Par un arrêt du 16 octobre 2025, rendu sur renvoi du Conseil d’État, la Cour administrative d’appel de Marseille a précisé les conditions d’appréciation de l’exception de « in house domanial » – dont les illustrations sont encore rares dans la jurisprudence administrative – tout en esquissant quelques précisions utiles relatives à la notion d’ « exploitation économique » au sens de l’article L. 2122-1-1 du Code général de la propriété des personnes publiques.
Dans cette affaire, l’établissement public national du parc national de Port-Cros avait sollicité une autorisation d’occuper temporairement le domaine public maritime afin de créer une zone de mouillages et d’équipements légers (ZMEL) dans la passe de Bagaud séparant l’île du même nom et l’île de Port-Cros. Cette autorisation a été accordée par arrêté du 24 mars 2020, arrêté dont la légalité a été contestée par des associations devant le Tribunal administratif de Toulon[1], puis devant la Cour administrative de Marseille[2]. Saisi d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’État[3] a cassé et annulé l’arrêt qui était soumis à son contrôle et renvoyé les parties devant la Cour administrative d’appel de Marseille, qui devait notamment se prononcer sur la régularité de cette autorisation domaniale attribuée de gré à gré au regard des règles de mise en concurrence fixées par le Code général de la propriété des personnes publiques.
Rappelons en effet que l’article L. 2122-1-1 du Code général de la propriété des personnes publiques prévoit une obligation de publicité et de sélection préalable pour l’attribution des titres d’occupation du domaine public permettant à leur titulaire « d’occuper ou d’utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique », à l’exclusion donc des titres qui ne portent pas sur une activité économique.
Dans le premier arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Marseille en 2023, le juge s’était manifestement attaché à rechercher le « but principal » de la mise à disposition du domaine public pour en déduire qu’aucune exploitation économique ne pouvait en l’espèce être caractérisée, et ce alors même que de faibles recettes « accessoires » étaient tout de même dégagées par le titulaire.
En l’espèce, si le juge a fait le choix – à l’instar du Conseil d’État – de ne pas emprunter cette voie pour écarter le moyen tiré de l’absence de procédure de publicité et de sélection préalable en s’appuyant plutôt sur l’exception de « in house domanial », il reste qu’il a toutefois adopté un raisonnement similaire pour écarter le moyen tiré de ce que la durée de l’autorisation méconnaitrait les dispositions du Code général de la propriété des personnes publiques[4].
Le juge relève ici que la limite maximale instituée par l’article R. 2124-46 du code s’agissant des zones de mouillage et d’équipements légers a été respectée (quinze ans) mais aussi – et surtout – que « la seule circonstance que, dans les cas d’utilisation nocturne des bouées d’amarrage du 15 avril au 15 octobre, une redevance pour service rendu à la charge des usagers soit instituée par l’article 9 de l’arrêté contesté selon un système de réservation, dans un but de limitation de la fréquentation de la passe de Bagaud par les navires de plaisance, ne saurait impliquer que l’établissement public administratif du parc national de Port-Cros cherche à rémunérer des capitaux investis ou à amortir des investissements par la perception de recettes financières ». Partant, il exclut incidemment le caractère économique de l’exploitation, en précisant que son objectif principal est « la protection des fonds marins dans la durée contre les dégradations causées par les navires au mouillage ». Sans qu’il ne soit possible de poser des certitudes sur le sujet, il reste que cet arrêt suggère une approche inédite de l’ « exploitation économique » distinguant objet principal et prestations accessoires.
Par ailleurs, si cette décision rappelle la possibilité de délivrer un titre d’occupation privative du domaine public à une autre personne publique, c’est aussi – et surtout – l’occasion pour le juge administratif de préciser les conditions d’application de l’exception de « in house domanial » pour conclure un titre de gré à gré. Encore rare dans la jurisprudence administrative, cette exception est posée par l’article L. 2122-1-3 du Code général de la propriété des personnes publiques qui prévoit la possibilité de s’affranchir de cette obligation lorsque « le titre est délivré à une personne publique dont la gestion est soumise à la surveillance directe de l’autorité compétente ou à une personne privée sur les activités de laquelle l’autorité compétente est en mesure d’exercer un contrôle étroit ».
En l’espèce, la Cour administrative d’appel de Marseille – dans la lignée de l’arrêt rendu par le Conseil d’État – confirme que la marge de manœuvre laissée au propriétaire public est plus large que celle qui prévaut en matière de commande publique (dont le code consacre une exception à la mise en concurrence en cas de quasi-régie descendante directe[5]) : plutôt que de procéder à une analyse détaillée des caractéristiques propres à l’établissement public du Parc national de Port-Cros, le juge se contente ici de rappeler les dispositions législatives relatives aux modalités de création des parcs nationaux pour en déduire que ces établissements doivent être regardés comme soumis à la surveillance directe de l’État. Ils sont en effet (i) rattachés à l’Office français de la biodiversité, (ii) placés sous la tutelle du ministre chargé de la Protection de la nature qui s’exerce par le biais d’un « commissaire du Gouvernement » qui peut notamment faire opposition aux délibérations de son conseil d’administration et (iii) dirigés par un directeur nommé par ce ministre. Il en conclut que le parc national de Port-Cros doit être regardé comme un établissement public administratif placé sous la tutelle et la surveillance directe de l’État, si bien qu’un titre d’occupation du domaine public pouvait lui être octroyé sans procédure de publicité et de sélection préalable. Logique en apparence, cette façon de voir suscite toutefois la réflexion en considération du principe d’autonomie de gestion des établissements publics qui prévaut en principe[6].
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[1] TA Toulon, 12 juillet 2022, Association société pour la protection des paysages et de l’esthétique de France et autres, req. n° 2002259.
[2] CAA Marseille, 8 décembre 2023, Association société pour la protection des paysages et de l’esthétique de France et autres, req. n° 22MA02461.
[3] CE, 5 février 2025, Association société pour la protection des paysages et de l’esthétique de France et autres, req. n°491584.
[4] L’article L. 2122-2 du Code général de la propriété des personnes publiques prévoit en effet que la durée des titres d’occupation du domaine public permettant à leur titulaire « d’occuper ou d’utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique » doit être fixée « de manière à ne pas restreindre ou limiter la libre concurrence au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l’amortissement des investissements projetés et une rémunération équitable et suffisante des capitaux investis ».
[5] Article L. 2511-1 du Code de la commande publique.
[6] C. Roux, « Mise en concurrence des titres d’occupations domaniaux », Fasc. 514, JCI Propriétés publiques