Contrats publics
le 20/01/2022

Détermination du Juge du référé précontractuel compétent en cas de passation de marché par un groupement de commandes composé de personnes publiques et privées

TC, 10 janvier 2022, RATP, C4230

Par une décision du 10 janvier 2022, le Tribunal des conflits rappelle que la compétence judiciaire ou administrative du juge des référés précontractuels s’apprécie en fonction de la nature du contrat en cause et tranche la question de l’application de ce critère lors de la passation de contrats de droit public et privé par un groupement de commandes « mixte » constitué de personnes publiques et privées.

En l’espèce, par un avis d’appel public à la concurrence publié le 26 juin 2018, la Régie Autonome des Transports Parisiens (ci-après, la « RATP »), agissant en qualité de coordonnateur d’un groupement de commandes conclu avec SNCF Mobilités, auquel a succédé le 1er janvier 2020 la société SNCF Voyageurs, a lancé une procédure négociée avec mise en concurrence préalable pour la passation d’un accord-cadre à bons de commande.

La société Alstom Transport, candidat à la procédure, a introduit un référé précontractuel devant le président du Tribunal judiciaire de Paris en demandant l’annulation de toutes les décisions se rapportant à la procédure de passation et qu’il soit enjoint à la RATP de se conformer à leurs obligations de publicité et de mise en concurrence.

Par une décision du 17 décembre 2020, le Juge des référés précontractuels du Tribunal judiciaire de Paris a adressé au groupement formé par la RATP et SNCF Voyageurs, s’il entendait poursuivre la procédure de passation, des injonctions relatives à la méthode d’analyse des offres et à l’information des candidats.

Saisie d’un pourvoi de la RATP contre cette décision, la Cour de cassation a saisi le Tribunal des conflits sur le fondement de l’article 35 du décret du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles pour déterminer quel était le juge compétent pour connaître de ce litige.

L’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique retient un critère d’application matériel pour déterminer le juge compétent pour connaître des référés précontractuels. Ainsi, les contrats ayant un caractère administratif conclus par des pouvoirs adjudicateurs relèvent de la compétence du Juge administratif. En revanche, en application de l’article 2 de l’ordonnance précitée, en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par des pouvoirs adjudicateurs des contrats de droit privé ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, les personnes ayant intérêt à conclure l’un de ces contrats et susceptibles d’être lésées par ce manquement peuvent saisir le Juge judiciaire d’un référé précontractuel[1].

Le Tribunal des conflits commence par rappeler ce principe de répartition des compétences entre les deux juridictions en jugeant que la « passation et l’attribution des contrats passés en application du code de la commande publique sont susceptibles de donner lieu à une procédure de référé précontractuel qui, selon que le contrat revêtira un caractère administratif ou privé, doit être intentée devant le juge administratif ou devant le juge judiciaire ». Il précise ensuite qu’il appartient au juge du référé précontractuel de s’assurer de sa compétence en déterminant si « eu égard à la nature du contrat en cause, il a [été saisi] à bon droit ».

En l’espèce, toute la difficulté de l’affaire tenait au caractère mixte du groupement de commandes. En effet, la société SNCF Voyageurs est une société anonyme concluant, par principe, des contrats de droit privé aussi la procédure de passation conduite par le groupement de commandes était susceptible de donner lieu à la conclusion de contrats à caractère administratif et de contrats de droit privé, rendant par là même l’application du critère matériel précité délicate.

Le Tribunal des conflits tranche cette question en jugeant dans un considérant de principe que « dans le cadre d’un groupement de commandes constitué entre des acheteurs publics et des acheteurs privés en vue de passer chacun un ou plusieurs marchés publics et confiant à l’un d’entre eux le soin de conduire la procédure de passation, et où, l’un des acheteurs membres du groupement étant une personne publique, le marché qu’il est susceptible de conclure sera un contrat administratif par application de l’article 3 de l’ordonnance du 23 juillet 2015, le juge du référé précontractuel compétent pour connaître de la procédure est le juge administratif, sans préjudice de la compétence du juge judiciaire pour connaître des litiges postérieurs à la conclusion de ceux de ces contrats qui revêtent un caractère de droit privé ».

Appliquant la règle ainsi énoncée au cas particulier, il relève que « la RATP, membre de ce groupement, est un établissement public et les marchés qu’elle est susceptible de conclure sont des contrats administratifs » et juge donc que le Juge administratif est compétent pour connaître du référé précontractuel introduit par la société Alstom Transport.

La présente décision est à mettre en parallèle avec celle rendue par le Tribunal des conflits le 13 septembre 2021[2] où le tribunal avait déjà eu à connaître d’une difficulté relative à un groupement de commandes composé de personnes privées. Cependant, contrairement au cas d’espèce où le groupement de commandes était susceptible de conclure plusieurs contrats pour chacun de ses membres, l’affaire jugée le 13 septembre 2021 portait sur la conclusion d’un unique accord-cadre pour l’ensemble des membres du groupement. Le Tribunal des conflits avait alors décidé qu’il appartenait au Juge des référés précontractuels de rechercher l’objet principal du contrat pour qualifier la nature de ce dernier en jugeant que lorsqu’un « contrat de la commande publique, passé par une entité adjudicatrice au nom et pour le compte de plusieurs sociétés, et destiné majoritairement à répondre aux besoins de l’une de ces sociétés dont les contrats passés en application du code de la commande publique sont des contrats administratifs par détermination de la loi, [ce dernier] revêt lui-même un caractère administratif »[3] et il appartient alors au Juge administratif de connaître du référé précontractuel relatif à la procédure de passation dont la régularité est contestée.

En conséquence, dans le cadre d’un groupement de commandes, la détermination du juge compétent varie selon que le groupement a vocation à conclure un contrat unique en vue de répondre aux besoins de plusieurs acheteurs ou qu’il a pour objet d’assurer la conclusion d’un ou plusieurs contrats pour chacun des membres du groupement. Dans le premier cas, il faut apprécier quel est l’objet principal du contrat pour en déterminer la nature, administrative ou privée, et en déduire subséquemment la juridiction compétente pour connaître du référé précontractuel. Dans le second cas, si au moins un contrat est susceptible d’être qualifiable de droit public, notamment au motif qu’un des membres du groupement est une personne de droit public, la procédure de référé précontractuel relèvera de la compétence du Juge administratif. Ainsi, par principe et dans l’immense majorité des hypothèses, la procédure de référé précontractuel relative aux contrats conclus par des groupements de commande « mixte », constitués de personnes publiques et privées, relèvera donc de la juridiction administrative.

 

[1] Cass. com., 13 oct. 2021, Société Promologis, n° 19-24.904.

[2] TC, 13 septembre 2021, SNCF, C4224.

[3] Ibid.