Contrats publics
le 23/01/2025

Concessions : précisions sur les conditions de régularisation des offres en phase de négociation

CE, 30 décembre 2024, n° 491266

L’une des principales caractéristiques des contrats de concession est que leur procédure de passation peut toujours prévoir une phase de négociation librement organisée par l’acheteur, quelle que soit leur valeur estimée.

En cela, les concessions se distinguent des marchés publics, dont la passation ne peut inclure une phase de négociation que dans certaines procédures (procédure adaptée, dialogue compétitif, procédure avec négociation).

Pourtant, de manière paradoxale, la régularisation des offres irrégulières[1] ou inacceptables[2] en cours de négociation n’est expressément autorisée par le Code de la commande publique (CCP) que par l’article R. 2125-1 applicable aux marchés publics et rédigé en ces termes :

« Dans les procédures adaptées sans négociation et les procédures d’appel d’offres, les offres irrégulières, inappropriées ou inacceptables sont éliminées.

Dans les autres procédures, les offres inappropriées[3] sont éliminées. Les offres irrégulières ou inacceptables peuvent devenir régulières ou acceptables au cours de la négociation ou du dialogue, à condition qu’elles ne soient pas anormalement basses. Lorsque la négociation ou le dialogue a pris fin, les offres qui demeurent irrégulières ou inacceptables sont éliminées ».

A l’inverse, pour ce qui concerne les concessions, le Code se borne à disposer, en son article L. 3134-2, que l’autorité concédante doit écarter les offres irrégulières (qui ne respectent pas les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation[4]) et les offres inappropriées (manifestement pas en mesure, sans modifications substantielles, de répondre aux besoins et aux exigences de l’autorité concédante spécifiés dans les documents de la consultation[5]), sans prévoir expressément une possibilité de régularisation en phase de négociation.

Dès lors, il y a lieu de se demander si, dans le cadre d’une procédure de passation d’un contrat de concession, un acheteur est juridiquement autorisé à admettre à la négociation un candidat dont l’offre initiale est irrégulière et lui permettre de régulariser celle-ci au cours de cette phase et, le cas échéant, dans quelles conditions.

C’est à ces interrogations que vient répondre le Conseil d’Etat par la décision commentée, dont la mention aux Tables du recueil Lebon se justifie aisément par son importance pour les acheteurs.

Cette décision intervient dans le cadre d’un contentieux relatif à la passation par la communauté d’agglomération Provence Alpes Agglomération d’un contrat de concession portant sur la gestion d’un complexe cinématographique. La société Ciné Espace Evasion, candidate évincée, avait obtenu du Tribunal administratif de Marseille la résiliation de ce contrat avec effet différé et le versement d’une indemnité au titre du préjudice subi. Le tribunal administratif avait fondé sa décision sur le fait que l’attributaire avait remis une offre initiale irrégulière, dans la mesure où elle n’intégrait pas le paiement du droit d’entrée prévu par le contrat et qu’elle n’aurait donc pas dû être admise à la négociation et, moins encore, remporter le contrat.

Cependant, par un arrêt n° 22MA02071 du 27 novembre 2023, la Cour administrative d’appel de Marseille, saisie par la communauté d’agglomération, a annulé ce jugement et rejeté les demandes de la société Ciné Espace Evasion. Par cet arrêt, elle a non seulement considéré que les dispositions du Code de la commande publique ne font pas obstacle à ce que l’autorité concédante invite le candidat concerné à régulariser son offre au cours de la procédure de négociation, mais elle a également précisé que « dès lors que la régularisation de l’offre n’avait pour objet ni de modifier l’objet de la concession, ni les critères d’attribution, ni les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation, la circonstance, à la supposer établie, qu’elle soit « substantielle » et ne vise pas seulement à corriger une erreur matérielle est sans incidence sur la régularité de la procédure ».

Saisi d’un pourvoi par la société Ciné Espace Evasion, le Conseil d’Etat confirme l’arrêt ainsi rendu par la Cour administrative d’appel et pose, à cette occasion, un considérant de principe clarifiant l’interprétation qui doit être faite des dispositions du Code de la commande publique relatives à la régularisation des offres dans le cadre d’une procédure de passation d’un contrat de concession :

« Il résulte de ces dispositions que l’autorité concédante peut librement négocier avec les candidats à l’attribution d’une concession l’ensemble des éléments composant leur offre, dès lors que cette négociation ne conduit pas cette autorité à remettre en cause l’objet de la concession, les critères d’attribution ou les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation. Ces dispositions ne s’opposent pas à ce que, lorsqu’elle recourt à la négociation, l’autorité concédante y admette un soumissionnaire ayant remis une offre initiale irrégulière. Le respect du principe d’égalité de traitement des candidats implique toutefois qu’elle ne puisse retenir un candidat dont la régularisation de l’offre se traduirait par la présentation de ce qui constituerait une offre entièrement nouvelle. En tout état de cause, l’autorité concédante est tenue de rejeter les offres qui sont demeurées irrégulières à l’issue de la négociation ».

Puis, appliquant ce principe au cas d’espèce, le Conseil d’Etat conclut que la Cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier en jugeant que la circonstance que la régularisation d’une offre ne vise pas simplement à corriger une erreur matérielle ne faisait pas obstacle à ce qu’elle ait lieu au cours de la négociation.

Cette décision vient ainsi confirmer la validité juridique d’une pratique d’ores et déjà largement répandue consistant, pour les autorités concédantes, à laisser aux candidats l’opportunité de mettre leur offre en conformité au cours des négociations et jusqu’à la remise de leur offre finale.

Au demeurant, l’inverse eut été très surprenant, ainsi que le souligne le rapporteur public Nicolas Labrune dans ses conclusions sous cette décision (Ariane Web) :

« Il n’y aurait donc aucune raison que vous jugiez qu’aucune régularisation n’est possible en matière de concession faute de fondement textuel exprès, et ce d’autant que vous avec décliné aux délégations de service public votre jurisprudence sur la méconnaissance des exigences du règlement de consultation (CE, 20 juillet 2022, Commune du Lavandou, n° 458427, aux Tables) et que, d’une façon générale, les exigences procédurales qui s’imposent aux autorités concédantes sont globalement plus souples que celles applicables aux pouvoirs adjudicateurs ».

En outre, cette affaire permet de préciser qu’un candidat peut, à l’occasion d’une mise en conformité de son offre, intégrer le versement d’un droit d’entrée exigé par le contrat.

Néanmoins, la limite posée par le Conseil d’Etat à cette faculté de régularisation – ne pas aller jusqu’à « une offre entièrement nouvelle » – demeure relativement abstraite et devra donc être précisée par des illustrations concrètes, à l’occasion de jurisprudences ultérieures.

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[1] Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu’elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale (CCP, art. L. 2152-2).

[2] Une offre inacceptable est une offre dont le prix excède les crédits budgétaires alloués au marché, déterminés et établis avant le lancement de la procédure (CCP, art. L. 2152-3).

[3] Une offre inappropriée est une offre sans rapport avec le marché parce qu’elle n’est manifestement pas en mesure, sans modification substantielle, de répondre au besoin et aux exigences de l’acheteur qui sont formulés dans les documents de la consultation (CCP, art. L. 2152-4).

[4] CCP, art. L. 3124-3.

[5] CCP, art. L. 3124-4.