Fonction publique
le 30/08/2022

Conformité à la Constitution de l’obligation faite aux collectivités de définir un temps de travail de 1 607 heures

Conseil Constitutionnel, 29 juillet 2022, QPC n° 2022-1006

Par une décision en date du 29 juillet 2022, le Conseil constitutionnel a rejeté la question prioritaire de constitutionnalité qui avait été soulevée par les communes de Bonneuil-sur-Marne, Fontenay-sous-Bois, Ivry-sur-Seine et Vitry-sur-Seine, représentées par le cabinet. Il a estimé que les dispositions de l’article 47 de la loi du 6 août 2019 ne méconnaissaient pas les droits et libertés garantis par la constitution, et plus précisément la libre administration des collectivités territoriales et la liberté contractuelle de ces dernières.

Pour rappel, la disposition attaquée avait pour objet d’imposer aux communes qui avaient maintenu un régime dérogatoire de temps de travail, inférieur à la durée légale annuelle de 1 607 heures, de mettre fin à ce régime dérogatoire et de soumettre leurs agents à cette durée légale. Lors de l’examen de la loi devant l’assemblée nationale, puis lors des débats qui se sont tenus lors de l’instruction de la QPC, le gouvernement avait argué que la loi poursuivait plusieurs objectifs : « harmoniser » le temps de travail dans la fonction publique, réaliser les économies budgétaires censées être permises par l’augmentation du temps de travail des agents publics, et améliorer, globalement, le bon fonctionnement du service public.

L’atteinte à la libre administration et à la liberté contractuelle des collectivités ne faisait pas débat dans les faits : il s’agissait évidemment d’une limitation des moyens dont elles disposent pour s’administrer et encadrer les conditions de travail de leurs agents. Le Conseil constitutionnel devait d’examiner si cette atteinte était justifiée par la poursuite d’objectifs d’intérêt général, à défaut de quoi la disposition aurait dû être déclarée inconstitutionnelle.

Devant le Conseil, le débat a notamment porté sur la réalité des économies qui devaient être permises par la réforme opérée. Les rapports qui avançaient cet argument étaient en réalité peu affirmatifs, et plusieurs autres rapports avaient même reconnu que cette conséquence était loin d’être acquise.

La question de l’ « harmonisation » a soulevé un débat distinct devant le Conseil : le terme lui-même ne pouvait pas réellement être considéré comme une fin en soi, et aboutissait à poser de nouveau la question : que permet effectivement l’augmentation du temps de travail, au titre de l’intérêt général ?

Le Conseil constitutionnel a dû lui-même apporter à cette question les réponses que le gouvernement échouait à apporter. Il a ainsi jugé que « le législateur a entendu contribuer à l’harmonisation de la durée du temps de travail au sein de la fonction publique territoriale ainsi qu’avec la fonction publique de l’État afin de réduire les inégalités entre les agents et faciliter leur mobilité. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d’intérêt général ».

L’augmentation du temps de travail à 1 607 heures poursuit donc, selon le Conseil constitutionnel, deux objectifs : elle réduit l’inégalité entre les agents, en les soumettant à une durée identique de temps de travail, et elle facilite leur mobilité.

La première considération est si tautologique qu’elle est peu contestable : appliquer le même régime à tous permet sans aucun doute que tous soient soumis à un même régime. De là à considérer que, par là même, l’intérêt général est accompli il y a un pas, qui aurait sans doute gagné à être examiné avant d’être franchi. L’intérêt général réside bien souvent dans l’adaptation des régimes juridiques en fonction des situations, et les communes avaient justement fait valoir que la différence des situations, des conditions de travail, des territoires, rendait justement nécessaires ces adaptations locales. Malheureusement silencieux sur ce point, il faudra retenir que le Conseil ne voit pas grande vertu dans la décentralisation et l’intérêt d’une prise de décision locale.

Quant à la question de la mobilité, il faudra, là aussi, se contenter de l’affirmation du Conseil, car on ne trouvera, ni dans les débats, ni dans sa motivation, d’explication sur ce qui l’a amené à penser que l’uniformisation du temps de travail sur tout le territoire favoriserait la mobilité.

Souhaitant sans doute ajouter quelques compléments à une motivation jusque-là sommaire, le Conseil constitutionnel a également indiqué que la disposition se bornait en tout état de cause à définir un cadre à l’exercice par les collectivités de leur compétence, au sein duquel les communes demeurent, selon lui, libres de définir des régimes spécifiques tenant compte des sujétions liées à la nature des missions de leurs agents.

Reste, il est vrai, que le Conseil soulève au terme de cette motivation la seule question qui importe désormais : les sujétions. Le règlement autorise la prise en compte de facteurs de pénibilité, de contraintes liées à l’exercice de leurs missions pour réduire la durée du travail en conséquence.  C’est à ce travail que les collectivités vont désormais se consacrer, afin de pouvoir accorder, là où cela est possible, un temps de travail adapté à la réalité des missions de leurs agents. Les critères de ces adaptations demeurent encore à ce jour très flous, et le travail par conséquent délicat, mais il laisse également de ce fait une marge de manœuvre certaine aux collectivités, qu’elles ne manqueront pas d’exploiter.