Droit électoral
le 20/01/2022

Droit électoral : qui échappe (encore) a la qualification d’entrepreneur de services municipaux ?

CE, 21 décembre 2021, élection de Villequier-Aumont, n° 445969

Par une décision du 21 décembre 2021, le Conseil d’Etat entend la notion d’entrepreneurs de services municipaux dans une acception très large. Le régime d’inéligibilité est appliqué à un prestataire qui n’a émis qu’une seule facture d’un montant modique au titre de l’année précédente.

Pour mémoire, l’article L. 231 du Code électoral dresse la liste des cas n’inéligibilité aux élections municipales : magistrats, certains fonctionnaires, officiers et sous-officiers, etc. Ces dispositions ajoutent également que :

« Ne peuvent être élus conseillers municipaux dans les communes situées dans le ressort où ils exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins de six mois […] Les comptables des deniers communaux agissant en qualité de fonctionnaire et les entrepreneurs de services municipaux ».

Dans l’affaire jugée, une entreprise au sein de laquelle un candidat à l’élection municipale est décrit comme y jouant « un rôle prédominant » a passé en 2011 avec la commune une convention en vue d’assurer le déneigement. Cette convention est renouvelée en 2018, puis rompue en janvier 2020 – soit moins de six mois avant le scrutin.

Las, le Conseil d’Etat estime plutôt sévèrement que :

« Dans ces conditions, cette société participait à cette date au service municipal d’entretien de la voirie et M. T… avait, par suite, moins de six mois avant la date du premier tour de l’élection contestée, la qualité d’entrepreneur de service municipal au sens des dispositions de l’article L. 231 du Code électoral, nonobstant la circonstance que cette société n’avait pas fourni de prestation depuis plus de six mois à la date du premier tour de scrutin, et qu’une seule facture d’un montant de 486 euros avait été émise au titre de cette convention en 2019. M. T… était, par suite, inéligible au conseil municipal de Villequier-Aumont à la date du scrutin »[1].

Le jugement rendu par le Tribunal administratif d’Amiens est ainsi annulé – pour ne pas dire damer. L’on peut naturellement s’étonner d’une telle rigidité. En effet, si la convention liant le candidat et la commune de Villequier-Aumont a été rompue moins de six mois avant le scrutin, c’est ici retenir un lien contractuel formelle – et symbolique – qui ne traduit pas nécessairement l’exécution de prestation concrète pour les besoins de la collectivité, sous son contrôle et contre rémunération. On peut d’ailleurs supposer qu’il a été mis fin à la convention de bonne foi en janvier 2020, précisément pour prévenir une qualification d’entrepreneur de services municipaux et ainsi, permettre une participation de l’intéressé à l’élection. Ici, la dernière prestation rémunérée remontait à plus d’un an et devait dans l’esprit du candidat le prémunir de toute indélébilité. Mais le Conseil d’Etat a préféré retenir l’absence de cessation définitive des relations contractuelles moins de six mois avant le scrutin, en dépit de l’absence de commandes dans ce délai et de la saisonnalité de la prestation.

C’est en tout cas ce qui peut être déduit si l’on compare la décision citée à une autre, plus récente, rendue en juillet 2021 au visa des mêmes dispositions :

« il résulte de l’instruction qu’en tout état de cause, les prestations réalisées l’ont été à titre occasionnel et ne présentent pas un caractère régulier, même si elles ont pu être échelonnées dans le temps, et elles ne se sont pas poursuivies pendant la période de six mois précédant le scrutin litigieux »[2].

La nuance est fine : les commandes ponctuelles « au coup par coup » seraient de nature à blanchir (comme neige) le candidat en dépit de leur caractère régulier, tandis qu’un marché à bons de commandes[3] en veille ne serait rien que de l’eau qui dort dont tout candidat devrait se méfier ?

Rien n’est moins sûr, car en 1996, et en l’absence de tout contrat écrit, le Conseil d’Etat avait déjà estimé que :

« en sa qualité d’entrepreneur de maçonnerie et de débroussaillement et de manière régulière au cours des années précédant l’élection, des travaux de fauchage et de déneigement pour le compte de la commune de Champ-le-Duc, pour lesquels il était rémunéré sur le budget municipal ; que les travaux ainsi exécutés n’avaient pas un caractère occasionnel même si leur périodicité était soumise aux événements naturels ; qu’ainsi M. Y… participait au service municipal d’entretien de la voirie  »[4].

On le voit, ce n’est pas vers un assouplissement que se dirige le Conseil d’Etat et l’aléa reste fort : la prudence commande alors de rompre de manière explicite et univoque tout lien contractuel – même tacite – six mois avant le scrutin. Et pour répondre à la question posée, « qui échappe à la qualification d’entrepreneur de services municipaux ? » : la personne qui n’a personnellement (ou par le truchement d’une entreprise dont il est gérant ou actionnaire) aucun lien contractuel avec la collectivité dans laquelle il se présente en qualité de candidat, au moins six mois avant le scrutin.

Pour conclure en paraphrasant Sieyès : qu’est-ce que l’entrepreneur de services municipaux ? Presque tout. Que demande-t-il ? Participer à la vie démocratique locale, peut-être, un jour.

 

Thomas MANHES, avocat associé – Seban Armorique

 

 

[1] CE, 2-7 chr, 21 déc. 2021, élection de Villequier-Aumont : n° 445969, Lebon T.

[2] CE, 2e chs, 22 juill. 2021, élections de Saint-Chamond : n° 448491.

[3] Ou les accords-cadre.

[4] CE, 6 / 2 ss-sect. réunies, 31 juill. 1996, n° 172103.