Contrats publics
le 27/01/2023
Thomas ROUVEYRAN
Yvonnick LE FUSTEC

Cour de Justice de l’Union Européenne : des précisions utiles apportées sur le régime de la quasi-régie conjointe et sur le contrôle analogue qui n’ont pas d’incidence sur la situation des structures in house en France (sociétés publiques locales,….)

CJUE, 22 décembre 2022, Sambre & Biesme SCRL et Commune de Farciennes, aff. C‑383/21 et C‑384/21

Par une décision du 22 décembre 2022, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est venue compléter les règles encadrant la quasi-régie, notamment celles applicables au contrôle analogue, en considérant que l’exigence tenant à ce qu’un pouvoir adjudicateur (A) soit représenté au sein des organes décisionnels de la personne morale contrôlée (C) n’est pas réunie du seul fait que siège au conseil d’administration de la personne morale contrôlée le représentant d’un autre pouvoir adjudicateur (B) qui fait également partie du conseil d’administration de ce premier pouvoir adjudicateur (A).

S’agissant du contexte de cette affaire belge, rappelons que la commune de Farciennes et la SLSP Sambre & Biesme (société publique dont la commune de Farciennes est actionnaire aux côtés d’une autre commune), ont envisagé de confier un contrat-cadre devant répondre à leurs besoins communs en matière, entre autres, d’assistance à maîtrise d’ouvrage à l’Igretec, laquelle est une société coopérative composée exclusivement de personnes morales de droit public parmi lesquelles figurent la commune de Farciennes. Après être devenue associée de l’Igretec, la SLSP a donc confié ce contrat-cadre, conjointement avec la commune de Farciennes, à l’Igretec, sans mesure préalable de publicité et de mise en concurrence en vertu de l’exception de la quasi-régie, ce qui a été annulé par l’autorité de tutelle de la SLSP au motif d’une absence de relation de quasi-régie entre cette société et l’Igretec.

Si, en l’espèce, la commune disposait bien d’un représentant au sein du conseil d’administration de l’Igretec, la SLSP, certes associée de l’Igretec, n’en disposait toutefois quant à elle pas. Pourtant, la SLSP a tenté de se prévaloir du fait que siégeait au conseil d’administration de l’Igretec un conseiller communal de la commune de Farciennes qui était, en même temps, administrateur de la SLSP pour tenter de démontrer qu’elle exerçait bien un contrôle analogue sur l’Igretec.

C’est dans ce contexte que le Conseil d’Etat belge, saisi de la décision de l’autorité de tutelle, a lui-même saisi la CJUE de plusieurs questions préjudicielles et, notamment, de la question suivante :

« L’article [12, paragraphe 3,] de la directive [2014/24] doit-il être interprété en ce sens que la condition pour un pouvoir adjudicateur, en l’occurrence une société de logement de service public, d’être représenté au sein des organes décisionnels de la personne morale contrôlée, en l’occurrence une société coopérative intercommunale, est remplie au seul motif qu’une personne siégeant au sein du conseil d’administration de cette société coopérative intercommunale en sa qualité de conseiller communal d’un autre pouvoir adjudicateur participant, en l’occurrence une commune, se trouve, en raison de circonstances exclusivement factuelles et sans garantie juridique de représentation, être également administrateur au sein de la société de logement de service public tandis que la commune est actionnaire (non exclusif) tant de l’entité contrôlée (société coopérative intercommunale) que de la société de logement de service public ? ».

Afin d’y répondre, la CJUE a tout d’abord rappelé les règles applicables à la quasi-régie conjointe et, logiquement, la condition suivante : « les organes décisionnels de la personne morale contrôlée sont composés de représentants de tous les pouvoirs adjudicateurs participants, une même personne pouvant représenter plusieurs pouvoirs adjudicateurs participants ou l’ensemble d’entre eux » (article 12.3, second alinéa, point i de la directive 2014/24).

La CJUE a néanmoins retenu que la condition précitée n’était pas satisfaite au cas d’espèce car, d’une part, la SLSP ne disposait d’aucun représentant au sein du conseil d’administration de l’Igretec et, d’autre part, le conseiller municipal de la commune siégeait certes au conseil d’administration de la SLSP mais ne siégeait au conseil d’administration de l’Igretec qu’en tant que représentant de la commune.

Enfin, répondant à la question précédemment rappelée, la CJUE a considéré que « l’article 12, paragraphe 3, second alinéa, sous i), de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens que, afin d’établir qu’un pouvoir adjudicateur exerce, conjointement avec d’autres pouvoirs adjudicateurs, un contrôle sur la personne morale adjudicataire analogue à celui qu’ils exercent sur leurs propres services, l’exigence visée à cette disposition, tenant à ce qu’un pouvoir adjudicateur soit représenté dans les organes décisionnels de la personne morale contrôlée, n’est pas satisfaite au seul motif que siège au conseil d’administration de cette personne morale le représentant d’un autre pouvoir adjudicateur qui fait également partie du conseil d’administration du premier pouvoir adjudicateur ».

L’exigence de représentation n’est ainsi pas reconnue lorsque ladite représentation est trop indirecte. Est-ce à dire que toute forme de représentation indirecte serait critiquable ?

En droit national, le code général des collectivités territoriales prévoit la possibilité pour les sociétés d’économie mixte (SEM) et les sociétés publiques locales (SPL), de mettre en place une assemblée spéciale réunissant les actionnaires minoritaires ne disposant pas, chacun, d’un représentant au sein du conseil d’administration ou de surveillance de la société, qui sont  en revanche représentés par un ou plusieurs  représentants communs au conseil d’administration ou au conseil de surveillance.

Ainsi, dans le cas d’une SPL, attributaire directe de contrats de la commande publique, la question peut se poser du respect de la condition d’un contrôle analogue par les actionnaires de la société représentés au sein d’une assemblée spéciale.

Néanmoins, le recours à une assemblée spéciale ne correspond pas au mécanisme ayant été analysé par la CJUE puisque chaque actionnaire a bien un ou plusieurs représentants, même s’ils sont réunis dans ladite assemblée spéciale, dans les organes décisionnels de la personne morale contrôlée. Au demeurant, ce mécanisme est conforme à la règle de l’article 12.3 de la directive 2014/24 telle que rappelée par la CJUE dans sa décision, selon laquelle une même personne peut représenter plusieurs pouvoirs adjudicateurs ou l’ensemble d’entre eux au sein des organes décisionnels de la personne morale contrôlée.

Thomas Rouveyran, avocat associé et Yvonnick Le Fustec, avocat, Seban Avocats