable.

[2] Ordonnance n° 2011-840 du 15 juillet 2011 relative à la mise en conformité des dispositions nationales avec le droit de l’Union européenne sur la mise sur le marché et l’utilisation des produits phytopharmaceutiques.

[3] CE, 15 novembre 2021, France Nature Environnement, n° 437613.