Environnement, eau et déchet
le 04/07/2023

Continuité écologique des cours d’eau : annulation de dispositifs d’aides pour la suppression des ouvrages

TA Cergy-Pontoise, 6ème, 9 juin 2023, 1904387

Le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise s’est récemment prononcé sur la légalité d’aides accordées par une agence de l’eau en matière de suppression et d’aménagement des ouvrages situés sur les cours d’eau en vue d’assurer la continuité de ces cours d’eau.

Par une délibération en date du 9 octobre 2018, le conseil d’administration de l’Agence Seine Normandie a approuvé son 11e programme pluriannuel d’intervention pour la période 2019-2024. Elle l’a modifié par délibération du 16 novembre 2021. Au sein de ce programme, l’Agence a adopté une mesure E.1 intitulée « protéger et restaurer les milieux aquatiques ou humides et leurs milieux connectés » qui prévoit un taux d’aide plus élevé pour les propriétaires effaçant leurs ouvrages par rapport à ceux qui ne feraient que l’aménager. Les aides accordées visent à favoriser les opérations destinées à restaurer la continuité écologique des cours d’eau en cas d’entrave ou d’obstacle généré par les ouvrages.

C’est précisément cette mesure qui a critiquée par les requérants, à savoir l’association Hydrauxois, l’association des riverains et propriétaires d’ouvrages hydrauliques du Châtillonais, l’association les amis des moulins du 61, l’association Valorisation du patrimoine hydroélectrique de Normandie, l’association Défense et sauvegarde des moulins normands-picards et M. B A.

Saisi de la légalité des délibérations adoptées par l’AESN, le juge s’est prononcé sur la légalité de chacune d’elle. Il a d’abord rejeté les moyens de légalité externe entachant la délibération du 9 octobre 2018 tendant, en premier lieu, au défaut d’avis conforme du comité de bassin et, en second lieu, au vice de forme de la délibération, puis il a examiné les moyens de légalité interne de cette délibération.

D’abord, le juge a écarté le moyen invoqué par les requérants par lequel ces deniers soutenaient que la mesure adoptée avait pour effet de remettre en cause leur droit d’eau. A cet égard, le juge retient que la mesure adoptée ne contraint en aucun cas les propriétaires à araser ou effacer leur ouvrage et n’en emporte donc pas leur destruction systématique. Au contraire, il reconnaît que les travaux d’aménagement des ouvrages en vue de garantir la continuité écologique font également l’objet de financement et que l’AESN n’a à aucun moment porté atteinte au droit d’eau des propriétaires. Sur la base du même raisonnement, le juge rejette le moyen relatif à l’atteinte portée aux objectifs de gestion équilibrée de la ressource en eau garantis par l’article L. 211-1 du Code de l’environnement.

Ensuite, le juge considère que la mesure attaquée n’a pas pour effet l’inscription de divers cours d’eau sur les listes mentionnées au 1° et au 2° de l’article L. 214-17 du Code de l’environnement. Il précise par ailleurs que les dispositions légales en cause n’ont pas vocation à exclure totalement des modalités de protection de la continuité écologique la suppression d’ouvrages, de sorte que la délibération de l’AESN ne méconnaît pas l’article précité. Le même raisonnement lui a permis de rejeter le moyen par lequel les requérants se prévalaient de l’arrêt du Conseil d’État du 31 mai 2021, SARL MDC Hydro, N° 433043, qui se prononce sur les moulins susceptibles de se prévaloir de l’article L. 214-18-1 du Code de l’environnement permettant de ne pas être soumis aux exigences de l’article L. 214-17 du même Code.

L’article L. 214-17 du Code de l’environnement a également été invoqué par les requérants dans sa rédaction issue de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le réchauffement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (loi climat et résilience). En effet, cette loi a modifié l’article précité qui dispose désormais que « s’agissant plus particulièrement des moulins à eau, l’entretien, la gestion et l’équipement des ouvrages de retenue sont les seules modalités prévues pour l’accomplissement des obligations relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments, à l’exclusion de toute autre, notamment de celles portant sur la destruction de ces ouvrages ». Le juge rejette l’argument des requérants fondé sur cette nouvelle rédaction au motif que ces dispositions n’étaient pas applicables lors de l’adoption de la délibération du 9 octobre 2018.

Cet argument est pourtant celui qui va emporter l’annulation partielle de la délibération du 16 novembre 2021, adoptée par l’AESN après l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions de l’article L. 214-17.

En effet, le juge rejette les arguments de l’Agence et notamment l’exception d’inconventionnalité soulevée au regard du a) du 1 de l’article 4 de la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau, qui fixe un objectif de prévention, de restauration et d’amélioration de l’état des masses d’eau de surface et de l’article 2 du règlement (CE) n° 1100/2007 du Conseil du 18 septembre 2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d’anguilles européennes et imposant notamment la mise en place de mesures structurelles visant à permettre le franchissement des rivières et le transport des anguilles argentées des eaux intérieures vers des eaux d’où elles peuvent migrer librement vers la mer des Sargasses.

Il retient ainsi qu’ « il résulte toutefois des dispositions de l’article L. 214-17 que celles-ci limitent l’interdiction qu’elles instituent à la seule destruction des ouvrages ayant un usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d’énergie, comme modalité d’accomplissement des obligations environnementales relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments. Dans ces conditions, cette exception d’inconventionnalité, telle qu’elle est soulevée en défense, doit être écartée ».

Le juge annule alors partiellement la délibération attaquée « en tant que le 11ème programme pluriannuel d’intervention n’exclut pas des dispositifs d’aides prévus à la rubrique E1, les aides octroyées en cas de suppression des ouvrages présentant un usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d’énergie, et celles octroyées s’agissant des moulins à eau, en cas de destruction des ouvrages de retenue, situés sur les cours d’eau, parties de cours d’eau ou canaux visés par le 2° du I de l’article L. 214-17 du Code de l’environnement ».