Vie des acteurs publics
le 13/10/2022

Coup de frein pour le vélo naturiste

TA Rennes, 13 juillet 2022, confédération « le mouvement naturiste », n° 2203550.

Une mesure de police aura eu raison de la « World Naked Bike Ride – France 2022 », manifestation consistant à circuler à vélo « aussi nu que vous osez ». Ses organisateurs ont-ils pété un câble ? Non : ils osent sortir du peloton en attirant l’attention sur la « fragilité du corps humain dans le trafic routier et plus généralement la fragilité de l’espèce humaine face aux grands bouleversements écologiques ».

Le Préfet d’Ille-et-Vilaine estime que la pédale à poil ne manque pas d’air : il interdit donc l’évènement.

Dans un contre-la-montre haletant, le Juge des référés du Tribunal administratif de Rennes s’est prononcé la veille de l’événement et a rejeté la requête tendant à l’annulation de l’arrêté du Préfet interdisant la première étape de la manifestation qui devait donc se dérouler le 14 juillet.

Saisi dans le cadre d’un référé-liberté, le Juge a tout d’abord rappelé que la liberté d’expression et de communication doit être conciliée avec les exigences qui s’attachent à l’objectif à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public[1]. Puis il rappelle les obligations déclaratives en matière de manifestation découlant des articles L. 211-1 et suivants du Code de la sécurité intérieure. L’objectif visé est ici :

« D’apprécier le risque de troubles à l’ordre public et, sous le contrôle du juge administratif, de prendre les mesures de nature à prévenir de tels troubles au nombre desquelles figure, le cas échéant, l’interdiction de la manifestation si une telle mesure est seule de nature à préserver l’ordre public ».

Enfin, le Juge des référés suce la roue de la Cour administrative d’appel de Paris[2] qui s’était positionnée quelque mois plus tôt et en des termes identiques au sujet de l’exhibition sexuelle consistant :

« à montrer tout ou partie de ses organes sexuels à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public, est susceptible d’entraîner des troubles à l’ordre public, alors même que l’intention exprimée par son auteur est dénuée de toute connotation sexuelle, et est pénalement répréhensible, sauf lorsqu’un tel comportement relève de la manifestation d’une opinion politique, et que son incrimination, compte tenu de la nature et du contexte de l’agissement en cause, constituerait une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression ».

Au cas présent, deux circonstances ont forgé la conviction du Juge des référés : d’une part, la Petite Reine devait rallier Rennes avec des contraintes en termes de sécurité et d’autre part, l’échec des dialogues entre la préfecture et les organisateurs, notamment s’agissant d’un parcours alternatif.

La décision est motivée en ces termes :

« Il est constant que le parcours prévu pour la première étape de cette manifestation entre Tinténiac et Rennes prévoit en particulier un passage par les rues passantes du centre-ville de Rennes, à une date, le 14 juillet 2022, de plus forte fréquentation notamment touristique et où les forces de police subissent des contraintes accrues en termes de sécurité. Par ailleurs, il ressort de l’arrêté litigieux que le préfet a engagé un dialogue avec les organisateurs le 7 juillet pour qu’ils proposent une autre date et un parcours différent écartant le canal d’Ille-et-Rance et contournant le centre-ville de Rennes, présentant davantage de garanties de maintien de l’ordre, qui n’a pas abouti ».

Le Juge des référés valide ainsi la position du Préfet et confirme l’interdiction générale et absolue de manifester, estimant, selon le principe rappelé plus haut, qu’il s’agit du seul moyen de préserver l’ordre public. Mais n’est-ce pas avoir un peu le nez dans le guidon que d’interdire purement et simplement, sans audience ni réplique du Préfet[3], une telle manifestation ? Celle-ci, au regard de sa finalité, aurait pu être aménagée. Dans un souci de proportionnalité, le parcours et/ou les modalités d’organisation (vêtement léger type maillot – jaune -, par exemple) auraient pu faire l’objet de prescriptions à l’arrêté. Enfin, à tout le moins, un débat contradictoire aurait été bienvenu.

Ce d’autant qu’on a connu le juge plus souple lorsqu’un enjeu artistique était en jeu[4], résolu à écarter tout forme d’érotisation de la nudité. Mais une photo dans un lieu clos n’est pas un vélo chichement chevauché. Autrement dit : nu sur un vélo, nu sur la photo, pas le même braquet.

 

Thomas MANHES- Avocat associé SEBAN ARMORIQUE

 

[1] Cons. const., 2 mars 2018 : n° 2017-693 QPC ; pour la reprise du principe constitutionnel par le Conseil d’Etat : CE ord., 13 juin 2020 : n° 440846.

[2] Rapprocher de CAA Paris, 1re ch., 14 avril 2022 : n°20PA02298, confirmant la légalité d’un arrêté interdisant la même manifestation à Paris sur un parcours d’environ 16 kilomètres devant se dérouler entre le Bois de Vincennes, le parc de Bercy, la place de la Bastille et la place de la Nation. Contrairement au juge des référés rennais, la Cour mobilise également l’article 222-32 du code pénal réprimant l’exhibition sexuelle. Rappelons également « qu’il appartient en outre à l’autorité administrative de prendre les mesures de nature à éviter que des infractions pénales soient commises » (CE ord., 9 janvier 2014, ministre de l’intérieur : n° 374508), formule ici non retenue par le juge des référés rennais qui a opté pour un énoncé plus euphémisé.

[3] Ici, l’article L. 522-3 du Code de justice administrative permettant de rejeter une requête par une ordonnance motivée, sans instruction contradictoire ni audience publique a été mobilisé.

[4] TA Paris ord., 24 juill. 2014, association Juristes pour l’enfance : n°1411206 : le Muséum national d’histoire naturelle a utilisé une œuvre du photographe plasticien Y-Z A représentant des individus entièrement nus, de tous âges et de toutes couleurs de peau, autour d’un globe terrestre, dans un jeu d’ombre et de lumière dans le cadre d’une exposition « Races : pour en finir avec les fantasmes racistes ! ». Et de juger, dans le cadre d’un référé-suspension : « la photographie en cause, alors même qu’elle présente des individus, de tous âges, entièrement nus, ne peut être regardée comme constitutive d’une situation portant atteinte à l’image ou à la dignité des enfants, faute notamment pour cette photographie, dépourvue de tout mise en scène érotisée, de présenter les personnages dans une attitude lascive ou ambiguë ; qu’il ne résulte pas de l’instruction que cette photographie, compte tenu de l’attitude des personnages, de son insertion sur un site à vocation scientifique et culturelle et de ses conditions d’accès, serait susceptible soit de heurter la sensibilité des enfants qui la consulterait, soit de créer un risque d’exposer les enfants aux agissements criminels de prédateurs, soit de soumettre les enfants, désormais adultes, ayant posé sur cette photographie à un cyber harcèlement  » La requête au fond a également été rejetée, en appel, au terme d’un arrêt moins bavard (CAA Paris, 8 mars 2016 : n° 15PA01169).