Dérogation espèces protégées : la régularisation n’est pas un droit acquis

Dans un arrêt du 27 mai 2025, le juge administratif s’est prononcé sur la légalité d’un arrêté préfectoral décidant de la levée de l’interdiction, pour un exploitant d’éoliennes, de faire fonctionner ces dernières pendant la nuit afin de ne pas porter atteinte à des rapaces relevant de la catégorie des espèces protégées (le vautour moine, le percnoptère d’Egypte, le gypaète barbu, le vautour fauve, l’aigle royal, le circaète Jean-le-blanc, le milan royal, le busard cendré et le busard Saint-Martin) et assortissant cette décision de prescriptions complémentaires visant à réduire les risques d’atteinte pour ces espèces.

Le juge retient en premier lieu que, malgré les mesures d’évitement et de réduction qu’il comporte, l’arrêté attaqué porte une atteinte significative aux intérêts protégés par l’article L. 511-1 du Code de l’environnement, en particulier s’agissant du vautour moine, au regard de l’activité importante et dense de rapaces dans le secteur.

Puis, le juge a rejeté la demande qui lui était soumise de permettre au pétitionnaire, en application de l’article L. 181-18 du Code de l’environnement, de régulariser l’acte en sollicitant une demande de dérogation espèces protégées. Faisant application d’une jurisprudence récente du Conseil d’Etat du 6 novembre 2024 (voir notre article), il a en effet considéré que la mise en œuvre de ce pouvoir de régularisation n’était pas envisageable dès lors « qu’il résulte de l’instruction, et notamment des éléments relatifs aux atteintes portées à la conservation de ces espèces et des possibilités de les éviter, réduire ou compenser, qu’aucune prescription complémentaire n’est susceptible d’assurer la conformité de l’exploitation aux dispositions de l’article L. 511-1 du Code de l’environnement ».

Pour ces motifs l’annulation de l’arrêté préfectoral attaqué est prononcée.

A69 : les travaux peuvent reprendre

Par plusieurs jugements du 27 février 2025, les autorisations accordées les 1er et 2 mars 2023 aux sociétés Atosca et Autoroute du Sud de la France pour la construction de l’autoroute A69 ont été annulées par le Tribunal administratif de Toulouse (voir notre article).

La ministre de la Transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche a alors saisi la Cour administrative d’appel d’une demande de sursis à exécution de ces jugements sur le fondement des articles R. 811-15 et R. 811-17 du Code de justice administrative (CJA). Aux termes de ces dispositions, le sursis à exécution d’un jugement peut être sollicité en appel lorsque « les moyens invoqués par l’appelant paraissent, en l’état de l’instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l’annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d’annulation accueillies par ce jugement » ou « si l’exécution de la décision de première instance attaquée risque d’entraîner des conséquences difficilement réparables et si les moyens énoncés dans la requête paraissent sérieux en l’état de l’instruction ».

Après avoir rappelé l’office du juge lorsqu’il est saisi d’une demande de sursis à exécution qui implique notamment, lorsqu’il identifie un moyen susceptible de justifier l’annulation ou la réformation du jugement attaqué, de vérifier si un des moyens soulevés devant lui ou un moyen relevé d’office est de nature à infirmer ou confirmer l’annulation de la décision administrative en litige, le juge s’est prononcé sur le cas d’espèce et, plus particulièrement, sur le caractère de raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) du projet d’autoroute.

Pour rappel, c’est précisément l’illégalité de la dérogation à l’interdiction de porter atteinte aux espèces protégées, dite dérogation espèces protégées, et plus spécifiquement le non-respect de la condition liée à l’existence d’une RIIPM qui avait conduit le tribunal à annuler les autorisations en cause.

Le Cour administrative d’appel revient sur cette analyse en retenant que le moyen invoqué par l’Etat selon lequel le projet autoroutier répondrait « par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d’intérêt public majeur » apparaît sérieux et de nature à entraîner, outre l’annulation des jugements, le rejet des conclusions à fin d’annulation accueillies par le Tribunal administratif de Toulouse. Le juge rejette ensuite en quelques lignes l’ensemble des arguments développés en défense et prononce le sursis à exécution des jugements du 27 février 20025.

En attendant le jugement d’appel au fond, le sursis à exécution des jugements de première instance permet aux arrêtés d’autorisation de produire à nouveau leurs effets et, partant, aux bénéficiaires des autorisations de reprendre les travaux correspondants.

Le Versement nucléaire universel, successeur du tarif d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique

La fin de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ci-après, ARENH) approche et le mécanisme qui lui succèdera se dévoile. Le législateur a en effet profité du projet de la loi de finances pour 2025 pour fixer le cadre applicable au mécanisme qui succèdera à l’ARENH à partir du 1er janvier 2026.

En modifiant le chapitre VI du titre III du livre III de la partie législative du Code de l’énergie pour lui faire prendre le nom de Partage des revenus de l’exploitation des centrales électronucléaires historiques, ce qui témoigne de l’esprit de cette réforme, le législateur a mis en place un mécanisme reposant sur deux volets :

  • Un volet fiscal consistant en une taxation du combustible nucléaire utilisé par EDF pour la production d’électricité ;
  • Un volet tarifaire consistant en une minoration, pour les consommateurs, des prix de l’électricité fixés contractuellement avec les fournisseurs d’électricité, minoration compensée par le produit de la taxe sur l’utilisation du combustible nucléaire.

Ce nouveau mécanisme, appelé Versement nucléaire universel, transcrit une partie de l’accord conclu entre l’Etat et EDF sur le prix de l’électricité nucléaire pour succéder à l’ARENH (I.).

Le nouveau cadre légal, porté par l’article 17 de la loi 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025 (II.), devrait être prochainement complété par un décret d’application (III.).

 

1. Rappel sur l’ARENH et les suites à donner à sa fin programmée

Le dispositif de l’ARENH a été mis en place par la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (dite loi NOME). L’ARENH est entré en vigueur le 1er juillet 2011.

Le dispositif de l’ARENH visait alors deux objectifs :

  • Encourager la concurrence sur le marché de détail tout en permettant aux consommateurs finals de bénéficier de l’électricité produite par le parc nucléaire ;
  • Concourir au développement de la concurrence en amont, en permettant aux fournisseurs d’investir dans des moyens de production.

Pour rappel, le fonctionnement de l’ARENH est le suivant : 100 TWh d’électricité sont accordés chaque année aux fournisseurs alternatifs en fonction des prévisions de consommation des consommateurs finals. La Commission de régulation de l’énergie (ci-après, CRE) opère un contrôle a posteriori des consommations réelles. Les fournisseurs ayant bénéficié de volumes supérieurs à la consommation réelle doivent s’acquitter de compléments de prix.

Aux termes de l’article L. 336-8 du Code de l’énergie, le dispositif de l’ARENH s’appliquera jusqu’au 31 décembre 2025.

A l’approche de cette date, un accord a été conclu entre l’État et EDF, le 14 novembre 2023, pour convenir d’un dispositif prenant la suite de l’ARENH.

Présenté le 14 novembre 2023 par le Ministre de l’Économie, des Finances et de Souveraineté industrielle et numérique, l’accord visait, selon la déclaration du ministre, à permettre une « redistribution aux consommateurs des bénéfices d’EDF au-delà d’un certain niveau de prix ».

Si l’accord vise à faire bénéficier les consommateurs finals de l’électricité produite par le parc nucléaire historique, tout comme l’ARENH, il s‘en distingue nettement dans la mesure où EDF retrouve sa liberté contractuelle pour l’intégralité de sa production et ne devra plus céder une partie de sa production à des fournisseurs alternatifs.

Le détail du fonctionnement du nouvel outil a été présenté dans le cadre d’une consultation publique qui s’est tenue du 21 novembre 2023 au 20 décembre 2023.

Le dispositif envisagé a pour objectif de sécuriser dans la durée l’accès des consommateurs français d’électricité à un prix de vente cohérent avec la structure de coûts du mix électrique. Il vise en outre à maintenir le bénéfice de l’électricité produite par le parc nucléaire français aux consommateurs.

Concrètement, l’outil envisagé fonctionnera par seuil de prix au-delà desquels EDF sera tenu de verser à l’Etat une fraction des revenus tirés de la production du parc nucléaire. Aux termes de la consultation, il était envisagé les seuils suivants :

  • Un premier seuil d’activation correspond à l’addition du coût comptable complet de production du nucléaire existant et d’une composante représentative du coût du programme : nouveau nucléaire de France. Ce seuil était évalué à 78 euros par MWh et son taux de prélèvement serait fixé à 50 %
  • Un deuxième seuil, fixé à 110 euros par MWh, de nature à protéger les consommateurs contre les épisodes de prix élevés sur les marchés. Son taux de prélèvement serait fixé à 90 %.

Les montants récupérés par l’Etat seraient par suite reversés aux consommateurs sous forme d’un versement apparaissant sur la facture en déduction du prix de l’électricité conclu avec le fournisseur.

L’accord conclu entre EDF et l’État et la consultation qui s’en est suivie se sont traduits par la création de la taxe sur le combustible nucléaire et par le versement nucléaire universel, issus de l’article 17 de la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025.

 

2. Dispositif consacré par l’article 17 de la loi de finances pour 2025

Le versement nucléaire universel était prévu dès le projet de loi de finances pour 2025 présenté par le gouvernement. Le mécanisme n’a été modifié qu’à la marge par le Parlement, l’Assemblée nationale n’ayant pas adopté la première partie du projet de loi de finances et celui‑ci ayant alors été considéré comme rejeté en première lecture, et le Sénat n’ayant adopté principalement que des amendements rédactionnels ou de précision.

Le mécanisme ainsi adopté par l’article 17 de la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025 repose sur une double logique. :

  • Une taxation portant sur le combustible nucléaire utilisé par la société EDF et pesant sur celle-ci (1.) ;
  • Un reversement du produit de cette taxation aux consommateurs finals par le biais d’une minoration de leur facture d’électricité, appelé versement nucléaire universel (2.).

Ainsi, le dispositif consacré permet aux consommateurs finals de profiter indirectement de la compétitivité du parc nucléaire français, dans la même logique que l’ARENH, dans de moindres mesures néanmoins comme le demandait EDF.

Aux termes du VI. de l’article 17 de la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025, le nouveau dispositif entrera en vigueur le 1er janvier 2026, soit au lendemain de l’abrogation des dispositions relatives à l’ARENH.

 

A. La taxe sur le combustible nucléaire

Les dispositions relatives à la nouvelle taxation du combustible nucléaire sont à la fois prévues par le Code sur l’imposition des biens et des services (ci-après, CIBS) et par le Code de l’énergie.

En synthèse, on retiendra qu’aux termes de l’article L. 322-69 du CIBS, le fait générateur de la taxe sur le combustible nucléaire est constitué par l’achèvement de l’année civile au cours de laquelle est utilisé, au sein d’une centrale électronucléaire historique située sur le territoire de taxation mentionné à l’article L. 322-70, du combustible nucléaire pour la production d’électricité.

Et aux termes de l’article L. 322-77 du CIBS, l’unique redevable de cette taxe est l’exploitant des centrales électronucléaires historiques, c’est-à-dire EDF.

Quant aux modalités de calcul de la taxe, elles sont fixées par les articles L. 322-71 à L. 322-76 du CIBS, aux termes desquels les revenus constituant l’assiette de la taxe sont ceux imputables à l’utilisation du combustible nucléaire.

Le barème de la taxe comprend alors trois taux :

  • Un taux nul pour la fraction des revenus inférieure ou égale au seuil de taxation ;
  • Un taux de 50 % pour leur fraction supérieure au seuil de taxation et inférieure ou égale à un seuil dit d’écrêtement ;
  • Un taux de 90 % pour leur fraction supérieure au seuil d’écrêtement.

Les articles L. 322-73 et suivants du CIBS apportent les précisions requises pour le calcul des seuils de taxation et d’écrêtement.

S’agissant enfin des modalités de détermination de l’assiette de la taxe, un nouveau chapitre VI du titre III du livre III du Code de l’énergie, consacré à l’ARENH, portera désormais sur le fonctionnement et l’assiette de la taxe sur l’utilisation de combustible nucléaire pour la production d’électricité.

On retiendra notamment qu’aux termes de l’article L. 336-1 du Code de l’énergie, une centrale électronucléaire historique est « l’installation nucléaire de base qui produit de l’électricité pour laquelle l’autorisation initiale d’exploitation a été délivrée avant le 1er janvier 2026 ». Les centrales dont les autorisations d’exploiter sont postérieures à cette date ne seront donc pas concernées par la taxe.

Enfin, afin de pouvoir calculer correctement l’assiette de la taxe, la société EDF doit tenir une comptabilité appropriée des revenus issus de l’exploitation des centrales nucléaires historiques. En outre EDF doit établir des règles de comptabilité, validées par la CRE.

 

B. Le versement nucléaire universel

Le versement nucléaire universel consiste à répercuter le prélèvement effectué sur les revenus du parc nucléaire sur les factures des consommateurs en les minorant. Les dispositions relatives au versement nucléaire universel sont prévues par les articles L. 337-3 à L. 337-3-6 du Code de de l’énergie.

En premier lieu, la minoration des factures d’électricité, qui résultera donc d’un prélèvement effectué sur les revenus du parc nucléaire historique, devra être appliquée par les fournisseurs à l’ensemble de leurs clients.

L’article L. 337-3 prévoit que les contrats conclus par un fournisseur d’électricité avec des consommateurs finals ainsi que les tarifs réglementés de vente d’électricité font l’objet d’une minoration de plein droit lorsque les conditions de celles-ci définies par l’article L. 337-3-2 sont réunies (voir infra).

L’article L. 337-3 précité précise que « toute stipulation ayant pour objet ou pour effet d’atténuer, partiellement ou totalement, cette minoration est réputée non écrite » et ajoute que ses dispositions « sont d’ordre public »

En outre, la minoration doit apparaitre sur la facture par une mention expresse, dont les modalités seront déterminées par arrêté conjoint du ministre chargé de l’Énergie et du ministre chargé de l’Économie.

En deuxième lieu, les fournisseurs auront droit à une compensation financière strictement égale aux minorations tarifaires qu’ils auront dû appliquer à leurs clients.

L’article L. 337-3-1 prévoit que la perte de recettes supportée par les fournisseurs en raison de l’application de cette minoration des factures de leurs clients est compensée. Pour chaque fournisseur, cette compensation correspond au produit des quantités d’électricité fournies à des consommateurs finals auxquelles est appliquée la minoration par le tarif unitaire de minoration dont la détermination est prévue à l’article L. 337-3-2.

En troisième lieu, l’article L. 337-3-2 prévoit que la minoration des factures qui pourra résulter du dispositif se traduit par l’application d’un tarif unitaire aux quantités d’électricité fournies aux consommateurs pendant la période annuelle concernée.

Cette période annuelle correspond à « l’année civile pour laquelle il est anticipé un montant non nul de taxe sur l’utilisation de combustible nucléaire pour la production d’électricité ».

L’article prévoit également que ce tarif unitaire de minoration doit être fixé par arrêté conjoint du ministre chargé de l’Énergie et du ministre chargé de l’Économie sur proposition de la CRE, au moins un mois avant le début de la période annuelle d’application de la minoration.

L’article précise enfin que ce tarif unitaire pourra le cas échéant être révisé dans les mêmes conditions une ou plusieurs fois au cours de la période annuelle d’application de la minoration.

L’article L. 337-3-3 prévoit que la détermination du tarif unitaire dépendra :

  • d’une part, des prévisions réalisées par la CRE des revenus du parc nucléaire historique et des quantités de consommation d’électricité ;
  • d’autre part, de la correction d’éventuels écarts constatés a posteriori sur des périodes passées entre les montants encaissés au titre de la taxe et les compensations versées aux fournisseurs.

En cohérence avec les dispositions de l’article L. 337-3-2 présentées supra, et afin de maîtriser les conséquences qui résulteraient de tels écarts sur les périodes ultérieures, l’article prévoit la possibilité d’ajuster les conditions de la minoration en cours de période, via une modification soit du tarif unitaire lui-même, soit de la durée d’application de la minoration.

 

III. Cadre réglementaire à venir

Concernant la taxe sur le combustible nucléaire, le nouvel article L. 336-16 du Code de l’énergie renvoie à un décret en Conseil d’État pris après avis de la CRE les conditions d’application du présent chapitre, notamment :

  • les principes méthodologiques régissant les évaluations mentionnées à l’article L. 336-3 ainsi que les conditions dans lesquelles elles sont régulièrement mises à jour ;
  • les périodes d’évaluation des revenus de l’exploitation des centrales électronucléaires historiques mentionnées à l’article L. 336-9 ;
  • les périodes infra-journalières pertinentes d’injection dans le système électrique mentionnées à l’article L. 336-11, les produits représentatifs mentionnés au même article et les conditions dans lesquelles les prix de ces produits sont calculés et constatés ;
  • la régularité, les échéances et les conditions de communication au ministre chargé de l’Économie et au ministre chargé de l’Énergie des estimations mentionnées à l’article L. 336-15 du Code de l’énergie et les conditions dans lesquelles le public est informé de ces estimations et du montant de la minoration du prix de fourniture applicable le cas échéant.

Concernant le versement nucléaire universel, l’article L. 337-6 du Code de l’énergie prévoit qu’un décret en Conseil d’État pris après avis de la CRE détermine les conditions d’application du « versement nucléaire universel ». Il précise que ce décret devra notamment définir :

  • les modalités selon lesquelles le produit de la taxe sera versé aux fournisseurs en compensation des pertes de recettes générées par la minoration tarifaire qu’ils auront dû appliquer à leurs clients ;
  • les règles de calcul du tarif unitaire de minoration et notamment les conditions dans lesquelles il pourrait faire l’objet de modulations, aux fins de favoriser l’atteinte des objectifs de la politique énergétique, en fonction de plusieurs critères tels que les moments de la consommation ou son ampleur (pour encourager notamment la flexibilité de la demande d’électricité et les économies d’énergie), les prix de la fourniture d’électricité et les profils de consommation.

Un projet de décret a été soumis à l’avis du Conseil supérieure de l’énergie lors de sa séance du 27 mai 2025. Ce projet de décret est pris en application des articles L. 336-1 et suivants du Code de l’énergie. Il ne concerne que la taxe sur le combustible nucléaire et non pas le versement nucléaire universel.

Le projet de décret fixant le cadre réglementaire du versement nucléaire universel demeure attendu.

C’est l’ensemble de ce dispositif qui permettra de clôturer le dispositif devant succéder à l’ARENH. Sa connaissance complète sera indispensable pour permettre aux acheteurs d’énergie d’estimer leurs consommations et adapter leurs consultations.

Un nouveau régime concernant l’aptitude des sapeurs-pompiers professionnels et volontaires

Arrêté du 10 avril 2025 relatif à l’appréciation des conditions de santé particulières exigées pour l’exercice des fonctions des sapeurs-pompiers professionnels et volontaires et pour l’aptitude à la conduite des véhicules du service

Le mois d’avril 2025 est marqué par plusieurs évolutions concernant la médecine d’aptitude et les conditions de santé particulières exigées pour l’exercice des fonctions de sapeur-pompier, aussi bien professionnel que volontaire.

En effet, le 12 avril dernier a été publié au Journal officiel, en dépit de l’avis défavorable émis par le Conseil Supérieur de la Fonction Publique Territoriale, un décret modifiant les dispositions relatives à la médecine d’aptitude des sapeurs-pompiers.

Ces nouvelles dispositions prévoient notamment que l’aptitude médicale des sapeurs-pompiers sera désormais déterminée par un médecin du Service d’Incendie et de Secours agréé à cet effet, après la validation d’une formation spécifique. La validité géographique des certificats médicaux d’aptitude périodiques est, quant à elle, étendue à l’ensemble des services d’incendie et de secours au niveau national.

Des évolutions sont également apportées concernant la composition et le rôle de la Commission consultative de la Sous-Direction Santé ainsi que de la Commission médicale d’aptitude. Plus précisément, les membres de la Commission consultative seront désormais désignés par le Directeur départemental des services d’incendie et de secours sur proposition du médecin-chef de la sous-direction santé et des suppléants pourront être désignés dans les mêmes conditions. La Commission d’aptitude aux fonctions de sapeur-pompier volontaire est, quant à elle, étendue aux sapeurs-pompiers professionnels. Celle-ci pourra ainsi être saisie de toute question relative aux conditions de santé particulières des sapeurs-pompiers par le Directeur départemental des services d’incendie et de secours, son Président ou les médecins du service d’incendie et de secours agréés à la détermination de l’aptitude des sapeurs-pompiers. Elle aura, de surcroît, vocation à rendre un avis sur toute restriction d’aptitude ou décision d’inaptitude définitives concernant un sapeur-pompier professionnel ou volontaire.

Enfin, le médecin-chef de la sous-direction santé d’un service d’incendie et de secours aura la faculté de présenter des observations devant le Conseil médical, lorsque celui-ci saisi de la situation d’un sapeur-pompier professionnel, aussi bien dans le cadre d’une formation plénière que d’une formation restreinte, la référence à la formation plénière étant supprimée.

Ce décret est complété d’un arrêté, publié le même jour, visant à modifier les modalités d’appréciation des conditions de santé particulières exigées pour l’exercice des fonctions de sapeurs-pompiers professionnels et volontaires et d’aptitude à la conduite des véhicules du service. Un nouveau référentiel national d’aptitude médicale des sapeurs-pompiers complètera ce nouveau corpus règlementaire.

Désormais, les visites médicales de détermination de l’aptitude permettront d’établir :

  • L’aptitude aux fonctions de sapeur-pompier par domaines opérationnels et, le cas échéant, par spécialités opérationnelles et fonctions spécifiques, par référence aux profils médicaux, qui connaissent eux aussi quelques évolutions. L’âge n’est donc plus un critère ;
  • L’aptitude à la conduite des véhicules du service en intervention et hors intervention ;
  • L’absence de contre-indication à la pratique de l’activité physique et des compétitions sportives dans le cadre du service ;
  • Le cas échéant, le certificat médical exigé pour l’obtention ou le renouvellement des permis de conduire des véhicules du groupe lourd et apparentés.

Un dossier médical individuel sera également constitué lors de la première visite en vue d’un engagement ou d’un recrutement. Au plus tard deux ans après celle-ci, le sapeur-pompier sera reçu pour une première visite médicale de maintien en activité et bénéficiera ensuite d’une visite périodique tous les quatre ans jusqu’à ces 45 ans, contre tous les deux ans actuellement, puis à nouveau tous les deux ans à compter de cet âge. A noter qu’une visite médicale de maintien en activité « renforcée » sera obligatoire pour tout sapeur-pompier âgé de 45 ans. De même, une visite médicale sera également impérative à l’issue d’une période de détachement, de disponibilité, de tout congé supérieur à 30 jours ou de tout autre arrêt de travail d’une même durée, à l’issue d’une suspension supérieure à 6 mois, lorsque l’agent sollicitera une prolongation d’activité et en fin d’engagement pour le sapeur-pompier volontaire.

Enfin, entre deux visites médicales de maintien en activité, à mi période, le sapeur-pompier sera reçu pour une « visite intermédiaire » au cours de laquelle sera réalisée une évaluation de son état de santé, afin de s’assurer de « l’absence de tout élément pouvant conduire à une inaptitude ou une restriction d’aptitude » (article 7 de l’arrêté du 10 avril 2025). A la différence des visites d’aptitude, ces visites intermédiaires pourront, en sus du médecin du SIS agréé, être réalisées par un professionnel de santé (médecin et infirmier) ou un étudiant dûment habilité.

L’application de ces nouvelles mesures est fixée au 1er janvier 2026. Seules les parties permettant l’organisation, la formation et l’inscription auprès des préfectures concernant l’agrément des médecins prennent effet à la date de publication du décret.

Impact de l’article 107 de la loi du 14 février 2025 de finances pour 2025 sur les montants de dotations de compensation à la réforme de la taxe professionnelle

Instaurée par l’article 78 de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 à la suite de la suppression de la taxe professionnelle, la dotation de compensation à la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) est une dotation budgétaire supportée par l’Etat, visant à compenser les pertes de recettes liées à cette réforme. L’octroi de cette dotation ne poursuit donc pas un objectif de redistribution.

Les modalités de calcul de ce système changent chaque année, à la discrétion de l’État, et prend en compte à la fois l’évaluation du besoin des collectivités territoriales et de leurs groupements la répartition de l’effort entre échelons de collectivités et le choix des dotations à ajuster à la baisse (C. SIMON, « Loi de finances 2024 : des dotations stabilisées dans un contexte budgétaire toujours incertain », Revue du gestionnaire public 2024, dossier 15).

La DCRTP correspond à une « variable d’ajustement », pouvant donner lieu chaque année à une minoration d’un montant cible Depuis la loi de finances de 2008, un mécanisme de maîtrise des concours financiers de l’Etat a été introduit, afin de maîtriser ces variables d’ajustements et d’en répartir différemment l’effort en fonction des années.

L’entrée en vigueur de la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 et plus particulièrement de son article 107 a induit une minoration significative de la DCRTP revenant aux communes, établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), aux départements et régions. Cette diminution de 487 millions d’euros est ainsi supportée par les collectivités territoriales et leurs groupements au prorata de leurs recettes réelles de fonctionnement, conduisant certaines d’entre elles à perdre définitivement le bénéfice de cette dotation.

Dans le cadre de son contrôle a priori, le Conseil constitutionnel n’a pas été amené à se prononcer sur la constitutionnalité de cette disposition (décision n° 2025-874 DC en date du 13 février 2025 pour loi de finances 2025 CC)

Toutefois, la légalité de cette disposition interroge, dès lors que les minorations successives du montant de la DCRTP ne permettent plus de compenser la suppression des recettes issues de la taxe professionnelle.

Le Conseil d’Etat se prononce sur les modalités d’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030

Le 17 avril 2025, le Conseil d’État a été saisi par le gouvernement du projet de loi concernant l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2030. Plusieurs observations ont été formulées par le Conseil d’État à cette occasion.

Tout d’abord, le Conseil d’État valide l’insertion de clauses compromissoires dans le contrat « hôte » des Jeux de 2030 ainsi que dans ses conventions d’exécution. Ces clauses excluent la compétence des juridictions étatiques en cas de litige, préférant recourir à l’arbitrage. Bien que l’article 2060 du Code civil interdise de compromettre certains litiges[1], le Conseil d’État considère que l’intérêt national lié à l’organisation des Jeux justifie cette dérogation[2].

Ensuite, le recours aux marchés publics de conception-réalisation est également validé dans le but de faciliter la construction et la réhabilitation d’ouvrages nécessaires à l’organisation des jeux. Le Conseil estime que ce dispositif permettra à l’établissement public chargé de piloter la réalisation des infrastructures nécessaires aux jeux de bénéficier « d’un cadre juridique adapté à la complexité des opérations et des échéances fixées »[3].

Le Conseil d’État observe en revanche que le projet de loi limite la durée dérogatoire des accords-cadres pour la réalisation de travaux, fournitures ou services à six ans alors qu’une telle limite n’est pas imposée par le droit européen. Ainsi, les pouvoirs adjudicateurs devront toujours justifier chaque dérogation au cas par cas à la durée de principe de quatre ans prévue par l’article L. 2125-1 du Code de la commande publique sans pouvoir dépasser la durée de six ans. Il ne s’agit donc pas d’un assouplissement.

Enfin, on peut relever que le Conseil d’État a émis des observations sur l’occupation du domaine public par le Comité d’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques des Alpes françaises 2030 (COJOP 2030), les partenaires de marketing du CIO et les partenaires marketing du COJOP 2030. Le projet de loi prévoit une dérogation à l’article L. 2122-1-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, exemptant le COJOP 2030 et les partenaires de marketing du CIO d’une sélection préalable publique mais impose au COJOP 2030 de mettre en œuvre une procédure de sélection impartiale et transparente des partenaires marketing du COJOP 2030.

Le Conseil d’État, ayant déjà considéré comme compatibles avec le droit européen de telles dérogations pour les Jeux de 2024[4], estime que les dérogations précitées au bénéfice du COJOP 2030 et des partenaires du CIO le sont également. Il considère par ailleurs que la procédure de sélection impartiale et transparente des partenaires de marketing du COJOP 2030 justifie l’absence de procédure spécifique préalable à la délivrance des titres d’occupation du domaine public.

______

[1]Article 2060 du Code civil : « On ne peut compromettre (…) sur les contestations intéressant les collectivités publiques et les établissements publics et plus généralement dans toutes les matières qui intéressent l’ordre public ».

[2]Point n° 6 de l’avis commenté.

[3]Point 18 de l’avis commenté.

[4] Conseil d’Etat, avis n° 393671 du 9 novembre 2017 relatif à l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques 2024.

E-santé : un guide dédié à l’intelligence artificielle en santé éthique soumis à consultation

La Délégation au numérique en santé (DNS) et l’Agence du numérique en santé (ANS) viennent de publier un Guide d’implémentation d’un Système d’Intelligence Artificielle (SIA) en santé éthique.

Ce document, soumis à consultation publique du 12 mai au 6 juin 2025, s’adresse principalement aux fournisseurs de systèmes d’intelligence artificielle (SIA) en santé et vise à les accompagner dans le développement de solutions respectueuses des principes éthiques fondamentaux.

Le guide identifie des critères d’évaluation alignés sur les différentes phases d’élaboration d’un projet de SIA, de la conception au déploiement, en passant par le développement.

Les cinq piliers de l’éthique du numérique en santé :

Un SIA éthique en santé repose sur cinq valeurs cardinales :

  • La bienfaisance implique que les outils numériques améliorent le bien-être des patients et soutiennent les professionnels de santé.
  • La non-malfaisance exige que ces systèmes ne nuisent pas aux utilisateurs, notamment en termes de confidentialité des données et de sécurité des patients.
  • L’autonomie garantit que les patients restent acteurs de leur santé, avec un droit à l’information et au consentement éclairé.
  • La justice promeut un accès équitable aux technologies numériques en santé pour tous.
  • Enfin, l’écoresponsabilité encourage un développement tenant compte de l’impact environnemental du numérique en santé.

Ce guide s’inscrit dans un paysage réglementaire en pleine structuration. Au niveau international, les Principes de l’OCDE sur l’IA (2019)[1] et les recommandations de l’UNESCO (2021)[2] posent les bases d’une IA centrée sur l’humain et respectueuse des droits fondamentaux.

Au niveau européen, plusieurs règlements encadrent déjà les SIA en santé : le RGPD (2018)[3] pour la protection des données personnelles, le Medical Device Regulation (2021)[4] pour les dispositifs médicaux intégrant de l’IA, et plus récemment, le Règlement européen sur l’IA (AI Act)[5] entré en vigueur le 1er août 2024, avec une application progressive entre 2025 et 2027.

Bien que ce guide thématique n’ait pas vocation à devenir opposable en tant que tel, il pourrait être décliné dans des référentiels sectoriels dont certains critères pourraient acquérir un caractère contraignant. C’est déjà le cas pour le référentiel de l’éthique des applications de santé[6] et celui de l’éthique de la téléconsultation[7], dont le respect conditionne l’obtention de bénéfices spécifiques – comme le référencement dans le catalogue de services de Mon Espace Santé ou le remboursement des téléconsultations.

Il est possible de participer à la consultation jusqu’au 6 juin 2025 via ce lien.

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[1] Principes de l’OCDE sur l’IA (2019)

[2] Recommandation sur l’éthique de l’intelligence artificielle

[3] Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données

[4] Règlement (UE) 2017/745 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2017 relatif aux dispositifs médicaux

[5] Règlement (UE) 2024/1689 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024 établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle 

[6] Référentiel de bonnes pratiques sur les applications et les objets connectés en santé (mobile Health ou mHealth)

[7] Référentiel de bonnes pratiques professionnelles, applicable aux sociétés de téléconsultation

Statu quo sur le mode de scrutin des conseillers communautaires issus des communes de moins de 1.000 habitants

Les modes de scrutin des conseillers communautaires diffèrent selon que la commune soit composée de plus ou moins 1.000 habitants.

Dans les communes de 1.000 habitants et plus, les conseillers sont élus au suffrage universel direct à la fois pour un mandat de conseiller municipal et pour un mandat de conseiller communautaire, en figurant sur deux listes distinctes (article L. 273-6 du Code électoral). Ce mécanisme est plus communément connu sous le système dit du « fléchage ».

Dans les communes de moins de 1.000 habitants, les conseillers communautaires sont désignés parmi les conseillers municipaux élus en suivant l’ordre du tableau (maire, adjoints puis conseillers municipaux) et dans la limite du nombre de sièges attribués à la commune au sein du conseil communautaire (article L. 272-11 du Code électoral)

Un amendement adopté par la commission des lois du Sénat lors de la discussion sur la proposition de loi visant à renforcer la parité dans les fonctions électives et exécutives du bloc communal a proposé une harmonisation du mode de scrutin des conseillers communautaires en étendant le système du « fléchage » aux conseillers représentant les communes de moins de 1.000 habitants au sein de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre (amendement n° COM-16 du 3 mars 2025 porté par Mme BELLUROT et M. KERROUCHE lors de la discussion sur la proposition de loi Parité dans les fonctions électives et exécutives du bloc communal n° 451 en 1ère lecture devant la commission des lois du Sénat).

Dit autrement, les conseillers communautaires des communes de moins de 1.000 habitants seraient ainsi élus au suffrage universel direct, à la fois pour un mandat de conseiller municipal et un mandat de conseiller communautaire, en figurant sur deux listes distinctes.

Cela aurait également induit l’application aux communes de moins de 1.000 habitants des dispositions du Code électoral régissant aujourd’hui le remplacement des conseillers communautaires représentant une commune de plus 1.000 habitants en cas de vacance d’un siège.

Cependant, un amendement du gouvernement est revenu sur cette disposition lors de la séance publique du 11 mars 2025 afin de maintenir des modes de scrutin des conseillers communautaires distincts (Amendement n° 40 présenté par le gouvernement le 11 mars 2025 devant la Sénat en séance publique lors des discussions sur la proposition de loi Parité dans les fonctions électives et exécutives du bloc communal n° 399, 398 en 1ère lecture).

Le gouvernement justifie sa position en précisant qu’ :

« Il semble […] disproportionné d’étendre dès à présent à ces communes les modalités de désignation par fléchage des listes municipales. Cette extension créerait des contraintes excessives pour les petites communes. Ce mode de scrutin ne permet pas de garantir que le maire siège systématiquement au conseil communautaire. C’est notamment le cas lorsque le mandat du maire initial est interrompu (démission, décès…). Pour le remplacer, le suivant de liste sera automatiquement désigné ; après l’élection d’un nouveau maire, le siège ne sera plus vacant et le maire ne pourra pas siéger au conseil communautaire (contrairement au système actuel).

De plus, le système de fléchage pourrait conduire la commune à ne pas être représentée au sein du conseil communautaire. C’est en particulier le cas si elle a fait l’objet d’une élection complémentaire : les conseillers municipaux nouvellement élus ne pourront pas être considérés comme faisant partie de la même liste que les candidats élus initialement. En conséquence, les seconds ne pourront pas remplacer les premiers en cas de vacance. La commune perdrait alors une partie, voire la totalité de sa représentation au sein du conseil communautaire.

L’extension du scrutin de liste paritaire au sein du conseil municipal entraînera naturellement, mais de façon progressive, l’accroissement de la parité au sein de leur représentation communautaire, sans qu’il soit nécessaire d’imposer des contraintes excessives aux petites communes. Il semble donc préférable d’en rester au système actuel, plus souple. »

Petite enfance : publication du décret n° 2025-304 du 1er avril 2025 relatif aux autorisations de création, d’extension et de transformation des établissements d’accueil de jeunes enfants et à l’accueil dans les micro-crèches

Pour mémoire, la loi n° 2023-1196 du 18 décembre 2023 pour le plein emploi a instauré, à compter du 1er janvier 2025, un service public de la petite enfance (SPPE) dont les communes sont autorités organisatrices.

Cette loi prévoit de nouvelles compétences obligatoires pour les communes (article 17) :

  • Recenser les besoins des enfants âgés de moins de trois ans et de leurs familles en matière de services aux familles et de modes d’accueil ;
  • Informer et accompagner les familles ayant un ou plusieurs enfants âgés de moins de trois ans et les futurs parents ; pour exercer cette compétence, les communes de plus de 10.000 habitants (ou leurs groupements) devront se doter d’un relais petite enfance (RPE) à compter du 1er janvier 2026.

Les communes de plus de 3.500 habitants ont également désormais pour obligation de :

  • Planifier, au vu du recensement des besoins, le développement des modes d’accueil ; pour les communes de plus de 10.000 habitants (ou leurs groupements), il s’agit d’établir et de mettre en œuvre le schéma pluriannuel de maintien et de développement de l’offre d’accueil du jeune enfant prévu à l’article L. 214-2 du Code de l’action sociale et des familles ;
  • Soutenir la qualité des modes d’accueil ; pour les communes de plus de 10.000 habitants il s’agira là encore de se doter d’un relais petite enfance.

Les communes ont la possibilité de transférer tout ou partie de ces quatre compétences à leur établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ou à un syndicat mixte.

La loi du 18 décembre 2023 est également venue renforcer les pouvoirs du maire, dont l’avis favorable est dorénavant nécessaire pour tout nouveau projet de création, d’extension ou de transformation d’un établissement ou d’un service de droit privé accueillant des enfants de moins de six ans soumis à autorisation départementale (article 18).

Plusieurs décrets d’application étaient, par ailleurs, attendus.

Un premier décret n° 2025-253 du 20 mars 2025 relatif au schéma pluriannuel de maintien et de développement de l’offre d’accueil du jeune enfant est venu préciser le contenu et les modalités de concertation de ces schémas.

Ces schémas doivent, ainsi, répertorier les équipements, services et modes d’accueil existants pour l’accueil des enfants de moins de trois ans, préciser les besoins de ces enfants et de leurs familles, identifier les zones géographiques où l’offre d’accueil est insuffisante ou difficilement accessibles, définir les orientations pluriannuelles de maintien et de développement de l’offre d’accueil et les actions à mener en la matière ainsi que préciser les partenariats à renforcer.

L’élaboration de ces schémas doit se faire en concertation menée par l’autorité organisatrice du SPPE avec les différents acteurs publics et privés du territoire ains que les usagers concernés ou leurs représentants selon des modalités définies par l’autorité organisatrice.

Un second décret n° 2025-304 du 1er avril 2025 relatif aux autorisations de création, d’extension et de transformation des établissements d’accueil de jeunes enfants et à l’accueil dans les micro-crèches a été publié au Journal officiel du 2 avril dernier.

Ce décret modifie les règles de procédures des autorisations de création, d’extension et de transformation de renouvellement et de cession des établissements d’accueil de jeunes enfants.

Il renforce également les obligations pesant sur les micro-crèches notamment en obligeant le gestionnaire à formaliser un projet d’évaluation de la qualité d’accueil en complément du projet d’établissement, en limitant le nombre de micro-crèches qu’une même personne peut diriger, en rendant obligatoire la présence d’au minimum un professionnel diplômé dans l’équipe d’encadrement des enfants et en alignant le temps dédié aux missions de direction en micro-crèche sur celui des petites crèches.

La publication d’un décret sur les modalités de calcul de la compensation financière ayant vocation à être versée par l’Etat aux communes du fait des nouvelles obligations qui leur sont confiées au titre du SPPE est annoncée pour le mois de juin (article 188 de la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025). Un arrêté de répartition entre toutes les communes devrait suivre en juillet en application en particulier des dispositions de l’article L. 1614-3 du Code général des collectivités territoriales.

Biens sans maître : la présentation d’un héritier suppose son acceptation de la succession

Aux termes d’un arrêt clair et concis, la Cour de cassation est venue clore les débats sur les conditions d’application de l’article L. 1123-1 du Code général de la propriété des personnes publiques permettant la qualification d’un bien sans maître en raison de l’absence de successeur.

Pour rappel, cet article distingue deux hypothèses dans lesquelles des biens sans propriétaire identifié peuvent être qualifié de biens sans maître :

  • Des biens qui « font partie d’une succession ouverte depuis plus de trente ans et pour laquelle aucun successible ne s’est présenté» ;
  • Ou des « immeubles qui n’ont pas de propriétaire connu et pour lesquels depuis plus de trois ans les taxes foncières n’ont pas été acquittées ou ont été acquittées par un tiers».

C’est sur le premier cas de figure que la Cour de cassation s’est positionnée dans le cadre de l’arrêt du 27 mars dernier.

Dans cette affaire, la propriétaire de trois parcelles était décédée en janvier 1986 en laissant pour lui succéder ses quatre enfants. Le 2 mars 2016, le conseil municipal de la commune a pris une délibération autorisant le maire à constater par arrêté l’appropriation de plein droit de ces parcelles regardées comme des biens sans maître sur le fondement du 1° de l’article L. 1123-1 du CGPPP.

Considérant que les parcelles ne pouvaient pas être qualifiées de « sans maître », certains héritiers ont assigné la commune en vue de la restitution de ces parcelles au motif que certains membres de l’indivision successorale étaient connus du maire de la commune, si bien qu’ils devaient être considérés comme s’étant présentés au sens de l’article L. 1123-1 du CGPPP, et ce en dépit du fait qu’aucun successeur n’avait préalablement exercé l’option successorale.

La Cour d’appel avait rejeté cet argument au motif que la connaissance de l’existence d’un héritier ne saurait présumer que ces derniers entendaient accepter la succession en cause, et ne pouvait donc être considérés comme s’étant présenté à la succession.

Dans le cadre du pourvoi, la Cour de cassation valide ce raisonnement :

« 6. Selon l’article 713 du Code civil, les biens qui n’ont pas de maître appartiennent à la commune sur le territoire de laquelle ils sont situés.

7. Selon l’article L. 1123-1, 1°), du Code général de la propriété des personnes publiques, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022, sont considérés comme n’ayant pas de maître les biens autres que ceux relevant de l’article L. 1122-1 qui font partie d’une succession ouverte depuis plus de trente ans et pour laquelle aucun successible ne s’est présenté.

8. Doit être regardé, au sens du deuxième de ces textes, comme s’étant présenté à la succession le successible qui se manifeste dans le délai de trente ans suivant le décès du propriétaire pour réclamer la transmission successorale des immeubles concernés, et, ainsi, faire obstacle à leur appropriation publique ».

Aussi, pour la Cour de cassation, afin de faire échec à l’appropriation publique d’un bien sous le régime des biens sans maître, il est nécessaire que l’héritier ait manifesté son intention d’accepter la succession, seule condition lui permettant de justifier de sa « présentation » au sens de l’article L. 1123-1 du CGPPP.

Cette jurisprudence est à mettre en relation avec les dispositions de l’article 782 du Code civil qui organise l’acceptation expresse ou tacite d’une succession :

« L’acceptation pure et simple peut être expresse ou tacite. Elle est expresse quand le successible prend le titre ou la qualité d’héritier acceptant dans un acte authentique ou sous seing privé. Elle est tacite quand le successible saisi fait un acte qui suppose nécessairement son intention d’accepter et qu’il n’aurait droit de faire qu’en qualité d’héritier acceptant ».

En l’espèce, aucun élément n’avait été apporté par les requérants afin de prouver l’acceptation tacite de la succession (le paiement en 2018 par certains héritiers de sommes dues au titre de taxes foncières dues par la défunte ayant été considéré comme des actes conservatoires au sens de l’article 784 du Code civil).

La présentation d’un héritier au sens de l’article L. 1123-1 du CGPPP concernant les biens sans maître suppose donc nécessairement l’acceptation de la succession, faute de quoi la commune pourra s’approprier le bien « sans maître ».

La Cour de cassation rappelle les règles relatives à la légalité des preuves obtenues en violation du Règlement général de la protection des données

L’affaire portée devant la chambre sociale de la Cour de cassation concerne un licenciement pour faute grave prononcé à l’encontre d’un salarié en décembre 2019.

Il lui était reproché d’avoir envoyé des milliers de fichiers internes à l’entreprise sur sa boîte mail personnelle.

L’employeur a identifié la fuite de données à l’aide d’un outil de journalisation[1] ayant permis d’attribuer l’adresse IP à partir de laquelle les informations avaient été transmises, puis de remonter jusqu’au salarié qui a, par la suite, fait l’objet de la mesure de licenciement pour faute grave.

La Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel d’Agen en estimant que l’exploitation du fichier de journalisation ayant permis d’identifier indirectement[2] le salarié constituait un traitement de données personnelles au sens du Règlement général sur la protection des données (RGPD), et que, le salarié mis en cause n’avait pas donné son consentement à un tel traitement, rendant ainsi la preuve illégale.

La question centrale posée par cet arrêt n’est donc pas tant le motif du licenciement, mais plutôt la licéité du moyen de preuve utilisé par l’employeur pour licencier le salarié.

Ainsi, l’arrêt rappelle que l’employeur ne peut s’exonérer du respect du RGPD lorsqu’il réunit les preuves nécessaires pour justifier la mesure de licenciement qu’il prononce.

En effet, les articles 5 et 6 du RGPD déterminent le cadre dans lequel l’employeur doit s’inscrire pour entreprendre un traitement des données personnelles de ses salariés.

Si l’article 5 rappelle que les données personnelles doivent être traitées de manière licite, loyale et transparente, et que cette collecte doit être entreprise dans une finalité déterminée, légitime et explicite, l’article 6 précise, quant à lui, que la licéité de ce traitement est conditionnée au consentement de la personne concernée pour le traitement de ses données réalisé dans une finalité explicite.

Par ailleurs, la Cour de cassation qualifie depuis déjà de nombreuses années les adresse IP comme des données à caractère personnel[3] au sens de la loi Informatique et Libertés[4].

En l’espèce, l’exploitation du système de journalisation pour identifier l’adresse IP du salarié à l’origine du transfert massif de données à l’extérieur de la société constituait un traitement de données à caractère personnel au sens de l’article 4 du RGPD et dont l’objectif était le contrôle individuel de son activité, nécessitant donc le consentement préalable du salarié à son traitement.

La Cour de cassation a donc conclu à l’illicéité de la preuve recueillie par la société, renvoyant ainsi les parties devant la Cour d’appel de Pau afin qu’elle statue à nouveau sur la mesure de licenciement prononcée.

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[1] La CNIL qualifie les systèmes de journalisation comme « des systèmes indispensables pour la sécurité des données personnelles qui peuvent notamment permettre de détecter des incidents ou des accès non-autorisés » CNIL. 18 novembre 2021. « La CNIL publie une recommandation relative aux mesures de journalisation ».

[2] Par le biais de l’adresse IP de son ordinateur

[3] Cass. civ., 1ère, 3 novembre 2016, n° 15-22.595

[4] Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés

Précisions sur la durée d’une DSP multiservices et sur les pouvoirs du juge saisi d’une demande de médiation

Par une décision en date du 17 mars 2025, le Conseil d’Etat a apporté des précisions, d’une part, sur la durée des délégations de service public ayant pour objet l’exploitation de plusieurs services (dites « DSP multiservices ») et, d’autre part, sur les pouvoirs du juge administratif saisi d’une demande de médiation.

Dans cette instance, la commune de Béthune a conclu, pour une durée unique de 30 ans avec la société Q-Park France, quatre contrats distincts portant sur la construction, la rénovation et l’exploitation d’un parc de stationnement : un contrat de délégation du service public du stationnement sur voirie, un contrat de concession pour la construction et l’exploitation d’un parc public de stationnement souterrain de la ville, un contrat d’affermage pour la rénovation et l’exploitation d’un autre parc souterrain et un quatrième contrat dit commun, comportant des stipulations applicables à l’ensemble de ces contrats.

Estimant que son consentement avait été vicié lors de la conclusion de ces contrats en raison d’irrégularités et d’imprécisions relevées par la chambre régionale des comptes et par le cabinet d’audit qu’elle avait mandaté, la commune a formé un recours de type « Béziers I » tendant à l’annulation de l’ensemble de ces contrats.

Le Tribunal administratif de Lille, puis la Cour administrative d’appel de Douai ayant successivement rejeté ses conclusions, la commune a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat pour obtenir l’annulation de l’ensemble contractuel.

 

En premier lieu, le Conseil d’Etat précise les pouvoirs du juge administratif, saisi d’une demande de médiation, en application des dispositions de l’article L. 213-7 du Code de justice administrative.

Le Conseil d’Etat affirme que, si en vertu de ces dispositions, le juge administratif dispose de la faculté d’ordonner, avec l’accord des parties, une médiation, afin de parvenir à un accord sur le règlement du litige, elles ne l’obligent nullement à engager une telle procédure même si les parties le lui demandent.

Par ailleurs, le Conseil d’Etat indique que le juge administratif n’est pas tenu de répondre explicitement à une demande en ce sens, de sorte qu’en ne donnant pas suite à une telle demande, il la rejette nécessairement de manière implicite.

 

En second lieu, le Conseil d’Etat apporte des précisions sur le contenu et la durée des délégations de service public dites multiservices.

D’abord, en faisant application d’une jurisprudence établie (CE, 21 septembre 2016, Communauté urbaine du Grand Dijon, n° 399656), le Conseil d’Etat rappelle que l’autorité délégante peut regrouper au sein d’un unique ensemble contractuel des services différents et de les confier à un seul opérateur économique ; sous réserve, d’une part, que le périmètre de la délégation ne soit pas manifestement excessif et, d’autre part, qu’elle ne réunisse pas des services qui n’ont manifestement aucun lien entre eux.

Toutefois, le Conseil d’Etat précise qu’une telle faculté ne saurait permettre à l’autorité concédante de déroger aux règles qui s’imposent à elle pour la dévolution et l’exploitation de ces services (CE, 8 février 2010, Commune de Chartres, n° 323158). En effet, conformément aux dispositions de l’article L. 1411-2 du Code général des collectivités territoriales applicables au litige et figurant désormais aux articles R. 3114-1 et suivants du Code de la commande publique et aux règles dégagées par la jurisprudence, la durée de ce contrat ou de cet ensemble contractuel ne peut excéder la durée normalement attendue pour que le délégataire puisse couvrir ses charges d’exploitation et d’investissement, compte tenu des contraintes d’exploitation liées à la nature des services, des exigences du délégant et de la prévision des tarifs payés par les usagers.

Ainsi, le Conseil d’Etat en déduit que dans l’hypothèse où une délégation de service public portant sur différents services est prévue pour une durée unique qui n’apparaît pas justifiée pour chacun d’entre eux, une telle durée unique ne peut être valablement prévue, sous réserve de la réunion de deux conditions cumulatives :

  • L’exploitation conjointe des services considérés doit être de nature à assurer une meilleure gestion de ceux-ci ;
  • La durée unique doit correspondre à la durée normalement attendue pour que le concessionnaire puisse couvrir les charges d’exploitation et d’investissement de l’ensemble des services ainsi délégués, compte tenu des contraintes d’exploitation, des exigences du délégant et de la prévision des tarifs payés par les usagers.

En appliquant ces principes aux faits de l’espèce, le Conseil d’Etat relève tout d’abord que les quatre contrats conçus formaient un « ensemble contractuel indissociable » dès lors qu’ils « ont fait l’objet d’une même procédure de passation, ont été conclus à la même date pour une même durée et poursuivent le même objectif de répondre à un besoin de la commune en matière de stationnement, visant à atteindre un équilibre économique tenant compte de façon globale des investissements, des recettes et des charges prévisionnelles de toutes les activités liées au stationnement, sur la voirie et dans les parcs souterrains ».

S’agissant ensuite de l’appréciation du caractère excessif ou non de leur durée unique de 30 ans, le Conseil d’Etat relève « que l’exploitation conjointe des trois services répondait à des objectifs de bonne gestion » et juge que la Cour administrative d’appel de Douai n’a pas commis d’erreur en estimant « que cette durée unique pouvait être regardée comme n’excédant pas la durée normale d’amortissement de l’ensemble des investissements mis à la charge du délégataire dans le cadre de l’ensemble contractuel portant sur le stationnement sur la voirie et dans les parcs ».

Par conséquent, le Conseil d’Etat rejette le pourvoi de la commune de Béthune.

Confirmation de la régularité de la procédure de passation de la concession d’exploitation du stade de France et utiles rappels procéduraux

Dans un arrêt du 17 avril 2025, le Conseil d’Etat était saisi d’un pourvoi en cassation formé par un concurrent évincé de la procédure d’attribution de la concession d’exploitation du Stade de France dirigé contre l’ordonnance du 6 février 2025 du Juge des référés précontractuels du Tribunal administratif de Montreuil par laquelle le Tribunal avait rejeté son recours en référé précontractuel.

Dans sa décision, qui rejette le pourvoi et confirme l’ordonnance rendue par le Tribunal et la régularité de la procédure conduite, le Conseil d’Etat apporte d’intéressants précisions et rappels sur la procédure de passation des contrats de concession.

La société requérante a invoqué dix moyens à l’appui de sa requête pour contester la régularité de la procédure de passation en cause. Seront évoqués ci-après les aspects les plus intéressants de la décision

En premier lieu, le premier groupe de moyens invoqué par la société requérante portait sur l’analyse des candidatures par l’autorité concédante.

La société évincée soutenait tout d’abord que l’autorité concédante avait à tort pris en compte les références techniques d’une société, non membre du groupement candidat, mais faisant partie de ce que le règlement de la consultation qualifiait d’ « équipe technique ».

A cet égard, le Conseil d’Etat affirme, après avoir relevé qu’étaient produite dans l’offre une attestation du directeur général de ladite société indiquant qu’il disposerait de l’ensemble des capacités, compétences et moyens de cette société pour l’exécution du contrat de concession, que « eu égard à la portée très large tant de l’engagement ainsi pris par cette société que de la mission qu’entend lui confier le groupement », ses références pouvaient être prises en compte pour apprécier la capacité technique et professionnelle du groupement attributaire.

Ensuite, la société requérante soutenait que l’Etat avait porté une appréciation erronée sur les capacités économiques et financières du groupement attributaire, en prenant en compte le chiffre d’affaires des filiales de la société mandataire dudit groupement.

Après avoir rappelé que le contrôle du juge du référé précontractuel sur l’appréciation par la personne publique des garanties et capacités des candidats à un contrat de la commande publique est restreint à l’erreur manifeste d’appréciation (CE, 17 septembre 2014, Société Delta Process, n° 378722), le Conseil d’Etat estime que le juge de première instance a valablement pu interpréter les documents de la consultation comme permettant à l’autorité concédante, compte tenu des spécificités de ce secteur d’activité, de prendre en compte le chiffre d’affaires généré par les filiales des candidats pour apprécier leur capacité économique et financière .

Pourtant, dans une décision en date du 15 mars 2019, le Conseil d’Etat avait jugé qu’en l’absence de tout engagement formalisé, une société fille ne pouvait se prévaloir des capacités et garanties financières de sa société mère (CE, 15 mars 2019, Société anonyme gardéenne d’économie mixte, n° 413584). Cette solution s’explique par la circonstance qu’une société mère contrôle sa société fille, de sorte qu’elle peut facilement se prévaloir des capacités de cette dernière, sans avoir à justifier d’un engagement formalisé.

En deuxième lieu, le Conseil d’Etat écarte un moyen tiré de l’insuffisance supposée de la définition des besoins de l’autorité concédante reposant sur la circonstance selon laquelle l’autorité concédante avait laissé aux candidats le soin de de conclure un accord avec des fédérations sportives quant au nombre et au type de matches susceptibles d’être accueillis. Rappelant sa jurisprudence en vertu de laquelle la définition du programme d’investissement peut être laissé à la charge des candidats « sous réserve qu’elle leur ait donné des éléments d’information suffisants sur la nécessité de prévoir des investissements, sur leur nature et leur consistance et sur le rôle qu’ils auront parmi les critères de sélection des offres » (CE, 6 novembre 2020, Société du Grand Casino de Dinan, 437946), le Conseil d’Etat considère qu’en l’espèce le tribunal n’a pas commis d’erreur en jugeant que l’autorité concédante avait ainsi apporté aux candidats une information suffisante sur la nature et l’étendue des besoins à satisfaire.

En troisième lieu, le Conseil d’Etat confirme la possibilité de prévoir un critère de jugement des offres fondé sur les flux financiers sollicités par le futur concessionnaire auprès de l’autorité concédante, d’une part, et versés par le concessionnaire à l’autorité concédante, en soulignant qu’« alors même qu’il prenait en compte une donnée prévisionnelle relative au niveau des redevances variables, (…) l’autorité concédante disposait de données financières précises, assorties d’engagements contractuels des soumissionnaires quant aux modalités de calcul de la redevance ». La validité du critère est donc confirmée sous réserve de ces éléments.

En quatrième lieu, la société requérante soutenait que l’offre finale du groupement attributaire était irrégulière, de sorte qu’elle ne pouvait pas être retenue. Ce faisant, la société se fondait sur une décision récente Espace Evasion en date du 30 décembre 2024 (n° 491266), par laquelle le Conseil d’Etat jugeait si une autorité concédante peut admettre, au stade de la négociation, un candidat ayant remis une offre initiale irrégulière ; elle est tenue de rejeter les offres qui sont demeurées irrégulières à l’issue de cette phase, de sorte qu’aucune régularisation n’est possible.

Toutefois, le Conseil d’Etat précise qu’au cas d’espèce, dès lors que des négociations exclusives avaient été engagées, postérieurement à la remise des offres finales, avec le groupement finalement déclaré attributaire, l’offre qualifiée de « finale » n’était pas une offre définitive, mais une offre intermédiaire encore susceptible de faire l’objet d’une négociation, et donc d’être régularisée. Par conséquent, le Conseil d’Etat en déduit que le juge des référés n’a pas commis d’erreur de droit.

Le délit de risque causé à autrui sous l’angle de la divulgation d’informations : une récente application jurisprudentielle

Introduit dans l’arsenal législatif en 2021 et modifié en 2024, le délit de risque causé à autrui par divulgation d’informations personnelles prévue à l’article 223-1-1 du Code pénal sanctionne le fait de « révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser aux fins de l’exposer ou d’exposer les membres de sa famille à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens que l’auteur ne pouvait ignorer ».

Par un arrêt du 11 février 2025, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a cassé un arrêt de Cour d’appel qui avait déclaré irrecevables les constitutions de parties civiles de deux policiers présents sur une scène filmée au cours de laquelle un de leur collègue était outragé.

En l’espèce, un fonctionnaire de police avait été pris à partie par un individu, en présence de deux collègues. La scène était filmée par une personne accompagnant l’auteur des faits. Ces deux individus étaient poursuivis, l’un pour outrage à l’encontre d’une personne dépositaire de l’autorité publique, l’autre pour divulgation d’informations personnelles permettant d’identifier ou de localiser une personne dépositaire de l’autorité publique, en l’exposant à un risque direct d’atteinte à sa personne ou à ses biens.

Le tribunal correctionnel condamnait le premier mais relaxait le second et déclarait recevable la seule constitution de partie civile du fonctionnaire directement pris à partie.

Par arrêt du 28 février 2024, la Cour d’appel de Versailles déclarait irrecevables les constitutions de partie civile des fonctionnaires accompagnants, estimant que la prévention fondée sur l’article 223-1-1 du Code pénal ne les visait pas comme victimes, et que les policiers n’étaient ni exposés à un risque direct d’atteinte, ni visés personnellement par les propos outrageants.

Au soutien de leur pourvoi, les policiers arguaient avoir été exposés au même risque d’atteinte que leur collègue pris à partie, dès lors qu’ils apparaissaient dans la vidéo contenant des propos outrageants contre l’ensemble des forces de l’ordre.

La Cour de cassation suivait leur raisonnement en cassant l’arrêt de la Cour d’appel, considérant que les propos diffusés, visant les forces de police dans leur ensemble, exposaient les fonctionnaires apparaissant dans la vidéo à un risque direct d’atteinte à leur personne ou à leurs biens.

Dans un contexte de diffusion publique de propos hostiles visant les forces de l’ordre, la Cour de cassation considère ainsi les policiers identifiables comme victimes d’un risque direct d’atteinte, même s’ils ne sont pas les cibles directes de la divulgation.

Vers l’autonomie du préjudice juvénile en matière de préjudice corporel ?

Publiée le 28 octobre 2005, la nomenclature Dintilhac énumère vingt postes de préjudices pouvant découler d’un dommage corporel et mériter ainsi indemnisation.

Cette liste n’étant pas limitative, la doctrine plaide depuis plusieurs années pour la prise en compte autonome d’un préjudice juvénile destiné à réparer les privations d’un enfant victime qui ne peut plus participer aux jeux et aux joies de vivre propres à son âge.

Une application du préjudice juvénile a été obtenue récemment auprès du Tribunal Judiciaire de Béthune le 19 mars 2025 sous le n° 25/00116, puisqu’un expert devra, aux termes de la mission qui lui a été confiée, établir ce poste de préjudice.

Faut-il pour autant conclure à l’apparition d’un préjudice juvénile autonome ?

1. Sur la définition du préjudice juvénile

La notion de préjudice juvénile n’est pas définie en droit mais elle recouvre une réalité prégnante lorsque l’on rencontre de jeune victime de préjudice corporel.

En effet, l’enfant n’est pas une victime comme les autres puisque la période de l’enfance a une valeur intrinsèque et singulière dans la construction d’une vie d’adulte. Une enfance non vécue est définitivement perdue et les fondations qui devaient être posées pour l’avenir absentes.

C’est pourquoi, la doctrine plaide avec constance pour la prise en considération de ce préjudice propre à l’enfant qu’il soit victime directe ou indirecte.

La communauté scientifique et médicale abonde également en ce sens. Ainsi du docteur Bruno Scottez, expert psychiatre à la Cour d’appel de Douai, qui explique qu’il lui parait « important d’introduire un dommage juvénile dans une nomenclature adaptée à l’enfant, pour l’évaluation :

  • des symptômes psychiques de l’enfant ;
  • de son niveau de fonctionnement, de ses compétences dans le domaine social, émotionnel, cognitif, psychomoteur, langagier ;
  • de sa situation somatique et de ses incidences ;
  • de la qualité de la relation avec ses donneurs de soins/parents.»[1]

A cet égard, le préjudice juvénile a déjà fait plusieurs apparitions dans la jurisprudence.

Dès 1959, la Cour d’appel de Paris a considéré que « l’enfant subit un préjudice particulier qui peut être qualifié de préjudice juvénile ; qu’il existe en effet un dommage propre à l’enfance ou à la jeunesse, un damnum juventitus, la réparation dans ce cas étant différente de celle due à l’adulte ou tout au moins à l’individu pourvu d’une profession, en particulier en ce qui concerne l’indemnité temporaire totale ou temporaire partielle qui n’est pas indemnisable au profit de l’enfant, lequel n’a pas d’activité rémunératrice ou l’est différemment de l’adulte (préjudice scolaire), qu’il est bien certain que le fondement de la réparation d’un préjudice né et actuel mais d’incidences multiples a un caractère moins strictement pécuniaire et plus général, plus abstrait quand la victime est un enfant que quand il s’agit d’un adulte » (CA Paris, 19 mars 1959).

Plus récemment, en 2015, la Cour d’appel de Dijon a exposé que la victime, âgée de 20 ans au jour de l’accident, du fait des blessures engendrées par ce dernier, été « privé de tous les agréments de sa jeunesse, ce qui constituait un préjudice d’une gravité exceptionnelle non réparé au titre du déficit fonctionnel permanent ou des souffrances endurées » (CA Dijon, 26 novembre 2015, n° 14/00393).

2. Sur la reconnaissance d’un préjudice autonome ?

De façon plus novatrice, le 19 mars 2025, le Juge des référés du Tribunal judiciaire de Béthune a donné commission au médecin chargé de l’expertise de l’enfant victime d’évaluer le préjudice juvénile en les termes suivants : « Dire si la victime, du fait du dommage corporel subi, a été privée des agréments de sa jeunesse non réparés au titre du déficit fonctionnel permanent ».

Faut-il y voir la reconnaissance de l’autonomie du préjudice juvénile ?

En l’état de la jurisprudence actuelle, il est permis d’en douter. Ainsi, dans un arrêt du 18 mai 2017, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation est venue affirmer que « le préjudice lié aux privations des agréments de la jeunesse étant inclus, avant consolidation, tant dans le poste de préjudice temporaire des souffrances endurées que dans le poste de préjudice du déficit fonctionnel temporaire […] et, après consolidation, dans le poste du déficit fonctionnel permanent » (Cass. Civ. 2ème, 18 mai 2017, n° 16-11.190).

Néanmoins, cela ne signifie pas que le préjudice juvénile n’existe pas ou ne puisse pas être reconnu et apprécié par les juges. La Cour de cassation lui refuse son autonomie mais il vient ici majorer le déficit fonctionnel temporaire puis permanant.

A ce titre, plusieurs arrêts ont déjà explicitement pris en compte et indemnisé le préjudice juvénile même s’ils l’ont formellement rattaché à d’autres postes de la nomenclature Dintilhac.

Ainsi d’un arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 10 juin 2008 : « la somme de 20.000 € constitue une juste indemnisation des souffrances que cette jeune fille a subi à la suite des multiples interventions et soins pendant plusieurs années étant précisé que ce poste tient compte du retentissement moral de ces souffrances sur sa jeune existence et des perturbations dont elle fait état dans le poste qu’elle qualifie de préjudice juvénile » (CA Aix-en-Provence, 10 juin 2008, n° 07/01263).

Ainsi encore d’un arrêt de la Cour d’appel de Douai du 6 décembre 2018 : « Attendu, sur le « préjudice juvénile » invoqué par Mme S., dommage que la partie demanderesse assimile à un « préjudice moral accru subi par l’enfant atteint d’un handicap », qu’il faut constater que cette notion recouvre à la fois les souffrances endurées par la victime avant la consolidation de son état ainsi que son déficit fonctionnel temporaire, aspect du préjudice qui a déjà été pris en compte du chef de ces deux postes de préjudice corporel » (CA Douai, 6 décembre 2018, n° 18/487).

Pour l’heure, il y a donc lieu de croire que le préjudice juvénile n’a pas vocation à devenir un préjudice autonome, à moins d’un changement de jurisprudence, mais à être pris en compte à part entière et de façon complète par les juges dans leur appréciation des préjudices extrapatrimoniaux de l’enfant victime d’un dommage corporel.

C’était d’ailleurs la position qu’avait adopté la Professeure émérite Yvonne Lambert-Faivre dans un article publié dans Les Cahiers de droit en 1998. Elle expliquait, en effet, être opposée à l’autonomie du préjudice juvénile. Mais elle affirmait que « si l’indemnisation du déficit fonctionnel séquellaire de la victime était correctement modulée en fonction de l’âge, et si le préjudice d’agrément traduisait « toute la perte de qualité de la vie », la victime ayant subi un préjudice dit juvénile serait correctement indemnisée dans ce cadre. »[2]

En tout état de cause, autonome ou non, le préjudice juvénile mérite sans aucun doute réparation à sa juste valeur au moins au titre des souffrances endurées et du déficit fonctionnel temporaire ou permanent.

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[1] https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S000344872300029X

[2] https://www.erudit.org/fr/revues/cd1/1998-v39-n2-3-cd3815/043503ar.pdf

L’engagement de la responsabilité de l’Expert judiciaire, tentative de la dernière chance pour le maître d’ouvrage débouté de son action en garantie décennale ?

Si la jurisprudence civiliste reconnait l’existence d’une action ouverte à l’encontre de l’Expert judiciaire fondée sur les règles de droit commun de la responsabilité civile, elle ne donne encore que peu d’exemples des conditions dans lesquelles la responsabilité de l’Expert judiciaire est recherchée mais encore admise.

Cet arrêt vient donner une illustration intéressante de la qualification de la faute de l’expert à raison des insuffisances de ses opérations et de la perte de chance consécutive du maître d’ouvrage de rechercher utilement la responsabilité des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale. La Cour de cassation vient par ailleurs confirmer les modalités de computation du délai de prescription de cette action.

Les faits étaient les suivants : Une maison avait été édifiée en 1990, avant d’être vendue en 1997. L’acquéreur, constatant l’apparition de désordres se matérialisant par des fissurations de la dalle principale des défauts d’étanchéité, sollicite une expertise en référé en 2000. L’expert désigné dépose son rapport en 2003, sur la base duquel le propriétaire assigne les constructeurs notamment sur le fondement de la garantie décennale, demande qui sera successivement rejetée en première instance, en appel et en cassation en 2013.

Pour ce faire, les juges du fond ont notamment considéré que les conclusions de l’expert, formulées de façon non étayée et hypothétique, ne permettaient pas de caractériser l’existence d’une atteinte à la solidité de l’ouvrage, dans le délai décennal.

Précisons que la demanderesse, qui s’était opposée pendant les opérations d’expertise à la réalisation de sondages destructifs, avait cependant fait établir, vraisemblablement pour les besoins de la démonstration du caractère décennal des désordres en cours d’instance, des procès-verbaux de constats par commissaires de justice postérieurs au rapport, lesquels mettaient en évidence que les désordres affectant le bien présentaient un caractère évolutif et affectaient la stabilité de l’ouvrage, mais avait encore demandé un complément d’expertise judiciaire avant dire-droit.

La Cour de cassation saisie du pourvoi confirme le raisonnement des juges du fond qui avait estimé que la preuve des éléments nécessaires à l’engagement de la responsabilité des constructeurs n’était pas rapportée par la demanderesse, la Cour d’appel ayant pris soin de souligner notamment les biais du rapport d’expertise « Attendu qu’ayant relevé que l’expert, qui avait affirmé que les désordres avaient pour cause commune possible un mouvement de la dalle de fondations et une non-conformité de cette même dalle, n’avait procédé à aucun sondage, la Cour d’appel qui, appréciant souverainement les éléments de preuve qui lui étaient soumis, a pu retenir que la construction d’une dalle radier par la société Arbotech apparaissait conforme aux prescriptions du cabinet CFEG, […] en a justement déduit que les demandes de Mme X… ne pouvaient être accueillies ; »[1].

En désespoir de cause, le propriétaire décide d’assigner en 2017, l’Expert judiciaire au titre de la perte de chance d’obtenir la condamnation des constructeurs à l’indemniser des désordres. Si en première instance les juges écartent ces demandes, considérant que l’action à l’encontre de l’expert est prescrite, la Cour d’appel considère quant à elle que non seulement l’action n’est pas prescrite, mais également que la demanderesse justifiait de l’existence d’une probabilité qu’il soit fait droit à ses demandes dirigées contre les constructeurs, éventualité disparue du fait des imprécisions et conclusions hypothétiques des opérations d’expertise.

La Cour de cassation confirme ici le raisonnement de la Cour d’appel qui s’était attachée à relever que l’action en garantie décennale avait été rejetée pour partie en considération des insuffisances du rapport de l’expert : « Dès lors que la Cour d’appel a constaté que la juridiction saisie de l’action en garantie décennale avait rejeté la demande de Mme [L] en l’absence de preuve d’un dommage portant atteinte à la solidité de l’ouvrage ou le rendant impropre à sa destination dans le délai de dix ans et retenu que cette situation résultait pour partie du caractère hypothétique et imprécis des conclusions de l’expert, non étayées par des investigations sur la cause des désordres, elle a pu en déduire, sans être tenue d’ordonner une nouvelle expertise, que celui-ci avait commis une faute ayant fait perdre à Mme [L] une chance d’obtenir gain de cause en justice, souverainement évaluée à 40 % »

La solution apparaît certes sévère dès lors d’une part que les faits laissent apparaître que l’acquéreur avait refusé la réalisation de sondages destructifs, élément cependant pris en considération dans le calcul de la perte de chance d’obtenir gain de cause imputable à l’Expert et, d’autre part, qu’il n’a pas été fait droit au complément d’expertise sollicité par la demanderesse dans le cadre des instances tendant à la condamnation des constructeurs.

Elle est cependant bienvenue pour sensibiliser les experts judiciaires sur les attendus des chefs de mission relativement classiques qui leur sont confiés en la matière par les juridictions et la nécessité d’y répondre de manière claire et précise dans leurs rapports, de manière indépendante et impartiale.

Et ce d’autant que la responsabilité de ces derniers est susceptible d’être engagée bien après le dépôt de leur rapport.

Ainsi, la Cour de cassation, et c’est là le second intérêt de la décision, vient ici préciser le point de départ de la prescription quinquennale, qui conformément à l’article 2224 du Code civil, doit être fixé au jour « où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

Faisant application de la solution retenue par la chambre mixte le 19 juillet 2024 s’agissant de la computation du délai de prescription de l’action en responsabilité civile dirigée contre un notaire[2], la première chambre civile juge ainsi que : « En application de l’article 2224 du Code civil, lorsque l’action principale en responsabilité tend à l’indemnisation du préjudice subi par le demandeur, né de la reconnaissance d’un droit contesté au profit d’un tiers, seule la décision juridictionnelle devenue irrévocable établissant ce droit met l’intéressé en mesure d’exercer l’action en réparation du préjudice qui en résulte. Il s’en déduit que cette décision constitue le point de départ de la prescription ».

Ainsi, le point de départ du délai de prescription de l’action dirigée contre l’Expert judiciaire à raison de sa faute ayant entraîné une perte de chance pour la victime d’être indemnisée de son préjudice par les constructeurs doit être fixée à la date à laquelle une décision irrévocable est intervenue, en l’espèce, la décision rejetant le pourvoi.

Nul doute que cet arrêt incitera les experts judiciaires à faire preuve du plus grand professionnalisme dans la réalisation des investigations nécessaires à l’accomplissement de leur mission, mais encore dans la rédaction de leur rapport.

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[1] Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 3 avril 2013, 11-13.917

[2] Ch. mixte., 19 juillet 2024, pourvoi n° 20-23.527

Nouvelle décision en matière d’exploitation non autorisée de photographies provenant d’une banque d’images

Une société gestionnaire d’une banque de photographies culinaires a assigné en contrefaçon de droits d’auteur un artisan-pêcheur au motif que ce dernier aurait publié sur son site internet, sans l’autorisation de la société, deux photographies culinaires issues de sa banque d’images. Ce dernier affirme d’ailleurs ne pas avoir extrait les photographies litigieuses de la banque d’images de la société demanderesse mais de Google.

A titre subsidiaire, la société a invoqué un acte de parasitisme, estimant que l’artisan-pêcheur avait tiré profit du fruit des investissements et du travail d’autrui, et réalisé ainsi des économies injustifiées.

Sur la contrefaçon de droits d’auteur – Le Tribunal judiciaire de Rennes, dans un jugement rendu le 31 mars 2025, rappelle tout d’abord qu’il appartient à la requérante d’apporter la preuve de l’originalité des photographies litigieuses.

Malgré ses efforts à tenter de démontrer leur originalité, avançant notamment le choix d’un décor simple, d’une lumière naturelle et d’un cadrage permettant de restituer les couleurs des éléments photographiés, le tribunal retient qu’elle n’est pas établie.

Pour la première photographie litigieuse, le tribunal considère que :

« Le cadrage et l’angle choisis ne traduisent pas d’autre impératif que celui de présenter le plat et ses ingrédients dans leur ensemble. Le fond choisi, tant le plan de travail que le mur, est tout à fait neutre et banal. En réalité, les choix opérés par l’auteur de ce cliché ne répondent à aucun autre objectif que de présenter un plat régional classique, sans révéler de choix libres et créatifs »

Pour la seconde photographie litigieuse, il retient que :

« (…) ce cliché se caractérise par l’absence de toute mise en scène du poisson photographié. Le cadrage et la lumière choisis ne visent qu’à présenter ce poisson dans son ensemble, le plus naturellement et fidèlement possible, ce que confirme l’absence de fond de couleur. Aucun choix créatif susceptible de refléter la personnalité de son auteur ne transparaît »

Sur le parasitisme invoqué à titre subsidiaire – Pour mémoire, l’artisan-pêcheur avançait avoir extrait les photographies litigieuses directement depuis Google et non depuis la banque d’images de la société demanderesse. Malgré le fait que l’artisan-pêcheur ait reconnu avoir diffusé les photographies litigieuses sur son site internet pendant plusieurs mois avant de les supprimer, le tribunal retient l’absence de faute.

Pour ce faire, il retient que le fait de diffuser des photographies au caractère « banal », non estampillées, sans avoir vérifié si elles étaient libres de droit ou non, ne peut être considérer comme un acte fautif.

Le tribunal semble ainsi opérer la distinction suivante :

  • sous réserve qu’aucun élément ne démontre un caractère fautif, la faute n’est pas caractérisée s’il n’est pas établi que les photographies litigieuses ont été extraites directement de la banque d’images exploitée par la requérante ;
  • A contrario, la faute pourrait être caractérisée s’il est établi que les photographies ont été extraites directement de la photothèque exploitée par la requérante et non via Google directement par exemple.

Rapport sur le ZAN (Zéro artificialisation nette) : 30 propositions pour faciliter l’atteinte des objectifs fixés par la loi Climat et Résilience

  1. Le 9 avril 2025, les députées Sandrine Le Feur et Constance de Pélichy, ont rendu un rapport d’information sur la mission d’information sur l’articulation des politiques publiques ayant un impact sur la lutte contre l’artificialisation des sols créée le 20 novembre 2024.

Ce rapport intervient alors que le Sénat a adopté, le 18 mars 2025, une proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux (« PPL Trace »).

Elles s’inscrivent en opposition avec le Sénat puisqu’elles recommandent « de ne pas remettre en cause significativement l’ensemble de l’architecture concernant la trajectoire de lutte contre l’artificialisation des sols ».

A ce titre, elles estiment qu’il est notamment nécessaire de ne pas multiplier les exonérations nouvelles proposées par le Sénat telles que l’exclusion des implantations industrielles ou de la construction de logements sociaux du décompte de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF).

  1. Le rapport contient 30 propositions dont un certain nombre en matière fiscale afin d’orienter les dispositifs fiscaux existants actuellement tournés vers le financement des équipements collectifs vers les objectifs imposés par la mise en œuvre du ZAN.

Ainsi, les rapporteures proposent notamment :

  • de supprimer l’exonération temporaire de taxe foncière sur les propriétés bâties pour les constructions nouvelles ou en cas d’affectation de terrains à des usages commerciaux ou industriels ;
  • de renforcer la taxe d’aménagement notamment en supprimant les exonérations favorisant l’artificialisation (services publics, OIN, ZAC, PUP, 100 à 50 premiers m², entrepôts, hangars et stationnements couverts) et en doublant le taux maximal de droit commun (de 5 à 10 %) et en créant un taux spécifique pouvant atteindre 50 % pour les secteurs urbanisés sur des ENAF. Sur ce point, on relèvera toutefois que la suppression de l’exonération de la taxe d’aménagement reviendrait en pratique à abandonner le recours aux modes de financement des équipements publics tels que la ZAC ou la convention de projet urbain partenarial (PUP). Précisément, s’agissant de ce dernier outil, une participation au financement des équipements publics via une convention de PUP a pour contrepartie l’exonération de TA. Supprimer cette exonération revient donc à rendre impossible la signature d’une telle convention.
  • de créer une taxe sur les friches industrielles sur le modèle de la taxe sur les friches commerciales, qui constituent une réserve importante de foncier disponible ;
  • de renforcer la taxation des logements vacants.

Afin de limiter la consommation d’espaces agricoles, elles proposent d’adapter la taxe foncière sur les propriétés non bâties et de renforcer la taxation des plus-values des terrains nus devenus constructibles.

  1. Les députées proposent également de renforcer les outils juridiques instaurés par la loi n° 2023-630 du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux.

Elles proposent ainsi, d’une part, d’élargir le droit de préemption urbain visé à l’article L. 211-1-1 du Code de l’urbanisme aux ENAF afin de favoriser l’atteinte des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols, et d’autre part, de généraliser le sursis à statuer sur une demande d’autorisation d’urbanisme entraînant une consommation d’ENAF qui pourrait compromettre l’atteinte des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols.

Reste maintenant à savoir quelles mesures seront reprises dans la proposition de loi à venir.

Sursis à exécution du jugement résiliant un marché attribué au soumissionnaire d’une offre inappropriée

Par un arrêt en date du 14 mai 2025 la Cour administrative d’appel de Marseille suspend l’exécution d’un jugement ayant prononcé la résiliation immédiate d’un marché attribué à un soumissionnaire dont l’offre aurait dû être rejetée comme inappropriée.

Pour rappel, comme le prévoit l’article L. 2152-4 du Code de la commande publique[1], une offre inappropriée est une offre « sans rapport avec le marché » compte tenu du fait « qu’elle n’est manifestement pas en mesure, sans modification substantielle, de répondre au besoin et aux exigences de l’acheteur qui sont formulés dans les documents de la consultation ».

L’offre inappropriée fait partie des offres qualifiées de non conformes, devant être rejetées par l’acheteur sauf hypothèses de régularisation. A la différence de l’offre irrégulière (qui méconnait les documents de la consultation ou la législation applicable) et de l’offre inacceptable (dont le prix excède le budget établi par l’acheteur), l’offre inappropriée n’est jamais régularisable.

Une offre qualifiée d’inappropriée doit obligatoirement être rejetée et est insusceptible d’être retenue. Dans le cas contraire, l’attribution du marché est illégale car contraire aux règles de publicité et de mise en concurrence.

En l’espèce, par un avis d’appel public à la concurrence en date du 5 juillet 2021, un établissement public a lancé un appel d’offres ayant pour objet l’attribution d’un marché public relatif à l’acquisition et la livraison de navettes fluviales.

Après analyse, le pouvoir adjudicateur a décidé de retenir l’offre d’un groupement et, après avoir informé les autres candidats du rejet de leurs offres, a signé le marché avec son attributaire le 9 septembre 2022.

À la suite du rejet de son offre, un candidat a décidé de saisir le Tribunal administratif de Bordeaux, sur le fondement de la jurisprudence « Tarn-et-Garonne »[2] d’un recours en contestation de validité du marché, estimant que l’offre de l’attributaire aurait dû être qualifiée d’inappropriée et par conséquent être rejetée.

En substance, l’offre n’était pas conforme aux prescriptions techniques du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) imposant que le moteur électrique des navettes soit alimenté par des batteries électriques d’une autonomie minimale de douze (12) heures sans appoint d’énergie.

Accueillant les moyens du candidat évincé, le Tribunal administratif de Bordeaux a, par un jugement en date du 17 décembre 2024[3], qualifié l’offre d’inappropriée et prononcé la résiliation immédiate du marché.

À la suite de cette décision, l’établissement public a, par une première requête au fond, fait appel du jugement devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux et, par une seconde requête, demandé le sursis à exécution du jugement.

Pour rappel, l’article R. 811-15 du Code de justice administrative permet à l’administration, lorsqu’elle fait appel d’un jugement prononçant l’annulation ou la résiliation d’un contrat, de demander la suspension de l’exécution du jugement par un sursis à exécution.

Pour ce faire, ces dispositions imposent que « les moyens invoqués par l’appelant paraissent, en l’état de l’instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l’annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d’annulation accueillies par ce jugement. ».

Selon la Cour :

  • D’une part, la résiliation immédiate du contrat prononcée par le tribunal porte une atteinte excessive à l’intérêt général et ce moyen présente un caractère sérieux, eu égard notamment « à ses incidences sur la stratégie de développement du service public de transport fluvial » et « à l’état d’avancement de la phase en cours de la tranche optionnelle de ce contrat, puisque le titulaire aurait été en mesure de livrer deux navettes dès le mois de février 2025 »;
  • D’autre part, « ce moyen est de nature à justifier la réformation du jugement attaqué en ce qu’il n’a pas différé la résiliation prononcée de manière à permettre la livraison de ces navettes »;

La décision commentée ne se prononce que sur la requête en sursis à exécution, le fond n’ayant pas encore été tranché. Accueillant les moyens soulevés par l’établissement public, la Cour suspend la partie du jugement prononçant la résiliation immédiate du marché, jusqu’au 30 septembre 2025, sauf à ce qu’il soit statué sur le fond d’ici là.

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[1] Et l’article L. 3124-4 du Code de la commande publique en matière de concessions

[2] CE. Ass, 4 avril 2014, Département du Tarn-et-Garonne, n° 358994

[3] TA de Bordeaux, 17 décembre 2024, n° 2205947

Le dispositif « seconde vie » : loyer plafond des conventions Aide personnalisée au logement (APL)

Décret n° 2025-206 du 28 février 2025 relatif aux conventions à l’aide personnalisée au logement des logements locatifs sociaux et aux modalités d’augmentation des loyers maximaux à l’issue de certains travaux de rénovation lourde

Arrêté du 28 février 2025 définissant les modalités de calcul des redevances ou des loyers maximaux fixés dans les conventions d’aide personnalisée au logement à l’issue de certains travaux de rénovation lourde des logements

Pour inciter les bailleurs à la réalisation de travaux de performance énergétique importants dans le parc social, l’article 71 II de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 avait modifié plusieurs dispositions du Code de la construction et de l’habitation (CCH), dont l’article L. 353-9-2, pour permettre d’augmenter le loyer maximal de la convention APL d’un logement réhabilité.

Pour mémoire, auparavant, les travaux de réhabilitation réalisés par un bailleur social dans un logement conventionné ne permettaient, sous certaines conditions, que d’augmenter le loyer pratiqué, mais non le loyer maximal de la convention APL, exprimé par m² de surface corrigée ou utile, lequel restait inchangé nonobstant les améliorations apportées.

Toutefois, l’article 71 II précité renvoyant à un décret le soin de préciser les modalités d’application de ces dispositions, celles-ci n’étaient pas encore entrées en vigueur.

C’est désormais le cas avec le décret n° 2025-206 du 28 février 2025 et un arrêté du même jour (NOR ATD2504087A).

Depuis lors, les travaux d’amélioration de la performance énergétique et environnementale réalisés par le bailleur pourront permettre de revoir à la hausse, par avenant à la convention APL, le montant du loyer maximal.

Du fait du renvoi à l’article 1384 C bis du Code général des impôt, les travaux concernés sont des travaux de réhabilitation lourde de logements achevés depuis plus de 40 ans, permettant de faire passer les logements de l’étiquette énergétique E, F ou G à l’étiquette A ou B.

Néanmoins, l’augmentation du loyer plafond n’est applicable qu’aux nouveaux locataires, à l’exclusion, donc des locataires en place.

Le taux maximum d’augmentation est « celui qui aboutit à un montant de loyer maximum identique à celui qui aurait été applicable pour un même logement neuf en tenant compte de la nature du ou des prêts prévus dans la décision d’agrément des travaux » de réhabilitation énergétique et thermique, par référence, pour l’année 2025, à l’avis relatif à la fixation des loyers et redevances maximaux des conventions conclues en application des articles L. 353-1 et L. 831-1 du CCH.

Dit autrement, le nouveau loyer maximal ne peut excéder le loyer maximal applicable aux logements neufs et faisant l’objet d’un conventionnement APL, relevant de la même catégorie de financement (PLUS, PLAI ou PLS).

Enfin, lorsque le loyer est exprimé en surface corrigée, le nouveau loyer maximum est exprimé en surface utile.

A noter que le bailleur social bénéficie aussi des mêmes avantages fiscaux que pour le logement neuf (taux réduit de TVA, exonération de TFPB).