Précision importante sur le recours à l’expropriation en vue de la constitution d’une réserve foncière

Par arrêté en date du 31 août 2018, la préfète de la Charente a déclaré d’utilité publique (DUP) le projet de requalification d’une friche industrielle sur le site dit des « Chais Montaigne », situé boulevard Jean Monnet à Angoulême. Précisément et pour ce faire, elle a eu recours à l’expropriation en vue de la constitution d’une réserve foncière.

L’emprise, d’une superficie de plus de quatre hectares, abrite une ancienne usine d’embouteillage, constituée d’anciens hangars et bâtiments industriels désaffectés depuis 2004. Le site est laissé à l’abandon, menace ruine et n’est pas sécurisé. Il a déjà fait l’objet d’intrusions et a donné lieu à un accident mortel en 2015. Enfin, les sols de celui-ci sont pollués par des hydrocarbures. La DUP a fait l’objet d’un recours en excès de pouvoir par le propriétaire et par le bénéficiaire d’une promesse de vente, ayant fait, par ailleurs, une demande de permis d’aménager sur la parcelle concernée.

Par un arrêt du 30 avril 2024, le Conseil d’Etat a pu préciser le degré minimal de consistance d’un projet dont une collectivité doit justifier lorsqu’elle constitue, par voie d’expropriation, une réserve foncière. Au cas présent, le Conseil d’Etat relève que le terrain des « Chais Montaigne » a été réservé pour permettre la réalisation d’une opération de renouvellement urbain afin, d’une part, de résorber une friche industrielle à l’entrée de la ville présentant un danger avéré pour les habitants et, d’autre part, de développer de nouvelles zones d’activité économique ainsi qu’une offre de logements familiaux à loyer abordable, conformément à la vocation de la zone telle que modifiée par le plan local d’urbanisme intercommunal alors en cours d’élaboration et adopté en décembre 2019.

Il en conclut que la maîtrise foncière, par voie d’expropriation en vue de la constitution d’une réserve foncière, est nécessaire pour préciser le programme d’aménagement, alors même que la consistance du projet n’est définie que de manière sommaire, sans que ne soit arrêtée la répartition entre les composantes développement économique et habitat, en particulier pour réaliser les diagnostics et actions de dépollution rendus nécessaires par la présence historique de dépôts d’hydrocarbures sur le site. En conséquence, le Conseil d’Etat juge que l’expropriant justifiait à la date à laquelle la procédure de déclaration d’utilité publique est engagée, de l’existence d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme, alors même que les caractéristiques de ce projet n’auraient pas encore été définies à cette date.

Ainsi, sans revenir sur l’obligation pour la collectivité de justifier de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme, le Conseil d’Etat admet que la constitution de réserves foncières soit autorisée non seulement lorsque les caractéristiques précises du projet n’ont pas été définies, mais aussi lorsque la consistance du projet reste définie sommairement sans que toutes ses composantes n’aient encore été arrêtées.

Par son arrêt, le Conseil d’Etat affirme la spécificité des réserves foncières dont l’objet n’est pas de « réaliser mais seulement d’anticiper la réalisation d’actions ou d’opérations d’aménagement, ce que traduit l’écart de texte entre les dispositions de l’article L. 221-1 et celles de l’article L. 210-1 [du Code de l’urbanisme] propre aux droits de préemption, les réserves foncières [au titre du Code de l’expropriation] étant exercées non pas «  en vue de la réalisation «  des actions et opérations mais «  en vue de permettre la réalisation «  de celles-ci »[1].

 

[1] Conclusions du rapporteur public Monsieur Nicolas AGNOUX sous l’arrêt commenté.

L’élargissement de la faculté d’opérer des perquisitions de nuit aux crimes contre les personnes de droit commun

La perquisition est « la recherche, à l’intérieur d’un lieu normalement clos, notamment au domicile d’un particulier, d’indices permettant d’établir l’existence d’une infraction ou d’en déterminer l’auteur »[1]. Conformément à l’article 59 du Code de procédure pénale, les perquisitions et visites domiciliaires ne peuvent être commencées qu’entre 6 heures et 21 heures, et ce, à peine de nullité. Cependant, elles peuvent se dérouler de nuit, avant 6 heures et après 21 heures, lorsque la mesure concerne les infractions de :

  • Criminalité organisée[2];
  • Trafic de stupéfiants (sauf locaux d’habitation)[3] ;
  • Proxénétisme[4].

Par la loi du 20 novembre 2023, un nouvel article 59-1 du Code de procédure pénale a été créé :

« Si les nécessités de l’enquête de flagrance relative à l’un des crimes prévus au livre II du Code pénal, autres que ceux relevant des articles 706-73 et 706-73-1 du présent code, l’exigent, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire peut, à la requête du procureur de la République et selon les modalités prévues aux premier et dernier alinéas de l’article 706-92, par ordonnance spécialement motivée au regard des conditions prévues aux 1° à 3° du présent article, autoriser que les perquisitions, les visites domiciliaires et les saisies de pièces à conviction soient opérées en dehors des heures prévues à l’article 59 :

1° Lorsque leur réalisation est nécessaire pour prévenir un risque imminent d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique ;2° Lorsqu’il existe un risque immédiat de disparition des preuves et des indices du crime qui vient d’être commis ;

3° Pour permettre l’interpellation de la personne soupçonnée s’il est nécessaire de procéder à cette interpellation en dehors des heures prévues au même article 59 afin d’empêcher cette personne de porter atteinte à sa vie ou à celle des enquêteurs.


Ces opérations ne peuvent, à peine de nullité, avoir un autre objet que la recherche et la constatation des infractions mentionnées dans la décision du juge des libertés et de la détention. Le fait que ces opérations révèlent des infractions autres que celles mentionnées dans la décision du juge des libertés et de la détention ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes. »

De fait, ce nouvel article élargit la possibilité d’effectuer des perquisitions de nuit en les autorisant dans le cadre d’enquêtes de flagrance relatives aux crimes contre les personnes de droit commun[5] pour :

  • Prévenir un risque imminent d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique;
  • Eviter un risque immédiat de disparition de preuves ou d‘indices ;
  • Interpeller la personne soupçonnée.

Notons que si ces nouvelles dispositions avaient été contestées — dans le cadre d’une saisine a priori du Conseil constitutionnel — comme permettant d’étendre les perquisitions de nuit à un nombre considérable d’infractions, le Conseil constitutionnel a considéré qu’elles opéraient une conciliation équilibrée entre la nécessité de rechercher les auteurs d’infractions et celles de protéger le droit au respect de la vie privée et l’inviolabilité du domicile. Il énonce toutefois une réserve d’interprétation selon laquelle [6] :

« À cet égard, la notion de  » risque immédiat de disparition des preuves et des indices du crime qui vient d’être commis «  doit s’entendre comme ne permettant d’autoriser une perquisition de nuit que si celle-ci ne peut être réalisée dans d’autres circonstances de temps ».

Par ailleurs, la loi du 20 novembre 2023 institue également un nouvel article 97-2 du Code de procédure pénale qui permet au juge d’instruction d’autoriser une perquisition de nuit « si les nécessités de l’information relative à l’un des crimes prévus au livre II du Code pénal » (crimes contre les personnes) l’exigent et qu’il s’agit d’un crime flagrant.

Précisons que l’entrée en vigueur de ces deux nouveaux articles est différée et fixée au 30 septembre 2024.

 

[1] Cass. Crim. 29 mars 1994, n° 93-84.995

[2] Articles 706-89 à 706-92 du Code de procédure pénale

[3] Article 706-28 du Code de procédure pénale

[4] Article 706-35 du Code de procédure pénale

[5] Articles 211-1 à 228-1 du Code pénal

[6] CC, 16 novembre 2023, n° 2023-866 DC, Considérants 22 à 32

Vice affectant la légalité de la Déclaration d’utilité publique invoqué par voie d’exception contre l’arrêté de cessibilité : le refus de permettre sa régularisation en cours d’instance

Nouvelle pierre à l’édifice du contentieux de la régularisation mis en place par le Conseil d’Etat : un vice affectant la légalité d’une déclaration d’utilité publique (DUP) ne peut pas faire l’objet d’une régularisation en cours d’instance. Au terme d’un arrêt du 14 juin dernier, le Conseil d’Etat refuse d’étendre la jurisprudence commune de Grabels[1] au vice invoqué à l’encontre d’une DUP par voie d’exception dans le cadre d’un recours en vue de l’annulation de l’arrêté de cessibilité. Les requérants, propriétaires de parcelles déclarées cessibles par arrêté préfectoral à la suite d’un arrêté déclarant d’utilité publique la zone d’aménagement concerté « Littorale », ont tenté d’obtenir l’annulation de l’arrêté de cessibilité du 27 février 2017 en soulevant un vice de procédure d’adoption de la DUP.

Après un premier passage devant la 6ème chambre du Conseil d’Etat, ce dernier ayant jugé le vice régularisable, la Cour administrative d’appel de Marseille a, de nouveau, annulé l’arrêté de cessibilité estimant que le vice n’était ni régularisé, ni régularisable. Un nouveau pourvoi a été formé par l’établissement public d’aménagement en charge du projet et le ministre de la transition écologique. Estimant que le vice était régularisable, les requérants soutenaient que la jurisprudence Commune de Grabels du 9 juillet 2021 (n° 437634, publié au Recueil) s’appliquait au cas présent. Pour rappel, cette jurisprudence étend le mécanisme de la régularisation (notamment mis en place pour les autorisations d’urbanisme) aux déclarations d’utilité publique. Elle permet au juge de surseoir à statuer en vue de la régularisation d’un tel acte dans le cadre d’un contentieux en annulation engagé directement contre la DUP. Estimant qu’une telle régularisation était possible par voie d’exception, les requérants n’ont pas hésité à saisir une deuxième fois le Conseil d’Etat en vue d’obtenir la régularisation du vice affectant la DUP du projet à l’occasion du contentieux contre l’arrêté de cessibilité. Telle était aussi la position partagée par Monsieur le Rapporteur public Nicolas Agnoux dans cette affaire.

Toutefois, par un arrêt mentionné aux tables du recueil Lebon, par un fichage B, le Conseil d’Etat, statuant en 6ème et 5ème chambres réunies, en a décidé autrement, estimant que si une régularisation de la DUP était possible dans l’hypothèse d’un contentieux par voie d’action, il en était autrement dans l’hypothèse de telle demande formulée par voie d’exception :

« 2. En premier lieu, si le juge administratif, saisi de conclusions dirigées contre un acte déclarant d’utilité publique et urgents des travaux, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’une illégalité entachant l’élaboration ou la modification de cet acte est susceptible d’être régularisée, il peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Il en va toutefois différemment lorsqu’est invoqué par voie d’exception, à l’appui de conclusions dirigées contre un arrêté de cessibilité, un vice affectant l’acte déclaratif d’utilité publique sur le fondement duquel cet arrêté de cessibilité a été pris. Dans cette hypothèse, un tel vice est insusceptible d’être régularisé dans le cadre du recours dirigé contre l’arrêté de cessibilité ».

En refusant de permettre la régularisation d’une DUP dont le vice entachant la légalité est invoqué par voie d’exception à l’encontre de l’arrêté de cessibilité, la Haute Cour affirme ainsi une certaine indépendance de ces deux actes, limitant les effets tirés de sa jurisprudence sur les liens entre DUP et arrêté de cessibilité. En effet, le Conseil d’Etat reconnaît que la DUP et l’arrêté de cessibilité forment une opération complexe admettant que la légalité d’une déclaration d’utilité publique, même définitive, puisse être contestée par voie d’exception dans le cadre d’un contentieux engagé contre l’arrêté de cessibilité (CE, 4 août 2021, Commune de Mitry-Mory, req. n° 458524). Pour autant, si ces deux actes font partie d’une opération complexe entrainant des annulations en cascade en cas de vices entachant leur légalité, ce lien ne va pas jusqu’à permettre d’obtenir la régularisation de la DUP par voie d’exception dans la cadre d’un sursis à statuer, le Conseil d’Etat s’y opposant fermement.

En conséquence, si le juge administratif est doté d’un pouvoir de régularisation dans le cadre d’un recours par voie d’action à l’encontre de la DUP, il en est dépourvu lorsque celle-ci est attaquée par voie d’exception lors d’un recours pour excès de pouvoir contre l’arrêté de cessibilité.

 

[1] CE, 2èmes et 7èmes chambres réunies, 9 juillet 2021, n° 437634, fiché A.

Instruction d’une demande d’imputabilité au service d’un accident et principe d’impartialité de l’autorité hiérarchique

On savait déjà que le principe d’impartialité, prévu à l’article 25 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires (lequel a été codifié à l’article L.121-1 du Code général de la fonction publique) s’impose à toute autorité administrative dans toute l’étendue de son action, y compris dans l’exercice du pouvoir hiérarchique.

Sur le fondement de ce principe, le Conseil d’Etat a précédemment considéré[1] que le supérieur hiérarchique mis en cause à raison d’actes commis à l’encontre de son subordonné, qui, par leur nature ou leur gravité, sont insusceptibles de se rattacher à l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, « ne peut régulièrement, quand bien même il serait en principe l’autorité compétente pour prendre une telle décision, statuer sur la demande de protection fonctionnelle présentée pour ce motif par son subordonné. »

Dans un arrêt en date du 20 juin 2024, la Cour administrative d’appel de Lyon est-elle venue définir les contours du principe d’impartialité dans l’hypothèse où un supérieur hiérarchique serait amené à instruire une demande d’imputabilité au service d’un accident déclaré par un agent à la suite d’une réunion avec ledit supérieur hiérarchique, et notamment préciser si ce dernier était tenu de se déporter en pareil cas.

En l’espèce, un directeur général des services contestait le refus du maire de sa commune de lui reconnaître l’imputabilité au service de l’accident dont il s’estimait victime, en soutenant notamment que la décision avait été prise par une autorité incompétence au motif que le maire aurait dû se déporter du fait de sa partialité. L’agent avait déclaré un harcèlement moral puis une atteinte psychologique à la suite d’une réunion avec le maire et ses adjoints. La Cour est venue préciser, dans le cadre d’un considérant de principe, que si le respect du principe d’impartialité commande à l’autorité hiérarchique compétente, personnellement mise en cause par un agent, de s’abstenir de statuer sur la demande présentée par cet agent et qui tendrait à obtenir une mesure d’assistance, de protection ou de poursuite nécessitée par cette mise en cause personnelle, « il en va différemment lorsque la même autorité doit statuer sur une demande mettant en cause la collectivité ou le service que cette autorité représente ». En effet dans cette dernière hypothèse, la Cour considère que l’autorité hiérarchique « peut régulièrement statuer et l’impartialité à laquelle elle est tenue doit s’apprécier, dans les circonstances de l’espèce, en fonction de l’attitude qu’elle aura manifestée au cours de l’instruction puis dans la prise de la décision ».

Cette décision établie donc une distinction dans l’appréciation du principe d’impartialité, entre deux cas de figures :

1/. Lorsque l’autorité hiérarchique compétente est personnellement mise en cause par un agent qui présente une demande tendant à obtenir une mesure d’assistance, de protection ou de poursuite (nécessitée par cette mise en cause personnelle): elle est alors tenue, au nom du principe d’impartialité, de s’abstenir de statuer sur cette demande et doit donc obligatoirement se déporter au profit d’une autre autorité.

En pareil cas, le refus de se déporter méconnait le principe d’impartialité ;

2/. Lorsque l’autorité hiérarchique statue sur une demande du même type mais mettant en cause la collectivité ou le service qu’elle représente: elle peut statuer sur la demande mais son impartialité pourra toutefois être contrôlée par le juge, et s’appréciera en fonction de son attitude au cours de l’instruction et dans la prise de la décision[2].

En pareil cas, le refus de se déporter ne méconnait pas en lui-même le principe d’impartialité.

Au cas d’espèce, les juges d’appel ont estimé – dans le cadre de la 1ère étape du raisonnement – que même si les causes de l’accident de service impliquaient le maire, la demande de reconnaissance d’accident de service mettait en cause la commune et non le maire, de sorte que le refus de reconnaitre l’imputabilité au service n’était pas entaché de partialité au seul motif que le maire ne s’était pas abstenu de statuer.

Puis – dans le cadre de la 2nde étape du raisonnement – ils ont considéré que le maire a pu statuer sans méconnaitre ledit principe, dès lors qu’il « s’est borné à consulter la commission départementale de réforme de l’Isère et à s’en approprier le sens, sans manifester de parti pris au cours de l’instruction ou à l’occasion de la rédaction de la décision ». Les juges en ont donc déduit que l’absence de manifestation d’un parti-pris de la part du maire et le fait pour celui-ci d’avoir suivi l’avis de la Commission de réforme, permettaient, dans les circonstances de l’espèce, de conclure à l’absence de partialité de l’autorité hiérarchique.

Cet arrêt laisse présager des contentieux en perspective, à l’issue incertaine pour les administrations publiques puisque, même dans le cas où le déport n’est pas obligatoire (pas de mise en cause personnelle), l’impartialité de l’autorité hiérarchique lors de l’instruction d’une déclaration d’accident de service, pourra être contrôlée par le juge administratif, et appréciée en fonction des circonstances de l’espèce.

 

[1] CE, 29 juin 2020, n° 423996.

[2] A cet égard on peut rappeler que dans une décision en date du 30 décembre 2010, n° 338273, le Conseil d’Etat avait considéré que le principe d’impartialité impose de « s’abstenir de toute prise de position publique de nature à compromettre le respect de ce principe ».

Enregistrer à son insu un collègue ou un supérieur hiérarchique, une mauvaise idée pour l’agent public.

TA de Lyon, 8ème, 3 mai 2024, n° 2203751

Par deux décisions rendues au cours du printemps, le Tribunal administratif de Lyon et la Cour administrative d’appel de Nancy sont venus rappeler l’interdiction pour les agents publics de procéder à l’enregistrement de leurs collègues et supérieurs hiérarchiques sans leur autorisation. Et cela, même si l’agent n’a pas procédé lui-même à l’enregistrement. Et cela même s’il s’estime victime de harcèlement.

Dans le litige dont était saisi la Cour administrative d’appel de Nancy, le requérant avait fait installer par son collègue, placé sous son autorité, un dispositif discret d’enregistrement dans un véhicule de service dans le but de confondre l’un de ses collègues, qu’il soupçonnait d’avoir bloqué sa carte professionnelle par malveillance. Bien que l’intéressé n’ait pas lui-même procédé à l’enregistrement, la Cour a rappelé que « la décision contestée ne reproche pas au requérant d’avoir placé lui-même le dispositif, mais d’avoir eu l’idée d’enregistrer secrètement les conversations de l’un de ses collègues pendant le service ». Et la Cour de juger que « la démarche consistant à faire enregistrer secrètement les conversations de ses collègues », qui a par ailleurs a « eu pour effet d’exacerber les tensions déjà prégnantes dans le service », constitue un manquement aux obligations de loyauté, de dignité et d’exemplarité.

En d’autres termes, la simple commande de faire procéder à l’enregistrement d’un collègue est fautive.

Pour ce qui est du Tribunal administratif de Lyon, la juridiction a confirmé la légalité de la sanction d’exclusion temporaire de fonctions de trois jours d’une rédactrice territoriale qui avait notamment méconnu son obligation de réserve et de dignité en enregistrant ses supérieurs à leur insu lors d’un entretien.

En l’espèce, la requérante justifiait ses agissements en soutenant qu’elle aurait été victime de harcèlement moral. Argument qui n’a pas convaincu le tribunal et qu’il a écarté de la manière suivante : « Si Mme X expose qu’elle a été victime de harcèlement moral dans le cadre de ses fonctions, les circonstances dont il est fait état et relatives au déroulement de sa carrière, à ses conditions de travail, à son état de santé et aux missions qui lui étaient confiées ne permettent pas de faire présumer un tel harcèlement ». Dans la mesure où la requérante « a reconnu lors de la séance du conseil de discipline avoir procédé à l’enregistrement de ses supérieurs à leur insu lors d’un entretien », le tribunal estime que l’agent a observé un comportement fautif, et cela peu importe la motivation qui l’avait animé. Dès lors, la simple conviction de subir une situation de harcèlement moral ne saurait légitimer l’enregistrement à l’insu de ses supérieurs hiérarchiques. Mais en aurait été-il autrement si le harcèlement moral avait été bel et bien caractérisé ?

La chambre sociale de la Cour de Cassation a admis récemment la recevabilité d’un mode de preuve obtenu de manière déloyale, dès lors qu’il est indispensable à l’exercice du droit du justiciable à condition qu’il ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse, à l’image du droit au respect de la vie privée (Cass., plén., 22 déc. 2023, n° 20-20.648 ; Cass., plén., 22 déc. 2023, n° 21-11.330). Était en cause dans la première affaire des enregistrements clandestins destinés à prouver la faute grave du salarié susceptible de justifier son licenciement.

La position du Conseil d’Etat est plus ferme. En consacrant un principe de loyauté de l’Administration employeur vis-à-vis de ses agents, cette dernière ne peut fonder une sanction disciplinaire sur des pièces ou documents obtenus en méconnaissance de cette obligation sauf si un intérêt public majeur le justifie. Et le juge est tenu d’apprécier la légalité de la sanction disciplinaire au regard des seules pièces que l’autorité disciplinaire pouvait retenir (CE, 16 juillet 2014, n° 355201). Ce principe de loyauté semble avoir été étendu aux agents vis-à-vis de leur Administration employeur. En effet, par exemple, un procès-verbal de constat d’huissier transcrivant les enregistrements clandestin de conversations a dû être  écarté « eu égard au principe de loyauté des preuves qui s’impose dans le procès administratif, sauf si un intérêt public majeur le justifie, ce qui n’est pas démontré ni même allégué par Mme C…, ce procès-verbal de constat doit être écarté » (C.A.A. de Douai, 1er décembre 2016, n° 14DA01169). Et puis, à supposer que le Conseil d’Etat vienne à admettre un procédé aussi déloyal que l’enregistrement clandestin, il n’en demeurerait pas moins que le comportement de l’agent resterait, malgré tout, fautif. Et ce, pour deux raisons.

D’abord parce que l’on rappellera que cette pratique dans l’air du temps, tendant donc (à tort ou à raison) à se généraliser, reste une infraction pénale. En effet, en vertu des dispositions de l’article 226-1 du Code pénal, la captation ou l’enregistrement à l’insu de son auteur de paroles prononcées à titre privé ou confidentiel est une atteinte à la vie privée passible d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Ensuite parce que la spécificité du droit de la fonction publique impose aux agents publics un devoir de loyauté, de dignité, d’exemplarité et de réserve. En ce sens, le Tribunal administratif de Paris a par exemple jugé que : « la circonstance que ces enregistrements et cette note n’aient pas été diffusés de manière publique, mais uniquement à un huissier et à un magistrat instructeur dans la cadre d’une enquête pénale, pour justifier des faits de harcèlement moral, ne saurait exonérer l’agent de son devoir d’exemplarité et de loyauté ». (T.A. de Paris, 13 avril 2023, n° 2110196).

Ce qui est certain, c’est qu’en l’état de la jurisprudence administrative, la fin ne justifie toujours pas les moyens.

Maintien de la majoration de traitement pour un fonctionnaire affecté à Mayotte et placé en congé maladie à la suite d’un accident de service

Un fonctionnaire affecté dans le département de Mayotte a le droit au maintien de la majoration de traitement en cas de congé de maladie en raison d’un accident de service. Et ce, même s’il séjourne en dehors du département.

On sait qu’en cas d’accident de service, un fonctionnaire bénéficie de l’intégralité de son traitement jusqu’à ce qu’il soit en état de reprendre ses fonctions. Cela comprend classiquement le maintien du supplément familial de traitement, l’indemnité de résidence et certaines indemnités accessoires « à l’exclusion de celles qui sont rattachées à l’exercice des fonctions ou qui ont le caractère de remboursement de frais » (C.E., 24 novembre 1971, n° 80035).

En l’espèce, la question posée au Conseil d’Etat était la suivante : la majoration de traitement versée à un fonctionnaire en raison de son affectation à Mayotte est-elle rattachée à l’exercice des fonctions ?

En réalité, cette question avait déjà été tranchée. Mais sous l’empire d’anciens textes. Le Conseil d’Etat avait ainsi jugé que cette indemnité se rattachait à l’exercice des fonctions. Partant, un fonctionnaire placé en congé de maladie ordinaire ne pouvait obtenir le maintien d’une telle majoration de traitement (C.E., 28 décembre 2001, n° 236161). Mais depuis, le cadre réglementaire a évolué avec l’adoption et l’entrée en vigueur du Décret du 26 août 2010 n° 2010-997, dont le Conseil d’Etat, dans la décision commentée, vient nous apporter des éclaircissements quant à son application. Précisons que ce décret prévoit un maintien des primes et indemnités aux fonctionnaires d’Etat, relevant de la fonction publique, « dans les mêmes proportions que le traitement » notamment en cas d’une maladie provenant d’un accident de service à moins que :

  • Les dispositions des régimes indemnitaires prévoient leur modulation en fonction des résultats et de la manière de servir de l’agent ;
  • Les dispositions prévoient, pour certains régimes indemnitaires spécifiques, leur suspension à compter du remplacement de l’agent dans ses fonctions.

Concernant les agents affectés à Mayotte, il ne ressort d’aucun texte que leur majoration de traitement serait liée aux résultats ou à leur manière de servir. Pas d’avantage qu’il ne serait prévu de règle de suspension en cas de remplacement. C’est en suivant ce raisonnement que le Conseil d’Etat a jugé que : « la majoration de traitement attribuée aux fonctionnaire affectés à Mayotte en application des dispositions rappelées au point 3 ne relève d’aucune de ces exceptions. Il résulte de ce qui précède qu’un fonctionnaire en service dans le Département de Mayotte et placé en congé de maladie à la suite d’un accident de service a droit au maintien de l’intégralité de la majoration de traitement prévue par l’article 1er du décret du 28 octobre 2013 ».

En d’autres termes, désormais, en application du Décret du 26 août 2010, le placement en congé de maladie ordinaire ne s’oppose plus au versement de la majoration de traitement octroyée aux fonctionnaires en service dans le département de Mayotte. Autre apport de cette décision : le Conseil d’Etat précise que le maintien de la majoration n’est pas conditionné à une résidence effective à Mayotte : « la circonstance que le fonctionnaire placé dans une telle situation séjourne hors de ce Département au cours de son congé est par ailleurs sans incidence sur son affectation et, par suite, sur son droit à indemnité ».

Puisqu’il faut savoir que le décret du 26 août 2010 ouvre le bénéfice de la majoration de traitement à l’ensemble des fonctionnaires « en service dans le Département de Mayotte », et que cette notion ne définit « ni n’implique une condition de résidence mais se borne à désigner les agents affectés dans le département de Mayotte », pour citer le Rapporteur Public Nicolas Agnoux. Et ce dernier d’ajouter « pendant la durée de son congé, l’agent doit donc être regardé comme demeurant ‘‘en service dans le Département de Mayotte’’ sans qu’il soit tenu compte de sa résidence effective pendant la période en cause ».

Affectation et résidence ne doivent donc pas être confondues.

Incomplétude du dossier de demande de permis de construire : la nouvelle demande de pièces manquantes entérinée et encadrée

Si le dossier de demande de permis de construire reste incomplet malgré les pièces fournies à la suite d’une demande de pièces manquantes (R. 423-38 du Code de l’urbanisme), l’Administration peut, une nouvelle fois, inviter le pétitionnaire à le compléter. Ce compris dans le délai d’un mois. Cette demande est toutefois sans incidence, tant sur le cours du délai de réponse de trois mois offert au pétitionnaire, que sur la naissance d’une décision tacite de rejet s’il ne régularise pas son dossier au terme de ce délai.

En l’espèce, la demande de permis de construire avait pour objet la construction d’une villa de 400m² avec piscine à Coti-Chiavari (Corse-du-Sud). Le préfet avait formulé une première demande de pièces afin que l’attestation de conformité du projet d’installation d’assainissement non collectif prévue par le d) de l’article R. 431-6 du Code de l’urbanisme, soit fournie. Si le pétitionnaire a d’abord fait parvenir un rapport établi par la société délégataire du service public de l’assainissement non collectif, ce n’est qu’à la suite d’une nouvelle demande de l’Administration que l’attestation demandée a finalement été communiquée. Le requérant estimait avoir produit les pièces demandées dès la première invitation de l’Administration et considérait donc être devenu bénéficiaire d’un permis de construire tacite au terme du délai de trois mois. En lui opposant, à l’issu de ce délai, un refus de permis de construire, le préfet avait selon lui illégalement retiré ce permis tacite.

Le préfet ne souscrivait pas à cette analyse. Selon lui, le pétitionnaire avait complété son dossier non pas à raison de son premier envoi, celui du rapport, mais à raison de son second envoi, celui de l’attestation. Le délai d’instruction n’avait donc commencé à courir qu’à partir de cette dernière date. Il revenait alors au Conseil d’Etat, d’abord de déterminer s’il était possible d’adresser deux demandes successives de pièces au-delà du délai d’un mois, puis, le cas échéant, de préciser les effets de telles demandes. On sait que lorsqu’un dossier de demande de permis de construire est incomplet, l’autorité compétente adresse au pétitionnaire une demande de communication des pièces manquantes dans un délai d’un mois (article R. 423-38 du Code de l’urbanisme). Le pétitionnaire dispose alors d’un délai de trois mois pour adresser les documents au service instructeur (article R. 423-9 a) du Code de l’urbanisme).

 

Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat va distinguer trois cas de figure pouvant se présenter à l’Administration à la suite d’une demande de pièces manquantes et va en préciser les conséquences :

 

  • Le pétitionnaire peut produire l’ensemble des pièces manquantes dans le délai de trois mois. Dans ce cas, « le délai d’instruction commence à courir à la date à laquelle l’administration les reçoit et, si aucune décision n’est notifiée à l’issue du délai d’instruction, un permis de construire est tacitement accordé» conformément aux dispositions de l’article R. 424-1 du Code de l’urbanisme ;
  • En revanche « à défaut de production de l’ensemble des pièces manquantes» dans le délai de trois mois, la demande fera l’objet d’une décision tacite de rejet ;
  • Enfin, si le dossier de demande de permis de construire reste incomplet malgré la production de pièces par le pétitionnaire, l’Administration peut, dans le délai de trois mois, « inviter à nouveau le pétitionnaire à le compléter, cette demande étant toutefois sans incidence sur le cours du délai et la naissance d’une décision tacite de rejet si le pétitionnaire n’a pas régularisé son dossier au terme de ce délai».

 

On peut alors déduire deux choses de cette décision.

 

Tout d’abord, que la pratique dite des « courriers de relance » est admise. Et que l’Administration est donc libre d’inviter, une nouvelle fois, le pétitionnaire à compléter son dossier de demande de permis de construire. Le Conseil d’Etat a en ce sens suivi les conclusions de Laurent Domingo, lequel, estimait que les dispositions du Code de l’urbanisme « ne font pas obstacle, lorsque le demandeur ne produit pas la pièce demandée à ce que l’autorité compétente lui réclame à nouveau cette pièce, même passé le délai d’un mois depuis le dépôt de la demande de permis de construire ».

Ensuite, que la nouvelle demande de pièces manquantes est sans incidence sur les délais :

 

  • Elle ne fait courir aucun nouveau délai de trois mois qui continue de courir tant que le pétitionnaire ne communique pas la pièce exigée. Ce dernier s’exposant toujours à la naissance d’une décision tacite de refus ;
  • Si le pétitionnaire communique la pièce exigée, la demande de permis de construire devient complète après production de la dernière pièce et ce n’est qu’à compter de cette date que le délai d’instruction, également de trois mois, commence à courir.

Rappelons toutefois que si cette nouvelle demande de pièces manquantes est « à l’avantage du demandeur », pour reprendre les termes de Laurent Domingo, elle n’est qu’une simple faculté dont est libre de disposer ou non l’Administration. En d’autres termes, cette dernière n’est pas tenue d’informer le pétitionnaire du fait que la pièce versée ne répond que partiellement à sa demande de pièce complémentaire. Dans ce cas, deux situations peuvent alors se présenter au pétitionnaire. S’il a fourni les pièces manquantes demandées, il pourra être titulaire d’un permis de construire tacite. Mais s’il ne complète pas son dossier, sa demande sera tacitement rejetée à l’issue du délai de trois mois.

Attention, néanmoins, à ce que la demande de pièces manquantes soit bien légale : depuis sa décision « Commune de Saint-Herblain », le Conseil d’Etat juge que « le délai d’instruction n’est ni interrompu, ni modifié par une demande, illégale, tendant à compléter le dossier par une pièce qui n’est pas exigé » par le Code de l’urbanisme (C.E., 9 décembre 2022, n° 454521).

Procédure disciplinaire : l’interdiction à l’avocat de prendre la parole prive l’agent d’une garantie

Les obligations d’information du droit à la communication du dossier, de motivation des décisions prononçant une sanction disciplinaire, ou encore, le recours même au conseil de discipline, sont autant de garanties qui s’ancrent dans la droite ligne du principe général des droits de la défense applicable à toute mesure administrative présentant un caractère de sanction[1]. Le principe du caractère contradictoire de la procédure[2], corollaire du respect des droits de la défense, implique que l’agent poursuivi disciplinairement puisse présenter des observations sur les faits qui lui sont reprochés avant que l’autorité disciplinaire ne prononce de sanction[3].

Dans un arrêt en date du 27 février 2024, la Cour administrative de Bordeaux a précisé la portée de ces principes s’agissant de l’intervention de l’avocat lors des entretiens dans lesquels il assiste son client, en jugeant que l’avocat doit être mis en mesure de présenter des observations orales lorsqu’il vient assister son client en entretien disciplinaire. Lui interdire toute prise de parole prive l’agent d’une garantie, entraînant l’illégalité de la procédure.

En l’espèce, dans la perspective d’un licenciement disciplinaire, l’agent[4] s’était présenté à son entretien préalable accompagné de son avocat, ainsi que le permettent les dispositions de l’article 44 du décret du 17 janvier 1986[5]. Lors de cet entretien, la directrice du groupement d’intérêt public qui employait l’agent a expressément refusé que l’avocat de l’agent présente ses observations à l’oral. Ce n’est que postérieurement à celui-ci que son conseil a pu adresser des observations écrites par courriel.

La Cour administrative d’appel a estimé que l’agent avait à ce titre été privé d’une garantie, considérant que la circonstance que son avocat ait pu formuler des observations écrites n’avait pu avoir eu pour effet de compenser l’interdiction qui lui avait été faite de prendre la parole durant l’entretien. L’importance des observations orales, par rapports aux écrites avaient déjà été soulignées par Madame Da Silva, dans ses conclusions sur l’arrêt du Conseil d’Etat du 24 mai 2006, (n° 284827).

La Cour juge ainsi que l’avocat doit pouvoir intervenir, demander des explications et compléter celles de l’agent. Ce qui ne signifie pas, pour autant, qu’aucune limite ne peut être donnée à l’intervention de l’avocat dans ce type d’entretien, reste à savoir jusqu’où ces limites peuvent être imposées sans priver l’agent d’une garantie : la jurisprudence ne manquera pas le préciser à l’avenir.

 

[1] CE, 5 mai 1944, Dame Veuve Trompier-Gravier, n° 69751 ; aussi consacré comme principe fondamental reconnu par les lois de la République, CE, 5 mai 1944, Dame Veuve Trompier-Gravier, n° 69751 ; aussi consacré comme principe fondamental reconnu par les lois de la République

[2] Décision CC, n° 84-184 DC, 29 décembre 1984, Loi de finances pour 1985

[3] Décision CC, n° 2019-781 QPC, 10 mai 2019, M. Grégory M.

[4] En l’espèce, un agent contractuel exerçant la fonction de garde animateur au sein du groupement d’intérêt public Reserve naturelle marine de La Réunion, relevant à ce titre de la fonction public d’Etat

[5] « L’agent non titulaire à l’encontre duquel une sanction disciplinaire est envisagée a droit à la communication de l’intégralité de son dossier individuel et de tous documents annexes et à se faire assister par les défenseurs de son choix. / L’administration doit informer l’intéressé de son droit à communication du dossier ».

Marchés de travaux : comment empêcher la naissance d’un décompte général définitif tacite ?

Depuis près d’une année, la jurisprudence sur la naissance d’un décompte général définitif tacite ne cesse de s’enrichir, ce qui nous avait conduit à consacrer un premier article à ce sujet en juillet 2023 (Marchés de travaux : points de vigilance pour l’acheteur et le titulaire sur le décompte général définitif tacite) et un deuxième au mois de novembre suivant (Même irrégulière, la notification d’un décompte général empêche la naissance d’un décompte général définitif tacite).

Jamais deux sans trois : le Conseil d’État vient d’apporter, par sa décision en date du 7 juin 2024, de nouvelles précisions sur ce sujet, en particulier sur les diligences que doit faire un acheteur pour faire obstacle à la naissance d’un décompte général définitif tacite.

Cette décision intervient dans le cadre d’un contentieux relatif au versement du solde d’un marché de travaux ayant pour objet la construction d’ateliers artisanaux dans une zone d’activités, attribué par la commune de Chessy à la Société Entreprise Construction Bâtiment (ECB). Après la réception avec réserves de ses travaux, l’entreprise avait adressé à la commune un projet de décompte final, puis un projet de décompte général. En l’absence de notification par le maître d’ouvrage d’un décompte général, la Société ECB a soutenu que son projet de décompte général était devenu définitivement tacite et a donc saisi le juge des référés afin d’obtenir le versement d’une provision correspondant au solde de ce décompte.

En première instance, la commune de Chessy a été condamnée à verser la provision réclamée, tout en obtenant que son maître d’œuvre soit condamné à la garantir à hauteur de 30 % des condamnations prononcées à son encontre. Mais, en appel, cette ordonnance a été annulée et les demandes de la Société ECB ont été rejetées comme irrecevables, au motif que l’entreprise n’aurait pas, sous quelque forme que ce soit, présenté un mémoire en réclamation relatif au paiement de la créance née du décompte litigieux.

Saisi par la Société ECB d’un pourvoi contre l’ordonnance rendue par la Cour administrative d’appel de Paris, le Conseil d’État commence par l’annuler pour dénaturation, considérant qu’il ressortait des pièces du dossier que l’entreprise avait bel et bien exposé, dans un courrier adressé à la commune et au maître d’œuvre, les raisons pour lesquelles elle estimait pouvoir se prévaloir d’un décompte général et définitif tacite et sollicité le règlement du solde correspondant.

De plus, le Conseil d’Etat précise que lorsque le titulaire d’un marché de travaux se prévaut d’un décompte général définitif tacite, il n’est pas tenu, pour saisir la juridiction d’une demande tendant au versement de son solde, de suivre au préalable la procédure de réclamation prévue à l’article 50 du Cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de travaux (CCAG Travaux).

Ensuite – et c’est là l’apport principal de cette décision qui justifie sa mention dans les tables du recueil Lebon – le Conseil d’Etat pose le principe suivant :

 « 10. En troisième lieu, il résulte des stipulations des articles 13.4.2 et 13.4.4 du CCAG Travaux citées au point 3 que seule la notification au titulaire du marché d’un décompte général, même irrégulier, à laquelle le simple rejet des projets de décompte établis par le titulaire ne saurait être assimilé, fait obstacle à l’établissement d’un décompte général et définitif tacite à l’initiative du titulaire dans les conditions prévues par l’article 13.4.4 du CCAG ».

En d’autres termes, lorsque le titulaire d’un marché de travaux a respecté l’ensemble de la procédure d’élaboration de son projet de décompte général jusqu’à la notification de celui-ci au maître d’ouvrage et au maître d’œuvre, le maître d’ouvrage ne peut procéder qu’à une seule action pour empêcher que ce projet de décompte ne devienne tacitement définitif à l’issue d’un délai de dix jours à compter de sa notification : adresser au titulaire son propre décompte général, cette démarche ayant pour effet d’interrompre le délai de dix jours même si le décompte général est irrégulier (CE, 9 novembre 2023, Société Transport tertiaire industrie, n° 469673). Or, dans le cas présent, la commune de Chessy n’avait pas adressé à son cocontractant de décompte général dans un délai de dix jours suivant la réception du projet de décompte général élaboré par la Société ECB et s’était bornée à rejeter précédemment ses projets de décompte final puis général. Le Conseil d’Etat considère donc que ces rejets n’avaient pu faire obstacle à la naissance d’un décompte général définitif tacite et condamne la commune à verser à l’entreprise la provision correspondant au solde de ce décompte (en réduisant, ce faisant, le montant de la somme due par rapport à ce qu’avait fixé le juge des référés en première instance, lequel avait été au-delà des demandes de la requérante).

S’agissant de la demande de la commune tendant à ce que son maître d’œuvre soit appelé en garantie au motif qu’il n’aurait pas accompli les diligences lui incombant pour faire obstacle à la naissance d’un décompte général et définitif tacite, le Conseil d’Etat commence par rappeler que le préjudice dont la commune pouvait demander réparation de ce fait ne pouvait être que l’éventuel surcoût induit par ce décompte par rapport à la somme qu’un décompte général et définitif établi contradictoirement aurait mise à sa charge. Ensuite, il constate qu’en l’occurrence, la commune n’établit aucunement l’étendue ni même l’existence d’un tel préjudice, ce qui fait obstacle à ce que la créance dont elle se prévaut à l’égard de son maître d’œuvre puisse être regardée comme non sérieusement contestable. Par conséquent, il annule l’ordonnance de référé de première instance en ce qu’elle avait condamné le maître d’œuvre à garantir la commune à hauteur de 30 % de la condamnation prononcée à son encontre.

Concessions : précisions sur la méthode d’évaluation des offres

Par sa décision en date du 7 juin 2024, le Conseil d’État apporte d’utiles précisions sur les méthodes d’évaluation des offres qui doivent être écartées par les acheteurs, compte tenu du risque qu’elles comportent de ne pas aboutir au choix de l’offre présentant le meilleur avantage économique global.

Cette décision est intervenue dans le cadre d’un litige relatif à la passation d’un contrat de délégation de service public portant sur la gestion de services de mobilités initiée par la communauté d’agglomération Quimper Bretagne Occidentale. Deux candidats évincés ont saisi le juge des référés précontractuels d’une demande d’annulation de la procédure, à laquelle il a été fait droit, par ordonnance du 31 octobre 2023. Le juge des référés a en effet considéré, d’une part, que la notation retenue ne permettait pas de garantir que l’offre présentant le meilleur avantage économique global fût choisie et, d’autre part, que les sociétés requérantes avaient été nécessairement lésées par un tel manquement.

Saisi par la communauté d’agglomération et l’attributaire pressenti d’un pourvoi contre cette ordonnance, le Conseil d’État commence par annuler celle-ci, au motif que le juge des référés avait commis une erreur de droit et méconnu son office en ne recherchant pas si, eu égard aux appréciations portées par l’acheteur sur leurs offres, les sociétés requérantes n’étaient pas, en toute hypothèse, insusceptibles de se voir attribuer le contrat litigieux.

Ensuite, statuant sur le fond, le Conseil d’État commence par rappeler le cadre juridique de l’analyse des offres dans le cadre d’une procédure de passation d’un contrat de concession : en substance, les offres doivent être analysées sur la base de plusieurs critères objectifs, précis et liés à l’objet ou aux condition d’exécution du contrat ; ces critères doivent être hiérarchisés par ordre décroissant, sans qu’il soit toutefois obligatoire de les pondérer avec un certain nombre de points, à l’inverse de ce qui prévaut pour les marchés publics.

Le Conseil d’État rappelle également les termes de sa jurisprudence récente sur le régime des éléments d’appréciation utilisés pour appliquer les critères d’analyse (CE, 3 mai 2022, Commune de Saint-Cyr-sur-Mer req. n° 459678 transposant aux concessions le régime défini pour les marchés publics par la décision CE, 3 novembre 2014, Commune de Belleville-sur-Loire, req. n° 373362) : l’acheteur définit librement la méthode d’évaluation des offres au regard de chacun des critères d’attribution qu’elle a définis et rendus publics. Cette méthode d’évaluation n’a pas à être rendue publique, à l’inverse des critères eux-mêmes. En tout état de cause, l’acheteur doit, au stade de la définition des éléments d’appréciation pris en compte pour son évaluation des offres et des modalités de leur combinaison, respecter les conditions suivantes :

  • les éléments d’appréciation doivent être liés au critère dont ils permettent l’évaluation ;
  • les modalités d’évaluation des critères d’attribution par combinaison de ces éléments d’appréciation ne doivent pas, par elles-mêmes, être de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation et, de ce fait, être susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure offre ne soit pas la mieux classée, ou, au regard de l’ensemble des critères, à ce que l’offre présentant le meilleur avantage économique global ne soit pas choisie.

Ensuite, et c’est là le principal apport de cette décision, le Conseil d’État fait application de ces principes à un cas concret de méthode d’évaluation des offres. En l’espèce, la communauté d’agglomération avait choisi une méthode consistant attribuer à chaque offre une note correspondant à son classement obtenu sur chaque critère (1 point pour l’offre classée en première position, 2 points pour l’offre classée en deuxième position, etc.), puis de faire la moyenne de ces notes et, enfin, de pondérer cette moyenne par le coefficient associé à chaque critère, l’offre retenue devant donc être celle ayant obtenu la note la plus basse.

Cependant, ainsi que le relève le Conseil d’État et comme le détaille le Rapporteur public Nicolas Labrune dans ses conclusions, cette méthode d’évaluation ne reflétait que très imparfaitement les écarts de valeur entre les offres : ce n’est pas parce qu’une offre est classée en troisième position qu’elle est nécessairement trois fois moins bonne que la première. Réciproquement, l’offre classée en deuxième position n’aura qu’un point d’écart avec la meilleure offre, alors que la différence de qualité pourrait justifier un écart de points plus conséquent. Le Conseil d’État en conclut donc que cette méthode d’évaluation était susceptible, au moins en partie, de priver de portée les critères de sélection ou de neutraliser leur hiérarchisation et que les sociétés requérantes étaient fondées à en soulever l’irrégularité, et ce d’autant plus que leurs offres avaient été mieux classées que celles de l’attributaire sur au moins l’un des critères d’appréciation et que cette irrégularité était donc susceptible de les avoir lésées.

Le Conseil d’État prononce donc l’annulation de toute la procédure de passation. A cet égard, les conclusions du Rapporteur public Nicolas Labrune permettent de comprendre pourquoi les effets de l’annulation n’ont pas été limités au seul stade de l’analyse des offres : tout d’abord, la méthode d’évaluation des offres irrégulière avait été annoncée dans le règlement de consultation ; ensuite et surtout, cette méthode était susceptible d’influencer la stratégie des candidats pour l’élaboration de leurs offres.

Agression d’élu.e : la place de la commune sur le banc des parties civiles

Par jugement en date du 27 juin 2024, le Tribunal correctionnel de Bobigny a reconnu le complice d’une agression envers une élue – adjointe de la commune de Saint-Denis – entièrement responsable du préjudice moral subi par la Collectivité. Cette décision constitue ainsi la première illustration de la recevabilité de la constitution de partie civile d’une commune au titre de l’article 2-19 du Code de procédure pénale.

Pour mémoire, cette disposition – dans ses termes issus de la loi n° 2023-23 du 24 janvier 2023 visant à permettre aux assemblées d’élus et aux différentes associations d’élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, une personne investie d’un mandat électif public victime d’agression, dispose :

« En cas d’infractions prévues aux livres II ou III du Code pénal, au chapitre III du titre III du livre IV du même code ou par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse commises à l’encontre d’une personne investie d’un mandat électif public en raison de ses fonctions ou de son mandat, peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile, si l’action publique a été mise en mouvement par le ministère public ou par la partie lésée, et avec l’accord de cette dernière ou, si celle-ci est décédée, de ses ayants droit : […]

Au titre d’un de ses membres, le Sénat, l’Assemblée nationale, le Parlement européen ou la collectivité territoriale concernée. ».

Outre la fermeté de la réponse pénale apportée aux faits de violences inacceptables commis au préjudice d’élus – que ce soit à l’encontre des auteurs ou des commanditaires -, cette décision marque ainsi une position très claire du juge pénal quant à la place – désormais incontestable – de la collectivité sur le banc des parties civiles, aux côtés et en soutien de l’élu victime.

Violences conjugales, la situation des anciens conjoints précisée

En France, la répression des violences dépend de leurs conséquences sur la victime évaluée en nombre de jours d’incapacité totale de travail (ITT) et du contexte dans lequel l’infraction s’est déroulée. Ainsi, la situation de la victime, son activité ou son lien avec l’auteur aura pour conséquence d’aggraver la peine encourue par ce dernier. Les conséquences de ces circonstances aggravantes ne sont pas négligeables puisque l’infraction peut passer d’une simple contravention à un délit et la peine encourue est bien supérieure. Cette contravention, réprimée par l’article R624-1 du Code pénal à hauteur de 750 euros, passe alors au rang de délit, puni par l’article 222-13 du Code pénal de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende lorsque les violences sont commises par le conjoint, concubin, ou partenaire de PACS.

L’article 132-80 du Code pénal ajoute que cette circonstance aggravante est également constituée lorsque les faits sont commis par l’ancien conjoint, l’ancien concubin ou l’ancien partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité. Les dispositions du présent alinéa sont applicables dès lors que l’infraction est commise en raison des relations ayant existé entre l’auteur des faits et la victime. Cependant, dans ce dernier cas, la circonstance aggravante ne peut être retenue que si l’infraction est commise en raison des relations ayant existé entre l’auteur des faits et la victime. Il est évident que cette notion est difficile à appréhender et qu’il est manifestement compliqué de connaitre les motivations d’un passage à l’acte violent. C’est sur cette question que s’est penchée la Cour de cassation dans son arrêt de la Chambre criminelle du 2 mai 2024.

En l’espèce, une femme a été victime de violences de la part de son ex-conjoint dans le contexte d’un différend à propos du droit de visite et d’hébergement de leur enfant commun, dont le juge aux affaires familiales avait été saisi. Dans ce contexte, la circonstance aggravante n’avait pas été retenue par la Cour d’appel, au motif que le différend ne concernait pas la relation ayant existé entre l’auteur des faits et la victime mais leurs enfants.

En opposition à ce raisonnement, la Cour de cassation a cassé cet arrêt en précisant que la prise en charge de l’enfant commun concernait en tout point l’ancienne relation du couple des intéressés. Cette décision s’inscrit dans un mouvement plus général du droit qui tend à prendre davantage en compte les violences conjugales dans les décisions relatives aux enfants et réciproquement. C’est le cas notamment dans la prise en compte des violences faites à l’un des parents afin de fixer le droit de visite et d’hébergement de l’autre parent.

Plus largement cette décision de la Cour de cassation renforce la protection des victimes de violences intrafamiliales et elle doit à ce titre être saluée.

En admettant la constitution de cette circonstance aggravante, élargissant donc son champ d’application à la prise en charge de l’enfant commun comme élément de l’ancienne relation du couple, la Chambre criminelle étend à nouveau les possibilités de réprimer les violences conjugales.

La notion d’inceste en droit pénal : évolutions législatives et recommandations

S’il a longtemps été un sujet tabou, l’inceste est désormais au cœur des préoccupations sociétales et a un réel écho dans le débat public. Divers supports tels que des livres, des rapports, des sondages ont permis de faire la lumière sur la gravité et l’ampleur du phénomène. En effet, en 2020, 10 % des Français soit 6,7 millions de personnes se déclaraient victimes d’inceste en France[1].

Dans ce domaine, le législateur est intervenu pour introduire la notion d’inceste dans le Code pénal en 2010[2]. Cette prise en compte récente de l’inceste dans le Code pénal fut par la suite étendue jusqu’à la loi du 21 avril 2021[3]. Aujourd’hui, à la suite des évolutions législatives successives, la question se pose de leur cohérence et leur efficacité dans la répression de l’inceste. En effet, si l’inceste a fait l’objet de plusieurs évolutions législatives depuis une dizaine d’années (I), la loi du 21 avril 2021 a renforcé la prise en compte de la singularité de l’inceste en droit pénal (II), renforcement susceptible d’être encore aujourd’hui prolongé à la suite du rapport de la CIIVISE (III).

I. Sur les évolutions législatives relatives à la notion d’inceste en droit pénal depuis une dizaine d’années

Jusqu’en 2010, l’inceste était appréhendé en droit pénal par une circonstance aggravante liée au lien d’ascendance ou à l’autorité de l’auteur sur la victime[4]. L’entrée de la notion d’inceste dans le Code pénal s’est faite à partir de la loi du 8 février 2010, par les articles 222-31-1 et 227-27-2. Ces derniers prévoyaient que les viols, les agressions sexuelles et les atteintes sexuelles étaient qualifiés d’incestueux lorsqu’ils étaient commis « au sein de la famille sur la personne d’un mineur par un ascendant, un frère, une sœur ou par toute autre personne, y compris s’il s’agit d’un concubin d’un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait »[5]. Ils créaient en conséquence une forme de « surqualification » d’inceste, se superposant aux qualifications et circonstances aggravantes existantes en matière de viols, d’agressions sexuelles et d’atteintes sexuelles, sans créer de nouvelles infractions[6]. L’imprécision de ces textes, résultant de l’absence de désignation des personnes pouvant être regardées comme membres de la famille, a été censurée par le Conseil constitutionnel[7].

La loi du 14 mars 2016[8] a alors précisé la définition de l’inceste à travers de nouveaux articles du Code pénal[9]. Dès lors, les viols, les agressions sexuelles et les atteintes sexuelles sont qualifiés d’incestueux lorsqu’ils sont commis sur la personne d’un mineur par « 1° Un ascendant ; 2° Un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce ; 3° Le conjoint, le concubin d’une des personnes mentionnées aux 1° et 2° ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité avec l’une des personnes mentionnées aux mêmes 1° et 2°, s’il a sur le mineur une autorité de droit ou de fait ».

Cette « surqualification » d’inceste s’agissant des viols et des agressions sexuelles sera par la suite étendue aux victimes majeures par la loi du 3 août 2018[10].

II. La prise en compte renforcée de la singularité de l’inceste en droit pénal par la loi du 21 avril 2021

La loi du 21 avril 2021 a modifié le Code pénal sur le fond et la forme en matière d’inceste. Désormais, la section 3 du chapitre II du Titre II du Livre II du Code pénal est intitulée « Du viol, de l’inceste et des autres agressions sexuelles », accordant une place symbolique à l’inceste et marquant sa singularité. La définition de l’inceste y est étendue en intégrant les grands-oncles et les grands-tantes[11], et par ricochet les conjoints, concubins ou partenaires de ces derniers[12]. Cette nouvelle extension manifeste une volonté de renforcer l’autonomie du concept pénal en s’affranchissant de la conception civiliste[13].

De plus, le viol et les agressions sexuelles incestueux sur mineurs sont désormais incriminés spécifiquement aux articles 222-23-2, 222-23-3 et 222-29-3 du Code pénal. Ainsi, un viol ou une agression sexuelle commis par un majeur sur un mineur, même âgé de plus de quinze ans, unis par un lien familial, et sans considération de la différence d’âge entre eux, constitue une infraction incestueuse[14]. Dès lors, ont été écartées les conditions relatives à l’absence de consentement ou au seuil d’âge de quinze ans de la victime. Cependant, la loi a étendu la condition tenant à l’autorité de droit ou de fait à l’ensemble des auteurs listés à l’article 222-22-3 du Code pénal hormis l’ascendant. Cette exigence d’autorité de droit ou de fait est apparue nécessaire pour éviter une automaticité de l’incrimination, susceptible de faire passer la victime d’un acte incestueux pour l’auteur et inversement, en particulier en cas d’incestes collatéraux entre personnes d’âges proches[15].

Toutefois, ces nouveaux articles introduits par la loi du 21 avril 2021 ne s’appliquent pas aux victimes majeures, pour lesquelles la « surqualification » d’inceste s’agissant des viols et des agressions sexuelles continue de s’appliquer.

III. Les préconisations de la CIIVISE pour une législation plus impérative en matière d’inceste

La CIIVISE (Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants) a rendu son rapport en novembre 2023, dans lequel elle fait plusieurs préconisations relatives à l’inceste, visant à étayer la loi du 21 avril 2021 pour une législation plus impérative[16]Les préconisations 20 et 21 proposent à la fois de reconnaître une infraction spécifique d’inceste permettant de définir clairement cette notion, mais aussi de créer une infraction spécifique réprimant l’« incestualité », définie comme un inceste psychologique, une violence sans coups, une violence sexuelle sans agression ou pénétration. De plus, les préconisations 22 et 23 portent sur la définition de l’inceste, la première proposant d’ajouter les cousins dans la liste de l’article 222-22-3 du Code pénal et, la seconde, d’élargir la définition du viol et des agressions sexuelles incestueux aux victimes devenues majeures lorsque des faits similaires ont été commis pendant leur minorité par le même agresseur[17].

La CIIVISE appelle alors à davantage de précision par ces préconisations, lesquelles ouvrent un débat intéressant autour de la notion d’inceste et sa prise en compte en droit pénal interne.

 

[1] Sondage IPSOS « Les Français face à l’inceste », novembre 2020.

[2] Loi n° 2010-121 du 8 février 2010 tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le Code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d’actes incestueux.

[3] Loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste.

[4] DALLOZ, Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Viol, Audrey DARSONVILLE, février 2020.

[5] Article 222-31-1 du Code pénal en vigueur du 10 février 2010 au 17 septembre 2011 ; Article 227-27-2 du Code pénal en vigueur du 10 février 2010 au 18 février 2012.

[6] Circulaire de la DACG n° CRIM-10-3/E8 du 9 février 2010 relative à la présentation des dispositions de droit pénal et de procédure pénale de la loi du n° 2010-121 du 8 février 2010 tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le Code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d’actes incestueux, NOR : JUSD1003942C.

[7] Cons. Const., 16 septembre 2011, n° 2011-163 QPC ; Cons. Const., 17 février 2012, n° 2012-222 QPC ; Lexis Nexis, La Semaine Juridique, Edition générale, n° 41 du 8 octobre 2012, Chronique par Albert MARON, Jacques-Henri ROBERT et Michel VERON.

[8] Loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant.

[9] Article 227-27-2-1 du Code pénal dans sa version en vigueur du 16 mars 2016 au 23 avril 2021 ; Article 222-31-1 du Code pénal dans sa version en vigueur du 16 mars 2016 au 6 août 2018.

[10] Loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

[11] Articles 222-22-3 et 227-27-2-1 du Code pénal dans leur version en vigueur depuis le 23 avril 2021.

[12] DALLOZ, RSC, « Le renforcement de la répression des infractions sexuelles contre les mineurs », Jean-Baptiste PERRIER et François ROUSSEAU, 2021, p. 454.

[13] Recueil DALLOZ, « Infractions sexuelles contre les mineurs : une sortie du droit commun, pour quelle efficacité ? », Sébastien PELLÉ, D. 2021, p. 1391.

[14] DALLOZ, AJ Pénal, « La répression des violences sexuelles en 2022 », Cécile MANAOUIL et Vivien LUCAS, 2022, p. 405.

[15] Lexis Nexis, La Semaine Juridique, Edition Générale, n° 19-20 du 10 mai 2021, « Violences sexuelles contre les mineurs – La loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste – Une avancée attendue de longue date… au goût d’inachevé » – Aperçu rapide par Carole HARDOUIN-LE GOFF.

[16] Rapport de la CIIVISE, « Violences sexuelles faites aux enfants : ‘‘ on vous croit ’’ », 11/2023, pp. 633-634.

[17] Ibidem.

Police administrative et JO : le Conseil d’Etat valide le régime d’autorisation d’accès et d’enquête administrative pour la cérémonie d’ouverture

Par une décision rendue le 1er juillet 2024, le Conseil d’Etat juge légal le décret du 14 mai 2024 portant application de l’article L. 211-11-1 du Code de la sécurité intérieure (CSI) à la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques[1].

Pour rappel, la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, adoptée dans le contexte des attentats de 2015 et en vue de l’Euro de 2016, a créé au sein du CSI un article L. 211-11-1instaurant un régime d’autorisation d’accès aux établissements et installations accueillant certains grands événements. Ces dispositions imposent d’abord au pouvoir règlementaire de désigner par décret les « établissements et installations qui accueillent ces grands évènements » et sont exposés à un risque « exceptionnel de menace terroriste ».

En application de ces dispositions, pendant toute la durée de l’événement et de sa préparation, toute personne autre qu’un spectateur ou un participant doit obtenir une autorisation préalable de l’organisateur pour accéder aux sites désignés. Cette autorisation de l’organisateur est subordonnée à l’avis préalable de l’autorité administrative, lequel se fonde sur une enquête administrative pouvant donner lieu à la consultation de certains fichiers comprenant des données personnelles, à l’exclusion des fichiers d’identification. Aux termes de ces dispositions, un avis défavorable ne peut être émis que s’il ressort de l’enquête administrative que le comportement ou les agissements de la personne sont de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes, à la sécurité publique ou à la sûreté de l’Etat.

A noter que le Conseil d’Etat avait déjà eu l’opportunité de se prononcer sur les dispositions précitées du CSI, à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité qu’il avait refusé de transmettre au Conseil constitutionnel. A cet égard, il avait considéré que ces dispositions ne privaient pas de garanties légales les exigences constitutionnelles relatives à l’exercice de la liberté d’aller et venir, au droit au respect de la vie privée et au droit au recours effectif dès lors que notamment, l’autorité réglementaire devait désigner le grand événement exposé à un risque terroriste exceptionnel, identifier l’organisateur responsable des autorisations d’accès, définir précisément la durée de préparation et de déroulement de l’événement, et désigner les établissements et installations concernés, à l’exclusion des autres locaux et voies publiques[2].

Le décret contesté du 14 mai 2024 désigne assez logiquement la cérémonie d’ouverture des Jeux de Paris comme un « grand évènement » au sens de l’article L. 211-11-1 du CSI. Toutefois, ce décret désigne au titre des établissements et installations dont l’accès est soumis à autorisation administrative préalable un très large périmètre incluant notamment la Seine, les berges de Seine et d’autres voies publiques. Or, au vu de la jurisprudence du Conseil d’Etat et des dispositions du CSI, l’on pouvait s’interroger sur l’application régulière de ces dernières. Toutefois, et de manière assez pragmatique, le Conseil d’Etat a adopté ici une approche extensive, mais encadrée, des notions d’« établissement et installations ».

Pour ce faire, il a d’abord rappelé qu’en principe, les dispositions du CSI excluent que soient soumis à un tel régime tout autre local que ceux accueillant ces établissements et installations, ainsi que les voies publiques permettant d’y accéder. Il a néanmoins estimé que dans « le cas très particulier de la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques de 2024, la Seine elle-même, les voies publiques, et en particulier les quais bas, les quais hauts et les ponts devaient être regardés comme des établissements et installations accueillant ce grand événement » au sens et pour l’application de l’article L. 211-11-1 du CSI.

Il a également considéré qu’« en raison de sa nature, de sa visibilité internationale, du risque particulier qu’implique notamment la présence de chefs d’Etat et de gouvernement, de l’ampleur attendue de sa fréquentation et de la configuration des lieux qui l’accueillent », la cérémonie présentait un « caractère exceptionnel et sans précédent » qui justifiait la définition d’un tel périmètre, aussi étendu soit-il. Il est ainsi probable que cette appréciation extensive n’ait pas vocation à devenir la règle, mais à demeurer une exception cantonnée à des manifestations particulièrement exceptionnelles, voire exclusivement réservée à l’espèce.

Enfin, relevant – ainsi que le soutenait le requérant – que le dispositif mis en place permet de soumettre à une autorisation et à une enquête administrative préalable les personnes souhaitant accéder, à un titre autre que celui de spectateur, au périmètre défini par le décret, le Conseil d’Etat précise que « la délivrance d’une telle autorisation est de droit pour les personnes qui résident ou travaillent habituellement dans ce périmètre et qui en font la demande ».

Sous cette dernière condition, et eu égard aux enjeux et aux risques particulièrement prégnants pesant sur la cérémonie, le Conseil d’Etat a confirmé la légalité du décret attaqué, considérant qu’il ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et venir, au droit au respect de la vie privée et au droit de propriété des personnes soumises à la procédure d’autorisation d’accès.

 

[1] Décret n° 2024-431 du 14 mai 2024 portant application de l’article L. 211-11-1 du Code de la sécurité intérieure à la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques de 2024.

[2] CE, 21 février 2018, Ligue des droits de l’Homme, n° 414827.

Laïcité : le juge administratif rappelle que le principe de neutralité ne s’applique pas aux élus locaux

Par un jugement remarqué rendu le 7 juin 2024, le Tribunal administratif de Grenoble rappelle qu’interdire de façon générale aux élus qui siègent au conseil municipal de porter une tenue vestimentaire manifestant leurs convictions religieuses est illégal car le principe de neutralité ne s’applique pas aux élus locaux.

Le fait pour un agent public de manifester ses croyances religieuses – notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion – dans l’exercice de ses fonctions (et dans certains cas particuliers hors de ses fonctions) constitue un manquement à l’obligation de neutralité à laquelle il est tenu et donc une faute[1]. Par cette obligation de neutralité imposée aux agents publics, il s’agit au fond de préserver le respect de toutes les croyances religieuses des usagers du service public, en leur assurant une stricte égalité d’accès et de traitement. Les élus bénéficient au contraire d’une très grande liberté dans le cadre de l’exercice de leur mandat, et ce dès le stade de la candidature. Ainsi, et alors même qu’ils ne sont que candidat à leur élection, aucune obligation de neutralité religieuse ne peut leur être opposée[2].

Cette même liberté d’expression religieuse vaut également une fois élu, et notamment au cours des séances de l’organe délibérant de la collectivité. Ainsi avait-t-il était jugé que le maire qui prive de parole un conseiller municipal, au motif qu’il porte un signe religieux, se rend coupable de discrimination dès lors qu’il n’est pas établi que le seul port d’un signe d’appartenance religieuse soit constitutif de troubles à l’ordre public et qu’aucune disposition législative ne permet au maire dans le cadre des séances du conseil municipal d’interdire aux élus de manifester publiquement leur appartenance religieuse[3]. Il en résulte que les élus peuvent exprimer, ne serait-ce que par le port d’un signe religieux visible, leurs opinions religieuses en conseil municipal.

Le maire ne saurait donc a fortiori interdire la présence d’un élu aux séances du conseil municipal au seul motif qu’il porterait un signe d’appartenance religieuse. C’est ce que viens rappeler le Tribunal administratif de Grenoble dans son jugement du 7 juin 2024. En l’occurrence, un conseil municipal avait adopté, au sein de son règlement intérieur, un article relatif à la police de l’assemblée qui prévoyait que : « une tenue vestimentaire correcte et ne faisant pas entrave au principe de laïcité est exigée des élus siégeant au conseil municipal ». Alors que plusieurs élus d’opposition avaient déféré à la censure du juge administratif la délibération afférente, celui-ci a d’abord relevé que ces dispositions avaient pour effet, si ce n’est pour objet, d’interdire, de manière générale, aux élus siégeant au conseil municipal de porter une tenue vestimentaire manifestant leur appartenance à une religion.

Il a ensuite indiqué que si, dans le cas où la tenue vestimentaire d’un élu municipal provoque un trouble à l’ordre public ou contrevient au bon fonctionnement de l’assemblée délibérante, il appartient au maire de prendre les mesures strictement nécessaires pour y remédier dans l’exercice de son pouvoir de police de l’assemblée, la liberté des élus municipaux d’exprimer leurs convictions religieuses ne peut être encadrée que sur le fondement de dispositions législatives particulières prévues à cet effet (en l’occurrence l’article L. 2121-16 du Code général des collectivités territoriales qui confie au maire la police de l’assemblée). Surtout, il a utilement rappelé qu’« il ne résulte d’aucune disposition législative que le principe de neutralité religieuse s’applique aux élus locaux ».

Par suite, le tribunal administratif a jugé les dispositions du règlement intérieur illégales en ce qu’elles interdisaient, de manière générale, aux élus siégeant au conseil municipal de porter une tenue vestimentaire manifestant leur appartenance à une religion.

 

[1] CE, avis, 3 mai 2000, n° 217017.

[2] CE, 23 décembre 2010, n° 337899.

[3] Cass., Crim. 1er septembre 2010, n° 10-80.584.

Est légal le refus de permis de construire pour la création de meublés touristiques fondé sur des considérations de salubrité publique

Dans cette affaire, une société propriétaire d’un local en rez-de-chaussée d’un immeuble en copropriété situé à Paris a déposé un dossier de demande de permis de construire pour le changement de destination de locaux d’artisanat en hébergement hôtelier avec modification des menuiseries extérieures, concernant précisément trois meublés touristiques.

Par décision du 24 février 2020, la Ville de Paris a refusé le permis de construire sollicité, au motif, comme rappelé par l’arrêt, que l’augmentation des flux et des nuisances sonores dans la cour de l’immeuble d’habitation, générés par la présence de trois meublés touristiques projetés par le pétitionnaire, étaient de nature à porter atteinte à la salubrité publique.

Le Tribunal administratif de Paris a annulé cette décision par jugement du 12 septembre 2022 et a enjoint à la Ville de délivrer le permis de construire sollicité au pétitionnaire. La Ville a alors interjeté appel de ce jugement. Dans son arrêt ici analysé, la Cour administrative d’appel de Paris a d’abord rappelé l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme, lequel dispose que :

« Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations. »

La Cour a relevé qu’il ressortait des pièces du dossier de demande de permis de construire que le projet prévoyait, dans un local auparavant occupé par une activité artisanale, la création de trois logements touristiques distincts d’une capacité totale d’accueil de 12 personnes en simultanée.

En outre, la Cour a relevé que ces trois meublés touristiques disposeraient, chacun, d’une entrée donnant sur la cour intérieure pavée de l’immeuble à usage d’habitation. Cette appréciation très casuistique de la Cour l’a conduite à considérer que : « dans ces conditions, le projet, par sa nature, son importance, et eu égard à la configuration des lieux, présente un risque de nuisances, notamment sonores, excédant les désagréments habituels de voisinage inhérents à l’occupation de logements collectifs, et est ainsi de nature à porter atteinte à la salubrité » au sens de l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme.

La Cour en conclut que la Ville de Paris pouvait pour ce seul motif refuser le permis de construire sollicité.

Cet arrêt s’inscrit dans la droite ligne d’un arrêté antérieur de la CAA Paris, 10 mai 2023, n° 22PA02683. Dans cette affaire, il s’agissait également d’un changement de destination d’un local artisanal en deux meublés touristiques, pouvant accueillir 12 personnes simultanément, au sein d’un immeuble d’habitation. L’on relève que la Ville de Paris avait produit dans ce contentieux « plusieurs attestations d’habitants de la copropriété logés au rez-de-chaussée et riverains immédiats des deux meublés touristiques qui font état de nuisances sonores provenant de conversations bruyantes dans les cours adjacentes aux deux meublés, de claquements de portes à toute heure du jour et de la nuit et de nuisances diverses telles que des jets de cigarettes et de bouteilles dans les cours de l’immeuble ».

Ces deux arrêts rendus par la Cour administrative d’appel de Paris nous donnent, selon nous, une grille de lecture de l’appréciation retenue en considération des éléments suivants :

  • Le changement de destination d’un local (ici artisanal) à d’hébergement hôtelier ;
  • L’immeuble en copropriété à usage d’habitation ;
  • Le nombre de personnes pouvant être hébergées en simultanée (dans les 2 affaires, il s’agissait de 12 personnes) et non a priori pas tant le nombre de meublés (2 et 3 dans les contentieux ici évoqués) ;
  • La configuration des lieux (cour intérieure pavée, entrée distincte pour chacun des logements, etc.) ;
  • La production d’attestations d’habitants de la copropriété relatives aux nuisances.

Possibilité pour tous les conseils municipaux de moduler les indemnités de fonction de leurs membres au regard de leur participation effective

Par une décision en date du 6 juin 2024 le Conseil Constitutionnel a jugé contraire à la Constitution les dispositions de l’article L. 2123-24-2 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), issues de la loi du 27 décembre 2019 (n° 2019-1461) réservant la possibilité de modulation des indemnités de fonction des membres des conseils municipaux aux communes de 50 000 habitants et plus.

En effet, l’article L. 2123-24-2 du CGCT permet de moduler le montant des indemnités de fonction que le conseil municipal de certaines communes peut allouer à ses membres, en fonction de leur participation effective aux séances plénières et aux réunions des commissions dont ils sont membres. L’objectif de ces dispositions est d’assurer l’assiduité des conseillers municipaux aux réunions de l’organe délibérant de la commune et des commissions dont ils sont membres. Néanmoins, cet article réservait cette possibilité uniquement aux communes de 50.000 habitants et plus. Or, pour rappel, le principe d’égalité devant la loi est protégé par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) de 1789 selon lequel la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ».

Toutefois, le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit (CC, décision n° 96-375 DC, du 9 avril 1996). Le Conseil Constitutionnel a estimé qu’au regard de l’objectif de ces dispositions, il n’y avait pas de différence de situation entre les communes de 50.000 habitants et plus et les autres communes puisque les conseillers municipaux sont tous soumis à la même obligation de participation aux réunions des organes et des commissions dont ils sont membres, ce qui avait pour conséquence d’instituer une différence de traitement contraire au principe d’égalité devant la loi. Il a également estimé que cette différence de traitement ne pouvait pas non plus être justifiée par un motif d’intérêt général, et était donc contraire au principe d’égalité devant la loi.

Dès lors, le Conseil Constitutionnel a déclaré inconstitutionnels les mots « des communes de 50 000 habitants et plus » figurant à la première phrase de l’article L. 2123-24-2 du CGCT, dans sa rédaction issue de la loi du 27 décembre 2019. Aucun motif ne justifiant de reporter les effets de cette déclaration d’inconstitutionnalité, celle-ci a pris effet à compter de la date de la publication de la décision, soit le 7 juin 2024, et s’applique à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.

L’article L. 2123-24-2 du CGCT, dans sa version en vigueur depuis le 7 juin 2024, dispose ainsi désormais que :

« Dans des conditions fixées par leur règlement intérieur, le montant des indemnités de fonction que le conseil municipal alloue à ses membres peut être modulé en fonction de leur participation effective aux séances plénières et aux réunions des commissions dont ils sont membres. La réduction éventuelle de ce montant ne peut dépasser, pour chacun des membres, la moitié de l’indemnité pouvant lui être allouée ».

Les agendas des élus locaux sont des documents administratifs communicables

Par une décision en date du 31 mai 2024, le Conseil d’Etat a jugé que les agendas des élus locaux détenus par la collectivité territoriale au sein de laquelle ils siègent, se rapportant à des activités qui s’inscrivent dans le cadre de leurs fonctions dans la collectivité, présentent le caractère de documents administratifs communicables au sens des articles L. 300-2 et L. 311-1 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA). Pour rappel, le premier aliéna de l’article L. 300-2 du CRPA fournit une définition ainsi qu’une liste non exhaustive d’exemples de documents administratifs :

« Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions ».

Quant à l’article L. 311-1 du CRPA, il fonde l’obligation pour les administrations de publier ou communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande. Le Conseil d’Etat opère néanmoins une distinction entre un agenda se rattachant aux fonctions exercées dans la collectivité qui est communicable, et un agenda personnel qui n’est, quant à lui, pas communicable.

En outre, la communication des agendas des élus locaux se rattachant à l’exercice des fonctions dans la collectivité est conditionnée à « l’occultation, le cas échéant, des mentions relatives à des activités privées ou au libre exercice du mandat électif ainsi que de celles dont la communication porterait atteinte à l’un des secrets et intérêts protégés par la loi, conformément à ce que prévoient les dispositions du Code des relations entre le public et l’administration, y compris des mentions qui seraient susceptibles de révéler le comportement de l’intéressé ou de tiers dans des conditions pouvant leur porter préjudice ».

S’agissant des activités se rattachant au libre exercice du mandat, le rapporteur public ayant conclu sur cette décision a indiqué, dans ce cadre, qu’il convenait d’écarter les rendez-vous qui ne s’inscrivaient pas dans le cadre des fonctions administratives de l’élu, mais dans celui de son activité politique. La Haute juridiction a également rappelé que les administrations n’étaient pas tenues de répondre à des demandes abusives. Elle a ainsi précisé que l’administration peut légalement refuser une demande de communication si « compte tenu de son ampleur, le travail de vérification et d’occultation ferait peser sur elle une charge disproportionnée », notamment au regard de la période, plus ou moins longue, sur laquelle porte cette demande et du nombre d’élus concernés. Cette précision a été rendue nécessaire par la demande en l’espèce, qui portait sur la communication intégrale des agendas de différents élus locaux sur des longues périodes pouvant porter sur plusieurs années, ce qui aurait fait peser sur l’administration une charge de travail disproportionnée.

Ainsi, le Conseil d’Etat a rejeté la requête de l’association tendant à annuler les décisions par lesquelles les demandes de communication lui avaient été toutes refusées. Avant cette décision, les juges du Palais-Royal s’étaient déjà prononcés sur le caractère communicable de courriels des élus (CE, 3 juin 2022, Commune d’Arvillard, n° 452218) et de leurs notes de frais (CE, 8 février 2023, Ville de Paris, n° 452521) :

  • S’agissant des courriels des élus (CE, 3 juin 2022, Commune d’Arvillard, n° 452218), il avait été jugé que « seules les correspondances émises ou reçues, dans le cadre des fonctions exercées au nom de la commune, par le maire, ses adjoints ou les membres du conseil municipal auxquels le maire a délégué une partie de ses fonctions, ont le caractère de documents administratifs au sens des dispositions citées au point 2 de l’article L. 300-2 du Code des relations entre le public et l’administration », tout en précisant qu’étaient exclues les correspondances des élus locaux exprimant des positions personnelles ou des positions prises dans le cadre du libre exercice de leur mandat électif ;
  • S’agissant des notes de frais des élus (CE, 8 février 2023, Ville de Paris, n° 452521), il avait été jugé que les « notes de frais et reçus de déplacements ainsi que [les] notes de frais de restauration et reçus de frais de représentation d’élus locaux ou d’agents publics constituent des documents administratifs, communicables à toute personne qui en fait la demande dans les conditions et sous les réserves prévues par les dispositions du Code des relations entre le public et l’administration ».

Agrivoltaïsme : point d’étape des contours législatifs et règlementaires après l’arrêté du 5 juillet 2024

Le cadre législatif et règlementaire actuel, et non encore achevé, de l’agrivoltaïsme a été impulsé par la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, dite loi APER, qui vise notamment à permettre le développement du photovoltaïque en France. L’un des vecteurs de ce développement est celui de l’agrivoltaïsme.

Dans cette perspective donc, la loi APER a d’abord inscrit à l’article L. 100-4 du Code de l’énergie l’objectif « d’encourager la production d’électricité issue d’installations agrivoltaïques, […] en conciliant cette production avec l’activité agricole, en gardant la priorité donnée à la production alimentaire et en s’assurant de l’absence d’effets négatifs sur le foncier et les prix agricoles ».

La loi ne permettait évidemment pas de disposer d’un cadre juridique complet pour la mise en œuvre pratique de ces objectifs de développements. Aussi, sont intervenus le décret n° 2024-318 en date du 8 avril 2024 d’application de la loi APER, ainsi que l’arrêté du 5 juillet 2024 relatif au développement de l’agrivoltaïsme et aux conditions d’implantation des installations photovoltaïques sur terrains agricoles, naturels ou forestiers. Si d’autres textes sont attendus, la loi, le décret et l’arrêté constituent le socle principal du cadre juridique de l’agrivoltaïsme, de sorte qu’il convient ici de faire un point d’étape sur les contours de ce régime juridique.

Pour évoquer les différents éléments de ce régime, nous adopterons la présentation du décret du 8 avril dernier en évoquant successivement :

  • La définition des installations agrivoltaïques et des installations agricompatibles (I.)
  • Le régime des autorisations d’urbanisme (II.)
  • Les contrôles et les sanctions (III.)

I. Définitions des installations agrivoltaïques

Aux termes de la loi APER, les installations photovoltaïques en zone agricole sont classées en deux catégories :

  • Des installations agrivoltaïques au sens de l’article L.314-36 du Code de l’énergie, elles peuvent être implantées en zone agricole ;
  • Les installations compatibles avec l’exercice d’une activité agricole, pastorale ou forestières, leur installation est bien plus encadrée.

S’agissant d’abord de la première catégorie, répondant donc aux caractéristiques de l’agrivoltaïsme, la loi APER a introduit à l’article L. 314-36 du Code de l’énergie une définition positive (A.) de l’installation photovoltaïque, ainsi qu’une définition négative (B.). Le décret du 8 avril 2024, ainsi que l’arrêté du 5 juillet 2024 ont complété ces définitions. Plus précisément, l’article L. 314-36 du Code de l’énergie qu’une installation agrivoltaïque est une « installation de production d’électricité utilisant l’énergie radiative du soleil et dont les modules sont situés sur une parcelle agricole où ils contribuent durablement à l’installation, au maintien ou au développement d’une production agricole ».

A. La définition positive de l’installation agrivoltaïque

La définition positive de l’agrivoltaïsme ressort du II de l’article L. 314-36 du Code de l’énergie :

« Est considérée comme agrivoltaïque une installation qui apporte directement à la parcelle agricole au moins l’un des services suivants, en garantissant à un agriculteur actif ou à une exploitation agricole à vocation pédagogique gérée par un établissement relevant du titre Ier du livre VIII du code rural et de la pêche maritime une production agricole significative et un revenu durable en étant issu :

1° L’amélioration du potentiel et de l’impact agronomiques ;

2° L’adaptation au changement climatique ;

3° La protection contre les aléas ;

4° L’amélioration du bien-être animal. ».

Ainsi, la définition retient trois grands axes :

  • Apporter à la parcelle agricole au moins un service précisément visé par l’article (1.) ;
  • Ces ouvrages assurent une production agricole significative (2.) ;
  • Et un revenu durable à l’agriculture (3.).

Chacune de ces composantes de définition a été nourrie par la loi, le décret et éventuellement par le décret, il convient d’en faire une analyse globale.

  1. L’apport d’un service

Pour recevoir la qualification d’agrivoltaïsme, il convient de pouvoir constater donc que les installations de production de l’électricité apportent à l’une des parcelles au moins l’un des services énumérés au II de l’article L. 314-36 précité. Le décret du 8 avril 2024 est venu préciser ce que comprennent ces services :

  • La définition du contenu du service relatif à « l’amélioration, du potentiel et de l’impact agronomiques» qui consiste :

« en une amélioration des qualités agronomiques du sol et, d’autre part, en une augmentation du rendement de la production agricole ou, à défaut, au maintien de ce rendement ou au moins à la réduction de la baisse tendancielle du rendement qui est observée au niveau local. Peut également être considérée comme améliorant le potentiel agronomique des sols toute installation qui permet une remise en activité agricole ou pastorale d’un terrain agricole inexploité depuis plus de cinq années ».

  • Du service relatif à « l’adaptation au changement climatique » qui consiste :

« en une limitation des effets néfastes du changement climatique se traduisant par une augmentation du rendement de la production agricole ou, à défaut, à la réduction, voire au maintien, du taux de la réduction tendancielle du rendement qui est observée au niveau local, ou par une amélioration de la qualité de la production agricole. La limitation des effets néfastes du changement climatique s’apprécie notamment par l’observation de l’un des effets adaptatifs suivants :

1° En termes d’impact thermique, par la fonction de régulation thermique de la structure en cas de canicule ou de gel précoce ou tardif ;

2° En termes d’impact hydrique, par la limitation du stress hydrique des cultures ou des prairies, l’amélioration de l’efficience d’utilisation de l’eau par irrigation ou la diminution de l’évapotranspiration des plantes ou de l’évaporation des sols, et par un confort hydrique amélioré ;

3° En termes d’impact radiatif, par la limitation des excès de rayonnement direct conduisant notamment à une protection contre les brûlures foliaires » ;

  • Du service relatif à la « protection contre les aléas» qui :

« s’apprécie au regard de la protection apportée par les modules agrivoltaïques contre au moins une forme d’aléa météorologique, ponctuel et exogène à la conduite de l’exploitation et qui fait peser un risque sur la quantité ou la qualité de la production agricole, à l’exclusion des aléas strictement économiques et financiers » ;

  • Du service relatif à « l’amélioration du bien-être animal » qui :
    « s’apprécie au regard de l’amélioration du confort thermique des animaux, démontrable par l’observation d’une diminution des températures dans les espaces accessibles aux animaux à l’abri des modules photovoltaïques et par l’apport de services ou de structures améliorant les conditions de vie des animaux ».
  1. Le maintien d’une production agricole significative

Par la suite, la loi APER a indiqué à l’article L. 314-36 que pour être qualifié d’installations agrivoltaïques, ces ouvrages doivent permettre une production agricole significative. Le décret précise qu’elle sera regardée comme significative si la moyenne du rendement par hectare observé sur la parcelle est supérieure à 90 % de la moyenne du rendement par hectare observé sur une zone témoin ou un référentiel en faisant office.

Par ailleurs, le nouvel article R. 314-114 du Code de l’énergie introduit par le décret du 8 avril 2024 prévoit des exceptions qui peuvent être consenties sous certaines conditions par le préfet. Le décret et l’arrêté reviennent sur deux de ces notions importantes de la qualification de production agricole significative : la moyenne de rendement et la zone témoin.

D’une part, l’article 3 de l’arrêté du 5 juillet 2024 définit le mode d’appréciation de la moyenne de rendement par hectare pour les installations hors élevage et pour l’élevage.

D’autre part, l’article 1er du décret du 8 avril donne les caractéristiques d’une zone témoin, qui doit entre autres représenter une superficie d’au moins 5 % de la surface agrivoltaïque installée (dans la limite d’un hectare), située à proximité de l’installation agrivoltaïque, sans présenter aucun module photovoltaïque ou autre ombre, être cultivée dans les mêmes conditions que la parcelle sur laquelle est située l’installation agrivoltaïque, etc.

Le nouvel article R. 314-115 du Code de l’énergie prévoit quelques cas où il peut être dérogé à l’obligation de se référer à la zone témoin (par exemple pour les installations dont le taux de couverture est inférieur à 40 % pour une raison d’incapacité technique de créer une zone témoin).

En outre, l’activité agricole doit, pour être significative, rester l’activité principale de la parcelle. Pour ce faire, le nouvel article R. 314-118 introduit par le décret du 8 avril 2024, prévoit que :

  • La superficie qui n’est plus exploitable du fait de l’installation agrivoltaïque ne doit pas 10 % de la superficie totale couverte par l’installation agrivoltaïque ;
  • La hauteur de l’installation agrivoltaïque ainsi que l’espacement inter-rangées permettent une exploitation normale et assurent notamment la circulation, la sécurité physique et l’abri des animaux ainsi que, si les parcelles sont mécanisables, le passage des engins agricoles.
  1. Un revenu durable

L’article L. 314-36 du Code de l’énergie introduit par la loi APER prévoit en outre que répondent à la définition d’installations agrivoltaïque celles qui garantissent un revenu durable à l’agriculteur. Le décret du 8 avril donne une définition de cette notion de revenu durable comme suit :

« Le revenu issu de la production agricole est considéré comme durable lorsque la moyenne des revenus issus de la vente des productions végétales et animales de l’exploitation agricole après l’implantation de l’installation agrivoltaïque n’est pas inférieure à la moyenne des revenus issus de la vente des productions végétales et animales de l’exploitation agricole avant l’implantation de l’installation agrivoltaïque, en tenant compte de l’évolution de la situation économique générale et de l’exploitation, selon des modalités définies par arrêté. Une diminution plus importante peut être acceptée par le préfet du département, en raison d’événements imprévisibles et sur demande dument justifiée. Dans le cas de l’installation d’un nouvel agriculteur, le revenu est considéré comme durable par comparaison avec les résultats observés pour d’autres exploitations du même type localement. » (R. 314-117 Code de l’énergie).

En somme, il faut que, sauf conjoncture différente, les revenus de l’agriculteur issus de son activité agricole ne baissent pas par rapport à la période précédant l’implantation. Des installations de production d’énergie solaire. Le 6° de l’article 3 de l’arrêté du 5 juillet précise le mode de calcul des revenus issus de la vente des production végétales et animales de l’exploitation agricole.

B. La définition négative et les installations agricompatibles

  1. Les conditions de l’exclusions de la définition

La loi APER a également introduit au IV de l’article L. 314-36 du Code de l’énergie une définition par la négative, et donc des ouvrages de production d’électricité à partir de l’énergie solaire qui ne correspondent pas à la définition des installations agrivoltaïques : elle est beaucoup plus limitée. Selon l’article L. 314-36, ne sont pas des installations agrivoltaïques, les installations qui présentent au moins l’une de ces caractéristiques :

  • Elle ne permet pas à la production agricole d’être l’activité principale de la parcelle agricole ;
  • Elle n’est pas réversible.

Les modalités techniques des installations doivent permettre qu’elles n’affectent pas durablement les fonctions écologiques du sol, en particulier ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques ainsi que son potentiel agronomique, et que l’installation ne soit pas incompatible avec l’exercice d’une activité agricole, pastorale ou forestière.

  1. Les documents cadres

Les ouvrages qui ne peuvent recouvrir la définition de l’agrivoltaïsme, mais qui restent agricompatibles ne peuvent être implantés qu’au sein d’une surface identifiée dans un document-cadre établi par arrêté préfectoral après consultation de la commission CDPENAF, des organisations professionnelles intéressées et des collectivités territoriales concernées et sur proposition de la chambre départementale d’agriculture pour le département concerné : seuls peuvent être identifiés au sein de ces surfaces des sols réputés incultes ou non exploités depuis une durée minimale définie par décret (les sols ainsi identifiés sont intégrés en tout ou partie dans les zones d’accélération).

Pour les terres réputées incultes, le décret précise qu’une terre doit être regardée comme telle quand elle répond à l’un au moins des critères suivants :

  • Le site est un site pollué ou une friche industrielle ;
  • Le site est une ancienne carrière, sauf lorsque la remise en état agricole ou forestière a été prescrite ou une carrière en activité dont la durée de concession restante est supérieure à 25 ans ;
  • Le site est une ancienne carrière avec prescription de remise en état agricole ou forestière datant de plus de 10 ans mais dont la réalisation est inefficace en dépit du respect des prescriptions de cessation d’activité ;
  • Le site est une ancienne mine, dont ancien terril, bassin, halde ou terrain dégradé par l’activité minière, sauf lorsque la remise en état agricole ou forestier a été prescrite ;
  • Le site est une ancienne Installation de Stockage de Déchets Dangereux ou une ancienne Installation de Stockage de Déchets Non Dangereux ou une ancienne Installation de Stockage de Déchets Inertes, sauf lorsque la remise en état agricole ou forestier a été prescrite ;
  • Le site est un ancien aérodrome, délaissé d’aérodrome, un ancien aéroport ou un délaissé d’aéroport en domaine public ou privé ;
  • Le site est un délaissé fluvial, portuaire routier ou ferroviaire en domaine public ou privé ;
  • Le site est situé à l’intérieur d’une installation classée pour la protection de l’environnement soumise à autorisation, à l’exception des carrières et des parcs éoliens ;
  • Le site est un plan d’eau ;
  • Le site est dans une zone de danger d’un établissement SEVESO pour laquelle la gravité des conséquences humaines d’un accident à l’extérieur de l’établissement est à minima importante défini selon l’annexe 3 de l’arrêté du 29 septembre 2005 ;
  • Le site est en zone d’aléa fort ou très fort d’un plan de prévention des risques technologiques ;
  • Le site est un terrain militaire, ou un ancien terrain, faisant l’objet d’une pollution pyrotechnique ;
  • Le site est situé dans une zone classée comme favorable à l’implantation de panneaux photovoltaïques dans le plan local d’urbanisme de la commune ou de l’intercommunalité.

Pour ce qui est des surfaces non exploitées, ce sont celles non exploitées depuis au moins dix ans à la date de publication de la loi. Sont par ailleurs de facto exclues des documents cadres les périmètres de mise en œuvre d’un aménagement foncier agricole et forestier et les zones agricoles protégées. L’arrêté en date du 5 juillet donne la liste de certains espaces forestiers qui ne peuvent être inclus dans le document cadre (article 8 de l’arrêté). L’article 9 de l’arrêté précise que le préfet de département peut restreindre par arrêté la liste des catégories de bois et forêts ne pouvant être intégrées dans les documents cadres, dès lors que cette restriction est motivée par l’existence de circonstances locales et qu’elle ne porte pas une atteinte disproportionnée à la protection de bois et forêts sur le territoire. Le décret précise que les surfaces définies dans le document cadre sont en principe identifiées à l’échelle des parcelles cadastrales.

II. Le régime des autorisations d’urbanisme

Le décret en date du 8 avril et l’arrêté du 5 juillet apportent diverses précisions sur les conditions d’instruction des installations agrivoltaïques ou agricompatibles.

Compétence

C’est le préfet qui est compétent pour délivrer l’autorisation d’urbanisme concernant les projets d’installations agrivoltaïques (cf. article R. 422-2 du Code de l’urbanisme modifié par le décret du 8 avril 2024).

Adaptation du dossier de demande de permis ou de déclaration préalable

Le décret en date du 8 avril 2024 apporte des adaptations au Code de l’urbanisme afin de prévoir des pièces complémentaires à apporter dans le cadre de l’instruction d’une déclaration préalable ou d’un dossier de demande de permis de construire selon que le projet correspond à de l’agrivoltaïque, à des serres, hangars ou ombrières à usage agricole supportant des panneaux photovoltaïques, ou à un ouvrage de production d’électricité à partir de l’énergie solaire compatible avec l’exercice d’une activité agricole, pastorale ou forestière.

Pour les installations agrivoltaïques, le dossier doit permettre de justifier du respect des conditions prévues à l’article L. 314-36 et décrite ci-dessus, permettant de s’assurer notamment que le projet rend au moins un des quatre services énumérés par le Code de l’énergies, du caractère principal de l’activité agricole, qu’elle est significative, zone témoin, attestation que l’agriculteur est actif, etc.

Pour les installations de serres, de hangars et de ombrières à usage agricole, le décret prévoit que le dossier doit permettre de justifier que l’installation des serres, des hangars et des ombrières à usage agricole est nécessaire à l’exercice d’une activité agricole, pastorale ou forestière.

Pour les installations agricompatibles le dossier doit comporter une pièce permettant de justifier du respect des critères de l’article R. 111-20-1 du Code de l’énergie.

Délai d’avis du CDPENAF

L’article 3 du décret du 8 avril 2024 créé un nouvel article R. 423-70-2 du Code de l’urbanisme qui précise que l’avis de la Commission de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) est réputé favorable en l’absence de réponse dans un délai de deux mois (par dérogation à la règle générale des 1 mois prévue à l’article R. 423-59).

Durée de l’autorisation et conditions de prorogation de cette durée

L’article 4 du décret précise que toute installation agrivoltaïque ou agricompatible ne peut être autorisée pour une durée allant au-delà de 40 ans, durée qui peut être prorogée de 10 années lorsque le rendement de l’installation reste significatif (R. 111-62 Code de l’urbanisme).

Le pétitionnaire doit formuler une demande de prorogation au moins six mois avant la date d’échéance de l’autorisation.

Les opérations de démantèlement et de remise en état

Puisque l’autorisation n’est que provisoire, le décret prévoit les conditions de démantèlement et de remise en état du site après exploitation. L’autorisation prévoit des prescriptions relatives à l’enlèvement des ouvrages et à la remise en l’état (cf. nouvel article L. 421-6-2 code de l’urbanisme).

Le décret du 8 avril précise que ces opérations doivent être réalisées dans le délai d’un an à compter de la fin de l’exploitation de l’installation ou de la date d’échéance de son autorisation (R. 111-63 du Code de l’urbanisme). Sur avis de la CDPENAF ce délai peut être étendu jusqu’à trois ans en cas de difficulté matérielle tenant à la topographie du terrain.

La constitution de garanties financières auprès de la Caisse des dépôts et consignations

La délivrance de l’autorisation d’urbanisme peut être soumise à la condition de la constitution de garanties financières par le pétitionnaire, qui devront permettre de financer le démantèlement et la remise en l’état (cf. article L. 314-40 du Code de l’énergie introduit par la loi APER). Le décret précise que ces garanties financières ne sont pas opposables aux installations de serres, de hangars et de ombrières à usage agricole, et les conditions de la déconsignation de la somme, levée totale ou partielle

L’arrêté du 5 juillet est venu fixer le montant forfaitaire de ces garanties financière (cf. article 1) pour procéder au calcul.

III. Contrôles et sanctions

La loi APER prévoyait que le décret à intervenir devait définir les modalités de suivi et de contrôle des installations ainsi que les sanctions en cas de manquement (article L. 314-36 V.). Ce sont les articles 6 et 7 du décret du 8 avril 2024 et l’article 4 de l’arrêté du 5 juillet 2024 qui ont élaboré les conditions de ces contrôles et sanctions.

Pour les installations agrivoltaïques ainsi que les zones témoins, il est prévu :

  • Un contrôle préalable à la mise en service ;
  • Un contrôle dans la 6ème année de la mise en service ;
  • Les travaux de démantèlement et de remise en état du site font également l’objet d’un rapport établissant un relevé technique du terrain.

Ces contrôles sont réalisés par un organisme scientifique, un institut technique agricole, une chambre d’agriculture ou un expert foncier et agricole. L’article 4 de l’arrêté du 5 juillet 2024 précise ce que doit comprendre le rapport de contrôle, permettant de s’assurer du respect des conditions prévues au code de l’énergie et au code de l’urbanisme. Des contrôles sont également prévus pour d’autres installations, telles que des contrôles tous les trois ans pour les installations dont le taux de couverture est inférieur à 40 %, et tous les ans pour les autres installations. L’exploitant des installations agrivoltaïques doit également transmettre annuellement les informations nécessaires au suivi de la production énergétique et agricole de la parcelle à l’Agence de l’environnement de la maîtrise de l’énergie. Des sanctions sont associées à l’absence de mise en œuvre de ces formalités, notamment l’absence de transmission du rapport annuel, et en l’absence de démantèlement ou de remise en état du site.

 Pour les installations agricompatibles, il est également prévu :

  • Un contrôle préalable à la mise en service ;
  • Un contrôle dans la 6ème année de la mise en service ;
  • Un rapport sur les travaux de démantèlement et de remise en état du site.

L’arrêté en date du 5 juillet 2024 précise là encore le contenu de ces contrôle et rapports.

 

Emmanuelle Baron

Evaluation environnementale : mise à jour de la nomenclature

Évaluation environnementale des projets, Guide de lecture de la nomenclature, Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires

Plusieurs modifications de la nomenclature des projets soumis à évaluation environnementales sont intervenues au mois de juin 2024, portées par le décret du n° 2024-529. Ces modifications, qui ont principalement consisté à basculer certaines catégories de projets de l’évaluation systématique à l’évaluation au cas par cas, concernent les rubriques suivantes :

  • La rubrique 1., relative aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Le décret a soustrait à l’obligation de réaliser une évaluation environnementale systématique :
    • les élevages intensifs de volailles ou de porcs mentionnés par la rubrique 3660 de la nomenclature des ICPE. Demeureront seuls soumis de manière obligatoire à cette procédure les élevages intensifs de plus de 85 000 emplacements pour les poulets, 60 000 emplacements pour les poules, 3 000 emplacements pour les porcs de production et de plus de 900 emplacements pour les truies. Il s’agissait ici selon la note fournie par le ministère lors de la consultation du public, de s’aligner avec les seuils fixés par l’annexe I de la directive 2011/92/UE concernant l’évaluation des incidences de certains projets ;
    • concernant les activités de stockage géologique de CO2, les essais d’injection et de soutirage en formation géologique réalisés pendant la phase de recherche et d’une quantité inférieure à 100 kilotonnes.
  • La rubrique 27., qui concerne les forages en profondeur à l’exception des forages pour étudier la stabilité des sols, est modifiée afin de corriger une erreur matérielle concernant un renvoi à l’article du Code minier relatif aux activités géothermiques de minime importance ;
  • La rubrique 44., relative aux équipements sportifs, culturels ou de loisirs et aménagements associés. Il est précisé que ne seront plus soumis à évaluation environnementale au cas par cas les projets concernant certains de ces équipements lorsqu’ils ne sont pas susceptibles d’accueillir plus de 1 000 personnes.
  • La rubrique 45, concernant certaines opérations d’aménagements fonciers agricoles et forestiers, qui ne seront plus soumises à évaluation environnementale systématique mais à évaluation environnementale au cas par cas.

Afin de prendre en compte ces modifications, le Guide méthodologique de lecture de cette nomenclature élaboré par le ministère a ainsi été actualisé.