Contrats publics
le 09/02/2023

Contentieux des clauses réglementaires et non réglementaires d’un avenant à un contrat de concession et de l’acte d’approbation dudit avenant

CE, 27 janvier 2023, M. D. A., n° 462752

À l’heure où l’augmentation du tarif des péages autoroutiers a ravivé les débats sur la rentabilité des concessionnaires, un usager a saisi le Conseil d’État pour obtenir l’annulation d’une hausse du tarif des péages sur l’ensemble du réseau concédé à la société Autoroutes du Sud de la France (ci-après, la « société ASF »).

Plus précisément, le Conseil d’État a été saisi d’un recours en excès de pouvoir tendant à l’annulation du décret n° 2022-81 du 28 janvier 2022 approuvant le dix-huitième avenant à la convention passée entre l’État et la société ASF pour la concession de la construction, de l’entretien et de l’exploitation d’autoroutes et de l’article 25 modifié du cahier des charges annexé à cette convention. Cet avenant avait pour objet principal de permettre la réalisation d’un nouveau tronçon, d’une longueur de 6,2 km, permettant le contournement par l’ouest de Montpellier et l’article 25 modifié du cahier des charges annexé à cette convention avait pour objet de majorer les tarifs de péages de 0.264 % sur l’ensemble du réseau concédé à la société ASF pour permettre le financement de la construction dudit tronçon.

Cette décision ne ravira pas uniquement les usagers des autoroutes du Sud de la France en raison de l’annulation de la clause actant de cette hausse des tarifs. Les juristes y trouveront également un intérêt puisque le Conseil d’État y aborde toute la panoplie des conditions de recours ouvert aux tiers à l’encontre d’un contrat de la commande publique et de son éventuelle décision d’approbation.

En effet, étaient visés par le recours en excès de pouvoir du requérant, le décret d’approbation du dix-huitième avenant à la convention passée entre l’État et la société ASF, les clauses tarifaires de cet avenant et les clauses relatives à la réalisation du tronçon autoroutier.

Commençant par apprécier les conclusions d’annulation des clauses tarifaires de l’avenant, le Conseil d’État rappelle que ces clauses présentent un caractère réglementaire et qu’elles peuvent donc être contestées devant le juge de l’excès de pouvoir par les usagers[1]. Cette voie de recours ouverte aux usagers n’a effectivement pas été remise en cause par l’ouverture du recours en contestation de la validité du contrat par l’arrêt « Tarn et Garonne »[2]. En l’espèce, le Conseil d’État constate que le requérant démontrait bien la qualité d’usager du réseau autoroutier concédé à la société ASF et qu’il présentait, de ce fait, une qualité pour agir à l’encontre de ces clauses nonobstant le caractère modéré de l’augmentation tarifaire (laquelle était limitée à 0.264 %).

Appréciant ensuite la légalité de cette clause, le Conseil d’État se réfère à l’article L. 122-4 du Code de la voirie routière qui encadre les conditions de financement des ouvrages ou des aménagements non prévus au cahier des charges de la concession en prévoyant que ce financement « ne peut être couvert que par une augmentation des tarifs de péages, raisonnable et strictement limitée à ce qui est nécessaire ». Le Conseil d’État interprète cette disposition aux termes de sa jurisprudence[3] selon laquelle au moins deux conditions doivent nécessairement être remplies pour qu’une redevance pour service rendu – le tarif des péages étant qualifiable de redevance pour service rendu – soit légale. D’une part, la redevance doit être la contrepartie d’un service rendu et, d’autre part, il doit exister une proportionnalité entre la redevance et le service étant précisé que le Conseil d’État admet des dérogations à cette dernière condition et n’exige pas une stricte proportionnalité[4].

En l’espèce , suivant les conclusions de son Rapporteur public[5], le Conseil d’État juge qu’en « mettant, par la hausse tarifaire litigieuse, à la charge de l’ensemble des usagers de la totalité des 2 714 km du réseau autoroutier concédé à la société ASF le financement des travaux de réalisation d’un tronçon de 6,2 km destiné au contournement ouest de Montpellier dépourvu de péage, la disposition tarifaire attaquée méconnaît la règle de proportionnalité entre le montant du tarif et la valeur du service rendu ». La clause tarifaire contestée étant divisible des autres clauses de l’avenant contesté, le Conseil d’État en prononce donc l’annulation.

Le Conseil d’État aborde ensuite les conclusions tendant à l’annulation des clauses non réglementaires de l’avenant contesté.

Ces clauses ne peuvent être contestées que par un recours en contestation de validité du contrat[6], lequel trouve à s’appliquer aux avenants[7] ou précisément aux clauses non réglementaires desdits contrats et avenants. En effet, ainsi que l’énonce le Conseil d’État dans son considérant de principe « indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l’excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d’un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles ».

Or, au cas particulier et sans surprise compte tenu de la difficulté pour les tiers aux contrats à faire valoir un intérêt lésé, le Conseil d’État juge qu’ « en se prévalant de sa seule qualité d’usager des autoroutes concédées à la société ASF, M. A… ne justifie pas être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la décision d’aménagement du contournement ouest de Montpellier ou par les autres stipulations de l’avenant relatives à sa mise en œuvre, lesquelles ne présentent pas de caractère réglementaire ». Partant ses conclusions sont irrecevables et sont rejetées par le Conseil d’État.

Enfin et pour finir, restaient à juger la recevabilité et, le cas échéant, le bien fondé des conclusions dirigées contre le décret d’approbation du 28 janvier 2022.

Le Conseil d’État a maintenu la recevabilité du recours pour excès de pouvoir contre les actes d’approbation des contrats sous réserve qu’ils se bornent effectivement à approuver le contrat et ne participent pas en réalité au processus de sa conclusion[8]. Cependant, dans une décision récente du 2 décembre 2022[9], le Conseil d’État avait semble-t-il drastiquement restreint les conditions de recours pour excès de pouvoir contre les actes d’approbation. En effet, outre la condition précitée, le Conseil d’État jugeait que seuls étaient susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir les actes d’approbation qui émanent d’une autorité distincte des parties contractantes, concernent des contrats déjà signés et sont nécessaires à leur entrée en vigueur.

En l’espèce, le décret d’approbation n’émanant pas d’une autorité distincte des parties à la convention litigieuse puisque l’État est partie à cette dernière, les conditions précitées n’étaient pas, a priori, réunies et le Rapporteur public concluait donc, fort logiquement, à l’irrecevabilité des conclusions du requérant.

Il semble que le Conseil d’État ait potentiellement infléchi sa jurisprudence du 2 décembre 2022 puisqu’il ne reprend pas les conditions restrictives précitées et juge que les tiers à un contrat administratif « sont recevables à contester devant le juge de l’excès de pouvoir la légalité de l’acte administratif portant approbation du contrat, sauf à ce qu’un tel acte intervienne, en réalité, dans le cadre de la conclusion même du contrat ».

Tel était le cas en l’espèce et le Conseil d’État rappelle donc que « dans le cadre d’un tel recours, les tiers ne sauraient utilement faire valoir des moyens relatifs au contrat lui-même, mais ne peuvent soulever que des moyens tirés de vices propres entachant l’acte d’approbation, voire demander l’annulation de cet acte par voie de conséquence de ce qui est jugé sur les recours formés contre le contrat ».

Au cas particulier, les vices propres au décret d’approbation invoqués par le requérant n’était pas fondé et le Conseil d’État rejette donc les conclusions d’annulation à son encontre.

 

[1] CE Ass., 10 juillet 1996, Cayzeele, n° 138536 ; CE, 9 février 2018, Communauté d’agglomération Val d’Europe agglomération, n°404982.

[2] CE Ass, 4 avril 2014, Département Tarn-et-Garonne, n° 358994.

[3] CE Ass., 21 novembre 1958, Syndicat national des transporteurs aériens, n° 30693 ; CE, 28 novembre 2018, SNCF Réseau, n° 413839.

[4] CE 5 mars 2014, Département du Bas-Rhin, n° 367233 ; CE 26 avril 2017, Commune de Val-de-Reuil, n° 397926.

[5] M. Pichon de Vendeuil, Conclusions sur CE, 27 janvier 2023, M. D. A., n° 462752.

[6] CE Ass, 4 avril 2014, Département Tarn-et-Garonne, n° 358994.

[7] CE, 20 novembre 2020, Association Trans’Cub, n° 428156.

[8] CE, 23 décembre 2016, Association Etudes et consommation CFDT du Languedoc-Roussillon 

et Association ATTAC Montpellier, n° 392815.

[9] CE, 2 décembre 2022, M. D., n° 454318.