Mobilité et transports
le 05/06/2025

Contentieux relatif à l’indexation à l’inflation de la taxe d’aménagement du territoire due par les sociétés autoroutières

CAA Paris, 7 mai 2025, n° 23PA01191

CAA Paris, 7 mai 2025, n° 23PA01135

Les concessions autoroutières constituent une source intarissable de débats et de contentieux depuis la privatisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes (ci-après, « SCA »). Les décisions en date du 7 mai 2025 rendues par la Cour administrative d’appel de Paris concernant l’indexation à l’inflation de la taxe d’aménagement du territoire due par les sociétés autoroutières en sont une nouvelle illustration.

Le litige en cause était relatif à l’indexation partielle sur l’inflation de la taxe d’aménagement du territoire, créée par loi du 28 décembre 1994 de finances pour 1995. Plusieurs SCA ont sollicité de la part de l’État l’indemnisation résultant de l’augmentation de cette taxe par la loi du 28 décembre 2019 de finances pour 2020. Face au refus qui leur a été opposé, elles ont saisi le Tribunal administratif de Paris afin qu’il condamne l’État à les indemniser, annuellement et jusqu’à l’expiration de leur contrat de concession, du montant de la majoration de la taxe d’aménagement du territoire. Par des jugements en date du 13 janvier 2023, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur requête et les SCA requérantes ont chacune interjeté appel du jugement les concernant.

Au soutien de leurs prétentions, les SCA ont invoqué les trois moyens suivants qui ont tous été rejeté par la Cour administrative d’appel de Paris par des décisions en date du 7 mai 2025[1] sauf s’agissant de l’appel interjeté par la société Cofiroute eu égard à la particularité des stipulations contractuelles du cahier des charges son contrat de concession.

Les SCA se prévalaient tout d’abord des dispositions du II de l’article 37 de la loi du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire qui prévoyaient dans leur version en vigueur que « les conséquences de la taxe instituée par l’article 302 bis ZB du Code général des impôts [devenu l’article L. 421-175 du Code des impositions sur les biens et services] sur l’équilibre financier des sociétés concessionnaires sont prises en compte par des décrets en Conseil d’Etat qui fixent notamment les durées des concessions autoroutières ». Les SCA soutenaient que cet article avait instauré un principe de compensation des augmentations des taxes dues par les concessionnaires d’autoroute. La Cour administrative d’appel rejette cet argument aux motifs que cet article prévoit « seulement la prise en compte, par des décrets en Conseil d’Etat, des conséquences de la taxe d’aménagement du territoire sur l’équilibre financier des sociétés concessionnaires [et qu’il n’a] ni pour objet ni pour effet d’instaurer un droit à compensation directe et systématique de toute augmentation de la taxe due par les concessionnaires d’autoroutes»

Les SCA invoquaient ensuite des stipulations du cahier des charges annexé à la convention de concession qu’elles avaient passée avec l’État. Nonobstant quelques variations rédactionnelles marginales, ces cahiers des charges prévoyaient tous en substance qu’en « cas de modification, de création ou de suppression, […] d’impôt, de taxe ou de redevance, y compris non fiscale, spécifiques aux sociétés concessionnaires d’autoroutes, les parties se rapprocheront, à la demande de l’une ou de l’autre, pour examiner si cette modification, création ou suppression est de nature à dégrader ou améliorer l’équilibre économique et financier de la concession, tel qu’il existait préalablement à la création, modification ou suppression dudit impôt, taxe ou redevance. Dans l’affirmative, les parties arrêtent, dans les meilleurs délais, les mesures de compensation, notamment tarifaires, à prendre en vue d’assurer, dans le respect du service public, des conditions économiques et financières ni détériorées ni améliorées. »

Là encore, les SCA soutenaient que ces stipulations contractuelles avaient pour objet de prévoir un principe de compensation des augmentations de taxes propres aux sociétés concessionnaires d’autoroutes. La Cour administrative d’appel de Paris rejette cette interprétation et juge qu’aux termes de ces stipulations, l’État n’est dans l’obligation de prévoir des mesures de compensation que dans le seul cas où la modification des impôts, taxes ou redevances a eu un impact sur l’équilibre économique et financier du contrat de concession. Or, la Cour relève que les SCA se sont bornés à calculer la charge supplémentaire résultant de l’indexation de la taxe d’aménagement du territoire sur l’inflation sans établir l’existence d’une dégradation de l’équilibre économique et financier de la concession. Partant, elles ne pouvaient pas se prévaloir des stipulations invoquées pour solliciter une indemnisation résultant de l’augmentation du montant de cette taxe.

Il convient toutefois de réserver ici le cas de la société Cofiroute. En effet, les stipulations contractuelles du cahier des charges de sa concession diffèrent des stipulations précitées puisqu’elles prévoient qu’ « en cas de modifications ou de créations, après la signature du 8ème avenant, d’impôts, taxes et redevances spécifiques aux concessionnaires d’ouvrages routiers à péage ou aux concessionnaires d’autoroutes, et notamment de modifications des articles 266-1-h, 273ter, et 302bis ZB du Code général des Impôts, l’Etat et la société concessionnaire arrêtent d’un commun accord les compensations, par exemple tarifaires, qui devront être apportées pour assurer la neutralité de ces modifications ou créations […]. Ces compensations devront intervenir au plus tard quatre mois après l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions relatives à ces impôts, taxes et redevances. » La Cour administrative d’appel de Paris a jugé qu’il résulte de ces stipulations que l’État était tenu d’arrêter avec la société requérante, au plus tard quatre mois après l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions relatives à la taxe d’aménagement du territoire, les modalités de sa compensation.

Enfin, les SCA se prévalaient du protocole d’accord du 9 avril 2015 conclu avec l’État qui prévoyait notamment que « dans le cas où l’Etat procède à une hausse de la taxe d’aménagement du territoire, il est fait application des dispositions de compensation prévues par l’article 37 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 ». Les SCA soutenaient que ces stipulations avaient pour objet d’instaurer un principe de compensation des hausses de la taxe d’aménagement du territoire. La Cour rejette cette argumentation aux motifs ces stipulations ne reconnaissent pas aux SCA un droit à indemnisation dont elle pourrait se prévaloir indépendamment de la mise en œuvre des dispositions de l’article 37 de la loi du 4 février 1995 et des stipulations contractuelles. Or, les conditions de mise en œuvre de ces dernières n’étant pas réunies, ainsi qu’il a été discuté précédemment, elles ne pouvaient prétendre à une indemnisation en raison de l’indexation de la taxe d’aménagement du territoire sur l’inflation.

La Cour administrative d’appel rejette les requêtes des SCA à l’exception de celle de la société Cofiroute laquelle est renvoyée devant l’administration, compte tenu des spécificités des stipulations du cahier des charges de sa concession, pour qu’il soit procédé à la détermination des modalités de la compensation à laquelle elle peut prétendre en raison de la modification du mode calcul de la taxe d’aménagement du territoire.

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[1] Figurent en source les liens vers les décisions en date du 7 mai 2025 de la Cour administrative d’appel concernant les sociétés AREA et Cofiroute (respectivement les décisions n° 23PA01191 et 23PA01133). Les autres décisions rendues par la Cour administrative d’appel sont les décisions n° 23PA01133 ; 23PA01190 ; 23PA01133 ; 23PA01132 ; 23PA01132 ; 23PA01137 (les liens vers ces décisions ne sont pas communiqués mais elles sont disponibles sur légifrance sous les numéros susmentionnés).