Par une ordonnance en date du 15 mai dernier, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté pour incompétence le référé précontractuel d’un candidat évincé de la procédure qui avait été lancée par l’État en vue de la cession avec charges du Stade de France. Plus précisément, l’État avait, le 9 mars 2023, publié deux avis de concession : l’un relatif à la passation d’une concession portant sur l’exploitation du Stade de France (avec la réalisation de travaux de mise à niveau)[1] et l’autre relatif à la cession, avec charges, du Stade de France[2] ; et on comprend des termes de l’ordonnance que ces deux procédures étaient alternatives. C’est donc dans le cadre de la seconde procédure, celle attachée à la cession avec charges du Stade de France, qu’un membre du groupement dont la candidature avait été rejetée a introduit un référé précontractuel.
Si le Tribunal administratif de Montreuil se prononce uniquement à l’égard de la compétence – de la juridiction administrative puis du juge du référé précontractuel – et non sur le fond de la régularité de la procédure, cette ordonnance apporte un éclairage intéressant sur la qualification de la cession avec charges.
Le Tribunal administratif vient tout d’abord confirmer que le requérant s’est adressé au bon ordre de juridiction, après avoir relevé d’office un moyen tiré de l’incompétence du juge administratif : la question se posait en effet, dans la mesure où la cession d’un bien immobilier du domaine privé d’une personne publique relève en principe du juge judiciaire[3]. Toutefois, l’article L. 3231-1 du Code général de la propriété des personnes publiques renvoie devant la juridiction administrative « les litiges relatifs aux biens immobiliers de l’État ». Le Tribunal conclut donc à « la compétence de la juridiction administrative pour la procédure d’adjudication préalable à cette cession », et ce quand bien même une telle cession ne pourrait pas intervenir en l’état, en l’absence de déclassement effectif du Stade de France : si un projet de loi avait bien été prévu à cet effet, le Tribunal administratif relève que « ce texte n’a pas été adopté à la date de la présente ordonnance et n’est pas en discussion au Parlement ».
Au-delà, c’est surtout à propos de la compétence au sein de la juridiction administrative que cette ordonnance suscite l’attention. La société requérante avait en effet introduit un référé précontractuel en considérant que la procédure de cession avec charges dont elle avait été évincée était une concession au sens du Code de la commande publique ; ce qu’indiquait du reste les avis de publicité. Or, il faut rappeler que le Code de justice administrative limite le recours au référé précontractuel (et contractuel) aux seuls candidats évincés des procédures de passation des contrats de la commande publique, c’est-à-dire des « contrats administratifs ayant pour l’objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, ou la délégation d’un service public »[4]. Les référés introduits contre les autres contrats administratifs (contrats d’occupation du domaine public par exemple) sont ainsi systématiquement rejetés[5].
C’est donc au motif que la convention qui devait être conclue en vue de la cession avec charges du Stade de France ne répondait en réalité pas à la définition posée par l’article L. 551-1 du Code de justice administrative, quand bien même l’État se serait volontairement placé dans le cadre d’une procédure formalisée du Code de la commande publique, que le Tribunal administratif rejette ici le référé précontractuel.
Le Tribunal administratif juge en effet que la procédure concernée portait uniquement sur « l’alinéation définitive de l’équipement sportif d’intérêt national prévue à l’article 1er de la loi n° 93-1435 du 31 décembre 1999 contre le versement d’un prix », et que la circonstance que la cession devait être « assortie d’un certain nombre de conditions » ne modifiait « pas la nature de cette opération ». Dit autrement, les charges qui devaient être attachées à la cession du Stade – dont le maintien de son usage et la réalisation d’un socle de travaux de mise aux normes, apparemment sur une durée de 25 ans – ne sont pas considérées comme emportant la requalification du contrat de vente en un contrat de la commande publique.
La requalification est d’abord écartée sur le volet concessif. Pour ce faire, le Tribunal administratif s’appuie (i) essentiellement sur la circonstance qu’aucune clause ne prévoyait que le Stade de France (et/ou tout autre aménagement réalisé par l’acquéreur) puisse revenir à l’État au terme de la durée des obligations attachées à la cession, et (ii) de manière plus accessoire, sur le contenu des clauses : « il résulte de l’instruction et notamment des échanges à l’audience que le transfert de propriété prévu devait être effectif dès la signature ou l’enregistrement de la convention de cession et qu’il n’existait aucune clause de retour ou de rétrocession à l’État au terme de la période de mise en œuvre des obligations contractuelles dont est assortie cette cession. La seule circonstance que cette opération de vente aurait pu être remise en cause par l’une des parties devant le juge du contrat et que le Stade de France pourrait, par voie de conséquence et dans cette seule éventualité, réintégrer le patrimoine de l’État n’est pas de nature à remettre en cause l’objet de ce contrat et de cette procédure qui tendent à l’aliénation définitive de cet équipement public. Il en est de même des clauses exorbitantes du droit commun prévu dans le » volet concessif « . Cette procédure de consultation ne porte pas, par suite, sur une concession au sens de l’article L. 1121-1 du code de la commande publique ».
Cette appréciation rejoint sans doute la solution qui écarte toute requalification d’une cession en contrat de concession, dans la mesure où il est difficile de concevoir que l’autorité concédante puisse effectivement « transférer » un risque en contrepartie d’un droit d’exploiter l’ouvrage alors qu’elle n’est pas propriétaire de l’ouvrage et ne dispose donc pas du droit d’exploiter elle-même l’ouvrage concerné[6]. Ce n’est toutefois pas exactement en ces termes que le Tribunal administratif se prononce : il semble plutôt considérer que l’absence de toute clause de retour témoigne nécessairement de l’absence de tout besoin exprimé par l’État en procédant à la cession, et ce presque indépendamment de la portée exacte des obligations mises à la charge de l’acquéreur.
Or, on sait qu’un contrat de cession a pu être analysé comme un contrat de la commande publique « indépendamment du fait qu’il est prévu ou non que le pouvoir adjudicateur soit ou devienne propriétaire de tout ou partie de cet ouvrage »[7], sous l’angle d’une requalification en marché de travaux. Dès lors, cession définitive n’équivaut sans doute pas systématiquement à une absence de besoin précisé par la personne publique.
Pour exclure ensuite une requalification de la cession en marché public, le Tribunal administratif ne se fonde pas davantage sur l’examen des charges qui devaient accompagner la cession, mais sur l’analyse de l’objet principal du contrat. On sait en effet que face à un contrat mixte, composé d’un volet « vente immobilière » et d’un volet « charges attachées à la cession », il convient d’appliquer à l’ensemble du contrat les dispositions relatives à son objet principal[8] ; objet principal qui peut être déterminé, au-delà du montant respectif de chaque volet, au regard de l’objectif poursuivi prioritairement par la personne publique qui cède son bien[9]. Ici, le Tribunal administratif juge que l’objectif principalement poursuivi par l’État « porte sur l’obtention d’un prix de la part d’un acquéreur », objectif qui « ne correspond pas à la satisfaction de besoins de l’État en matière de travaux, de fournitures ou de services » : l’opération dans son ensemble échappe par conséquent à la commande publique.
Le Tribunal administratif écarte par ailleurs une éventuelle requalification de la cession en marché public par analogie avec les contrats d’emprunts, que le Code de la commande publique qualifie de marchés publics, mais de marchés dont la passation échappe aux règles applicables aux marchés classiques[10] : l’analogie qui pouvait être identifiée entre ces contrats et le besoin en financement de l’État dans le cadre de l’opération est balayée car insuffisante « pour que cette opération soit regardée comme permettant de satisfaire un besoin de l’État en contrepartie d’une rémunération au sens des dispositions de l’article L. 1111-1 du code de la commande publique ».
Enfin, le Tribunal administratif écarte toute requalification en délégation de service public, et confirme en conséquence l’incompétence du juge administratif face à un contrat qui ne relève pas du champ de la commande publique, et ce quand bien même l’État s’était volontairement placé dans le cadre de la procédure de passation d’une concession : « aucune disposition législative particulière n’attribue compétence au juge du référé précontractuel des articles L. 551-1 ou L. 551-5 du code de justice administrative pour assurer le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles l’État a entendu se soumettre spontanément pour cette procédure d’adjudication ».
Si le Tribunal administratif de Montreuil analyse finalement donc peu en tant que telles les charges attachées à la vente du Stade de France pour écarter la requalification de la cession en contrat de la commande publique, cette ordonnance apporte un éclairage intéressant sur une opération emblématique, et sur un montage – la cession avec charges – qui peut, selon le cas de figure, n’être utilisé qu’à des fins de « pure valorisation » ou couvrir au contraire une commande publique. Au regard du caractère évolutif du sujet, toute nouvelle décision est donc la bienvenue.
[1] Avis n° 23-31136 du 9 mars 2023.
[2] Avis n° 23-31140 du 9 mars 2023.
[3] TC, 4 juillet 2016, req. n° 4052 ; TC, 13 mars 2023, req. n° 4266.
[4] Articles L. 551-1 et L. 551-13 du ode de justice administrative.
[5] Voir par exemple CE, 10 mars 2006, req. n° 284802 sur la valorisation du domaine public ou CE, 3 décembre 2014, Établissement public Tisséo, req. n° 384170, sur l’installation de mobiliers urbains.
[6] CE, 4 mars 2021, Sté SOCRI Gestion, req. n° 437232, aux conclusions de Marc Pichon de Vendeuil ; voir également CJCE, 25 mars 2010, Helmut Müller, C-451/08.
[7] CJCE, 18 janvier 2007, Commune de Roanne, C-220/05.
[8] Article L. 1312-1 du Code de la commande publique pour les contrats mixtes dont les prestations sont indissociables.
[9] Voir en ce sens CJCE, 21 février 2008, Commission c/ Italie, C-412/04 et plus récemment CAA Marseille, 11 avril 2022, req. n°21MA00539.
[10] Article L. 2512-5 du Code de la commande publique.