Contrats publics
le 17/10/2024

Concession des halles et marchés : seule la juridiction judiciaire est compétente en cas de litige entre les parties, même pour désigner un expert en phase précontentieuse

CE, 27 septembre 2024, n° 492140

Par sa décision n° 492140 en date du 27 septembre 2024, le Conseil d’Etat fournit un utile rappel de la répartition entre les deux ordres juridictionnels – judiciaire et administratif – des compétences pour connaître de litiges relatifs à un contrat de concession portant sur l’exploitation de halles et marchés. Cette décision illustre également, de manière plus générale, la nécessité pour les parties à un contrat d’être vigilantes à désigner, dans une clause de résolution des différends, la juridiction compétente, y compris pour désigner un expert en phase précontentieuse.

Cette décision a été rendue dans le cadre d’un litige, porté initialement devant la juridiction judiciaire, relatif à l’exécution d’une convention d’affermage datée du 21 décembre 1979 par lequel la commune de Saint-Yrieix-La-Perche a confié l’exploitation de son marché aux bestiaux à trois personnes.

Au cours du litige, la Cour d’appel de Bordeaux a sursis à statuer et saisi le Tribunal administratif de Limoges d’une question préjudicielle sur la légalité de l’article 38 de la convention d’affermage, rédigée en ces termes :

« Toute contestation survenant entre les deux parties au sujet de l’exécution de la présente convention est obligatoirement réglée selon la procédure ci-après :

Chacune des parties soumet d’abord sa contestation à l’autre par écrit en lui fixant un délai de réponse de quinze jours.

Si aucun accord n’est intervenu, la contestation est soumise, soit à un expert unique choisi d’un commun accord entre les parties, soit à deux experts, chaque partie en désignant un. En cas de désaccord, la contestation est soumise à un tiers expert désigné par le président du Tribunal administratif.

Si le conflit subsiste, il est porté devant le Tribunal administratif de Limoges ».

Par jugement du 13 février 2024, le Tribunal administratif a déclaré illégales dans leur ensemble ces stipulations, au motif qu’elles contrevenaient aux dispositions du décret du 17 mai 1809 relatif aux octrois municipaux et de bienfaisance, applicables aux droits de place perçus dans les halles et marchés, qui attribuent spécialement compétence aux tribunaux judiciaires pour statuer sur toutes les contestations qui pourraient s’élever entre les communes et les fermiers de ces taxes indirectes, sauf renvoi préjudiciel à la juridiction administrative sur le sens et la légalité des clauses contestées des baux.

Ce faisant, le Tribunal administratif a fait une application classique de la jurisprudence en matière de répartition des compétences sur les litiges liés aux contrats de concession sur les halles et marchés : la juridiction judiciaire est compétente pour connaitre des litiges liés à l’exécution de ces contrats ; quant à la juridiction administrative, elle peut être saisie par la juridiction judiciaire, par voie préjudicielle, de l’examen de la légalité des clauses desdits contrats (Tribunal des conflits, 23 avril 2007, C3567 ; CE, 9 mai 2011, req. n° 341117).

D’ailleurs, au stade du pourvoi en cassation contre ce jugement, la commune de Saint-Yrieix-La-Perche n’a pas contesté l’illégalité du dernier alinéa de l’article 38 de la convention d’affermage portant sur la juridiction compétente pour connaitre des éventuels contentieux entre les parties et s’est bornée à défendre la légalité des alinéas précédents, qui traitaient de la phase précontentieuse.

Cependant, le Conseil d’Etat juge, sur le fondement de l’article L. 213-5 du Code de justice administrative, qu’une mission de médiation ne peut être exercée par les magistrats de l’ordre administratif hors des domaines de compétence de leur juridiction. Il en déduit, dans cette affaire, que dès lors que le Tribunal administratif de Limoges n’était pas compétent pour connaître des contentieux entre les parties à cette convention d’affermage, son président n’était pas davantage compétent pour désigner un expert en phase précontentieuse. Il considère également que c’est sans commettre de dénaturation que le Tribunal administratif a jugé que les premiers alinéas de l’article 38 de la convention étaient indivisibles des autres stipulations et devaient également être annulés.

Enfin, le Conseil d’Etat rappelle l’office du juge administratif saisi à titre préjudiciel de la légalité des stipulations du contrat, en précisant qu’il ne revient pas à celui-ci de se prononcer sur les effets de la déclaration d’illégalité qu’il prononce ; partant, en s’abstenant, dans le cas présent, de moduler dans le temps les effets de la déclaration d’illégalité de l’article 28 de la convention d’affermage, comme le demandait la commune au nom de l’exigence de loyauté des relations contractuelles, le Tribunal administratif n’avait pas commis d’erreur de droit.