Energie
le 11/01/2024

Concessions de distribution d’électricité : pas de suspension des modifications unilatérales apportées par le SIPPEREC à la clause relative à l’indemnité de fin de contrat du concessionnaire

CE, 24 novembre 2023, n° 473696

Par une décision en date du 24 novembre 2023, le Conseil d’Etat a rendu une nouvelle décision s’inscrivant dans le différend qui oppose le Syndicat Intercommunal de la Périphérie de Paris pour les Energies et les Réseaux de Communication (ci-après, SIPPEREC), dont Seban Avocats est le conseil, au Préfet et à la société Enedis, au sujet des clauses contractuelles régissant les flux financiers qui interviendraient en cas de résiliation anticipée ou de fin définitive sans renouvellement des contrats de concession de distribution d’électricité dont la société précitée est le concessionnaire (aux côtés de la société EDF au titre de la mission de fourniture d’électricité aux tarifs réglementés de vente).

Par trois délibérations du 16 décembre 2021, le SIPPEREC avait apporté des modifications unilatérales à la clause contenue dans chacun des trois contrats de concession de distribution d’électricité le liant à la société Enedis relative à l’indemnisation due au concessionnaire en cas de fin anticipée du contrat ou de non-renouvellement de celui-ci à son échéance. Le SIPPEREC estimait en effet que cette clause était illicite au regard des principes généraux posés en matière d’indemnisation du concessionnaire au titre du retour anticipé des biens de retour par la décision de principe Commune de Douai (CE, 21 décembre 2012, Commune de Douai, n° 342788) et mis en œuvre en matière de concessions de distribution d’électricité par la Cour administrative d’appel de Nancy (CAA Nancy, 8 décembre 2020, n° 20NC00843 ;arrêt devenu définitif). Après avoir tenté en vain de modifier par voie d’avenant cette clause, le SIPPEREC avait entendu faire usage de son pouvoir de modification unilatérale pour purger les trois contrats de l’illégalité qui les affectait.

Estimant ces délibérations illicites, le Préfet de Paris, Préfet de la Région Ile de France, avait alors saisi la juridiction administrative d’un déféré préfectoral, d’une part, et d’un déféré suspension d’autre part. Par des ordonnances du 21 mars 2022 et du 18 mai 2022, le Tribunal administratif de Paris, puis la Cour administrative d’appel de Paris, avaient successivement donné raison au Préfet (au soutien duquel la société Enedis était intervenue) dans le cadre de la procédure de déféré suspension.

Toutefois, par une décision en date du 8 mars 2023 qui sera mentionnée aux Tables (CE, 8 mars 2023, SIPPEREC, n° 464619), le Conseil d’Etat, saisi par le SIPPEREC, avait alors reprécisé et redéfini les contours du pouvoir de modification unilatérale dont dispose la personne publique cocontractante. Aux termes de cette décision, on retiendra en synthèse, d’une part, que la correction d’irrégularités affectant les clauses d’un contrat administratif constitue un motif d’intérêt général justifiant, en tant que tel, la mise en œuvre du pouvoir de modification unilatérale, et ce y compris si l’irrégularité concerne des clauses financières, et d’autre part, que la possibilité de mettre en œuvre le pouvoir de modification unilatérale pour purger le contrat d’une illégalité est conditionnée au caractère divisible du reste du contrat de la clause concernée.

Par cette même décision du 8 mars 2023, le Conseil d’Etat avait annulé l’ordonnance du 18 mai 2022 et renvoyé à la Cour administrative d’appel de Paris le soin de se prononcer sur l’affaire dans le cadre ainsi redéfini.

Cette dernière a, par une ordonnance du 17 avril 2023, annulé l’ordonnance initiale du Tribunal administratif de Paris du 21 mars 2022 et rejeté les demandes de suspension des délibérations du SIPPEREC, estimant qu’en l’état de l’instruction, aucun des moyens du Préfet et de la société Enedis « tirés de l’impossibilité de modifier unilatéralement les clauses financières d’une concession, alors qu’il n’est pas établi que l’équilibre financier du contrat serait compromis, de l’absence d’intérêt général et de l’absence d’illégalité des clauses modifiées, alors que la valeur des biens de retour indemnisables en fin de contrat ne peut dépasser légalement leur valeur nette comptable, de l’indivisibilité des clauses d’indemnité de fin de contrat des autres clauses des concessions et de la méconnaissance du principe de loyauté contractuelle, ne [paraissait] propre à créer un doute sérieux quant à la légalité des délibérations contestées ». (CAA Paris,17 avril 2023, n° 23PA01061).

Dans sa décision du 24 novembre 2023, le Conseil d’Etat se prononce sur les pourvois formés par l’Etat et Enedis à l’encontre de cette ordonnance du 17 avril 2023, qu’il confirme.

A cet égard, le Conseil d’Etat commence par rappeler le cadre juridique applicable en reprenant le considérant de principe posé par sa décision susmentionnée du 8 mars 2023 (considérant n° 4) ainsi que celui résultant notamment de la décision Commune de Douai relatif à l’indemnisation du concessionnaire en fin de contrat (considérant n°5).

Puis, à la lumière de ces principes, le Conseil d’Etat relève d’abord que les requérants se bornent à soutenir que les clauses unilatéralement modifiées ne sont pas identiques à celles que la Cour administrative d’appel de Nancy a jugées illégales par l’arrêt susmentionné du 8 décembre 2020 et qu’en conséquence, la Cour administrative d’appel de Paris, qui a suffisamment motivé son ordonnance sur ce point, n’a pas dénaturé les faits et pièces du dossier ou commis une erreur de droit en jugeant que le moyen tiré de l’illégalité des clauses modifiées ne paraissait pas propre à créer un doute sérieux quant à la légalité des délibérations contestées.

Autrement dit, le Conseil d’Etat considère que ni l’Etat, ni Enedis, n’ont démontré l’illégalité de la modification apportée par le SIPPEREC au regard des clauses initiales.

Enfin, s’agissant du critère tenant à la divisibilité des clauses unilatéralement modifiées, le Conseil d’Etat estime que la Cour administrative d’appel n’a pas davantage commis d’erreur en rejetant les moyens qui étaient soulevés devant elle et qui tenaient, d’une part, à l’indivisibilité des clauses compte tenu de leur portée dans l’équilibre du contrat et, d’autre part, à l’atteinte alléguée au principe de loyauté des relations contractuelles.

Cette décision du Conseil d’Etat marque ainsi la fin de la procédure de déféré suspension (équivalente au référé suspension lorsqu’elle est à l’initiative du Préfet au titre du contrôle de légalité) qui avait été initiée en parallèle du déféré préfectoral.

Il incombe donc désormais au Tribunal administratif de Paris de juger au fond de la légalité des délibérations du SIPPEREC et des clauses initialement contenues dans les contrats de concession de distribution d’électricité du SIPPEREC.

CE, 8 mars 2023, SIPPEREC, n° 464619