Environnement, eau et déchet
le 13/10/2022

Déchets, réseaux de chaleur, piscines… : quelles incidences de la crise économique et quels apports après l’avis du Conseil d’état sur la modification des clauses contractuelles financières ?

CE, Avis, 15 septembre 2022, n° 405540

Depuis plusieurs mois, nous constatons, dans le cadre de nos missions d’accompagnement à la passation et au suivi des contrats (marchés ou délégations de service public) fortement dépendants du coût de l’énergie (déchets, réseaux de chaleur, piscines, patinoires, …), une velléité forte des opérateurs de proposer une modification des clauses financières, en particulier celles liées aux révisions de prix.

La raison est évidemment la crise économique liée à la guerre en Ukraine : les opérateurs cherchent par tous les moyens à optimiser les conditions de révision financière des contrats, afin de prendre en compte l’inflation et l’envolée des prix de l’énergie.

Les contrats en matière de déchets (collecte, prix du carburant pour la collecte, ou coût de l’électricité en achat comme en vente pour les unités de valorisation énergétique), de réseaux de chaleur ou d’équipements sportifs (coûts de l’électricité et du gaz) sont particulièrement concernés.

Dans ce contexte, le Conseil d’État a tout récemment rendu un avis relatif aux conditions de modification des prix dans les contrats de la commande publique (Avis du 15 septembre 2022, n° 405540). En substance, le Conseil d’Etat considère que « rien n’empêche que les modifications des marchés et contrats de concession portent uniquement, en vue de compenser les surcoûts que le titulaire ou le concessionnaire subit du fait de circonstances imprévisibles, sur les prix ou les tarifs prévus au contrat ainsi que sur les modalités de leur détermination ou de leur évolution ».

Reste donc à savoir sous quelles conditions, et sous quelles formes, ces modifications peuvent intervenir.

Il nous semble nécessaire de distinguer ici deux hypothèses :

  • celle de la modification durable, structurante, du contrat, par avenant, pour faire évoluer les clauses financières, notamment par exemple la fréquence des révisions des prix ou les composantes d’un tarif (1) ;
  • et celle caractérisée par une situation d’imprévision, dans laquelle c’est plutôt à notre sens une transaction qui doit être conclue pour venir compenser le déséquilibre temporaire de l’économie du contrat (2).
  1. L’avenant

Le Conseil d’Etat rappelle d’abord qu’un avenant peut être conclu au contrat s’il respecte les conditions posées par le Code de la commande publique (articles L. 2194-1 et L. 3135-1 notamment).

Cette analyse du respect de la réglementation n’est pas toujours aisée et sur ce point, le Conseil d’Etat apporte peu d’éléments utiles. Sur le cas d’une modification rendues nécessaires par des circonstances imprévisibles par exemple, il se contente d’indiquer que « la modification du contrat sur le fondement de ces dispositions n’est possible que si l’augmentation des dépenses exposées par l’opérateur économique ou la diminution de ses recettes imputables à ces circonstances nouvelles ont dépassé les limites ayant pu raisonnablement être envisagées par les parties lors de la passation du contrat ». L’avis renvoie donc à une analyse au cas par cas du « raisonnablement prévisible », avec en conséquence une marge de manœuvre importante pour les parties.

L’avenant n’est en tout état de cause, et bien évidemment, pas de droit pour l’opérateur, et le Conseil d’Etat prend soin de le rappeler : « l’autorité contractante, qui doit veiller au respect de l’exigence constitutionnelle de bon emploi des deniers publics, qui découle de l’article 14 de la Déclaration de 1789, et qui est reprise à l’article L. 3 du code de la commande publique, n’est en aucun cas contrainte d’en prendre l’initiative ou de les accepter sauf s’il est établi que les parties se situent dans une situation d’imprévision ».

Le risque d’un refus de la collectivité peut néanmoins avoir alors pour conséquence de caractériser à court ou moyen terme une situation d’imprévision, qui ne lui laisse alors plus d’autre choix que celui d’indemniser son cocontractant.

  1. Le protocole transactionnel

C’est donc seulement dans l’hypothèse où une situation d’imprévision serait caractérisée que l’avenant pourrait s’imposer à l’autorité contractante. Et d’ailleurs, dans ce cas, c’est plutôt un protocole transactionnel qui doit être conclu, l’avenant ayant vocation à modifier durablement le contrat ce qui n’est pas l’objet de l’indemnisation d’imprévision.

Ainsi, pour le Conseil d’Etat, « la convention d’indemnisation, qui permet de maintenir un certain équilibre contractuel en indemnisant l’opérateur économique qui, malgré la situation tout à fait exceptionnelle à laquelle il est confronté, poursuit la prestation initialement prévue, n’a ni pour objet ni pour effet de modifier les clauses du marché ou du contrat de concession ni les obligations contractuelles réciproques des parties, ni d’affecter la satisfaction des besoins de l’autorité contractante, qu’elle vise précisément à préserver ».

De la même manière que pour l’avenant, l’enjeu est d’apprécier si la situation d’imprévision est caractérisée et de définir les limites de l’indemnisation à laquelle l’opérateur a droit.

Concernant les concessions, le Conseil d’Etat rappelle un principe fondamental qui, selon nous, vient légitimement limiter les possibilités d’indemnisation des concessionnaires et qui est « la part non négligeable de risque de pertes qu’il accepte nécessairement de courir en contractant et que l’interprétation raisonnable du contrat de concession conduit à laisser, en tout état de cause, à sa charge ». Dès lors, l’imprévision est plus difficilement caractérisable en concession, du fait du risque, en particulier financier, pesant par essence sur le concessionnaire.

En matière de marchés publics, l’appréciation est souvent plus évidente, même s’il est parfois difficile de caractériser à un instant donné le bouleversement de l’économie du contrat. C’est pourquoi « il ne peut être exclu que le bouleversement de l’économie du contrat par suite de circonstances imprévisibles ne puisse être établi qu’après complète exécution du marché et que l’indemnité due éventuellement aux entrepreneurs à raison des charges extracontractuelles qu’ils ont eu à supporter ne puisse être utilement réclamée par eux qu’après notification du décompte général et définitif ».

A cet égard, l’appréciation de la DAJ pour qui « le bouleversement de son équilibre, pour sa part, est apprécié par période d’imprévision, de sorte qu’une indemnité d’imprévision peut être versée, même si l’équilibre du contrat n’est pas bouleversé sur toute sa durée »[1], nous semble contradictoire avec la position du Conseil d’Etat exprimée ci-dessous : c’est bien souvent à la fin du contrat que l’on peut apprécier si son économie a été bouleversée par un évènement temporaire…

En toute hypothèse, les négociations, souvent ardues avec les opérateurs, nous semblent devoir être menées sur la base du principe qu’il n’est pas d’évidence ou d’automaticité à ce que les collectivités (et indirectement les administrés) prennent à leur charge les pertes économiques des opérateurs privées liées au contexte géopolitique et énergétique international. Une discussion doit nécessairement s’engager et peut, le cas échéant aboutir à une prise en charge partagée, limitée et raisonnable, dans l’objectif rappelé par l’avis du « respect de l’exigence constitutionnelle de bon emploi des deniers publics ».

 

Samuel COUVREUR – Avocat Directeur du pôle « gestion des services publics, culture et contrats publics »

 

[1]https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/marches_publics/conseil_acheteurs/fiches-techniques/crisesanitaire/FT_modification_contrats_en_cours.pdf?v=1663844107