Les concessions autoroutières constituent une source intarissable de débats et de contentieux et cela depuis la privatisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes (ci-après, « SCA »). Le principe même de cette privatisation avait effectivement donné lieu à un important arrêt de section[1] à l’occasion duquel le Conseil d’État avait, entre autres, eu à préciser les notions de monopole de fait et de service public national au sens du neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946. Le différend entre les SCA et l’État quant au refus de paiement par celles-ci de la contribution volontaire exceptionnelle s’ajoute donc à une longue liste des différends relatifs à ces concessions.
Pour rappel du contexte, dans le cadre d’un protocole d’accord signé en 2015 avec l’Etat, les SCA ont accepté de verser annuellement une contribution volontaire exceptionnelle destinée au financement de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (ci-après, « AFITF »), en contrepartie de la stabilité de leurs prélèvements obligatoires.
Cependant, estimant que l’État n’avait pas respecté les engagements souscrits au titre de ce protocole d’accord, les SCA ont contesté, devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, les titres exécutoires émis par l’ATIF pour le recouvrement de cette contribution due au titre des années 2021, 2022 et 2023, pour un enjeu financier de l’ordre de 188 millions d’euros.
Le principal moyen développé par les SCA est que l’Etat s’étend engager à compenser toute augmentation des prélèvements obligatoires à leurs égards, il lui appartenait de compenser l’indexation de la taxe d’aménagement du territoire sur l’inflation. En effet, cette indexation sur l’inflation de la taxe précitée résulte des dispositions de la loi de finances pour 2020. Les SCA soutenaient que cette indexation constitue une hausse qui devait être compensée par l’État au titre du protocole d’accord. Faute pour l’État de respecter cet engagement, les SCA n’étaient pas tenues d’honorer le leur et les créances relatives à la CVE pour les années 2021, 2022 et 2023 n’étaient donc pas certaines et ne pouvaient donc pas être recouvrées par l’émission de titres exécutoires.
Toutefois, par un jugement n° 2202106 du 14 mars 2024, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a relevé que le protocole d’accord conclu entre les SCA et l’État prévoit que dans « les cas où l’Etat procède à une hausse de la taxe d’aménagement du territoire, il est fait application des dispositions de compensation prévues par l’article 37 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 ». Or, les dispositions de l’article 37 de la loi du 4 février 1995 prévoient une prise en compte des conséquences de la taxe d’aménagement du territoire sur l’équilibre financier des SCA et non une compensation de plein droit des évolutions de celle-ci. Partant, dès lors que les SCA ne démontraient pas que l’indexation de la taxe d’aménagement du territoire avait perturbé l’équilibre financier des concessions, leur argument ne pouvait qu’encourir le rejet.
Cette interprétation du protocole d’accord avait déjà été retenue par le Tribunal administratif de Paris dans un jugement n° 2018192 en date du 13 janvier 2023 au terme duquel il avait rejeté la demande formée par la société d’Autoroutes et tunnel du Mont-Blanc à l’encontre de l’État pour obtenir l’indemnisation de la majoration de la taxe d’aménagement du territoire en raison de son indexation à l’inflation.
Nonobstant ces interprétations concordantes, les SCA n’ont pas été satisfaites qu’elle soit retenue par le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise puisqu’elles ont interjeté un appel auprès de la Cour administrative d’appel de Versailles à l’encontre du jugement du 14 mars 2024 précité. Au regard des enjeux financiers importants liés au paiement de la contribution volontaire exceptionnelle, il est sans doute probable que ce différend soit porté devant le Conseil d’État quel que soit le sens de l’arrêt rendu par la cour et le différend paraît donc loin d’être achevé.
[1] CE, 27 septembre 2006, M. Bayrou et Association de défense des usagers des autoroutes publiques et du patrimoine autoroutier, n° 290716.