Contrats publics
le 11/07/2024

Concessions : précisions sur la méthode d’évaluation des offres

CE, 7 juin 2024, n° 489404

Par sa décision en date du 7 juin 2024, le Conseil d’État apporte d’utiles précisions sur les méthodes d’évaluation des offres qui doivent être écartées par les acheteurs, compte tenu du risque qu’elles comportent de ne pas aboutir au choix de l’offre présentant le meilleur avantage économique global.

Cette décision est intervenue dans le cadre d’un litige relatif à la passation d’un contrat de délégation de service public portant sur la gestion de services de mobilités initiée par la communauté d’agglomération Quimper Bretagne Occidentale. Deux candidats évincés ont saisi le juge des référés précontractuels d’une demande d’annulation de la procédure, à laquelle il a été fait droit, par ordonnance du 31 octobre 2023. Le juge des référés a en effet considéré, d’une part, que la notation retenue ne permettait pas de garantir que l’offre présentant le meilleur avantage économique global fût choisie et, d’autre part, que les sociétés requérantes avaient été nécessairement lésées par un tel manquement.

Saisi par la communauté d’agglomération et l’attributaire pressenti d’un pourvoi contre cette ordonnance, le Conseil d’État commence par annuler celle-ci, au motif que le juge des référés avait commis une erreur de droit et méconnu son office en ne recherchant pas si, eu égard aux appréciations portées par l’acheteur sur leurs offres, les sociétés requérantes n’étaient pas, en toute hypothèse, insusceptibles de se voir attribuer le contrat litigieux.

Ensuite, statuant sur le fond, le Conseil d’État commence par rappeler le cadre juridique de l’analyse des offres dans le cadre d’une procédure de passation d’un contrat de concession : en substance, les offres doivent être analysées sur la base de plusieurs critères objectifs, précis et liés à l’objet ou aux condition d’exécution du contrat ; ces critères doivent être hiérarchisés par ordre décroissant, sans qu’il soit toutefois obligatoire de les pondérer avec un certain nombre de points, à l’inverse de ce qui prévaut pour les marchés publics.

Le Conseil d’État rappelle également les termes de sa jurisprudence récente sur le régime des éléments d’appréciation utilisés pour appliquer les critères d’analyse (CE, 3 mai 2022, Commune de Saint-Cyr-sur-Mer req. n° 459678 transposant aux concessions le régime défini pour les marchés publics par la décision CE, 3 novembre 2014, Commune de Belleville-sur-Loire, req. n° 373362) : l’acheteur définit librement la méthode d’évaluation des offres au regard de chacun des critères d’attribution qu’elle a définis et rendus publics. Cette méthode d’évaluation n’a pas à être rendue publique, à l’inverse des critères eux-mêmes. En tout état de cause, l’acheteur doit, au stade de la définition des éléments d’appréciation pris en compte pour son évaluation des offres et des modalités de leur combinaison, respecter les conditions suivantes :

  • les éléments d’appréciation doivent être liés au critère dont ils permettent l’évaluation ;
  • les modalités d’évaluation des critères d’attribution par combinaison de ces éléments d’appréciation ne doivent pas, par elles-mêmes, être de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation et, de ce fait, être susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure offre ne soit pas la mieux classée, ou, au regard de l’ensemble des critères, à ce que l’offre présentant le meilleur avantage économique global ne soit pas choisie.

Ensuite, et c’est là le principal apport de cette décision, le Conseil d’État fait application de ces principes à un cas concret de méthode d’évaluation des offres. En l’espèce, la communauté d’agglomération avait choisi une méthode consistant attribuer à chaque offre une note correspondant à son classement obtenu sur chaque critère (1 point pour l’offre classée en première position, 2 points pour l’offre classée en deuxième position, etc.), puis de faire la moyenne de ces notes et, enfin, de pondérer cette moyenne par le coefficient associé à chaque critère, l’offre retenue devant donc être celle ayant obtenu la note la plus basse.

Cependant, ainsi que le relève le Conseil d’État et comme le détaille le Rapporteur public Nicolas Labrune dans ses conclusions, cette méthode d’évaluation ne reflétait que très imparfaitement les écarts de valeur entre les offres : ce n’est pas parce qu’une offre est classée en troisième position qu’elle est nécessairement trois fois moins bonne que la première. Réciproquement, l’offre classée en deuxième position n’aura qu’un point d’écart avec la meilleure offre, alors que la différence de qualité pourrait justifier un écart de points plus conséquent. Le Conseil d’État en conclut donc que cette méthode d’évaluation était susceptible, au moins en partie, de priver de portée les critères de sélection ou de neutraliser leur hiérarchisation et que les sociétés requérantes étaient fondées à en soulever l’irrégularité, et ce d’autant plus que leurs offres avaient été mieux classées que celles de l’attributaire sur au moins l’un des critères d’appréciation et que cette irrégularité était donc susceptible de les avoir lésées.

Le Conseil d’État prononce donc l’annulation de toute la procédure de passation. A cet égard, les conclusions du Rapporteur public Nicolas Labrune permettent de comprendre pourquoi les effets de l’annulation n’ont pas été limités au seul stade de l’analyse des offres : tout d’abord, la méthode d’évaluation des offres irrégulière avait été annoncée dans le règlement de consultation ; ensuite et surtout, cette méthode était susceptible d’influencer la stratégie des candidats pour l’élaboration de leurs offres.