Domaine public : la délivrance d’une Autorisation d’occupation temporaire (AOT) ne doit pas entrainer la méconnaissance de l’article L. 2122-1-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, au risque de l’annulation de la procédure

Par une décision récente en date du 24 janvier 2025, la Cour administrative d’appel de Marseille a précisé que le rejet injustifié d’un candidat à l’attribution d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine public (ci-après une « AOT ») est susceptible d’entrainer l’annulation de l’autorisation domaniale délivrée en méconnaissance de l’article L. 2122-1-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (ci-après le « CG3P »).

En l’espèce, la société Ecoloc Cassis avait sollicité en première instance l’annulation de la décision du 13 mai 2020 par laquelle la présidente du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône a rejeté sa candidature pour l’attribution d’une AOT maritime de 18 postes à flot dans le port de Cassis en vue de l’exercice d’une activité de location de bateau et son attribution à une autre société. Le Tribunal administratif de Marseille avait rejeté sa demande.

L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille est d’un double apport.

D’une part, la Cour annule le jugement du Tribunal administratif de Marseille qui avait considéré que la requérante aurait dû former un recours de pleine juridiction contre l’AOT. La Cour considère au contraire que l’AOT délivrée dans le cadre des dispositions de l’article L. 2122-1-1 du CG3P n’était pas un acte contractuel mais un acte unilatéral émanant de l’exécutif départemental.

D’autre part, la Cour sanctionne une restriction de l’accès au domaine public faisant l’objet d’une délibération distincte prévoyant que seuls les navires faisant l’objet d’une AOT à la date du 6 décembre 2019 pouvaient être inscrits sur une liste recognitive leur permettant d’exercer une activité commerciale dans le port de Cassis. La Cour administrative d’appel de Marseille considère que cette délibération institue une différence de traitement entre opérateurs économiques qui n’est pas justifiée par l’objectif qu’elle poursuit.

En d’autres termes, il appartient à la personne publique qui met en œuvre les dispositions de l’article L. 2122-1-1 du CG3P de s’assurer qu’aucun opérateur économique n’est privilégié, y compris par l’effet du renvoi à une règlementation autre que celle relative à l’occupation du domaine public.

L’allégation publique de faits matériellement erronés constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’administration

Dans un jugement rendu le 16 janvier dernier, le Tribunal administratif de Paris a jugé que l’allégation publique de faits matériellement erronés par le garde des Sceaux constitue une faute engageant la responsabilité de l’Etat.

Notons d’emblée que si cette solution concerne les propos tenus par un ministre, elle pourrait également trouver à s’appliquer au cas de l’élu local, dont les propos mensongers et rendus publics seraient susceptibles de constituer une faute de nature à engager la responsabilité de sa collectivité.

Pour en revenir au litige dont était saisi le Tribunal administratif de Paris, celui-ci trouve son origine dans l’enquête préliminaire (dite « procédure 306 ») ouverte par le parquet national financier (PNF) en 2014 – en marge d’une information judiciaire pour trafic d’influence et corruption à l’encontre de l’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy et de son avocat Thierry Herzog –, enquête qui avait pour objet d’identifier le tiers, au sein du milieu judiciaire, susceptible d’avoir informé ces derniers qu’ils étaient sur écoute téléphonique.

Éric Dupond-Moretti, alors avocat et dont les factures téléphoniques avaient été exploitées, avait déposé plainte contre X pour atteinte à la vie privée, du secret des correspondance et abus d’autorité[1].

Le 1er juillet 2020, Nicole Belloubet, à l’époque garde des Sceaux, avait confié une inspection de fonctionnement concernant la conduite de cette enquête à l’inspection générale de la justice (« IGJ »). C’est son successeur, Eric Dupond-Moretti, nommé garde des sceaux le 6 juillet 2020, qui en a été destinataire le 15 septembre suivant.

Le 18 septembre 2020, le nouveau garde des Sceaux a publié un communiqué de presse informant avoir demandé à l’IGJ de mener une enquête administrative sur le comportement professionnel de deux magistrats du PNF et de leur responsable hiérarchique lors de la procédure 306.

Il a par ailleurs affirmé publiquement, au cours de la séance de questions posées au Gouvernement devant l’Assemblé nationale, puis à l’antenne de plusieurs radios, que les deux magistrats n’avaient pas déféré aux convocations de l’IGJ et avaient refusé de répondre à ses questions lors de l’inspection de fonctionnement.

C’est dans ce contexte que ces deux magistrats ont saisi le Tribunal administratif de Paris d’une requête indemnitaire collective[2] afin d’obtenir réparation des préjudices qu’ils estimaient avoir subi du fait de leur mise en cause publique par le garde des Sceaux.

Dans son jugement du 16 janvier dernier, le Tribunal a retenu que cette mise en cause publique constituait une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat.

Il a plus précisément rappelé que, si les membres du Gouvernement ne sont pas, à la différence des fonctionnaires, formellement soumis à l’obligation de réserve, l’allégation publique de faits matériellement inexacts portant atteinte à la réputation professionnelle, à l’honneur ou à la considération d’une personne est susceptible de constituer une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat.

Or, en l’occurrence, il ressortait de la synthèse du rapport remis au garde des Sceaux que la quasi-totalité des magistrats et agents du PNF avaient été rencontrés par l’IGJ, seul le magistrat ayant exercé les fonctions de procureur de la République financier entre février 2014 et juin 2019 ayant décliné la proposition d’entretien. En outre, l’annexe au rapport dressant la liste des personnes entendues mentionnait expressément les noms des requérants.

Partant, le Tribunal a retenu qu’en déclarant que ces derniers avaient refusé de déférer aux convocations de l’IGJ et de répondre à ses questions alors que ces allégations étaient démenties par les termes mêmes du rapport qui lui avait été remis, le garde des Sceaux avait, eu égard au large traitement médiatique qu’il a entendu donner à ses propos erronés, commis une faute engageant la responsabilité de l’État.

Il a alors jugé que cette faute avait causé un préjudice moral d’atteinte à l’honneur, à la réputation professionnelle et à la considération des requérants, des troubles dans les conditions d’exercice de leur profession ainsi que, pour l’un d’entre eux, des troubles dans les conditions d’existence et a, par conséquent, condamné à l’Etat à leur verser respectivement 15.000 et 12.000 euros.

C’est donc au seul motif de la mise en cause publique des magistrats par le garde des Sceaux que l’État a été condamné.

A cet égard, notons que les requérants reprochaient une autre faute au garde des Sceaux, tirée de la méconnaissance du principe d’impartialité et, ce faisant, de l’illégalité de l’acte de saisine de l’IGJ aux fins d’enquêtes administratives à leur encontre.

Mais si le Tribunal administratif a admis que le garde des Sceaux s’était placé, par cette saisine, dans une situation objective de conflit d’intérêts compte tenu des reproches qu’il a antérieurement et publiquement adressés aux requérants lorsqu’il était avocat et de sa plainte contre X à cette époque toujours en cours d’examen par le parquet de Nanterre[3], fondée sur des faits inhérents à la procédure 306, les juges ont considéré que cet acte de saisine, pourtant « entaché d’illégalité » et donc « susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat », n’était pas à l’origine des préjudices invoqués dès lors que la même décision de saisine aurait pu légalement intervenir, celle-ci demeurant justifiée par les difficultés relevées par le rapport de l’inspection de fonctionnement.

Ce constat d’une situation de conflits d’intérêts par le tribunal constitue néanmoins un utile rappel de ce que l’obligation déontologique d’abstention prévue par la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, qui s’impose également aux élus locaux[4], est susceptible, lorsqu’elle n’est pas respectée, d’entacher d’illégalité les décisions auxquelles ils ont pris part.

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[1] Plainte qu’il a retirée plusieurs jours après sa nomination comme garde des Sceaux.

[2] Une requête indemnitaire émanant de plusieurs requérants étant recevable si les conclusions qu’elle comporte présentent entre elles un lien suffisant (CE, 10 décembre 2021, n° 440845), ce lien a en l’occurrence été retenu par le tribunal au motif que les deux requérants sollicitaient la réparation de préjudices résultant des mêmes faits dommageables.

[3] Le retrait de plainte n’arrêtant l’action publique que lorsque la poursuite est subordonnée au dépôt d’une plainte (articles 2, al. 2, et 6, al. 3 du Code de procédure pénale ; Cass. Crim. 22 mai 1986, Bull. crim. n° 168). 

[4] Articles 1er et 2, 2° de la loi.

Victimes d’infractions : comment obtenir une indemnisation grâce à la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) ?

Lorsqu’une personne est victime d’une infraction pénale, quelle qu’elle soit, et que l’auteur est identifié et jugé coupable, elle peut alors solliciter des dommages et intérêts auprès du juge pénal et obtenir ainsi la réparation de ses préjudices. Dans ce cas, l’auteur est légalement tenu de lui verser ces dommages et intérêts.

Mais il arrive fréquemment que l’auteur demeure inconnu ou qu’il soit insolvable, et la victime se trouve ainsi empêchée d’obtenir réparation. Elle peut alors se tourner vers la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions pénales (CIVI), sous conditions[1].

1. Sur les conditions de saisine de la CIVI

On commencera par souligner qu’aucune condition de nationalité ou de régularité n’est requise dès lors que les faits se sont produits sur le territoire national ; si les faits ont eu lieu à l’étranger, seules les victimes de nationalité française pourront cependant saisir la CIVI.

Ensuite, le champ des victimes pour lesquelles la saisine de la CIVI est possible, récemment élargi[2], comprend désormais :

  • les victimes de certaines infractions spécifiques considérées comme les plus graves, telles que viols, agressions sexuelles, traite des êtres humains, proxénétisme, travail forcé ou encore réduction en esclavage ( 706-3 CPP) ;
  • les victimes d’atteintes graves aux personnes, c’est-à-dire ayant entraîné une Incapacité Totale de Travail (ITT) d’au moins 30 jours, ou une incapacité permanente voire le décès de la personne ( 706-3 CPP) ;
  • les victimes de violences volontaires ou habituelles ayant entraîné une ITT de plus de 8 jours, commises sur mineur de moins de 15 ans ou personne vulnérable ou par (ex-)conjoint, (ex-)concubin ou (ex-)partenaire de PACS ( 706-3 CPP) ;
  • les victimes d’atteintes plus légères aux personnes, c’est-à-dire ayant entraîné une ITT mais qui reste inférieure à un mois ( 706-14 CPP) ;
  • les victimes de vol, escroquerie, abus de confiance, extorsion de fonds, destruction, dégradation ou détérioration d’un bien lui appartenant, chantage, abus de faiblesse ou encore atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données, commis en France et ayant entraîné une situation matérielle ou psychologique grave ( 706-14 CPP) ;
  • les victimes d’une destruction par incendie d’un véhicule terrestre à moteur lui appartenant ( 706-14-1 CPP) ;
  • les victimes d’une violation de domicile commise en France et ayant entraîné une situation matérielle grave ( 706-14-3).

Il est impératif que l’infraction soit caractérisée. Cela peut être prouvé par une décision pénale mais la CIVI peut décider, même en l’absence d’une telle décision, qu’elle a suffisamment d’éléments pour attester que l’infraction est constituée.

Pour les catégories de victimes relevant des articles 706-14 et 706-14-1 CPP, une condition supplémentaire tenant aux ressources est exigée : pour les premières, les ressources doivent être inférieures au plafond de l’aide juridictionnelle, soit 1.589 euros mensuels en 2024 ; pour les secondes, à 1,5 fois ce plafond, soit 2.383,50 euros.

Dans tous les cas, la personne lésée doit saisir la CIVI dans le délai de 3 ans à compter des faits ou, lorsqu’une décision définitive a été rendue par un juge pénal, à compter d’un an à compter de cette décision.

Pour les mineurs, le point de départ du délai est reporté à la majorité.

Si elle a dépassé ces délais, la victime peut tout de même solliciter de la part de la CIVI un relevé de forclusion, si elle n’a pas été en mesure de faire valoir ses droits dans les délais requis ou bien si elle a subi depuis une aggravation de son préjudice.

Enfin, il faut que la victime n’ait pas pu obtenir d’indemnisation par un autre moyen, au risque de violer le principe de réparation intégrale et d’interdiction de double indemnisation.

 

2. Sur la procédure d’indemnisation devant la CIVI

La victime commence par saisir la CIVI du Tribunal judiciaire de son domicile ou bien du Tribunal judiciaire chargé de la procédure pénale lorsque des poursuites sont engagées. Plusieurs cas de figure existent alors.

Soit la victime est en mesure d’évaluer l’ensemble de ses préjudices et ceux-ci ne sont a priori pas amenés à évoluer : dans ce cas elle peut saisir la CIVI directement d’une requête en indemnisation définitive de ses préjudices, en prenant soin de fournir la totalité des pièces justifiant de ses dommages et du respect des conditions imposées selon son cas.

Sinon, elle peut saisir la CIVI d’une requête en expertise afin qu’un expert fournisse un rapport d’évaluation détaillé de l’ensemble de ses préjudices. Il peut y avoir plusieurs expertises jusqu’à ce que les préjudices de la victime soient stabilisés et que l’expert puisse être en mesure d’évaluer ceux qui persisteront de manière permanente. Sur la base du rapport d’expertise définitif, la victime formulera ses demandes chiffrées d’indemnisation.

En outre, à toute étape de la procédure, la victime peut solliciter une provision à faire valoir sur l’indemnisation finale, ce qui est particulièrement utile lorsque la procédure dure longtemps.

Quelle que soit la demande formulée, la requête est transmise par la CIVI au Fonds de Garantie des Victimes des actes de Terrorisme et d’autres Infractions (FGTI), fonds national de solidarité financé par la communauté des assurés. Une phase de négociation amiable peut alors s’engager avec le FGTI.

En cas d’accord amiable trouvé avec le FGTI, la CIVI ne jouera qu’un rôle d’homologation du constat. À l’inverse, si aucun accord amiable n’a pu être trouvé, une audience est automatiquement fixée devant la CIVI, durant laquelle la victime pourra s’exprimer librement afin d’emporter la conviction des juges, qui trancheront sur les demandes formulées. La CIVI pourra donc accorder une indemnisation totale ou partielle, ordonner une expertise, allouer une somme provisionnelle ou encore rejeter la demande.

La victime peut faire appel de la décision de la CIVI devant la Cour d’appel dans un délai d’un mois, et l’avocat devient alors obligatoire.

Il est important de préciser que pour certaines catégories d’infractions[3], le montant maximal de l’indemnisation pouvant être allouée est plafonné. Pour le reste, la réparation doit être intégrale.

Si l’avocat n’est pas obligatoire en première instance lors de la procédure devant la CIVI, son rôle reste néanmoins particulièrement important, notamment en cas de préjudices lourds, afin d’obtenir l’indemnisation la plus juste possible.

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[1] Articles 706-3 et suivants du Code de procédure pénale

[2] Brève LAJ du 15/02/2024

[3] Il s’agit des infractions visées aux art. 706-14, 706-14-1 et 706-14-3 CPP, ainsi que des violences intrafamiliales visées à l’art. 706-3 CPP ayant entraîné une ITT inférieure à un mois

Indemnisation de l’employeur du fait d’une infraction commise par son salarié

La réparation du préjudice subi par l’employeur du prévenu, déclaré coupable d’infractions commises dans le cadre de son activité professionnelle, ne nécessite ni la démonstration d’une faute lourde, ni l’intention malveillante de la part du salarié.

Le Tribunal correctionnel, puis la Cour d’appel en date du 23 janvier 2024, ont admis la recevabilité de la constitution de partie civile de la société et de l’employeur du prévenu, déclarant coupable le salarié des chefs de conduite à une vitesse excessive, et conduite sous l’emprise de cannabis en récidive. Le salarié prévenu a été condamné à réparer le dommage résultant des frais liés à l’opération de dépannage du véhicule, ainsi qu’à la réparation d’un tracteur, d’une remorque et d’un container.

Le prévenu a formé un pourvoi, uniquement sur la question des intérêts civils, faisant valoir que, conformément aux principes du Code du travail, du Code des assurances et du Code civil, la responsabilité pécuniaire d’un salarié envers son employeur ne peut résulter que de sa faute lourde ou d’une infraction intentionnelle.

La Cour rejette le pourvoi au motif que l’indemnisation du préjudice résultant de l’accident ne constitue pas une sanction pécuniaire interdite par l’article L. 1331-2 du Code du travail, mais uniquement la réparation civile du dommage causé par l’infraction. Ainsi, dès lors que le prévenu a été déclaré coupable des infractions qui lui étaient reprochées, les juges n’étaient pas tenus de caractériser une faute lourde ou une intention malveillante du salarié à l’encontre des parties civiles.

Expropriation : Revirement de jurisprudence de la Cour de cassation sur le recours en perte de base légale d’une ordonnance d’expropriation

Dans un arrêt du 16 janvier 2025, la Cour de cassation opère un revirement de sa jurisprudence important concernant les possibilités de recours ouvert aux expropriés contre l’ordonnance d’expropriation pour défaut de base légale.

Pour rappel, le prononcé d’une ordonnance d’expropriation ouvre notamment deux voies de recours aux expropriés :

  • Un premier recours sous la forme d’un recours en cassation engagé directement contre l’ordonnance d’expropriation en application de l’article 223-1 du Code de l’expropriation. Conformément aux dispositions de l’article, l’ordonnance « ne peut être attaquée que par pourvoi en cassation et pour incompétence, excès de pouvoir ou vice de forme».
  • Le second recours ouvert aux expropriés est celui pour défaut de base légale de l’ordonnance d’expropriation encadré par les dispositions des articles 223-2 et R. 223-1 à R. 223-8 du Code de l’expropriation et engagé indirectement lorsque la DUP et/ou l’arrêté de cessibilité sont déclarés illégaux définitivement.

Dans cette hypothèse, en cas d’annulation par une décision définitive du juge administratif de la déclaration d’utilité publique ou de l’arrêté de cessibilité, tout exproprié peut saisir le Juge de l’expropriation pour faire constater par le juge que l’ordonnance portant transfert de propriété est dépourvue de base légale et demander son annulation.

Jusqu’alors la Cour de cassation admettait qu’un exproprié puisse former un pourvoi en cassation contre l’ordonnance d’expropriation, alors même que le recours en annulation de la DUP ou de l’arrêté de cessibilité était en cours, en vue demander la cassation de l’ordonnance d’expropriation « par voie de conséquence de l’annulation à intervenir »  (Cass., 3e civ., 17 déc. 2008 n° 07-17.739 : Bull. civ. III n° 208 ; Cass., 3e civ. 11 mai 2010 n° 09-14.801 : Cass., 3e civ. 11 juil. 2024 n° 23-11.763).

Dans le cadre d’un tel recours, la Cour devait nécessairement surseoir à statuer en attendant la décision définitive du Juge administratif, et procédait à la radiation de l’affaire. Une fois la décision définitive du Juge administratif intervenue, la partie la plus diligente devait demander le rétablissement au rôle de l’affaire, et ce dans un délai de 2 ans à compter de la décision définitive sous peine de se voir opposer la péremption de l’instance (Cass., 3e civ. 17 oct.1996 n° 88-70.033).

Désormais, il ne sera plus possible de former un pourvoi en cassation contre l’ordonnance d’expropriation afin de faire constater sa perte de base légale par voie de conséquence de l’annulation à venir de la DUP/arrêté de cessibilité par la juridiction administrative. La Cour rétablit donc la dichotomie existant dans les textes entre les deux recours des articles L. 223-1 et L. 223-2 du Code de l’expropriation.

Autrement dit, le défaut de base légale d’une ordonnance d’expropriation ne pourra être invoqué que dans le cadre d’un recours pour défaut de base légale sur le fondement de l’article L. 223-2 du Code de l’expropriation.

La Cour de cassation rationalise les recours possibles contre une ordonnance d’expropriation. En effet, il est rappelé qu’au terme du précédent état de la jurisprudence, même si le défaut de base de légale était reconnu dans le cadre d’un recours en cassation contre l’ordonnance, le juge de l’expropriation se trouvait nécessairement saisi pour tirer les conséquences de la décision anéantissant l’ordonnance d’expropriation, impliquant donc une double saisine.

Par ailleurs, comme le rappelle l’arrêt, cette nouvelle position jurisprudentielle ne prive pas les expropriés d’un recours effectif au juge, que ces derniers soient parties ou non à la procédure d’annulation devant le juge administratif.

En effet, conformément aux articles R. 223-1 à R. 223-8, l’exproprié partie à la procédure devant la juridiction administrative dispose d’un délai de 2 mois à compter de la notification de la décision définitive annulant la DUP ou l’arrêté de cessibilité pour saisir le juge de l’expropriation en vue de faire constater le défaut de base légale. Toutefois, si l’exproprié n’est pas partie à la procédure devant le Juge administratif, l’expropriant a l’obligation de lui notifier la décision d’annulation et le délai de 2 mois ne commence à courir qu’à compter de cette notification.

Aussi, même sans avoir introduit de recours en cassation, les expropriés disposent toujours de la possibilité de demander l’annulation de l’ordonnance d’expropriation pour défaut de base légale sur le fondement de l’article L. 223-2 du Code de l’expropriation.

En résumé, depuis l’intervention de cette décision du 16 janvier 2025, « l’annulation à intervenir de la déclaration d’utilité publique ou de l’arrêté de cessibilité ne donne pas lieu à ouverture à cassation de l’ordonnance d’expropriation pour perte de fondement légal ».

La Cour fait une application immédiate de cette nouvelle règle de procédure, dans la mesure où elle ne prive pas l’exproprié de son droit d’accès au juge, sous réserve d’une notification avant l’arrêt d’une décision définitive d’annulation d’une DUP ou d’un arrêté de cessibilité prononcée par la juridiction administrative.

L’Etat face au cybersquatting

Confrontée à une augmentation et une diversification des cas de cybersquatting, l’AFNIC a récemment eu l’occasion de traiter d’un nouveau cas de typosquatting[1], visant les services de l’Etat.

Une société, bien connue des services de l’AFNIC pour d’autres cas similaires, a réservé le nom de domaine « gouvf.fr » (la seule différence par rapport au nom de domaine de l’Etat « gouv.fr », étant l’ajout de la lettre « f »), et a créé environ 40 sous-domaines en lien direct avec des ministères, directions ou services de l’Etat (chorus-pro.gouvf.fr ; education.gouvf.fr ; france-visas.gouvf.fr ; interieur.gouvf.fr etc.).

Or l’article L. 45-2 3° du Code des postes et des communications électroniques rappelle que l’enregistrement ou le renouvellement d’un nom de domaine peut être refusé ou supprimé s’il s’apparente à celui de la République française, d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales ou d’une institution ou service public national ou local, sauf si le demandeur justifie d’un intérêt légitime et agit de bonne foi.

En l’espèce, l’AFNIC a reconnu l’absence d’intérêt légitime et de bonne foi, de sorte qu’elle a fait droit à la demande de l’Etat et a ordonné le transfert du nom de domaine « gouvf.fr » au profit de ce dernier.

Il peut donc s’avérer utile d’anticiper et d’établir une stratégie d’occupation consistant à réserver les noms de domaine proches du nom de domaine utilisé, afin de limiter les risques de typosquatting, mais aussi de permettre d’obtenir un meilleur référencement.

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[1] Forme de cybersquatting consistant à réserver frauduleusement un nom de domaine similaire à une antériorité en y incluant une erreur d’orthographe ou une « faute de frappe », afin de tromper les internautes

La procédure de recours à trois devis pour des prestations inférieures à 40.000 € est (jusqu’à preuve du contraire) régulière

Nous avions déjà exprimé des réserves quant à la prétendue mort de la méthode dite « des trois devis » dans notre commentaire sur la décision rendue par le Juge des référés précontractuels du Tribunal administratif de Strasbourg en mai dernier[1]. Pour rappel, celui-ci avait considéré que le fait de solliciter trois devis caractérisait de facto une procédure adaptée au sens du Code, pour laquelle le recours au critère unique du prix était irrégulier compte tenu de l’objet du marché.

La Cour administrative d’appel de Nantes, à rebours de cette décision, valide au contraire le recours à cette pratique.

Dans cette espèce, il était à nouveau question de la passation d’un marché public dont le montant était inférieur aux seuils prévus à l’article R. 2122-8 du Code de la commande publique. Dans pareil cas, aucune exigence de publicité ni mise en concurrence préalable n’est alors opposable, le seul impératif étant de choisir une offre pertinente en veillant, pour l’acheteur, à faire une bonne utilisation des deniers publics[2].

C’est précisément pour tenir compte de cette exigence qu’en l’espèce, la commune avait sollicité trois devis auprès de chaque opérateur intéressé. Et la même question a été posée au Juge : cette modalité assujettissait-elle l’acheteuse aux règles de la procédure adaptée au sens du Code de la commande publique ?

Non, répond la Cour administrative d’appel de Nantes. La seule circonstance que la commune ait demandé la production de trois devis « n’implique pas [qu’elle] ait entendu se placer dans le cadre d’une procédure adaptée impliquant une mise en concurrence. La consultation de différents devis avait uniquement pour but de respecter les critères posés par l’article 142 de la loi du 7 décembre 2020 tirés du choix d’une offre pertinente, en faisant une bonne utilisation des deniers publics »[3]

Cette solution est heureuse car elle préserve l’utilité de cette méthode pour les acheteurs publics. Le débat n’est peut-être pas définitivement clos – un pourvoi sera peut-être introduit – mais il a du plomb dans l’aile.

La position nous semble d’ailleurs parfaitement logique et adaptée à la nécessité d’assurer le respect des dispositions de l’article R. 2122-8 du Code de la commande publique au terme duquel « l’acheteur veille à choisir une offre pertinente, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même opérateur économique lorsqu’il existe une pluralité d’offres susceptibles de répondre au besoin » pour les prestations en dessous des seuils. Le recours à trois devis n’est que la conséquence matérielle de cette obligation légale et il est une différence entre organiser une concurrence même minimale pour le choix d’une offre pertinente, et l’organisation d’une procédure de mise en concurrence, même adaptée, avec publicité minimale et, cette fois, l’obligation d’indiquer les critères de choix des offres et solliciter les candidats en même temps (la Cour prend soin de le préciser : « les requérants ne peuvent davantage utilement soutenir que la commune aurait dû communiquer aux entreprises contactées pour produire des devis les critères de choix des offres et les solliciter tous au même moment »).

La position ne nous semble pas non plus contradictoire avec celle qui avait été posée par la Cour administrative d’appel de Douai dans sa décision de 2012[4] : dans cette affaire, la Commune avait elle-même décidé de conclure un marché à procédure adaptée, en l’indiquant en tant que tel aux candidats, mais sans toutefois assurer la transparence des critères de sélection pourtant indispensable dans le cadre de cette procédure. C’est ce que la Cour avait censuré (« les demandes de devis […] indiquaient les caractéristiques [du matériel attendu] sans leur faire connaître les critères […] sur lesquels elle se serait fondée pour retenir l’une des offres en concurrence ; que le marché en cause a, par suite, été attribué à l’issue d’une procédure menée en méconnaissance des principes énoncés ci-dessus ») et non le recours à plusieurs devis pour un marché conclu en dessous du seuil de procédure adaptée.

En conséquence, pour des prestations en deçà du seuil de 40.000 € HT, l’acheteur peut recourir à un seul opérateur ou, pour favoriser le respect des dispositions de l’article
R. 2122-8 du Code, solliciter plusieurs devis auprès d’opérateurs différents. Mais s’il se place dans le cadre d’une procédure adaptée, parce qu’il annonce les critères de sélection ou qu’il se fonde sur les dispositions du Code qui la régissent, alors la procédure de trois devis devient hasardeuse.

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[1] S. COUVREUR, Achats de moins de 40.000 € HT : qui peut le plus peut le moins ? ; TA Strasbourg, 16 mai 2024, req. n° 2108389.

[2] Article R 2122-8 al. 2 du Code de la commande publique.

[3] CAA Nantes, 7 février 2025, n° 24NT00896, cons. n°3.

[4] CAA Douai, 31 décembre 2012, req. n° 11DA00590.

Compétence du Tribunal des conflits et prescription quadriennale applicable à une demande d’indemnisation du préjudice résultant d’un délai excessif d’une procédure d’expropriation

Dans cette affaire, une demande indemnitaire préalable a été adressée le 11 décembre 2018 au ministre de la Justice par un expropriant au motif de la durée excessive de la procédure d’expropriation mise en œuvre à son encontre.

Plus précisément, l’expropriant estimait avoir subi un préjudice en raison de la durée excessive de la procédure d’expropriation, car un délai de plus de quatre ans s’était écoulé entre la prise par le préfet de son arrêté déclarant d’utilité publique (DUP) le projet du 20 février 2007 et l’intervention de l’ordonnance d’expropriation (ici rectificative) du 22 mars 2011.

Le Tribunal des Conflits est saisi ici dans la mesure où la procédure d’expropriation a fait naître à la fois des contentieux devant la juridiction judiciaire (fixation judiciaire) mais également devant la juridiction administrative (légalité de la DUP et de l’arrêté de cessibilité). Et pour cause, en vertu de l’article 16 de la loi du 24 mai 1872 relative au Tribunal des conflits :

« Le Tribunal des conflits est seul compétent pour connaître d’une action en indemnisation du préjudice découlant d’une durée totale excessive des procédures afférentes à un même litige et conduites entre les mêmes parties devant les juridictions des deux ordres en raison des règles de compétence applicables et, le cas échéant, devant lui  ».

En l’espèce, le Tribunal des conflits est compétent car le juge de l’expropriation ayant rendu l’ordonnance d’expropriation rectificative a attendu que la Cour de cassation ait statué sur le pourvoi formé contre la première ordonnance et la Cour de cassation a elle-même attendu qu’il soit définitivement statué par la juridiction administrative sur la légalité de l’arrêté de DUP et de l’arrêté de cessibilité.

Cela étant dit, le Tribunal des conflits considère que la demande d’indemnisation de l’expropriant est tardive puisque, quand bien même les indemnités d’expropriation n’ont été fixées que par jugement du 7 juillet 2014, « la réalité et l’étendue du préjudice allégué étaient entièrement révélées à la date de cette ordonnance [d’expropriation] rectificative » du 22 mars 2011.

Le Tribunal des conflits fait débuter la prescription quadriennale de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1968 à compter du 1er janvier 2012 (c’est-à-dire le 1er janvier de l’année suivant l’ordonnance d’expropriation) jusqu’au 31 décembre 2015.

En conséquence, la créance dont se prévalait l’expropriant était manifestement prescrite à la date à laquelle il a formé sa réclamation préalable en décembre 2018.

Cette décision a le mérite de rappeler, en premier lieu, qu’une action en indemnisation d’un préjudice découlant d’une durée excessive des procédures est portée devant le Tribunal des conflits lorsque ces procédures sont relatives à un même litige et conduites entre les mêmes parties devant les juridictions des deux ordres, comme ce peut être le cas en expropriation. En second lieu, elle traite de l’application des règles de prescription quadriennale en expropriation.

La participation d’un candidat inéligible au premier tour de scrutin des élections législatives peut, compte tenu du nombre de suffrages qu’il a recueillis, porter atteinte à sa sincérité et entraîner l’annulation des opérations électorales

A la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale le 10 juin 2024[1], les électeurs ont été convoqués, les 30 juin et 7 juillet suivants, en vue de procéder à une nouvelle élection des députés. Dans la deuxième circonscription du département du Jura, six candidatures avaient été enregistrées pour le premier tour de scrutin.

Parmi elles figurait celle de Monsieur MOSCA, candidat du Rassemblement National dont la candidature pour le premier tour de scrutin a été enregistrée par la préfecture en dépit de son placement sous curatelle renforcée, information qui n’était alors pas publique.

A cet égard, notons que, en vertu de l’article L.O. 129 du Code électoral, les majeurs en tutelle ou en curatelle sont inéligibles et que, conformément à l’article L.O. 127 du même Code, cette inéligibilité s’apprécie au premier tour de scrutin.

Dans ces conditions, la personne dont la mesure de tutelle ou de curatelle n’a pas été levée à la date du premier tour de scrutin doit être considérée comme inéligible[2], ce qui était le cas, le 30 juin, 2024 de Monsieur MOSCA, celui-ci faisant l’objet d’une mesure de curatelle renforcée depuis le 23 novembre 2023 et pour une durée de vingt-quatre mois.

Toutefois, le Code électoral ne prévoit d’interdiction de faire acte de candidature aux élections législatives qu’à l’égard des personnes déclarées inéligibles par le juge administratif ou le Conseil constitutionnel[3], ce qui n’est pas le cas des majeurs protégés, de sorte que, en l’occurrence, rien ne faisait obstacle, d’un point de vue juridique, à ce que Monsieur MOSCA se porte candidat aux élections législatives.

En revanche, il appartient au préfet, en application de l’alinéa 1er de l’article LO. 160 du Code électoral, de refuser d’enregistrer la candidature d’une personne inéligible et, ce, quelle que soit la cause de cette inéligibilité.

Toutefois, il convient d’observer que le préfet ne peut exiger des candidats d’autres pièces que celles qui permettent de justifier de leur identité et de leur qualité d’électeur – étant précisé que les majeurs protégés sont titulaires du droit de vote[4] – ainsi que de celles de leur remplaçant[5], de sorte que la préfecture n’était pas en mesure d’accéder, lors de l’enregistrement des candidatures au premier tour, au jugement rendu par le juge des tutelles à propos de Monsieur MOSCA.

L’inéligibilité du candidat Rassemblement national a été rendue publique par voie de presse à la veille du premier tour.

Trois candidats ont finalement été retenus pour le second tour de scrutin : Madame DALLOZ, candidate sortante Les Républicains avec 38,59 % des voix, Monsieur MOSCA, candidat du Rassemblement National avec 32,76 % des voix et Madame TERNANT, candidate du Nouveau Front Populaire avec 24,75 % des voix.

La direction du RN ayant décidé de maintenir son candidat, Madame TERNANT, arrivée en troisième position, a fait le choix, dans le cadre du front républicain, de se désister au profit de Madame DALLOZ.

Seuls deux candidats, Madame DALLOZ et Monsieur MOSCA, se sont donc présentés pour le second tour dans la deuxième circonscription du Jura.

Le 7 juillet 2024, avec un score de 65,02 % des voix, Madame DALLOZ a été réélue face à Monsieur MOSCA, qui a, quant à lui, recueilli 34,98 % des voix.

Le 17 juillet suivant, Madame TERNANT, candidate arrivée en troisième position, a saisi le Conseil constitutionnel d’une requête tendant à l’annulation de ces opérations électorales et soutenait, en particulier, que la préfecture du Jura n’aurait pas dû enregistrer la candidature de Monsieur MOSCA et que la présence de ce candidat inéligible avait faussé la sincérité du scrutin.

De son côté, la préfecture du Jura estimait ne pouvoir apprécier l’éligibilité de Monsieur MOSCA qu’au premier tour de scrutin, ce qu’elle n’avait pu faire compte tenu de ce qu’elle n’était pas en mesure d’accéder au jugement rendu par le juge des tutelles, si bien qu’elle ne pouvait régulièrement refuser d’enregistrer sa candidature au second tour.

Saisi de cette requête, le Conseil constitutionnel a considéré que la présence irrégulière de Monsieur MOSCA avait, dès le premier tour de scrutin, compte tenu du nombre de suffrages qu’il a recueillis, affecté de manière déterminante la répartition des suffrages exprimés par les électeurs.

Il a ainsi annulé l’élection de Madame DALLOZ en jugeant que cette irrégularité, bien qu’elle ne soit pas imputable à la candidate élue, devait être regardée comme ayant porté atteinte à la sincérité du scrutin.

Le Conseil constitutionnel n’est toutefois pas revenu sur les obligations qui sont celles du préfet lorsqu’il est confronté à une telle situation lors de l’enregistrement des candidatures. En effet, la question était, en particulier, de savoir si le représentant de l’Etat peut, d’une part, se fonder sur d’autres éléments que les documents que le candidat est tenu de présenter en application du Code électoral pour apprécier son éligibilité et, d’autre part, apprécier cette éligibilité au second tour de scrutin et, le cas échéant, de refuser d’enregistrer sa candidature à ce stade des opérations électorales.

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[1] Décret du 9 juin 2024 portant dissolution de l’Assemblée nationale.

[2] V. par ex. la confirmation de l’irrecevabilité de la candidature aux élections législatives d’un candidat placé sous tutelle : cons. const. 17 mai 1973, AN, Val-d’Oise, 3e circ., n° 73-580.

[3] Article LO. 128 du Code électoral.

[4] Nous précisons que la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a abrogé l’article L. 5 du Code électoral, qui permettait au juge des tutelles de priver les majeurs placés sous un régime de tutelle de leur droit de vote.

[5] Articles L. 154 et L. 155 du Code électoral.

Maintien de l’irrecevabilité du recours contre un rapport d’observations définitives malgré l’évolution jurisprudentielle en faveur de la soumission du « droit souple » au contrôle du juge

La Cour administrative d’appel de Toulouse a récemment confirmé la solution posée par une décision du 8 février 1999 du Conseil d’Etat, aux termes de laquelle les observations formulées, même définitivement, par une chambre régionale des comptes (CRC), sur la gestion d’une collectivité territoriale ou d’un organisme entrant dans le champ du contrôle de gestion de la Chambre, ne présentent pas le caractère de décisions susceptibles de faire l’objet d’un recours devant le juge administratif[1].

Cette solution traditionnelle était motivée par trois séries de motifs, à savoir :

  • L’absence de modification de l’ordonnancement juridique par les rapports d’observations définitives ;
  • La limitation de l’office du juge de l’excès de pouvoir, auquel il n’appartient pas de s’immiscer dans l’appréciation portée par les CRC, dans le cadre de leurs compétences légales, sur la gestion des collectivités territoriales et autres organismes concernés ;
  • Les garanties d’ores-et-déjà prévues au profit des collectivités territoriales et organismes contrôlés (caractère contradictoire de la procédure suivie par la CRC, adoption collégiale du rapport, existence d’une procédure de rectification soumise au contrôle du juge administratif[2] et publication, en annexe au rapport, de la réponse aux observations définitives formulée par la personne mise en cause)[3].

Toutefois, depuis la décision Commune de la Ciotat, la jurisprudence du Conseil d’Etat a, en parallèle, évolué, dans le sens d’un élargissement plus général de la recevabilité des recours, s’agissant des actes de « droit souple ». Ainsi, ont été jugés recevables des recours dirigés contre :

  • Les actes des autorités administratives qui, sans modifier l’ordonnancement juridique, sont susceptibles d’avoir des effets extra-juridiques notables, non seulement économiques mais également sur des pratiques professionnelles ou sur l’honneur ou la réputation d’une personne[4];
  • Les documents de portée générale émanant d’autorités publiques, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation des personnes autres que les agents chargés de leur mise en œuvre[5];
  • La décision de publier un rapport de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires et contre le refus de le modifier, mais également contre le contenu du rapport lui-même lorsqu’il comporte des mentions susceptibles d’exercer une influence significative ou de présenter des effets notables de nature à léser les intérêts de la personne concernée[6].

Il était ainsi possible de s’interroger sur le maintien de la solution issue de la décision Commune de la Ciotat susmentionnée. Et la rapporteure publique avait d’ailleurs conclu à la recevabilité du recours dont était saisie la Cour administrative d’appel de Toulouse.

Dans cette affaire, la Cour était saisie d’un recours d’une société délégataire de service public pour le compte d’un syndicat mixte qui avait fait l’objet d’un contrôle de sa gestion des années 2014 à 2020 par la CRC Occitanie. A la suite de cet examen, la gestion de la société avait en effet fait l’objet de critiques dans le rapport d’observations définitives de la chambre, dont l’intéressée avait demandé l’annulation devant le Tribunal administratif de Montpellier, qui avait rejeté sa requête comme irrecevable.

Plus précisément, la rapporteure publique considérait que les rapports d’observations définitives correspondaient aux critères d’identification du droit souple, dès lors qu’ils peuvent contenir des recommandations et des critiques sur la gestion de l’entité contrôlée, et donc des prises de position ayant des effets extra-juridiques notables, bien qu’indirects.

La Cour administrative d’appel de Toulouse a cependant maintenu l’irrecevabilité du recours dirigé contre ces actes, et ce sur le fondement des mêmes motifs que ceux énoncés supra :

« Toutefois, les rapports d’observations définitives des chambres régionales des comptes s’inscrivent dans le cadre de l’examen de la gestion d’une collectivité territoriale, d’un établissement public local ou d’un des établissements, sociétés, groupements et organismes mentionnés aux articles L. 211-4 à L. 211-6 et L. 211-8 du Code des juridictions financières, procèdent de la mise en œuvre de garanties procédurales particulières et peuvent faire l’objet d’une demande de rectification, en vertu des articles L. 243-10 et R. 243-21 du Code précité. Ainsi, ils ne sont pas susceptibles d’un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif, eu égard notamment à l’office de ce dernier, alors même qu’ils seraient susceptibles de produire des effets notables ou d’influer de manière significative sur les comportements de quelque personne que ce soit ».

On retiendra donc que, si l’on souhaite critiquer le contenu d’un rapport CRC, il conviendra de préférer la rédaction d’une réponse aux observations formulées, laquelle sera annexée audit rapport, voire d’en solliciter la rectification sous le contrôle, au besoin, du juge administratif.

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[1] CAA Toulouse, 10 octobre 2024, SASU Econotre, n° 23TL02829 ; CE, 8 février 1999, Commune de La Ciotat, n° 169047

[2] CE avis, 15 juillet 2004, n° 267415 ; CAA Marseille, 19 décembre 2023, n° 21MA03704

[3] V. sur ce point : M. Torelli, Recours contre le rapport d’observations définitives d’une chambre régionale des comptes, AJDA 2025.74

[4] CE, 21 mars 2016, Société Numéricable, n° 390023 et Société Fairvesta International GmbH, n° 368082 ; CE 19 juillet 2017, Société Menarini France, n° 399766 ; CE, 19 juillet 2019, n° 426389

[5] CE, 12 juin 2020, GISTI, n° 418142

[6] CE, 10 février 2023, Association Shri Ram Chandra mission France et autre, n° 456954

Fin du marathon budgétaire du projet de loi de finances 2025

Après une procédure budgétaire placée sous le sceau de l’instabilité politique, l’Assemblée nationale et le Sénat sont parvenus le 23 janvier dernier à un accord en commission mixte paritaire sur la loi de finances 2025.

La loi ainsi votée a été déférée au Conseil constitutionnel à la suite de deux recours déposés les 6 et 7 février dernier, respectivement par plus de soixante députés du Rassemblement national et de la France insoumise.

Les Sages se sont ainsi prononcés ce jeudi 13 février 2025 sur les griefs des députés.

Au total, neuf cavaliers budgétaires ont été censurés en ce qu’ils ne pouvaient figurer dans la loi de finances, un article a été censuré car introduit en commission mixte paritaire sans qu’il n’ait été en relation avec des dispositions restant à discussion, et dix dispositions ont été jugées conformes à la Constitution.

Plus précisément, les Sages étaient saisis sur des griefs relatifs à la procédure d’adoption de la loi et sur des dispositions de fond, dont certaines intéressent au premier chef les collectivités territoriales.

Sur la procédure d’adoption du projet de loi de finances (PLF), les députés soulevaient notamment le non-respect du délai fixé à l’article 48 de la loi organique du 1er août 2001 qui impose au Gouvernement de présenter avant le 15 juillet 2024 le rapport indiquant, entre autres, les plafonds de crédits envisagés pour l’année à venir, l’état de prévision de l’objectif d’évolution de la dépense des administrations publiques et des montant prévus des concours aux collectivités territoriales.

Le Conseil constitutionnel a rejeté ce grief en s’attachant à rappeler que « compte tenu des circonstances exceptionnelles ayant conduit à la formation tardive du Gouvernement, de la date de dépôt effective du projet de loi de finances et de ses conditions d’examen », il n’en a pas résulté « d’atteinte substantielle aux exigences de clarté et de sincérité du débat » (considérant 7).

Parmi les mesures déférées au contrôle des Sages et intéressant les collectivités territoriales figuraient le gel de la fraction de Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) transférée aux collectivités et la création d’un mécanisme de lissage conjoncturel des recettes fiscales.

En premier lieu, l’article 109 du PLF gèle la fraction de TVA transférée aux collectivités territoriales à la suite des nombreux mouvements intervenus en matière de fiscalité locale ces dix dernières années.

Selon les travaux préparatoires de la loi, le gel réduirait les recettes des collectivités de 1,2 milliards d’euros, ce qui représente un total de 0,35 % de leurs « ressources propres » entendu au sens de l’article L. O 1114-4 du Code général des collectivités territoriales. Le Conseil constitutionnel a considéré que cette réduction de leurs ressources n’est pas d’une ampleur telle qu’elle entraverait le principe de libre-administration (considérants 73 à 82).

Cette position n’est pas surprenante compte-tenu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Celui-ci ne censure que rarement des dispositions qui, même si elles contraignent les finances des collectivités territoriales, n’ont pas pour effet d’entraver leur libre-administration (pour exemple décision n° 90-277 DC du 25 juillet 1990).

En second lieu, la création du « DILICO », un dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales permettant la création d’un fonds d’un milliard d’euros abondé par la contribution de près de 2000 collectivités territoriales. Si 90 % des contributions seront redistribuées aux collectivités, les 10 % restants abonderont les différents fonds de péréquation des collectivités.

Le Conseil constitutionnel a jugé le dispositif conforme à la Constitution dans la mesure où il s’inscrit dans la contribution des collectivités à la réduction des déficits publics, où la contribution est répartie entre les collectivités selon leur population, leurs ressources et leurs charges, sans qu’elle n’excède 2% des recettes réelles de fonctionnement de leur budget principal, et dès lors que les fonds seront reversés en grande partie aux collectivités territoriales (considérants 100 à 107).

C’est donc sur une décision de non-conformité partielle, qui permet tout de même au Président de la République de promulguer la loi expurgée des dispositions censurées, que s’achève le marathon budgétaire de la loi de finances.

Les autorisations spéciales d’absence (ASA) dans la fonction publique : où en sommes-nous ?

La question des autorisations spéciales d’absence est venue sur le devant de la scène pendant la crise sanitaire. Pour les agents qui ne pouvaient exercer leurs fonctions à distance, sans pour autant réunir les conditions pour être placé en congé de maladie, l’administration disposait alors d’une bien faible marge de manœuvre, et a donc fait appel à cet outil très souple.

Pour lui donner un cadre juridique, on avait déterré une instruction ministérielle du 23 mars 1950, bien peu convaincante, que l’on a ensuite cherché à étoffer avec les fameuses F.A.Q. de la direction générale de l’administration et de la fonction publique, ce qui n’était guère mieux.

Il faut dire qu’à l’exception des autorisations d’absence bénéficiant aux agents exerçant un mandat syndical ou électif, et de quelques autres régimes ponctuels[1], le régime des autorisations spéciales d’absence reste particulièrement indéterminé.

L’article 21 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dont le principe reste toujours applicable, renvoyait en effet à un décret en Conseil d’Etat le soin de définir la liste des autorisations d’absence et leurs conditions d’octroi. Ce décret n’est toutefois jamais intervenu.

Depuis les années 80, le Conseil d’État a confirmé cette carence ne s’opposait pas à l’octroi d’autorisations d’absence aux agents publics[2].

Dans la fonction publique d’Etat, on a cherché à suppléer à cette carence en procédant par notes de service et circulaires, mais cette solution est imparfaite. Selon une jurisprudence constante du Conseil d’Etat, le régime des autorisations d’absence est « un élément du statut des fonctionnaires et ne peut dès lors être réglementé par voie de circulaire »[3]. Les circulaires et notes de service qui le réglemente ne peuvent donc que se limiter à indiquer la simple faculté, pour le chef de service d’accorder à ses agents des autorisations d’absence ; elles ne peuvent, ni accorder de droits à bénéficier de ces autorisations d’absences, ni fonder un refus opposé par l’administration à une telle demande[4].

L’octroi d’autorisations d’absences reste donc un pouvoir largement discrétionnaire, dans les mains du chef de service, ce qui est cohérent. Titulaire du pouvoir hiérarchique, il est compétent pour définir, dans l’intérêt du service, les missions et tâches quotidiennes de ses subordonnés. Or le pouvoir de confier une mission est nécessairement, également, le pouvoir de ne pas en confier. Une autorisation d’absence n’est en réalité rien d’autre que la décision prise par un chef de service, dans l’exercice de son pouvoir hiérarchique, d’exonérer, l’agent de l’exercice de ses fonctions pour une durée déterminée.

Ce régime juridique particulièrement libéral dans le silence des textes présentait, pour les collectivités, une opportunité d’instituer de nouveaux droits au bénéfice de leurs agents, notamment lorsque la question de l’instauration de congés menstruels s’est manifestée dans le champ politique et médiatique.

Toujours prompts à intervenir en la matière, les préfectures ont contesté la légalité de ces autorisations d’absence, ce qui a donné lieu à des décisions particulièrement contestables de la part des Tribunaux administratifs de Grenoble et Toulouse.

Selon ces juridictions, dès lors que ces autorisations d’absence ne peuvent se rattacher aux « autorisations d’absence liées à la parentalité et à l’occasion de certains évènements familiaux », elles ne disposent pas de fondement juridique, et ne pouvaient donc légalement être instituées[5].

Or ce raisonnement ne tient pas. On l’a dit, le fondement juridique des autorisations d’absence n’est pas une disposition du Code général de la fonction publique, mais le pouvoir de direction de l’employeur, qui peut décider, sous réserve des nécessités du service d’autoriser ses subordonnés à s’absenter. Aucun principe ne prévoit que les catégories d’absence doivent être instituées par le législateur ou le pouvoir réglementaires. Les dispositions de l’article L. 622-1 prévoient donc certes que des autorisations d’absence peuvent être octroyées pour des motifs parentaux ou familiaux, mais elles n’ont en aucun cas pour portée de limiter à ces seules hypothèses les absences permises par le supérieur hiérarchique.

Soulignons, tout d’abord, que si tel avait été le cas, aucune autorisation d’absence n’aurait pu être légalement octroyée pendant la crise sanitaire lorsque le travail à distance n’était pas possible et que le retour physique au service était encore exclu.

Ensuite, même en dehors de cette hypothèse exceptionnelle, la jurisprudence du Conseil d’Etat en matière d’autorisation d’absence pour la célébration de certaines fêtes l’avait préalablement démontré. Il juge en effet que la décision du chef de service d’autoriser ou non son agent à s’absenter pour célébrer une fête ne peut être prise qu’en considération des nécessités du service. Il a d’abord, en 1997, annulé la décision du directeur du centre Pompidou qui avait refusé l’octroi d’une telle autorisation[6]. Puis, en 2012, il a annulé une circulaire ministérielle qui prévoyait que les autorisations d’absence en la matière « concernent les seules religions pour lesquelles la fonction publique assure une publication annuelle », en considérant « qu’il appartient toutefois au chef de service d’apprécier au cas par cas si l’octroi d’une autorisation d’absence sollicitée par un agent pour participer à une fête autre que l’une des fêtes religieuses légales est compatible avec les nécessités du fonctionnement normal du service »[7].

Les autorisations d’absence pour certaines célébrations sont donc possibles, et ne peuvent d’ailleurs être interdites par principe, alors même qu’elles ne sont prévues par aucune disposition législative ou réglementaire, et qu’elles ne sont évidemment pas en lien direct avec des questions familiales ou parentales.

On peut donc douter du bien-fondé des décisions des Tribunaux administratifs de Grenoble et Toulouse.

Une autre tentative de limiter le pouvoir des collectivités locales en la matière a été initiée en 2024 par une préfecture, cette fois sans succès. Elle contestait l’octroi, par une commune, d’autorisations d’absences qui relevaient bien d’évènements familiaux (mariages et PACS), mais qui étaient d’un volume plus important que ce que prévoyaient la pratique au sein de la fonction publique de l’Etat, en l’occurrence huit jours plutôt que cinq dans la plupart des ministères. Pour arguer de l’illégalité de cette réglementation, la préfecture se prévalait du principe de parité, soutenant que, comme en matière de régime indemnitaire ou de temps de travail, les avantages des fonctionnaires d’Etat devaient constituer un plafond au-delà duquel les collectivités ne pouvaient aller[8].

Le Tribunal administratif de Melun n’a toutefois pas suivi la préfecture : rappelant la jurisprudence du Conseil d’Etat selon laquelle les ASA constituent un élément du statut des fonctionnaires ne pouvant être réglementé par voie de circulaires, il a rejeté la critique en considérant que le principe de parité ne pouvait être opposé en l’absence de réglementation en la matière.

On comprend donc qu’en l’état du droit positif, l’octroi d’autorisations d’absences ne peut par principe être limité, ni aux hypothèses explicitement prévues par le Code général de la fonction publique, ni par le principe de parité, ni par les notes de service ou circulaires des administrations de l’Etat.

Est-ce à dire que tout est possible ? Certes non. La jurisprudence le rappelle systématiquement, chaque autorisation d’absence est octroyée après une analyse, au cas par cas, des nécessités du service. Une réglementation, si elle est mise en place par l’autorité territoriale, ne peut donc, ni prévoir que certaines autorisations d’absence doivent être systématiquement refusées, ni instituer formellement de droits opposables à ces absences pour les agents. Par ailleurs, il est clair que des exonérations de service trop importantes finiraient également par poser un problème sur le plan de la responsabilité budgétaire des responsables publics.

Reste que, sous ces réserves, le droit laisse à notre sens beaucoup de marge de manœuvre, comme toujours s’agissant du pouvoir réglementaire du chef de service :  peut-on réellement affirmer qu’accorder une journée de repos à une agente indisposée – et en tout état de cause peu à même d’affronter pleinement ses missions – est contraire à l’intérêt du service ? À Toulouse et Grenoble, le juge a esquivé cette question gênante en usant d’un argument juridique discutable. Mais, si elle était posée de cette façon, peut-être la réponse serait cette fois différente.

Plus généralement, il est certainement possible de mettre en place des dispositifs qui s’emparent des enjeux renouvelés du travail, de l’égalité et de l’attractivité de la fonction publique – sous réserve d’être prêts à affronter les réticences des préfectures, et tant, bien sûr, que le pouvoir réglementaire reste silencieux.

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[1] Sapeur-Pompier volontaires, Jury d’assises, etc.

[2] CE, 20 décembre 2013, Fédération autonome de la fonction publique territoriale, n° 351682.

[3] CE, 12 mars 1982, n° 32792 ; CE, 10 juillet 1985, n° 44319

[4] CE, 30 janvier 2019, n° 410518.

[5] TA Toulouse, 20 novembre 2024, n° 2406364 et 2406584 ; TA Grenoble, 17 février 2025, n° 2500479 et 2500481.

[6] CE, 12 février 1997, n° 125893.

[7] CE, 26 octobre 2012, n° 346648.

[8] TA Melun, 11 juillet 2024, n° 2309586.

Financement et modernisation du réseau ferroviaire : vers une participation plus importante des concurrents de la SNCF ?

Au cours de l’audition du ministre de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation, chargé des Transports, M. Philippe Tabarot, devant la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’assemblée nationale, a été abordé la diminution du budget de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (ci-après, « Afitf ») pour l’année 2025 et ses conséquences en matière de financement et de modernisation du réseau ferré ainsi que la question de l’entretien du réseau ferroviaire par un prélèvement sur les bénéfices de SNCF Voyageurs et les risques de distorsion de concurrence qui en découlent.

La commission a tout d’abord souligné que le projet de loi de finances qui vient d’être adopté prévoyait une diminution des crédits de l’Afitf de l’ordre de 900 millions par rapport à 2024, soit environ un cinquième de son budget, ce qui implique invariablement une diminution des investissements que l’agence pourra réaliser. La commission souhaitait donc entendre le Ministre sur les conséquences de cette baisse du budget de l’Afitf sur la modernisation du réseau ferroviaire.

Monsieur le Ministre a rappelé que les investissements sur le réseau ferroviaire avaient progressé en passant de 3,5 milliards en 2022 à 4,3 milliards en 2024 et a indiqué que la diminution du budget de l’Afitf ne devait pas être surestimé puisqu’elle aboutissait en réalité à simplement revenir au budget alloué au développement du réseau ferroviaire en 2023. Néanmoins, le Ministre a clairement affirmé qu’il ne fallait « pas qu’une telle réduction budgétaire se renouvelle » sous peine d’accuser un retard en matière de régénération et de modernisation de lignes ferroviaires.

En outre, la commission a rappelé que l’entretien du réseau ferroviaire repose principalement sur les finances de SNCF Réseau, le reste étant financé par l’opérateur historique par le biais d’un prélèvement sur les bénéfices de SNCF Voyageurs. Or, sur ce dernier point, la commission s’est inquiétée d’une possible distorsion de concurrence avec les opérateurs qui arrivent progressivement sur le marché en raison de la mise en concurrence sur notre réseau ferroviaire. Une telle ouverture emportant également potentiellement une diminution des recettes de SNCF Voyageurs, la question se pose de la soutenabilité d’un tel modèle à terme.

En substance, Monsieur le Ministre a indiqué qu’il souhaitait un maintien du système actuel du financement de l’entretien du réseau par SNCF Voyageurs. Toutefois, il a évoqué son souhait de ne pas « exclure que l’effort soit partagé avec les opérateurs bénéficiant de l’ouverture à la concurrence dès lors qu’ils parviennent à l’équilibre financier ». Il a rappelé qu’une telle participation existait déjà au titre des péages ferroviaires que tous les opérateurs doivent acquitter même si les nouveaux entrants s’acquittent de ces péages à un tarif réduit pendant les trois premières années d’exploitation. Monsieur le Ministre n’a pas exclu d’autres modalités de participation telles qu’une participation financière – sans toutefois mentionner la forme que prendrait cette participation – ou encore l’imposition d’obligations de service public aux opérateurs entrants.

En l’état, Monsieur le Ministre n’a donc pas émis de propositions concrètes et précises sur la forme que pourrait prendre la participation des opérateurs entrants sur le marché du transport ferroviaire de voyageurs à l’entretien du réseau mais il estime qu’il s’agit là d’une problématique sur laquelle il convient de travailler à l’avenir afin de garantir l’entretien du réseau ferroviaire.

Règlement OSP (obligations de service public) : précisions sur les conditions de participation de l’opérateur interne sortant à une procédure d’attribution concurrentielle

Un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « CJUE ») en date du 13 février 2025 rappelle que les procédures d’attribution des contrats de services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par la route doivent être ouvertes à tout opérateur, y compris aux opérateurs internes ayant bénéficié d’une attribution directe.

Pour rappel, l’exploitation des services de transport de voyageurs par chemin de fer et par la route sont régis par les dispositions du Règlement (CE) n° 1370/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 dit « Règlement OSP » et font l’objet de contrats de services publics de transport public de voyageurs.

Aux termes de son article 5§2, ces contrats peuvent faire l’objet d’une attribution directe si l’autorité compétente décide de recourir aux services d’une entité interne, c’est-à-dire, une entité juridiquement distincte sur laquelle cette dernière exerce un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services.

Dans ce cadre, l’opérateur interne titulaire du contrat par attribution directe est soumis à une exigence dite de « cantonnement géographique » énoncée au b) de l’article 5§2 :

  • « L’opérateur interne et toute entité sur laquelle celui-ci a une influence, même minime, exercent leur activité de transport public de voyageurs sur le territoire de l’autorité locale compétente, nonobstant d’éventuelles lignes sortantes et autres éléments accessoires à cette activité se prolongeant sur le territoire d’autorités locales compétentes voisines» ;
  • « L’opérateur ne participe pas à des mises en concurrence concernant la fourniture de services publics de transport de voyageurs organisés en dehors du territoire de l’autorité locale compétente» ;

Ce faisant les dispositions du c) de l’article 5§2 prévoient qu’un opérateur interne peut participer à des mises en concurrence équitables pendant les deux années qui précèdent le terme du contrat de service public qui lui a été attribué directement, à condition :

  • « qu’ait été prise une décision définitive visant à soumettre les services de transport de voyageurs faisant l’objet du contrat de l’opérateur interne à une mise en concurrence équitable» ;
  • « et que l’opérateur interne n’ait conclu aucun autre contrat de service public attribué directement».

Dans cette espèce, un opérateur dénommé « VR » s’était vu, du fait de sa qualité d’opérateur interne, attribué un contrat sans mise en concurrence en vue de l’exploitation du service public de transport public organisé par une autorité locale lettone.

Conclu en 2012, le contrat a fait l’objet de deux prolongations en 2021 et en 2022, en raison de retards subis par les procédures d’appels d’offres devant conduire à l’attribution concurrentielle des services objet du contrat en cours.

C’est en 2021 que l’autorité organisatrice des transports a décidé de lancer une procédure d’attribution concurrentielle sur le fondement de l’article 5§3 du Règlement OSP, ayant pour objet les services précédemment exploités puis de retenir l’offre de l’opérateur interne sortant.

Un candidat évincé a alors décidé de contester la décision d’attribution du contrat arguant de la violation des dispositions du c) de l’article 5§2 relatives à la participation d’un opérateur interne à une procédure d’appel d’offres, et estimant que l’autorité compétente aurait dû réexaminer la situation de l’opérateur interne au moment où la décision d’attribution du contrat a été prise.

C’est dans ce cadre que la juridiction administrative lettone a saisi la CJUE d’une question préjudicielle afin de savoir si, dans le cadre d’une procédure concurrentielle, l’autorité compétente est tenue de vérifier si l’opérateur interne sortant qui candidate au contrat respecte les conditions du c) de l’article 5§2.

Selon la CJUE, les autorités qui décident d’avoir recours à une procédure de mise en concurrence doivent l’ouvrir à tout opérateur, y compris aux opérateurs internes relevant d’autres autorités compétentes ayant bénéficié d’une attribution directe par celles-ci, sans que soit opéré un renvoi aux conditions de l’article 5§2 ou que figurent dans l’article 5§3 des conditions similaires à l’article 5§2.

Précisément, selon la Cour, les dispositions du c) de l’article 5§2 ont pour objet de préciser l’interdiction posée au b) de l’article 5§2 et contribuent à déterminer la portée de l’exigence de cantonnement géographique des activités de l’opérateur interne.

Il s’ensuit que la participation d’un opérateur interne ayant bénéficié d’une attribution directe est uniquement susceptible d’affecter la validité de cette attribution directe, mais non celle de sa participation à la procédure d’attribution par voie de mise en concurrence. De sorte que les dispositions du c) de l’article 5§2 sont sans pertinence aux fins de l’application de l’article 5§3 relatif à l’attribution concurrentielle des contrats.

Partant, le pouvoir adjudicateur ne doit pas, lorsqu’un opérateur interne, auquel a été précédemment attribué directement un contrat de service public, participe à une procédure d’attribution par voie de mise en concurrence, vérifier le respect par celui-ci des conditions énoncées au c) de l’article 5§2 afin de déterminer si cet opérateur est en droit de participer à une telle procédure.

Publication d’une FAQ élaborée par la Commission européenne au sujet du Règlement ReFuelEU Aviation du 18 octobre 2023

La Commission européenne a publié, le 28 février 2025, une foire aux questions (FAQ) permettant de préciser certaines dispositions du Règlement (UE) 2023/2405 du Parlement européen et du Conseil du 18 octobre 2023 relatif à l’instauration d’une égalité des conditions de concurrence pour un secteur du transport aérien durable (ci-après, le « Règlement ReFuelEU Aviation »).

Pour rappel, le Règlement ReFuelEU Aviation vise à accroître l’utilisation de carburants durables par les aéronefs et à réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur aérien. Pour ce faire, le Règlement prévoit notamment l’incorporation progressive de carburants durables dans le kérosène destiné à l’aviation et l’instauration d’un label écologique précisant la performance environnementale des vols.

La FAQ publiée par la Commission européenne apporte des réponses aux questions relatives :

  • (i) au champ d’application du Règlement ReFuelEU Aviation (quels aéroports relèvent du Règlement ? Quels vols ? Qui sont les fournisseurs de carburant d’aviation ? etc.) ;
  • (ii) aux carburants d’aviation admissibles (quels sont les carburants durables pris en compte ? etc.) ;
  • (iii) aux obligations de déclaration (la présentation d’un rapport pour 2024 est-elle obligatoire ? quelles sont les sanctions en l’absence de déclaration ? etc.) ;
  • (iv) à l’obligation de fournir des parts minimales de carburants durables (comment les Etats membres peuvent-ils soutenir le déploiement de carburant durable en conformité avec la réglementation européenne ? etc.) ;
  • (v) à l’application du règlement ReFuelEU Aviation (Qui vérifie que les opérateurs respectent leurs obligations ? A quoi sont employées les recettes générées par les amendes ? etc.)
  • (vi) au label d’émissions de vol (Qu’est-ce que le label et qui peut en demander un ? etc.)

Autant de questions qui sont analysées de manière approfondie par la Commission européenne aux termes sa FAQ.

Inondation : une nouvelle proposition de loi soumise à discussion

Sénat, Le défi de l’adaptation des territoires face aux inondations : simplifier l’action, renforcer la solidarité

Le 6 mars, la proposition de loi visant à soutenir les collectivités territoriales dans la prévention et la gestion des inondations doit être examinée par le Sénat.

Cette proposition fait suite au rapport d’information n° 775 du 25 septembre 2024 portant sur le défi de l’adaptation des territoires face aux inondations.

Le projet de texte vise d’abord à simplifier les procédures pour la réalisation de travaux sur les cours d’eau lorsqu’ils visent à remédier à une inondation d’ampleur ou à en éviter la réitération à court terme ou encore à prévenir les dangers liés à la survenance d’une crue ou à réparer les dégâts occasionnés par une crue.

Il est ensuite prévu une mise à disposition par les services de l’Etat dans le département au profit des communes et des autorités compétentes en matière de GeMAPI d’une cellule d’appui technique pour les accompagner dans la mise en œuvre des missions qui composent cette compétence.

L’article L. 561-5 du Code de l’environnement devrait par ailleurs être réhabilité pour prévoir les modalités d’élaboration d’un PAPI qui répondrait à un cahier des charges fixé par l’État et devrait être labellisé par le préfet coordonnateur de bassin.

Enfin, une réserve d’ingénierie constituée de fonctionnaires territoriaux et destinée à fournir un appui technique et administratif aux collectivités sinistrées par une inondation pourrait être instituée par les collectivités territoriales et leurs groupements. Un guichet unique d’accompagnement des collectivités territoriales sinistrées par une inondation devrait encore être mis en place pour diffuser les informations relatives aux dispositifs d’aides auxquelles les collectivités sont éligibles et centraliser leurs demandes.

Agriculture et environnement, des priorités parfois difficilement conciliables

Le 19 février puis le 20 février 2025 l’Assemblée nationale puis le Sénat ont définitivement adopté le projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture.

Ce texte qui a suscité de nombreux débats et a été très critiqué par les défenseurs de l’environnement a finalement retenu un certain nombre de principes et de règles qui doivent encore être soumis à la validation du Conseil constitutionnel saisi par au moins soixante députés le 24 février suivant l’adoption du texte.

L’article 1er du projet de loi érige la protection, la valorisation et le développement de l’agriculture et de la pêche en intérêt général majeur et leur reconnaît un intérêt fondamental de la Nation. Ce principe doit être intégré à l’article L. 1 A du Code rural et de la pêche maritime (CRPM) et les priorités qui en découlent ainsi que les finalités que doivent traduire ces priorités, à l’article L. 1. On relèvera dès à présent le législateur a ainsi refusé d’acter l’interdiction des produits phytopharmaceutiques malgré les débats que ces derniers suscitent. En effet, parmi les finalités retenues, on retiendra celle de maintenir un haut niveau de protection des cultures, en soutenant la recherche en faveur de solutions apportées aux agriculteurs économiquement viables, techniquement efficaces et compatibles avec le développement durable, afin de diminuer l’usage des produits phytopharmaceutiques et, à défaut de telles solutions, en s’abstenant d’interdire les usages de produits phytopharmaceutiques autorisés par l’Union européenne.

Parmi les priorités il faut également relever que la politique doit également conduire à préserver et développer les réseaux d’irrigation nécessaires à une gestion durable de la production et des surfaces agricoles.

L’article L. 1 B du CRPM pose quant à lui le principe de non‑régression de la souveraineté alimentaire selon lequel la protection du potentiel agricole de la Nation ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment.

De nombreuses mesures sont alors prévues pour favoriser l’accès à la professions agricoles dans les trois premiers titres de la loi (développements des moyens dans le système éducatif, facilitation des transmissions d’exploitation, élaboration d’un contrat de plan régional de développement des formations et de l’orientation professionnelles…).

Sur le plan environnemental c’est plus particulièrement le titre IV relatif à la sécurisation, la simplification et la facilitation de l’exercice des activités agricoles qui nous intéresse.

Des mesures sont d’abord prises pour limiter à 450 euros maximum les amendes sanctionnant les atteintes commises par une personne physique à la conservation d’espèces animales non domestiques, d’espèces végétales non cultivées ou d’habitats naturels en violation des interdictions prévues à l’article L. 411‑1 ou des prescriptions prévues par les règlements ou par les décisions individuelles pris en application de l’article L. 411‑2, lorsque ces atteintes ont été commises de manière non intentionnelle ou par négligence grave. Le texte précise alors dans quelles conditions il doit être considéré que l’atteinte a été intentionnelle ou non (article L. 171-7-2 et suivants du Code de l’environnement issus de l’article 13 du projet de loi). Un dispositif similaire d’amende plafonné est introduit pour les propriétaires d’élevages exploité sans la déclaration ou l’enregistrement qui s’impose (articles L. 171-7-3 du Code de l’environnement issus de l’article 13 bis AAA du projet de loi)

Un certain nombre de travaux forestiers sont, par ailleurs, reconnus d’intérêt général et sécurisés juridiquement tout au long de l’année (article L. 121-7 du Code forestier).

Mais on notera plus particulièrement l’intégration au sein du Code de l’environnement, d’une section entière consacrée à la protection et la gestion durable des haies pour lesquelles une nouvelle définition est proposée (articles L. 412-21 et suivants). L’intervention sur ces haies doit poursuivre un objectif de gestion durable et tout projet de destruction est soumis à déclaration unique préalable à moins que le préfet n’indique à l’auteur de la déclaration que la mise en œuvre de son projet est subordonnée à l’obtention d’une autorisation unique. L’article L. 412-24 définit alors les déclarations, les absences d’opposition, les dérogations et les autorisations intégrées dans la déclaration ou l’autorisation unique. Le principe de la compensation par replantation d’un linéaire au moins égal à celui détruit est également posé et il appartiendra par ailleurs aux préfets de mettre à la disposition du public une cartographie régulièrement mise à jour des protections législatives ou réglementaires applicables aux haies, à une échelle géographique fine. Encore doit on relever que le CRPM sera désormais doté d’une section spécifique relative à la stratégie nationale pour la gestion durable et la reconquête de la haie qui doit définir les orientations à suivre pour conduire la politique de gestion et de développement durables du linéaire de haies sur le territoire (article L. 126-6 du CRPM). Enfin, l’article L. 611-9 du CRPM prévoit les conditions dans lesquelles les gestionnaires de haies peuvent faire l’objet d’une certification garantissant la gestion durable des haies sur la totalité de l’exploitation.

On notera encore qu’un certain nombre de dispositions a vocation à neutraliser les effets du principe de non régression environnemental, prévu à l’article L. 110 du Code de l’environnement – selon lequel la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment –, en vue d’évolutions à prévoir dans les nomenclatures IOTA et ICPE (article 15 bis du projet de loi). C’est ainsi que ce principe ne pourra être invoqué pour s’opposer à la modification de la nomenclature IOTA en ce qui concerne les retenues collinaires ou encore la nomenclature ICPE en ce qui concerne les produits et sous‑produits lainiers, les chiens de troupeaux ou les piscicultures.

Le rôle des départements dans la gestion de l’eau potable est par ailleurs élargie dès lors que ces derniers se voient reconnaître expressément la possibilité de recevoir un mandat de maîtrise d’ouvrage, conclu à titre gratuit, en vue de la production, du transport et du stockage d’eau destinée à la consommation humaine ou en vue de l’approvisionnement en eau, au sens du 3° du I de l’article L. 211‑7 du Code de l’environnement, confié par l’établissement public de coopération intercommunale ou le syndicat mixte compétent (article L. 2224-7-8 du CGCT).

Enfin, le texte (article 15 du projet de loi) élargit les pouvoirs du juge administratif en cas de contentieux dirigé contre certaines décisions portant sur les IOTA « au titre des ouvrages de stockage d’eau ou des prélèvements sur les eaux superficielles ou souterraines, à l’exclusion des ouvrages destinés à permettre un prélèvement sur les eaux souterraines, à la condition que ces projets poursuivent à titre principal une finalité agricole, qu’elle soit culturale, sylvicole, aquacole ou d’élevage » ou sur les ICPE destinées « à l’élevage de bovins, de porcs, de lapins, de volailles et de gibiers à plumes ainsi qu’aux couvoirs et à la pisciculture ». Selon les cas, le juge pourra alors annuler partiellement les décisions soumises à son examen ou encore permettre leur régularisation (articles L. 77-15-1 du Code de justice administrative). L’introduction d’un référé suspension contre ces décisions est en outre encadrée car elle ne sera possible que jusqu’à l’expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort. La condition d’urgence sera, en revanche, présumée satisfaite.

Saisi de la constitutionnalité de ce texte, le Conseil constitutionnel doit encore se prononcer. Au regard de la saisine de la juridiction, celle-ci devra dès lors notamment valider, d’ici le 24 mars prochain, la constitutionalité des articles 1er,13, 13 bis AAAA, 13 bis AAA, 15 ou encore 15 bis du projet de loi.

Référé pénal environnemental : la place des droits de la défense ?

Outil juridique permettant la mise en œuvre de mesures conservatoires de protection de l’environnement prononcées par un Juge des libertés et de la détention (JLD), le référé pénal environnemental prévoit, en vertu de l’article L. 216-13 du Code de l’environnement, une audition préalable de la personne concernée.

Naturellement, la question de l’exercice des droits de la défense dans ce cadre se pose ; la Cour de cassation en a été récemment saisie.

Aux termes d’un arrêt du 28 janvier dernier, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a implicitement considéré que les principes directeurs du procès pénal de l’article préliminaire du Code de procédure pénale n’avaient pas à s’appliquer dans le cadre de cette procédure, à l’exception de l’information de la personne concernée de son droit de garder le silence si elle est visée par une enquête relative aux mêmes faits.

En l’espèce, une enquête préliminaire avait été ouverte après la découverte d’une pollution liée à l’utilisation, lors d’un chantier confié à un Syndicat mixte d’aménagement du territoire, de matériaux impropres à la recharge granulométrique d’un ruisseau.

Parallèlement, le procureur de la République avait saisi le juge des libertés et de la détention (JLD) d’un référé pénal environnemental, qui, par une ordonnance du 3 novembre 2023, avait ordonné au Président du Syndicat mixte, une suspension des opérations de déversement de déchets dans le lit du cours d’eau et une remise en état des lieux.

Le 1er février 2024, la chambre de l’instruction avait partiellement confirmé l’ordonnance du JLD et ordonné des mesures conservatoires pour mettre un terme aux effets de la pollution.

Le moyen du pourvoi, formé contre l’arrêt de la chambre de l’instruction, soutenait que la personne visée par un référé environnemental, qui pourrait être amenée à reconnaître sa culpabilité au travers de déclarations susceptibles d’être portées à la connaissance des autorités de poursuite, devait être informée de son droit de garder le silence lors de son audition devant le JLD.

La Cour de cassation reprend la réserve d’interprétation formulée par une décision du Conseil constitutionnel[1] qui, saisi de la constitutionnalité de l’article L. 216-13 du Code de l’environnement, a établi une exception au principe d’inapplication de la notification du droit de se taire à la personne concernée par le référé, lorsque celle-ci, entendue par le JLD, est suspectée ou poursuivie pénalement pour les faits sur lesquels elle est auditionnée.

Fort de ce constat, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la chambre de l’instruction en affirmant que la personne entendue par le JLD, et suspectée dans le cadre d’une enquête préliminaire pour les mêmes faits, n’a pas été informée de son droit de se taire.

 

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[1] Décision n° 2024-1111 QPC du 15 novembre 2024, Syndicat d’aménagement de la vallée de l’Indre ;

Le nouveau projet d’arrêté relatif aux conditions de production et d’utilisation des eaux usées traitées pour la propreté urbaine soumis à consultation publique

Après les usages agricoles (arrêté du 18 décembre 2023 relatif aux conditions de production et d’utilisation des eaux usées traitées pour l’irrigation de cultures) et les espaces verts (arrêté du 14 décembre 2023 relatif aux conditions de production et d’utilisation des eaux usées traitées pour l’arrosage d’espaces verts), c’est désormais l’utilisation des eaux usées traitées pour la propreté urbaine qui est réglementée par un projet d’arrêté.

Ce projet est soumis à consultation publique ouverte sur internet du 25 février 2025 au 24 mars 2025.

Celui-ci permet d’autoriser plus rapidement les projets d’utilisation des eaux usées traitées dans le domaine de la propreté urbaine (le nettoyage de voirie par balayeuse, le nettoyage, sans lance d’aspersion, des accotements, des ouvrages d’art, le nettoyage de quais de déchetterie, l’hydrocurage de réseaux d’assainissement, les opérations sur installation d’assainissement non collective et le nettoyage de bennes à ordures).

En application de l’article R. 211-128 du Code de l’environnement, il fixe les exigences minimales de qualité auxquelles les eaux doivent satisfaire ou les prescriptions générales permettant d’atteindre un niveau de protection équivalent qui, si elles sont respectées, permettent au responsable de ne pas procéder aux consultations du conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques (CoDERST) et de l’Agence régionale de santé (ARS).

Ce projet d’arrêté s’inscrit dans le cadre de l’utilisation des eaux de pluie et des eaux usées traitées réglementée par les articles R. 211-123 à R. 211-128 du Code de l’environnement et visant à promouvoir une utilisation efficace, économe et durable de la ressource en eau en application de l’article L. 211-1 du même Code, afin d’assurer une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau.

En outre, l’article 10 du projet d’arrêté prévoit de modifier l’arrêté du 14 décembre 2023 relatif aux conditions de production et d’utilisation des eaux usées traitées pour l’arrosage d’espaces verts afin de préciser des dispositions relatives aux niveaux de rejets des installations classées pour la protection de l’environnement et aux contraintes de distances aux zones sensibles pour l’arrosage par aspersion.

Pour rappel, le plan d’action pour une gestion résiliente et concertée de l’eau publié par le gouvernement le 30 mars 2023 prévoit d’atteindre 10 % d’économie d’eau d’ici 2030 et de développer 1000 projets de réutilisation d’eaux usées sur le territoire, d’ici 2027.

Périmètre de la compétence « gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations »

Le 20 février 2025, le ministère de l’Aménagement du territoire et de la décentralisation s’est prononcé sur la question de savoir si l’autorité compétente au titre de la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI) devait prendre en charge le coût des travaux relatifs au busage d’un cours d’eau.

Le Ministère a d’abord rappelé les finalités de la compétence GEMAPI définies aux 1°, 2°, 5° et 8° du I de l’article L. 211-7 du Code de l’environnement. Celles-ci consistent en l’aménagement de bassin hydrographique ou d’une fraction de bassin hydrographique ; l’entretien de cours d’eau, canal, lac ou plan d’eau y compris les accès à ce cours d’eau, à ce canal, à ce lac ou à ce plan d’eau ; la défense contre les inondations et contre la mer ; la protection et la restauration des sites, des écosystèmes aquatiques et des zones humides ainsi que des formations boisées riveraines.

S’agissant des travaux de busage d’un cours d’eau, il a ensuite précisé que l’autorité gemapienne n’était pas nécessairement maître d’ouvrage de ces travaux. Elle peut l’être si ces travaux sont déclarés d’intérêt général par le préfet à la suite d’une demande formulée par une collectivité gemapienne et s’ils contribuent au redimensionnement de l’ouvrage ou au profil d’équilibre du lit mineur ou encore à l’écoulement naturel des eaux ou à la continuité écologique.

Ainsi, ces travaux doivent tendre à satisfaire l’une des finalités de la compétence GEMAPI.

En adoptant une telle position, le Ministre donne une interprétation de la responsabilité du gemapien plus restrictive du gemapien que cette retenue par la Cour administrative d’appel de Lyon le 30 janvier 2025, qui avait considéré que l’autorité gemapienne était responsable de tous les ouvrages canalisant un cours d’eau, y compris un busage réalisé en vue de la construction de parking (CAA de Lyon, 30 janvier 2025, n° 23LY01154).

Il limite ainsi l’engagement de la responsabilité de l’autorité gemapienne aux cas où les travaux relatifs au busage ont un intérêt du point de vue de la gestion des milieux aquatiques.