CE, 6 novembre 2024, n° 471372
CE, 18 novembre 2024, n° 487701
Plusieurs décisions ont été rendues par le Conseil d’Etat sur les dérogations espèces protégées au cours du mois de novembre 2024.
1°) Au sein d’une première affaire Société Gourvillette Energies du 6 novembre 2024, le Conseil d’Etat a précisé l’articulation entre dérogations espèces protégées et autorisation environnementale.
Le juge indique tout d’abord qu’une autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu’elle comporte permettent de prévenir les dangers ou inconvénients pour, notamment, la protection de la nature et de l’environnement qui sont des intérêts protégés par l’article L. 511-1 du Code de l’environnement. Ainsi, le juge peut annuler une autorisation environnementale si elle porte atteinte à ces intérêts et donc, notamment, à la conservation d’espèces protégées. Et si aucune prescription complémentaire n’est susceptible de garantir la protection de cet intérêt, le juge n’est alors pas tenu de surseoir à statuer sur le fondement de l’article L. 181-18 du Code de l’environnement en ordonnant qu’une dérogation espèces protégées soit sollicitée et obtenue. Dit autrement, lorsque les atteintes portées par un projet aux espèces protégées sont tellement importantes qu’aucune prescription ne pourrait y remédier, alors le juge doit annuler l’autorisation environnementale sans permettre au pétitionnaire de solliciter une dérogation espèces protégées.
Dans les faits en cause, le Conseil d’Etat considère qu’au regard des incidences du projet, qui a pour effet de réduire le territoire de reproduction de l’outarde canepetière, aucune prescription supplémentaire ne permettrait d’assurer la protection de l’intérêt protégé par l’article L. 511-1 du Code de l’environnement lié à la protection des espèces.
2°) Une seconde décision en date du 6 novembre 2024, n° 471372, a permis au Conseil d’Etat de se prononcer sur l’étendue du contrôle qu’exerce le juge de cassation sur la notion de « risque suffisamment caractérisé » pour les espèces protégées, qui est le critère permettant de déterminer si une dérogation espèces protégées est nécessaire ou non pour la réalisation d’un projet.
Dans cette affaire, la Cour administrative d’appel avait considéré qu’il n’existait pas de risque suffisamment caractérisé pour les espèces protégées.
Au sein de ses conclusions, le rapporteur public s’interrogeait en effet sur la pertinence pour le Conseil d’Etat d’exercer un contrôle sur cette notion en cassation, ou si la question de l’existence d’un risque suffisamment caractérisé devait relever uniquement des juges du fond.
Le juge, suivant à cet égard les conclusions de son rapporteur public, tranche en faveur du contrôle de la qualification juridique des faits. Dans cette espèce, il estime alors que les mesures d’évitement et de réduction prévues par le pétitionnaire ne sont pas suffisantes pour permettre de considérer qu’il n’existerait pas de risque suffisamment caractérisé et censure ainsi le raisonnement de la Cour administrative d’appel. En effet, les mesures de bridage proposées ne permettaient de couvrir qu’environ 80 % des spécimens d’espèces protégées identifiées.
3°) Par une décision en date du 18 novembre 2024, le Conseil d’Etat s’est ensuite prononcé sur la situation où la Cour administrative d’appel avait estimé qu’une dérogation espèces protégées était nécessaire pour plusieurs espèces, alors qu’elle ne l’était en réalité que pour certaines d’entre elles. La Cour avait en effet considéré qu’une dérogation espèces protégées aurait dû être sollicitée pour six espèces d’oiseaux et douze espèces de chiroptères or, le Conseil d’Etat énonce qu’elle n’était pas nécessaire pour le vanneau huppé et le pluvier doré, qui ne sont pas des espèces protégées, ni pour les chiroptères au regard des mesures supplémentaires de bridage ordonnées par la Cour. Dans cette hypothèse, le Conseil d’Etat considère qu’il est alors nécessaire d’annuler la dérogation espèces protégées dans son ensemble.
Ainsi :
– D’une part, le juge indique que les mesures d’évitement et de réduction devant être prises en compte pour estimer qu’il existe un risque suffisamment caractérisé incluent celles définies par le juge, et non uniquement celles définies par le pétitionnaire ;
– D’autre part, son raisonnement implique que la dérogation espèces protégées n’est pas une décision sécable. Dit autrement, il n’existe pas une dérogation par espèce protégée mais une dérogation globale concernant toutes les espèces concernées par un projet.
Cet arrêt se prononce également sur la recevabilité de la tierce opposition formée par des riverains du projet alors que la décision contestée avait été rendue à l’issue d’une procédure où était intervenue une association ayant notamment pour objet la défense des conditions de vie des habitants. Le Conseil d’Etat expose néanmoins que les requérants ne pouvaient être regardés comme ayant été valablement représentés par cette association et que leur tierce opposition était donc recevable.