Droit du travail et de la sécurité sociale
le 25/09/2025

Détermination de la convention collective de branche : les points de vigilance pour les employeurs

Les conventions collectives de branche (CCN) sont définies comme les accords écrits négociés entre les organisations syndicales représentatives de salariés et les organisations patronales. Elles encadrent les secteurs d’activité en organisant les grilles de rémunération, les classifications, la formation professionnelle, les conditions de travail et les garanties sociales des salariés.

Selon les dernières données de la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques) publiées en juin 2025, 71 % des salariés, soit 19,1 millions de personnes, étaient couverts par une convention collective en 2023.

La détermination de la convention collective est donc une étape essentielle pour les employeurs dans leur politique RH car elle fixera le socle du statut collectif de leur personnel.

Cette source du droit du travail est défini à l’article L.1222-1 du Code du travail :

« Les conventions et accords collectifs de travail, ci-après désignés « conventions » et « accords » dans le présent livre, déterminent leur champ d’application territorial et professionnel. Le champ d’application professionnel est défini en termes d’activités économiques. » Ainsi, il revient à la convention où à l’accord lui-même de déterminer son champ d’application.

Hypothèse 1 : l’accord ou la convention a fait l’objet d’un arrêté ministériel d’extension

Dans ce cas, il suffit que l’activité principale réellement exercée par l’entreprise entre dans le champ d’application géographique et professionnelle dudit accord.

Hypothèse 2 : l’accord ou la convention n’a pas fait l’objet d’un arrêté ministériel d’extension

Dans ce cas, il faut que :

  • l’activité principale réellement exercée par l’entreprise entre dans le champ d’application géographique et professionnelle de l’accord ou de la convention,
  • Et que la société adhère à l’une des parties signataire de la convention.

La mise en œuvre de ces règles appelle à des points vigilance qu’il s’agisse de la détermination parfois ardue de l’activité principale de la société (1), de la présence d’activités multiples pouvant impliquer l’opposabilité de plusieurs CCN (2), des spécificités de l’adhésion de l’employeur à une organisation patronale pour appliquer une CCN (3) et l’application volontaire d’une convention collective (4).

 

1. L’activité principale : le critère essentiel à la détermination de la convention collective applicable

Une entité ne peut être assujettie à une convention collective que si son activité entre, a minima, dans la définition du champ professionnel de l’activité.

Pour apprécier cette activité, il convient de se référer à l’activité principale réellement exercée par l’employeur pour déterminer la convention collective applicable, en application de l’article L. 2261-2 du Code du travail.

La détermination de cette activité réellement exercée est indiqué par le code APE (Activité principale exercée) délivré par l’INSEE à l’entité. Ce code APE est qualifié d’un indice qui doit être complété selon la jurisprudence par d’autres éléments.

La Cour de cassation a ainsi pu juger que le code APE/NAF et l’objet des statuts d’une entité n’ont qu’une valeur indicative (Soc. 18 juillet 2000 n° 98-42.949 ; Soc. 4 décembre 2001, n 99-43.676), Ils ne sauraient déterminer, à eux seuls, l’activité principale réellement exercée par celle-ci (sauf si l’accord ou la convention en dispose autrement).

Plus particulièrement, depuis 2017, la détermination de l’activité principale relève du pouvoir souverain des juges du fond (Cass. Soc., 15 mars 2017, n° 15-19.958, n° 489 FS – P + B).

Et pour déterminer cette activité, la jurisprudence a, en substance, tendance à retenir comme critères, sans que cela soit exhaustif et qu’ils ne se suffisent, nécessairement, à eux seuls :

  • le chiffre d’affaires majoritaire généré par une activité de l’entreprise, pour une entreprise de service (Cass. Soc., 4 déc. 2007, n° 06-42.463 ; Cass. Soc., 25 févr. 1998, n° 96-40.206),
  • la proportion de salarié affecté à une activité comparativement à une autre exercée dans l’entreprise, pour les entreprises de l’industrie (Cass. Soc., 23 avr. 2003, n° 01-41.196, n° 1108 FS – P + B).

L’un des points de vigilance demeure dans la fixation de ce fameux code APE qui malgré sa qualification d’indice par la Jurisprudence détermine en pratique les cas l’opposabilité de la CCN.

A titre d’exemple dans le secteur sanitaire et social, l’accord dit « Ségur pour tous » du 4 juin 2024 qui prévoit l’octroi d’une indemnité de 238 euros bruts par mois pour tous les salariés à travers la coordination de l’avenant n° 3 à l’accord de branche n°2005-03 du 18 février 2005 étendu par un arrêté du 5 août 2024 s’impose aux « Entreprises Adaptées » sur le seul critère de leur code APE sans que ces dernières ne soient soumises à une convention collective nationale.

Cette situation inédite implique que certaines de ces entités soient contraintes de modifier leur Code APE qui correspondait jusqu’alors à leur activité « d’Aide par l’emploi » en lien avec leur statut et leur objet social qui est d’accompagner des salariés handicapés par le travail.

La DGEFP et l’INSEE estiment que ces entités doivent redéfinir leur activité principale en lien avec leur activité commerciale pour disposer d’un nouveau Code APE et ainsi sortir du giron des dispositions du « Ségur pour tous ».

Dès lors, la fixation du Code APE / NAF par l’INSEE doit s’apprécier avec vigilance au regard de son incidence sur la détermination du statut collectif.

 

2. Les spécificités des entités disposant d’activités multiples pouvant appliquer plusieurs conventions collectives

Lorsqu’une entreprise exerce plusieurs activités, il convient d’examiner si certaines d’entre elles peuvent être individualisées et s’appliquer en dérogation au principe d’unicité du statut collectif au sein d’une entreprise.

La jurisprudence sociale a reconnu dans un arrêt de la Cour de cassation du 29 janvier 2003 (n° 00-45.732) en présence d’activités multiples nettement différenciées et suffisamment autonomes, une société pouvait être composée de « centres autonomes » relevant d’une convention collective distincte correspondant à leur domaine d’activité.

Cette notion de « centre autonome » implique que les salariés exercent une activité nettement différenciée de celle de l’activité principale. Cette autonomie est appréciée si l’activité s’exerce généralement dans un lieu distinct des autres activités de l’entreprise avec un personnel propre voire un matériel spécifique.

Dans cette hypothèse, il est admis qu’une entité puisse appliquer plusieurs conventions collectives. Cette situation est fréquente dans le secteur sanitaire et social où une association peut disposer d’un Établissement et service d’accompagnement par le travail (ESAT) qui sera régi par la convention dite 1966, c’est-à-dire des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 et avoir un établissement et service de réadaptation professionnelle (ESRP) qui sera régi par la convention dite de 1951, c’est-à-dire celle des Etablissements Privés d’hospitalisation et de soins du 31 octobre 1951.

La mise en place de plusieurs CCN peut également être liée à un statut spécifique des salariés.

Ainsi les SEM Immobilières en leur qualité d’organisme de logement social peuvent se voir appliquer la CCN étendue de l’immobilier à défaut d’applicabilité d’une autre convention collective de branche étendue :

« Sauf application d’une convention nationale étendue et en cours de validité concernant un secteur du champ d’application général visé ci-après (HLM ou promotion – construction par exemple), ou une catégorie de personnel (personnel d’exploitation, gardiennage et entretien par exemple qui relève de la convention collective nationale des gardiens, concierges et employés d’immeubles du 11 décembre 1979), la présente convention règle sur le territoire métropolitain les rapports entre les employeurs et les salariés ».

Ainsi, les salariés des SEM immobilières sont soumis à la CCN de l’immobilier à l’exception de ceux occupant un poste de gardien ou employé d’immeuble. Ces derniers relèvent de la convention collective spécifique des gardiens, concierges et employés d’immeubles (IDCC n°1043).

Cette catégorie de personnel se verra appliquer cette CCN n°1043 indépendamment de l’activité principale de leur société et de l’absence de centre autonome.

 

3. L’adhésion encadrée de l’employeur à une convention collective de branche

L’employeur peut valablement adhérer à un groupement patronal signataire d’une convention collective et ainsi appliquer cette norme collective.

L’un des points de vigilance demeure dans le choix de la CCN qui ne peut se faire au détriment d’une convention collective qui s’imposerait à l’entreprise du fait d’un arrêté d’extension ministériel.

L’adhésion à une CCN autre que celle étendue ne priverait pas le salarié de la possibilité de revendiquer les clauses plus favorables de cette dernière.

Ce maintien du bénéfice de la CCN étendue s’applique également si l’employeur décide d’appliquer une CCN de branche par la voie d’un accord collectif d’entreprise conclu avec ses syndicats représentatifs. Le dialogue social permet de déroger au principe de faveur du cumul des accords collectifs dans certaines hypothèses limitées.

En effet, cet accord d’entreprise ne pourra pas déroger défavorablement à la CCN de branche étendue dans les domaines appelés « bloc 1 » ou, à certaines conditions celles dites du « bloc 2 » prévues par les articles L. 2253-1 et L. 2253-2 du Code du travail (art. L. 2253-3 du Code du travail).

L’accord d’entreprise ne pourra déroger défavorablement aux 13 domaines du « bloc 1 » définis par l’article L. 2253-1 du Code du travail, à savoir :

« 1. Les salaires minima hiérarchiques ;

  1. Les classifications ;
  2. La mutualisation des fonds de financement du paritarisme ;
  3. La mutualisation des fonds de la formation professionnelle ;
  4. Les garanties collectives complémentaires mentionnées à l’article L. 912-1 du Code de la sécurité sociale ;
  5. La durée du travail …
  6. Les mesures relatives aux contrats CDD ou temporaires
  7. Les mesures relatives au CDI de chantier ;
  8. L’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ;
  9. Les conditions et les durées de renouvellement de la période d’essai du contrat CDI
  10. Les modalités conventionnelles liées au transfert du personnel
  11. Les cas de mise à disposition d’un salarié temporaire auprès d’une entreprise utilisatrice
  12. La rémunération minimale du salarié porté, ainsi que le montant de l’indemnité d’apport d’affaire. »

Dans cette hypothèse d’une application d’une autre convention collective formalisée par un accord d’entreprise autre que celle étendue dans le secteur d’activité , il demeure un point d’attention sur l’affiliation à l’organisme paritaire en charge de la formation professionnelle de la branche d’activité désigné l’OPCO.

En effet, aux termes de l’article L. 6332-1-1 du Code du travail :

« Une branche professionnelle ne peut adhérer qu’à un seul opérateur de compétences dans le champ d’application d’une convention collective au sens de l’article L. 2222-1. »

L’article L. 2253-1 du Code du travail dispose qu’il pourrait être dérogé aux règles relatives à « la mutualisation des fonds pour la formation professionnelle » par les dispositions d’un accord collectif prévoyant des garanties au moins équivalentes à celles de la branche d’origine.

Toutefois, et malgré la lettre de l’article L. 2253-1 du Code du travail qui permet des mesures plus favorables, la direction générale du travail (DGT) précise dans son Questions/réponses que pour le sujet de la mutualisation des fonds pour la formation professionnelle, cela relèverait de la compétence exclusive de la branche étendue[1].

Il demeure donc un point de vigilance sur cette détermination de l’OPCO dans l’hypothèse d’un changement de CCN étendue en s’assurant que les garanties sont au moins équivalentes pour les salariés (notamment en termes de taux de contribution). Il demeure toutefois un risque que l’OPCO lié à la branche naturelle de rattachement ne revendique sa compétence exclusive et s’impose face aux choix d’un autre OPCO défini par l’employeur dans un accord collectif.

 

4. La démission de l’employeur à l’organisation signataire de la CCN n’est pas à effet immédiat

Si un employeur est libre d’adhérer à une CCN de branche non étendu en lien avec son activité, il peut valablement décider d’en démissionner.

Il demeure toutefois à ce titre un point de vigilance liée au maintien de la CCN malgré la démission au regard de l’article L. 2262-3 du Code du travail :

« L’employeur qui démissionne de l’organisation ou du groupement signataire postérieurement à la signature de la convention ou de l’accord demeure lié par ces derniers. »

Ainsi la démission n’implique pas un terme automatique de l’application de la CCN auprès des salariés. Ce maintien vise à ne pas priver du jour au lendemain les salariés de leur statut collectif et incite l’employeur à combler ce vide par une nouvelle convention collective et/ou la négociation d’un accord de substitution.

La principale difficulté dans ce dispositif est que ce maintien ne semble pas limité dans le temps comme le délai de survie de 12 mois prévu en cas de mise en cause d’un accord collectif prévu à l’article L.2261-4 du Code du travail. Ce maintien pourrait donc perdurer.

 

5. Les effets limités d’une application volontaire d’une convention collective nationale

 

Un employeur peut ne pas être tenu d’appliquer une convention ou un accord collectif soit parce que son activité réelle n’entre pas dans le champ d’application des textes conventionnels existants, soit parce qu’il n’est pas affilié à un syndicat signataire.

Dans ce cas, il peut choisir d’appliquer volontairement une convention collective dans son intégralité ou partiellement.

A titre d’exemple, les Régies intervenant dans le secteur de l’eau et l’assainissement peuvent décider d’appliquer volontairement, soit totalement ou partiellement, la convention collective nationale des entreprises des services d’eau et d’assainissement (IDCC 2147) quand bien même elles ne relèvent pas de son champ d’application.

L’objectif de cette application volontaire est souvent justifié par les Régies par leur volonté d’assurer à leurs salariés un cadre social équivalent à celui des entreprises privées du secteur pour favoriser les recrutements et fidéliser le personnel.

Cette application volontaire a, en principe, la valeur d’un usage que l’employeur peut dénoncer (Cass. Soc. 31 janvier 1996, n°93-41246).

Il est précisé que l’application volontaire de la convention collective :

  • ne vaut que dans les relations individuelles de travail (prime, indemnités de rupture, congés payés…) (Cass. Soc. 16 novembre 1999, n°98-60356) ;
  • ne s’applique pas aux relations collectives de travail (durée collective du travail, représentation du personnel, droit syndical…).

A cet égard, l’application volontaire d’une convention collective peut résulter d’une décision explicite de l’employeur.

Elle peut également résulter implicitement du comportement de ce dernier, lorsqu’il manifeste « l’intention d’appliquer » les dispositions d’une convention ou d’un accord collectif (Cass. Soc. 29 mai 1986, n° 83-44809), étant précisé que :

  • La mention de la convention collective sur le bulletin de paie constitue une présomption simple que l’employeur peut combattre en apportant la preuve contraire, notamment si la convention a été mentionnée par erreur (Cass. Soc. 15 novembre 2007, n° 06-44008) ;
  • A contrario, la mention de la convention collective sur le contrat de travail « vaut reconnaissance de l’application de la convention à l’égard du salarié » (Cass. Soc., 13 décembre 2000, n° 98-43542).

L’application volontaire d’une convention collective a la valeur d’un usage que l’employeur peut dénoncer (Cass. Soc., 4 décembre 1991) et ne vaut que pour les relations individuelles de travail (Cass. Soc., 18-7-2000 n° 97-44.897).

Le point de vigilance de l’application volontaire de la CCN réside dans cette valeur limitée à un usage qui prive l’employeur des normes obligatoirement collectives

comme celles des aménagements sur le temps de travail (avec la non-opposabilité des forfaits jours) ou encore l’impossibilité d’assurer un renouvellement d’une période d’essai qui demeure de la compétence exclusive d’un accord de branche pleinement opposable.

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[1] Questions Réponses du Ministère du travail : La négociation collective juillet 2020