La Cour européenne des droits de l’homme face à l’urgence climatique

CEDH, 9 avr. 2024, n° 7189/21, Carême c/ France

CEDH, 9 avr. 2024, n° 39371/20, Duarte Agostinho et autres c/ Portugal

Par trois arrêts en date du 9 avril dernier, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a eu l’occasion de prendre position sur une préoccupation majeure : le réchauffement climatique.

Trois affaires, trois Etats européens et un enjeu : les droits humains et le climat.

  • La première affaire a été portée par 2.500 femmes de plus de 64 ans qui se sont réunies sous une forme associative, arguant des carences de l’Etat suisse dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre impactant leur santé et leur qualité de vie.
  • La seconde a été initiée par l’ancien Maire de la Commune de Grande-Synthe qui mettait en avant le risque de submersion du territoire en raison du changement climatique.
  • La troisième saisine émanait de requérants individuels qui reprochaient à l’Etat portugais son inaction face notamment aux importants incendies ayant surgi à proximité de leur domicile.

A l’issue d’un raisonnement complexe et singulier, la CEDH a pris une décision de principe dans l’affaire concernant la Suisse – les deux autres requêtes ayant été déclarées irrecevables.

L’exhaustivité du raisonnement posé n’étant pas possible, on retiendra que :

  • La CEDH rappelle sa mission de protéger les intérêts particuliers et reprécise la qualité de victime, en indiquant qu’en matière environnementale et compte-tenu de l’enjeu collectif, le requérant doit justifier d’une exposition intense aux conséquences dommageables liées au réchauffement climatique.

  • La CEDH a précisé les conditions de recevabilité de la qualité à agir d’une association, rappelant que celle-ci doit être légalement constituée dans l’Etat visé par la requête et avoir pour objet la défense collective des droits de ses adhérents concernés par le réchauffement climatique.

  • Le droit à la vie prévu à l’article 2 de la Convention et le droit à une vie privée et familiale consacré à l’article 8 peuvent servir de fondement à une requête arguant des effets néfastes du réchauffement climatique sur la qualité de vie.

Aux termes de cette décision, la CEDH a, au regard des principes rappelés supra, estimé que la Suisse a violé l’article 8 de la Convention en ne prenant pas de mesures suffisantes pour limiter les effets du réchauffement climatique sur la qualité de vie.

Il s’agit là de la première condamnation d’un Etat pour son inertie face au changement climatique.

Réalisation d’un bilan de qualité de la législation de l’UE sur les aéroports par la Commission européenne

La Commission européenne a entamé un bilan de qualité de la législation de l’Union européenne sur les aéroports qui permettra de déterminer si elle est toujours adaptée à sa finalité et si elle atteint ses objectifs.

Plus précisément, le bilan de qualité portera sur les législations relatives aux créneaux horaires, aux redevances aéroportuaires et à l’assistance en escale[1].

La Commission rappelle que ces différentes réglementations visent à créer des conditions de concurrence sur le marché des services et infrastructures aéroportuaires, caractérisé par des barrières à l’entrée élevées qui, si on les laisse en l’état, pourraient permettre aux acteurs du marché d’acquérir un pouvoir et d’en abuser au détriment des consommateurs.

Ces trois législations, objet du bilan qualité, impliquent donc une observation des principes de transparence, de non-discrimination et un contrôle indépendant. Le respect de telles exigences permet à tous les acteurs du marché d’accéder équitablement aux infrastructures et que les prix desdites infrastructures et services aéroportuaires soient fixés de manière efficace et transparente.

Pour la réalisation de ce bilan, la Commission a lancé un appel à contributions jusqu’au 6 juin prochain destiné aux principales parties prenantes à savoir notamment les propriétaires et exploitants d’aéroports, les transporteurs aériens de passagers et de fret, les entreprises d’assistance en escale, les coordonnateurs de réseaux, les syndicats concernés et les autorités nationales des pays de l’UE.

Cet appel à contribution sera suivi d’une consultation publique sur une durée de douze semaines durant le 4e trimestre 2024.

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[1] Respectivement prévues par le règlement (CEE) n° 95/93 sur les créneaux horaires ; la directive 96/67/CE sur l’assistance en escale et la directive 2009/12/CE sur les redevances aéroportuaires.

Réforme du secteur agricole et simplification de la vie économique : ce qu’il faut retenir des trois textes actuellement en discussion au Parlement à l’aune du droit de l’environnement

Trois projets de textes législatifs, actuellement en discussion au Parlement, tendent à modifier certains pans du droit de l’environnement. Deux d’entre eux impactent plus particulièrement le monde agricole (I). En effet, d’abord la proposition de loi pour un choc de la compétitivité en faveur de la ferme France, adoptée par le Sénat le 23 mai 2023 puis transmis à l’Assemblée nationale, vise à assouplir les contraintes pesant sur le monde agricole, puis le projet de loi relatif à la souveraineté en matière agricole transmis à l’Assemblée nationale le 3 avril 2024 vise à favoriser le renouvellement des générations ainsi que la prise en compte du changement climatique et de la préservation de la biodiversité. Quant au projet de loi de simplification de la vie économique, déposé au Sénat le 24 avril 2024, il a notamment pour objet de favoriser l’implantation de projets industriels et d’infrastructures sur le territoire mais également de mieux inscrire l’économie dans la transition énergétique et écologique (II). Ces trois textes auront évidemment vocation à évoluer au fil des débats parlementaires, mais il est intéressant de relever dès à présent un certain nombre de mesures qui conduiraient à faire évoluer la législation actuelle.

I.  Deux textes à l’étude pour réformer le secteur agricole

 

a. Proposition de loi pour un choc de la compétitivité en faveur de la ferme France

 

Déposée le 14 février 2023 au Sénat, puis adoptée en première lecture le 23 mai de la même année, la proposition de loi pour un choc de la compétitivité en faveur de la ferme France doit désormais être examinée par l’Assemblée nationale. Le texte comporte un certain nombre d’articles qu’il convient d’examiner sous le prisme du droit de l’environnement.

  • Souveraineté alimentaire

Première disposition de la proposition de loi, l’article 1er A qualifie la souveraineté alimentaire « [d’] intérêt fondamental de la Nation au sens de l’article 410-1 du Code pénal » dans un nouveau I A inséré au début de l’article L. 1 du Code rural et de la pêche maritime (CRPM). Pour rappel l’article 410-1 du Code pénal dispose que « les intérêts fondamentaux de la nation s’entendent au sens du présent titre de son indépendance, de l’intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à l’étranger, de l’équilibre de son milieu naturel et de son environnement et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel. »

  • Pesticides et produits phytosanitaires

Une autre mesure qu’il convient de relever concerne la règlementation relative aux pesticides, qui fait l’objet de modifications à plusieurs égards.

D’une part, l’article 8 de la proposition de loi prévoit le lancement d’une expérimentation visant à utiliser des drones pour l’application de produits phytopharmaceutiques. Le cas échéant, elle serait menée « pour une période maximale de cinq ans » à compter de la promulgation de la loi, « sur des surfaces agricoles présentant une pente supérieure ou égale à 30 % ou dans le cadre d’une agriculture de précision sur des surfaces restreintes ». Un arrêté devra définir les conditions et les modalités de cette expérimentation. En outre, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) devra évaluer les « bénéfices liés à l’utilisation de drones pour l’application de produits phytopharmaceutiques en matière de réduction des risques pour la santé et l’environnement ». En l’absence de « risques inacceptables » le ministre chargé de l’Agriculture pourra délivrer une autorisation d’utilisation de drones ; qui devra toutefois être évaluée tous les deux ans par l’ANSES.

D’autre part, l’article 18 de la proposition de loi vise à abroger les articles L. 253-5-1 et L. 253-5-2 du (CRPM) relatifs aux pratiques commerciales prohibés pour les produits phytopharmaceutiques. Le premier nommé dispose que « à l’occasion de la vente de produits phytopharmaceutiques définis à l’article L. 253-1, les remises, les rabais, les ristournes, la différenciation des conditions générales et particulières de vente au sens de l’article L. 441-1 du Code de commerce ou la remise d’unités gratuites et toutes pratiques équivalentes sont interdits. Toute pratique commerciale visant à contourner, directement ou indirectement, cette interdiction par l’attribution de remises, de rabais ou de ristournes sur une autre gamme de produits qui serait liée à l’achat de ces produits est prohibée ». Quant à l’article L. 253-5-2, il énonce les sanctions administratives applicables en cas de manquement aux interdictions précédemment énoncées.

Ce même article propose d’abroger également le VI de l’article L. 254-1 du (CRPM) qui rend incompatible les activités de conseil et de vente de produits phytopharmaceutiques.

Enfin, l’article 13 de la proposition de loi permet au ministre chargé de l’Agriculture de suspendre, par arrêté motivé, une décision de retrait de mise sur le marché de produits phytosanitaires prise par l’ANSES. Pour cela il devra réaliser « une balance détaillée des risques sanitaires, environnementaux et de distorsion de concurrence avec un autre État membre de l’Union européenne » et évaluer « l’efficience de solutions alternatives ». En cas de retrait, « le délai de grâce [serait] systématiquement porté à six mois pour la vente et la distribution, et à un an supplémentaire pour l’élimination, le stockage et l’utilisation des stocks existants ».

  • Paiements pour services environnementaux

 

En ce qui concerne les services environnementaux, deux articles viendraient apporter des modifications au droit actuellement en vigueur. En effet, l’article 8 bis dispose que le Gouvernement devra remettre au Parlement, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi, un « rapport dressant un bilan exhaustif des systèmes actuellement soutenus au titre des paiements pour services environnementaux, et analysant les freins ou les leviers qui permettraient d’en accroître l’efficacité et le développement ».

Pour mémoire, les paiements pour services environnementaux sont conçus comme une incitation financière afin que les agriculteurs participent directement à la transition écologique et ce, via des pratiques qui maintiennent et restaurent les services écosystémiques (services d’approvisionnement, services de régulation, services culturels, services d’appui nécessaires au fonctionnement des écosystèmes). L’article 9 inclut la prise en compte des émissions de gaz à effet de serre dans ces services environnementaux et intègre à l’article L. 111-2 du CRPM relatif à la politique d’aménagement rural l’objectif de valorisation du « stockage de carbone dans les sols agricoles ainsi que la réduction des émissions de gaz à effet de serre, notamment par l’établissement d’un diagnostic de performance agronomique des sols et d’émissions de gaz à effet de serre, accompagné d’un plan volontaire d’atténuation et d’adaptation au changement climatique de l’exploitation, cofinancé par l’État ».

  • Usage de l’eau

En termes d’usage de l’eau, l’article 15 prévoit de modifier le Code de l’environnement afin de qualifier d’« intérêt général majeur » les stockages d’eau, plans d’eau ou encore les prélèvements nécessaires à un usage agricole. L’article 16 de la proposition de loi crée un nouvel alinéa à l’article L. 213-7 du Code de l’environnement et qui dispose que « le préfet coordonnateur de bassin définit les situations dans lesquelles, en France métropolitaine, la conduite des projets de territoire pour la gestion de l’eau doit être encouragée, à l’exception du bassin de Corse où la collectivité de Corse est compétente. » De plus, l’article 17 confère aux cours administratives d’appel la compétence « pour connaître, en premier et dernier ressort, des recours dirigés contre les décisions prises en application des articles L. 214-1 à L. 214-6 et L. 214-8 du Code de l’environnement relatives aux projets d’ouvrages de prélèvement d’eau à usage d’irrigation et aux infrastructures associées ».

  • Restaurants collectifs

Enfin, l’obligation édictée à l’article L. 230-5-1 du (CRPM) et qui prévoit que « les repas servis dans les restaurants collectifs dont les personnes morales de droit public ont la charge » comprennent une part au moins égale, en valeur, à 50 % de produits durables et de qualité et 20 % de produits issus de l’agriculture biologique est reportée à 2025 au lieu de 2022.

 

 

B. Projet de loi d’orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations futures

  1. Le renforcement des politiques publiques visant à développer et renforcer l’agriculture

Ce premier projet de loi, transmis à l’Assemblée nationale le 3 avril 2024, entend répondre, selon l’exposé des motifs qui l’accompagne, à plusieurs objectifs. D’une part, il s’agit de « consolider la souveraineté alimentaire française et européenne » et « [d’] ériger cet impératif comme l’une des priorités stratégiques de nos politiques publiques ». Il vise d’autre part à « offrir à nos agricultrices et nos agriculteurs un cadre simplifié d’action, au service de notre souveraineté alimentaire ». Encore est-il pensé pour encourager les politiques publiques à faire face à deux défis primordiaux : « celui du changement climatique et de la préservation de la biodiversité, d’une part, et celui du renouvellement des générations, d’autre part ».

De prime abord, l’article 1er prévoit l’intégration de nouvelles dispositions relatives aux objectifs de la politique nationale en termes d’agriculture, d’alimentation et de pêche maritime. En ce sens, un nouvel article L1 A est créé au sein du (CRPM) érigeant l’agriculture, la pêche et l’aquaculture au rang d’ « intérêt général majeur en tant qu’elles garantissent la souveraineté alimentaire de la Nation » et définissant les objectifs que doivent poursuivre les politiques publiques dans ces domaines. Quant à l’article L. 1 du même Code, son point IV est intégralement refondu afin de mettre en exergue l’importance de la politique agricole dans la préservation et le renforcement de la souveraineté agricole. L’article revoit dès lors la politique d’installation et de transmission en agriculture en insistant notamment sur la réponse qu’il convient d’apporter aux enjeux environnementaux et climatiques actuels, « grâce aux services écosystémiques et énergétiques rendus par l’agriculture » et encourage la transition vers « des modèles agricoles plus résilients ».

En outre, le projet de loi comprend un certain nombre d’articles encadrant la formation des agriculteurs et pour laquelle la « transitions agroécologique et climatique de l’agriculture et de l’alimentation » (article 2) revêt une place non négligeable. À noter également la création, par l’article 4, d’un « contrat territorial de consolidation ou de création de formation » qui, conformément à l’étude d’impact du projet de loi, « sera mis en œuvre dans le cadre du contrat de plan régional de développement des formations et de l’orientation professionnelles » par les régions au titre de leur politique d’apprentissage et de formation professionnelle à la recherche d’emploi. Il aura vocation à accroître le nombre de professionnels formés aux métiers de l’agriculture.

De plus, le titre III du projet de loi comporte des mesures visant à faciliter l’installation des agriculteurs, par la création du réseau « France services agriculture » (article 8) ou via la réalisation d’un diagnostic en matière de résilience de l’exploitation « face aux conséquences du changement climatique » (article 9).

  1. Les mesures visant les modalités d’exercice de l’activité agricole

Le projet de loi prévoit un titre IV nommé « Sécuriser, simplifier et libérer l’exercice des activités agricoles » qu’il convient de détailler de manière plus spécifique.

  • Sanctions aux infractions environnementales

 

En premier lieu, l’article 13 prévoit l’adoption, par le Gouvernement, d’une ordonnance dans un délai de 12 mois pour faire évoluer le régime des sanctions applicables à certaines infractions environnementales. Il s’agit, d’une part des infractions prévues à l’article L. 173-1 du Code de l’environnement, réprimant l’exercice de certaines activités en l’absence des autorisations, enregistrements, agréments, homologations ou certifications requis ; d’autre part au 1° de l’article L. 415-3 du même Code, qui fixe les infractions en cas d’atteintes à la conservation d’espèces animales non domestiques, d’espèces végétales non cultivées, d’habitats naturels et de sites d’intérêt géologique, prévues aux articles L. 411-1 et L411-2.

Le Gouvernement devra alors :

  • « adapter l’échelle des peines et réexaminer leur nécessité, y compris en substituant à des sanctions pénales existantes un régime de répression administrative, en tenant compte de ce que le manquement a été commis à l’occasion de l’exécution d’obligations légales ou réglementaires ou d’activités régulièrement déclarées, enregistrées ou autorisées et exercées conformément aux prescriptions de l’autorité administrative, ou d’activités prévues par des documents de gestion mentionnés à l’article L. 122-3 du Code forestier».
  • instaurer une obligation de restauration écologique en cas de manquement
  • abroger ou la modifier les « dispositions devenues inadaptées ou obsolètes».
  • Protection des haies

 

Le projet de loi prévoit par ailleurs un certain nombre de mesure pour assurer la protection des haies (article 14).

Ces dernière qui, tel que le rappelle l’étude d’impact du projet de loi, sont au carrefour des enjeux agricoles, environnementaux et paysagers et assurent de nombreux services écosystémiques (« habitat naturel d’espèces animales, végétales et de microorganismes, corridor écologique, stockage de carbone, auxiliaire de cultures, lutte contre l’érosion, affouragement, production de biomasse et élément paysager structurant des milieux ruraux, urbains ou péri-urbains ») font l’objet d’une nouvelle section 4 au sein du chapitre II du titre Ier du livre IV du Code de l’environnement.

Le régime de protection instauré a vocation à être plus clair grâce à la création d’un « régime unique d’autorisation et de déclaration permettant de gérer les destructions de haies (dont les arrachages) et les mesures compensatoires, dont la replantation, fondé sur une définition adaptée à son caractère multifonctionnel » (étude d’impact du projet de loi). La haie est par ailleurs légalement définie comme « toute unité linéaire de végétation ligneuse comportant plusieurs essences et d’origine humaine, à l’exclusion des allées et alignements d’arbres qui bordent les voies ouvertes à la circulation publique mentionnés à l’article L. 350-3 » (art. L. 412-21 du Code de l’environnement).

Conformément au nouvel article L. 412-23 du Code de l’environnement dans la rédaction qui est proposée à date, une déclaration unique préalable sera requise pour tout projet de destruction d’une haie tandis que l’autorité administrative compétente pourra subordonner ledit projet à l’obtention d’une autorisation unique « dès lors qu’une des législations énumérées à l’article L. 412-24 soumet la destruction de la haie concernée à autorisation préalable ». Cette autorisation unique tiendra lieu des « déclarations, absences d’opposition, dérogations et autorisations énumérées à l’article L. 412-24, lorsque le projet de destruction de haie les nécessite ». Il s’agit plus particulièrement de :

  • la dérogation espèces protégées ;
  • l’absence d’opposition au titre du régime d’évaluation des incidences Natura 2000 ;
  • l’autorisation ou l’absence d’opposition à déclaration de travaux de consolidation ou de protection des berges comportant une destruction de la ripisylve ;
  • l’autorisation spéciale de modifier l’état ou l’aspect de territoires classés en réserve naturelle ou en instance de classement ;
  • l’autorisation spéciale de modifier l’état des lieux ou l’aspect d’un site classé ou en instance de classement ;
  • l’autorisation ou absence d’opposition à déclaration de travaux dans le périmètre de protection d’une source d’eau minérale naturelle déclarée d’intérêt public ;
  • l’autorisation relative aux périmètres de captage d’eau potable ;
  • l’autorisation de destruction d’une haie bénéficiant de la protection au titre de l’article L. 126-3 du (CRPM)
  • l’absence d’opposition à une déclaration préalable prévue au Code de l’urbanisme pour les travaux portant sur des éléments classés en application de l’article L. 113-1 du Code de l’urbanisme, ou identifiés comme présentant un intérêt en application des articles L. 111-22, L. 151-19 et L. 151-23 du même Code lorsque la décision sur cette déclaration préalable est prise au nom de l’État, ou que l’accord de l’autorité compétente a été recueilli ;
  • l’absence d’opposition à une déclaration préalable, ou autorisation prévue dans le cadre d’un régime d’aide publique en cas de destruction de haie, notamment au titre de la mise en œuvre des bonnes conditions agricoles et environnementales, à laquelle est subordonné le paiement des aides de la politique agricole commune.

Enfin, selon la rédaction actuelle du projet de loi, tout projet impliquant la destruction d’une haie devra faire l’objet d’une mesure de compensation « par replantation d’un linéaire au moins égal à celui détruit » et un décret devra définir les périodes lors desquelles toute destruction sera interdite.

  • Règles contentieuses

L’article 15 du projet de loi crée en outre un nouveau chapitre XV intitulé « le contentieux de certaines décisions en matière agricole », intégré au titre VII du livre VII du Code de justice administrative. Ces nouvelles dispositions ambitionnent de réduire le délai de traitement du contentieux face à l’engagement croissant de recours par des tiers aux projets agricoles.

Le champ d’application de ce nouveau régime s’étend aux installations, ouvrages, travaux ou activités (IOTA) de stockage d’eau ou réalisant des prélèvements sur les eaux souterraines et poursuivant à titre principal une activité agricole ainsi que les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) « destinées à l’élevage de bovins, de porcs, de lapins, de volailles et de gibiers à plumes, ainsi qu’aux couvoirs et à la pisciculture ». Il s’applique à une dizaine de décisions individuelles (autorisation environnementale, récépissé de déclaration ou enregistrement d’installations, dérogation espèces protégées, décision de non-opposition à déclaration préalable ou permis de construire, d’aménager ou de démolir…).

Concrètement, le texte propose que lorsque le juge administratif estime « qu’un vice n’affecte qu’une phase de l’instruction de la demande donnant lieu à l’une des décisions » susmentionnées ou une partie de cette décision, il peut limiter « à cette phase ou à cette partie la portée de l’annulation qu’il prononce et demande à l’autorité administrative compétente de reprendre l’instruction à la phase ou sur la partie qui a été entachée d’irrégularité ». En cas de vice susceptible de régularisation, le juge peut surseoir à statuer dans l’attente d’une mesure de régularisation.

Le projet de loi comporte également de nouvelles dispositions en matière de référé-suspension. Ainsi, un recours dirigé contre l’une des décisions individuelles précitées ne pourra être accompagné d’un tel référé « que jusqu’à l’expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort » ; autrement dit jusqu’à la date à laquelle il est impossible d’invoquer de nouveaux moyens. La condition d’urgence sera quant à elle présumée satisfaite et le juge disposera d’un délai d’un mois pour statuer. De plus, il convient de mentionner que la durée de validité de l’autorisation administrative et toutes celles nécessaires à la réalisation du projet sera « suspendue jusqu’à la notification au bénéficiaire de l’autorisation attaquée de la décision juridictionnelle irrévocable au fond ». Le projet de loi indique les modalités d’entrée en vigueur des dispositions en cause.

  • ICPE et IOTA

Les articles 16 et 17 portent sur la modification potentielle de certains régimes ICPE et IOTA spécifiques. En effet, l’article 16 concerne la possibilité pour le gouvernement de faire évoluer, par ordonnance, les règles juridiques applicables aux installations d’élevage de chiens (rubrique ICPE 2120) et plus particulièrement d’adapter les modalités « d’engagement de la responsabilité pénale en cas de dommages causés par les chiens de protection de troupeaux ». Quant à l’article 17, il prévoit la modification, par voie d’ordonnance également, des régimes ICPE relatifs aux sous-produits lainiers (rubrique ICPE 2780) et à l’aquaculture (rubrique ICPE 2130 et IOTA 3.2.7.0 notamment) par un allègement des contraintes et des obligations pesant sur ces installations.

 

  • Eau potable

Enfin, le projet de loi prévoit en son article 18 de nouvelles dispositions relatives aux compétences des collectivités territoriales en matière d’eau potable. Deux articles sont ainsi créés au sein du Code général des collectivités territoriales. L’objectif affiché est d’élargir la capacité d’intervention des départements et leur permettre ainsi « d’être associés à des projets en matière de production, transport et stockage d’eau destinée à la consommation humaine » (étude d’impact du projet de loi). Ainsi, les départements pourront désormais « recevoir un mandat conclu à titre gratuit, de maîtrise d’ouvrage en vue de la production, du transport et du stockage d’eau destinée à la consommation humaine ou en vue de l’approvisionnement en eau, au sens du 3° du I de l’article L. 211-7 du Code de l’environnement, confié par l’établissement public de coopération intercommunale ou le syndicat mixte compétent, sous réserve que celui-ci y soit expressément autorisé par ses statuts ». De plus, un syndicat mixte constitué exclusivement d’un ou plusieurs groupements de collectivités compétents en matière de production, de transport et de stockage d’eau destinée à la consommation humaine, et d’un ou plusieurs départements limitrophes pourra également assurer tout ou partie de ces compétences.

 

II. Projet de loi de simplification de la vie économique

Déposé au Sénat le 24 avril 2024, le projet de loi de simplification de la vie économique s’attache principalement à faciliter les démarches administratives des entreprises, « instaurer de la confiance entre administration et entreprises » ainsi qu’à « rationaliser » les normes applicables. Néanmoins, certains articles du projet de loi comportent des dispositions en lien avec le droit de l’environnement et qu’il convient d’examiner.

  • Simplification des démarches administratives

À titre liminaire, l’article 2 du projet de loi s’inscrit dans un objectif de simplification des démarches administratives qui incombent aux entreprises. Il habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures nécessaires à la transformation de certaines procédures d’autorisation « en simples déclarations » mais également de supprimer certaines déclarations. Si le projet d’article en lui-même est peu bavard sur les autorisations et déclarations ainsi concernées, l’étude d’impact apporte de subtiles précisions puisqu’elle indique « [qu’] une mission inter inspections va être lancée par le Gouvernement pour établir un état des lieux des procédures d’autorisation figurant dans les différents codes, et des déclarations obligatoires de niveau législatif » ; permettant ainsi de dresser la liste des autorisations et déclarations concernées par le présent article. Il sera alors nécessaire d’être vigilant quant aux types d’autorisations concernées et notamment vérifier que de telles décisions prises en matière environnementale sont ou non concernées.

  • Centres de données

En ce qui concerne l’encadrement des projets industriels et des infrastructures, l’article 15 du projet de loi vient modifier l’article L. 300-6-2 du Code de l’urbanisme relatif aux projets d’intérêt national majeur (PINM), introduit par la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023, dite industrie verte.

En effet, il insère d’une part à l’article L. 300-6-2 du Code de l’urbanisme un I bis qui définit la notion de centre de données (« une installation ou un groupe d’installations servant à héberger, connecter et exploiter des systèmes et des serveurs informatiques et du matériel connexe pour le stockage, le traitement de données, la distribution des données, ainsi que pour les activités qui y sont directement liées ») et détermine dans quelle mesure une telle installation peut être qualifiée, par décret, de PINM « eu égard à son objet ou son envergure, notamment en termes d’investissement, une importance particulière pour la transition numérique, la transition écologique ou la souveraineté nationale ». D’autre part, il prévoit la création d’un XIII au sein du même article indiquant qu’un décret devra prévoir les conditions dans lesquelles la raison impérative d’intérêt public majeur pourra être reconnue par l’autorité administrative compétente à l’occasion de la délivrance de dérogation espèces protégées en application de l’article L. 411-2 du Code de l’environnement

Notons que le projet de décret d’application de la loi du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte définissant les secteurs des technologies favorables au développement durable mentionnés à l’article L. 300-6 du Code de l’urbanisme, précisant les modalités de reconnaissance de la raison impérative d’intérêt public majeur et modifiant diverses dispositions du Code de l’urbanisme, mis en consultation publique du 11 mars 2024 au 1er avril 2024, prévoit en son article 2 les informations que le pétitionnaire doit fournir afin d’obtenir, par l’autorité compétente de l’État et pour un projet d’intérêt national majeur, la reconnaissance « par anticipation qu’un projet de travaux, d’aménagement ou de construction d’une personne publique ou privée susceptible d’affecter la conservation d’espèces animales ou végétales ou de fonge protégées et de leur habitat répond à une raison impérative d’intérêt public majeur au sens de l’article L. 411-2 du Code de l’environnement ».

L’article 15 du projet de loi indique également que « les dispositions des articles 27 et 28 de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération des énergies renouvelables applicables aux projets d’intérêt national majeur mentionnés au I de l’article L. 300-6-2 du Code de l’urbanisme [projet industriel qui revêt, eu égard à son objet et à son envergure, notamment en termes d’investissement et d’emploi, une importance particulière pour la transition écologique ou la souveraineté nationale et pouvant être qualifié par décret de PINM] sont également applicables aux projets d’intérêt national majeur mentionnés au I bis du même article [centres de données] ». Pour information, l’article 27 énonce des mesures dérogatoires pour certains projets de raccordement  au réseau public de transport d’électricité (concertation préalable en lieu et place des procédures de participation du public, dispense d’étude d’impact, autorisation de construction de postes électriques dans certains espaces identifiés comme remarquables ou caractéristiques et dans les milieux identifiés comme nécessaires au maintien des équilibres biologiques…) ; tandis que l’article 28 prévoit la fixation d’un ordre de classement des demandes de raccordement au réseau de transport ou de distribution de projets énoncés à l’article 27, si l’ensemble des demandes « engendre, pour au moins un de ces projets, un délai de raccordement supérieur à cinq ans en raison de l’insuffisance de la capacité d’accueil prévisionnelle du réseau public de transport de l’électricité dans ce délai ».

  • Dérogations pour les installations de production d’énergie renouvelable en mer

Dans le cadre d’un marché concernant un projet d’installation de production d’énergie renouvelable en mer, l’article 16 dispose, à titre dérogatoire, que l’acheteur a la possibilité, sous certaines conditions, de ne pas allotir et que le sous-traitant direct de son titulaire peut « renoncer expressément au bénéfice du paiement direct »

  • Antennes de téléphonie mobile

L’article 17 du projet de loi entérine quant à lui la dérogation temporaire conférée par la loi n° 2018-1021 dite ELAN et prévoyant que les décisions d’autorisation en matière d’antennes de téléphonie mobile ne peuvent être retirées par l’autorité administrative compétente et ce, afin de « faciliter le déploiement des réseaux de communications électroniques ainsi que de renforcer la couverture numérique du territoire ». De plus, l’article énonce les informations à transmettre à l’autorité compétente, sous peine de nullité, en cas de contractualisation portant sur un emplacement « accueillant ou destiné à accueillir une infrastructure supportant des antennes d’émission ou de réception de signaux radioélectriques aux fins de fournir au public un service de communications électroniques ».

  • Mesures de compensation

En outre, la mise en œuvre de la séquence « éviter, réduire, compenser » dite ERC est modifiée par l’article 18 du projet de loi. Plus particulièrement, le cadre applicable aux mesures de compensation évolue afin de permettre « un démarrage plus rapide des projets » puisque les mesures de compensation pourront désormais, selon l’étude d’impact, « être lancées à l’issue du début des travaux, dans un délai raisonnable ». De plus, le second alinéa du I de l’article L. 163-1 du Code de l’environnement est remplacé comme suit : les mesures de compensation « visent à éviter les pertes nettes de biodiversité pendant toute la durée des atteintes, ou, à défaut, à compenser les éventuelles pertes nettes intermédiaires dans un délai raisonnable, en visant à terme un objectif d’absence de perte nette, voire de gain de biodiversité. » L’obligation de résultats est ainsi supprimée.

Enfin, le titre VIII du projet de loi porte diverses dispositions visant à « simplifier pour accélérer la transition énergétique et écologique de notre économie » et qu’il convient de mentionner

  • Droit minier

Ainsi, l’article 19 s’inscrit dans le cadre de la modernisation du droit minier. D’une part, ses dispositions visent à accélérer les procédures d’attribution ou de refus de permis exclusifs de recherche des mines. La possibilité de prolongation du permis exclusif de recherche au-delà de la durée maximale de quinze ans, en cas de circonstances exceptionnelles et déjà octroyée pour les hydrocarbures, est étendue à toutes les autres substances de mines. Elle vaut pour trois ans supplémentaires au maximum. L’article 19 introduit aussi dans le Code minier des dispositions visant à « transformer et céder des puits d’hydrocarbures liquides ou gazeux en vue d’un nouvel usage, à savoir le stockage souterrain de CO2 » (étude d’impact). De plus, en ce qui concerne la recherche minière en Guyane, une autorisation unique devrait voir le jour en intégrant, après consultation de l’ONF par le service instructeur, les conditions d’occupation temporaire du domaine privé et public de l’Etat au sein de l’autorisation préfectorale d’exploration et d’exploitation minière.

  • Énergies renouvelables et règles d’urbanisme

En matière d’énergies renouvelables et de pompes à chaleur, leur déploiement est facilité sur le territoire national par la création, à l’article 20 du projet de loi, d’un régime dérogatoire au plan local d’urbanisme en ce qui concerne les règles d’emprise au sol, de hauteur, d’implantation et d’aspect extérieur.

  • Bilan carbone pour le soutien au biogaz

Notons pour finir l’abrogation de l’article L. 446-1 du Code de l’énergie qui prévoyait « l’obligation de réaliser un bilan carbone pour le soutien au biogaz dans le cadre des procédures de mise en concurrence, introduite en 2019 » (article 21). L’étude d’impact du projet de loi justifie ce choix par la « redondance » de cette obligation, avec celles « relatives à la durabilité et aux exigences de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES) du biométhane ».

 

Projet de loi d’orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture

Projet de loi de simplification de la vie économique

Proposition de loi pour un choc de la compétitivité en faveur de la ferme France

Requalification d’un bail en l’état futur d’achèvement en marché public : le Conseil d’État dans les pas du juge européen

Par une décision en date du 3 avril 2024, le Conseil d’État a confirmé un arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Marseille, qui avait annulé un contrat de bail en l’état futur d’achèvement conclu entre un centre hospitalier, en qualité de preneur, et une société civile immobilière[1]. Le centre hospitalier avait en effet décidé de conclure, de gré à gré, un bail en l’état futur d’achèvement par la voie duquel étaient prévus « la location, à l’établissement public, de deux bâtiments existants ainsi que d’un bâtiment à construire, pour une durée de quinze ans, avec une option d’achat ». Le centre hospitalier n’avait toutefois jamais pris possession du bâtiment, considérant finalement que le contrat était illicite. Il avait alors introduit un recours tendant à l’annulation de ce contrat, d’abord rejeté par le tribunal, avant d’être accueilli au stade de l’appel. La Cour administrative d’appel avait en effet considéré que le contrat constituait en réalité un marché public de travaux, et que les versements prévus au profit du bailleur constituaient « des paiements différés », prohibés par l’ordonnance du 23 juillet 2015 alors applicable.

Le Conseil d’État suit un raisonnement similaire, avant de confirmer l’interprétation de la Cour. Pour ce faire, il commence par qualifier l’influence déterminante[2] du centre hospitalier sur le bâtiment à construire et, de façon très intéressante, en précisant que cette influence peut être qualifiée lorsqu’elle « est exercée sur la structure architecturale de ce bâtiment, telle que sa dimension, ses murs extérieurs et ses murs porteurs ». De façon inédite, le Conseil d’État ajoute que « les demandes de l’acheteur concernant les aménagements intérieurs ne peuvent être considérées comme démontrant une influence déterminante que si elles se distinguent du fait de leur spécificité ou de leur ampleur ». Ce faisant, le Conseil d’État reprend à son compte, et au mot près, l’interprétation de la Cour de justice de l’Union européenne[3]. Certes, le juge administratif français avait déjà repris à son compte cette approche[4]. Mais c’est la première fois que l’interprétation de la Cour de justice de l’Union européenne est transposée de façon si claire dans la jurisprudence nationale, et surtout, reprise et confirmée par le Conseil d’État. La précision est du reste bienvenue, tant des incertitudes demeuraient jusqu’à présent quant à la qualification de marchés publics de « simples » travaux d’aménagement intérieur, notamment lorsque ceux-ci représentaient une part significative du prix payé par un pouvoir adjudicateur.

Une fois cette influence déterminante qualifiée, le Conseil d’État en déduit logiquement que le bail en l’état futur d’achèvement était bien un marché public de travaux, répondant aux besoins du centre hospitalier. Les « loyers » alors prévus au contrat devenaient bien des paiements différés par principe prohibés dans le cadre d’un marché public. Le Conseil d’État en tire alors les conséquences, comme l’avait fait la Cour au stade de l’appel : après avoir rappelé le principe issu de sa décision « Béziers I »[5],  il juge que « la clause de paiement différé mentionnée au point 6 était indivisible du reste du contrat, qu’eu égard à la nature de cette clause, le contenu du contrat présentait un caractère illicite et qu’un tel vice était de nature à justifier son annulation ».

Si le raisonnement suivi et la solution retenue ne surprennent guère, cette décision est toutefois bienvenue, car elle contribue à préciser la frontière entre certains montages contractuels conclus de gré à gré, comme celui dont il était question en l’espèce, et le champ de la commande publique.

 

[1] CAA Marseille, 27 février 2023, req. n° 21MA04312.

[2] Articles L. 1111-1 et L. 1111-2 du Code de la commande publique.

[3] CJUE, 22 avril 2021, Commission c. Autriche, n° C-537/19, paragraphe 53.

[4] CAA Nancy, 13 avril 2021, req. n° 19NC02073.

[5] CE, 28 décembre 2009, Commune de Béziers, req. n° 304802.

Charge de la preuve de la prescription et de son point de départ

Au visa combiné des articles, 1315 al 2 devenu 1353, alinéa 2 et 2224 du Code civil, La chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle que la charge de la preuve du délai de prescription et de son point de départ incombe à celui qui se prétend libéré par l’obligation. Dans cette affaire, un acquéreur d’une quote-part d’une indivision constituée par une collection de manuscrits ayant été mal informé lors de l’acquisition, assigne son conseiller en gestion de patrimoine et l’assureur de celui-ci en réparation de son préjudice.

En défense il lui est opposé une fin de non-recevoir fondée sur la prescription de son action. L’acquéreur n’ayant pas apporté la preuve de la connaissance de son dommage dans le délai quinquennal précédant l’introduction de l’instance, la Cour d’appel prononce une fin de non-recevoir. L’acquéreur se pourvoit en cassation en reprochant à la Cour d’appel d’avoir inversé la charge de la preuve.

La Cour de cassation rappelle :« en statuant ainsi, alors que la charge de la preuve du point de départ d’un délai de prescription incombe à celui qui invoque cette fin de non-recevoir, la cour d’appel a violé les textes susvisés ». Cette décision se comprend facilement au regard de l’article 1353 alinéa 2 (ancien 1315) du Code civil, lequel prévoit que :

« Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver.

Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ».

La Cour de cassation fait peser la démonstration globale du point de départ et de l’écoulement du délai de prescription sur celui qui l’invoque. En l’espèce, il s’agissait bien du conseiller en patrimoine et de son assureur, lesquels avaient invoqué la fin de non-recevoir fondée sur la prescription pour se libérer de leur obligation à réparation.

Conclusion : Le plaideur qui invoque une fin de recevoir fondée sur la prescription, ne doit pas perdre de vue qu’il devra faire la preuve du point de départ de celle-ci dans le respect des dispositions des articles 2224 et 1353 du Code civil.

La proposition de loi pour le bien vieillir définitivement adoptée par le Sénat : un léger assouplissement calendaire pour la transformation des services à domicile

La proposition de loi portant mesures pour bâtir la société du bien-vieillir et de l’autonomie a été définitivement adoptée par le Sénat le 27 mars dernier après près d’un an de discussions parlementaires. Un de ses articles, l’article 8 bis, concerne la réforme des services autonomie à domicile (SAD), nouvelle catégorie unique de services à domicile créée le 30 juin 2023. Cet article vient apporter quelques assouplissements concernant les délais imposés pour la mise en œuvre de cette réforme.

Pour rappel, la loi n° 2022-1616 du 23 décembre 2021 de financement de la sécurité sociale pour 2022 prévoit que les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) ont l’obligation de se transformer en SAD mixte, c’est-à-dire en service proposant à la fois du soin et de l’aide pour les personnes accompagnées, d’ici le 30 juin 2025. Plus précisément, les SSIAD devront déposer une demande en vue de leur autorisation en qualité de SAD mixte d’ici cette date. A ce sujet, il doit être relevé que les ex-services autonomie d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD) et les SSIAD ne sont pas sur un pied d’égalité puisque ces premiers peuvent, eux, contrairement aux SSIAD, continuer à ne dispenser que des prestations d’aide et d’accompagnement à condition d’organiser une réponse aux besoins de soins des personnes avec d’autres services ou professionnels assurant une activité de soins à domicile, le cas échéant par le biais de conventions.

Dans le cadre des débats qui ont précédé l’adoption de la loi pour le bien vieillir, un amendement avait été adopté par le Sénat visant à rendre facultative la transformation des SSIAD en SAD mixte. Cet amendement était motivé par la difficulté de faire coïncider les zones d’intervention des différents services dans le cadre de la constitution d’un SAD mixte (exigence imposée depuis le décret n° 2023-608 du 13 juillet 2023 relatif aux services autonomie à domicile) et par la différence de statut des services existants (souvent associatif pour les SAAD et public pour les SSIAD) compliquant les rapprochements notamment en matière de ressources humaines. Cependant, cet amendement qui remettait en cause l’objectif de la réforme des SAD en permettant aux SSIAD de ne pas développer d’activité d’aide n’a finalement pas été retenu par les parlementaires. En revanche, le texte de loi pour le bien vieillir qui a été définitivement adopté prévoit notamment deux mesures permettant d’assouplir, dans le temps, la mise en œuvre de la réforme de 2021 :

  • D’une part, la date limite pour déposer une demande d’autorisation en tant que SAD mixte pour les SSIAD est repoussée de six mois. Ainsi, les SSIAD ont jusqu’au 30 décembre 2025 pour demander une autorisation en tant que SAD mixte ;
  • D’autre part, l’hypothèse du conventionnement transitoire est étendue à cinq ans au lieu des trois ans prévus initialement à l’article 5 du décret susvisé n° 2023-608 du 13 juillet 2023. Cette option permet aux SSIAD de mettre en œuvre la réforme en conventionnant avec un ou plusieurs SAD pendant cinq années avant de constituer une entité juridique unique entre eux à l’issue de cette période. Un point reste à éclaircir : l’article 8 bis de la loi pour le bien vieillir précise que cet aménagement transitoire peut également avoir lieu dans le cadre d’un groupement de coopération sociale et médico-sociale (GCSMS) pendant cinq ans en attendant que le SAD soit constitué sous une entité juridique unique, à l’issue de cette période. Or, un GCSMS, outil juridique doté de la personnalité morale, constitue déjà une entité juridique, ce qui interroge sur l’hypothèse du GCSMS porteur de l’autorisation d’un SAD mixte.

Ces mesures permettent aux gestionnaires de SSIAD de gagner un peu de temps avant de constituer un SAD mixte, ce qui n’est pas négligeable au vu des difficultés constatées sur le terrain, notamment pour les SSIAD publics, afin de constituer une entité juridique unique dispensant de l’aide et du soin.

La loi devrait être promulguée dans les prochains jours par le Président de la République.

L’enquête préliminaire de droit commun : trois années de prolongation s’ajoutent à son délai de principe de deux ans

Loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027

Par la loi du 22 décembre 2021[1], le nouvel article 75-3 du Code de procédure pénale avait organisé un délai de deux ans, pouvant être porté à trois ans sur autorisation écrite et motivée du procureur de la République, pour le déroulé des enquêtes préliminaires de droit commun.

Récemment, la loi du 20 novembre 2023, applicable aux enquêtes commencées après le 23 décembre 2021[2], apporte quelques modifications à l’article 75-3 du Code de procédure pénale Parmi celles-ci, un nouvel alinéa 4 dispose :

« A titre exceptionnel, à l’expiration du délai de trois ans mentionné au troisième alinéa, le procureur de la République peut décider de la prolongation de l’enquête selon les modalités prévues au V de l’article 77-2 pendant une durée d’un an, renouvelable une fois par décision écrite et motivée versée au dossier de la procédure ».

Ainsi, le procureur de la République peut décider d’une nouvelle prolongation exceptionnelle d’un an, renouvelable une fois, soit une durée maximale de cinq ans d’enquête préliminaire pour les infractions de droit commun.

Concernant les infractions relevant de la criminalité et délinquance organisée[3] ou de la compétence du procureur de la République antiterroriste, le délai d’enquête préliminaire initial est fixé à trois ans et peut être prolongé une fois pour une durée maximale de deux ans sur autorisation écrite et motivée du procureur de la République, depuis la loi du 2 décembre 2021. Néanmoins, il est intéressant de noter que la prolongation exceptionnelle prévue à l’alinéa 4 de l’article 75-3 du Code de procédure pénale par la nouvelle loi du 20 novembre 2023 ne s’applique qu’aux infractions de droit commun.[4] Le délai maximal de l’enquête préliminaire est donc aujourd’hui fixé à cinq ans pour les infractions de droit commun, comme pour les autres infractions, relevant de la criminalité et délinquance organisée ou de la compétence du procureur de la République antiterroriste. Mais ce délai doit être apprécié à l’aune de son point de départ ; jusqu’à présent, l’ancien alinéa 1 de l’article 75-3 du Code de procédure pénale prévoyait que :

 « La durée d’une enquête préliminaire ne peut excéder deux ans à compter du premier acte de l’enquête, y compris si celui-ci est intervenu dans le cadre d’une enquête de flagrance ».

Ces dispositions ont été modifiées et prévoient désormais que :

« La durée d’une enquête préliminaire ne peut excéder deux ans à compter du premier acte d’audition libre, de garde à vue ou de perquisition d’une personne, y compris si cet acte est intervenu dans le cadre d’une enquête de flagrance ».

La loi ajoute ainsi une précision quant au type d’acte qui fait effectivement courir le délai de principe de l’enquête préliminaire. Toutefois, l’apport essentiel de cette évolution consiste dans le fait que ce délai concerne désormais « une personne » spécifique et ne s’apprécie donc plus de façon générale mais de façon individuelle.[5] A cet égard, « tout acte d’enquête concernant la personne ayant fait l’objet [d’une audition libre, d’une garde à vue ou d’une perquisition] intervenant après l’expiration de ces délais est nul »[6]. Cette nullité, en revanche, ne s’étend pas à un acte d’enquête qui concernerait une autre personne que le mis en cause par cet acte.

Enfin, l’article 77-2 V du Code de procédure pénale concernant l’ouverture au contradictoire des enquêtes préliminaires est également modifié par ladite loi. A ce sujet, l’accès automatique à une copie du dossier et le droit de formuler des observations est seulement ouvert à compter d’un délai de trois ans d’enquête préliminaire pour les infractions de droit commun, contre 2 ans auparavant.

 

[1] Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire

[2] Article 60 de la loi du 20 novembre 2023

[3] Articles 706-73 et 706-73-1 du Code de procédure pénale

[4] Présentation des dispositions de droit pénal et de procédure pénale de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 applicables immédiatement, Circulaire de la Direction des affaires criminelles et des grâces, Olivier Christen, 7 décembre 2023

[5] Idem

[6] Alinéa 3 de l’article 75-3 du Code de procédure pénale

Biens sans maître : clarification bienvenue de la compétence juridictionnelle

CE, 18 mars 2024, n° 463364

Par deux arrêts rendus le 18 mars dernier, le Conseil d’Etat a clarifié un aspect de l’épineux régime des biens sans maître, concernant le partage de compétence juridictionnelle entre le juge administratif et le juge judiciaire.

Dans la première affaire (n° 474558), le Tribunal administratif de Strasbourg avait été saisi à la suite de l’incorporation d’une parcelle non-bâtie, en juillet 2016, au sein du patrimoine de la commune de Châtenois conformément au régime des biens sans maître. La Cour administrative d’appel de Nancy avait refusé d’engager la responsabilité de la commune et rejeté la demande d’indemnisation. Pour rappel, l’article L. 1123-1 du Code général de la propriété des personnes publiques distinguent deux hypothèses dans lesquelles des biens sans propriétaire identifié peuvent être qualifié de biens sans maître :

  • Des biens qui font partie d’une succession depuis plus de 30 ans et pour lesquels aucun successible ne s’est présenté ;
  • Ou des « immeubles qui n’ont pas de propriétaire connu et pour lesquels depuis plus de trois ans les taxes foncières n’ont pas été acquittées ou ont été acquittées par un tiers».

A la suite de l’identification d’un tel bien, l’autorité administrative compétente peut engager la procédure d’incorporation selon les dispositions des articles L. 1123-2 et L. 1123-3 du Code général de la propriété des personnes publiques.

  • Soit le bien relève d’une succession ouverte depuis plus de 30 ans, la procédure d’incorporation du bien est celle prévue à l’article 713 du Code civil ;
  • Soit le bien relève de la deuxième hypothèse et sont présumés sans maître à l’issue d’une enquête de l’autorité administrative y compris auprès des services fiscaux. Il convient alors de prendre un arrêté prescrivant l’engagement de la procédure, de l’afficher sur le terrain et de le notifier aux derniers domiciles des derniers propriétaires, s’ils sont identifiés.

Si aucun propriétaire ne se manifeste dans le délai, le bien peut être incorporé dans le patrimoine de l’autorité administrative. L’arrêt commenté porte sur la compétence juridictionnelle en cas de litige à la suite de cette incorporation. En effet, les anciens propriétaires de l’immeuble ayant fait l’objet de la procédure peuvent introduire un recours indemnitaire pour obtenir réparation du préjudice qu’ils estiment avoir subi du fait de cette procédure. Le Conseil d’Etat précise que litiges indemnitaires visant à indemniser une faute commise dans la conduite de la procédure relèvent de la compétence du seul juge administratif tandis que l’indemnisation de la perte du bien sans maître relève du seul juge judiciaire :

« 4. Si relève en principe du juge administratif la demande d’indemnisation formée par la personne qui prétend être propriétaire d’un immeuble présumé sans maître à raison des fautes commises par une personne publique à l’occasion de l’incorporation de cet immeuble dans le domaine communal en application des dispositions mentionnées au point 2, les dispositions de l’article L. 2222-20 du code général de la propriété des personnes publiques, citées au point 3, impliquent que la demande tendant à l’indemnisation du préjudice né de la perte du bien lui-même, indemnisable à hauteur de la valeur de cet immeuble, relève, faute d’accord amiable, de la compétence du seul juge judiciaire ».

Par conséquent, la faute alléguée au soutien d’un recours indemnitaire déterminera le juge compétent :

  • Soit la faute alléguée a été commise au cours de la procédure rappelée ci-avant, le juge administratif pourra être saisi pour obtenir réparation du préjudice subi ;
  • Soit le préjudice résulte de la perte de la propriété du bien et il conviendra alors de saisir le juge judiciaire.

En l’espèce, la somme de 111.500 euros était demandée en réparation de la perte de la propriété du bien. En considération du principe sus-évoqué, le Conseil d’Etat a pu confirmer la décision de la Cour administrative d’appel qui refuse d’engager la responsabilité de la commune de Châtenois pour l’incorporation de la parcelle dans son patrimoine (par le biais d’une substitution de motif avec celui de l’arrêt de la CAA). Il revient donc au juge judiciaire de se prononcer sur ce type de litige.

La deuxième affaire (n° 463364) est l’occasion pour le Conseil d’Etat de rappeler que le contentieux des actes d’incorporation des biens dans le domaine communal à la suite de l’engagement d’une procédure de biens sans maître relève de la compétence de principe du juge administratif. Dans le présent contentieux, était contesté la légalité de la délibération du conseil municipal de Cannet-des-Maures décidant de l’incorporation d’une parcelle sur laquelle était édifiée une chapelle ainsi que l’arrêté constatant l’incorporation. Le Conseil d’Etat rappelle dans cette décision que le juge administratif est compétent pour connaître des contentieux portant sur la légalité des tels actes, sous réserve de devoir statuer sur le droit de propriété du bien concerné qui devra donner lieu à une question préjudicielle auprès du juge judiciaire, gardien du droit de la propriété :

« 3. La délibération que prend le conseil municipal pour incorporer dans le domaine de la commune, sur le fondement de ces dispositions du code général de la propriété des personnes publiques, les biens qui sont présumés sans maître, de même que l’arrêté du maire constatant cette incorporation à l’issue de la procédure qu’elles instituent, ont le caractère de décisions prises par une autorité administrative dans l’exercice d’une prérogative de puissance publique. Le contrôle de leur légalité relève, sous réserve de la question préjudicielle qui peut naître d’une contestation sur la propriété de la parcelle appréhendée et qui serait à renvoyer à l’autorité judiciaire, de la compétence du juge administratif ».

Trouble de jouissance causé par des travaux publics réalisés par une personne publique ayant la qualité de bailleur commercial : quel est le juge compétent pour statuer sur les demandes indemnitaires du preneur à bail ?

Par cinq arrêts très récents rendus le 2 avril 2024 et publié au Bulletin pour le premier d’entre eux, la Cour de cassation s’est prononcée sur les limites de la compétence du juge judiciaire en matière d’indemnisation du trouble de jouissance causé par des travaux publics réalisés par un bailleur commercial ayant la qualité de personne publique. En l’espèce, la ville de Paris avait donné à bail plusieurs locaux à activité de brasserie-bar, restauration traditionnelle et débits de boissons situés au sein du Théâtre du Châtelet. Afin de réaliser des travaux de rénovation, la ville de Paris avait fermé le théâtre et posé des bâches publicitaires sur ses façades, sans toutefois que ces travaux affectent les locaux commerciaux donnés à bail.

Considérant que la fermeture du théâtre, les travaux de rénovation et la pose des bâches constituaient un trouble anormal affectant leur activité, les preneurs à bail assignèrent la ville de Paris devant le juge judiciaire afin d’obtenir la réparation de la perte d’exploitation subie, la perte de valeur du fonds de commerce, ainsi que le paiement sans contrepartie de droits de voirie et de dommages-intérêts pour préjudice moral. La ville de Paris ne manqua pas de soulever l’incompétence du juge judiciaire, considérant quant à elle que le trouble allégué résultait de travaux publics réalisés en sa qualité de maître d’ouvrage public et non en sa qualité de bailleur commercial. Pour infirmer le jugement de première instance et retenir la compétence du juge judiciaire, la Cour d’appel de Paris s’était alors rattachée au fondement invoqué par les preneurs, à savoir l’article 1719 du Code civil relatif à l’obligation de jouissance paisible du bailleur.

La ville de Paris s’est donc pourvue en cassation en reprochant à la Cour d’appel de Paris de ne pas avoir tranché la question de fond tendant à savoir si les dommages subis étaient imputables à une faute commise en sa qualité de bailleur ou en sa qualité de maître d’ouvrage public. Revenant à l’orthodoxie des termes de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a estimé dans un attendu de principe qu’ « il appartient au juge judiciaire saisi d’une exception d’incompétence de déterminer, indépendamment du fondement juridique invoqué, si les demandes indemnitaires qui lui sont soumises tendent à la réparation de dommages causés par des travaux publics ou se rattachent à un fait générateur distinct de ces travaux public ».

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris a donc été cassé et l’affaire a été renvoyée devant la même Cour autrement composée. La Cour de cassation rappelle ainsi que seul le juge administratif est compétent pour connaître des actions en réparation d’un dommage causé par des travaux publics indépendamment du fondement juridique invoqué par les parties et de l’existence d’un bail commercial liant le maître d’ouvrage public et la victime. La seule question qu’il convient de trancher est donc celle de savoir si les dommages allégués sont imputables, ou non, à des travaux publics.

Dans la positive, seul le juge administratif sera compétent.

Précisions sur la mise à disposition à titre gratuit d’un local affecté à un service public communal pour l’exercice d’un culte

Par une décision en date du 18 mars 2024 publiée au Recueil Lebon, le Conseil d’État a précisé que la mise à disposition à titre gratuit d’un local affecté à un service public communal pour l’exercice d’un culte ne constitue pas nécessairement une libéralité consentie par la commune à l’association bénéficiaire.

Pour rappel, la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État garantit le libre exercice des cultes. Néanmoins, des restrictions y sont apportées dans l’intérêt de l’ordre public. L’article 2 de la loi de 1905 dispose en effet que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Ce même article précise que toutes les dépenses relatives à l’exercice des cultes sont supprimées des budgets de l’État, des départements et des communes. L’article 19 de cette même loi interdit aux associations formées pour subvenir aux frais, à l’entretien et à l’exercice d’un culte, de recevoir des subventions de l’État, des départements ou des communes, à l’exception des sommes allouées pour les réparations des édifices cultuels, classés ou non monuments historiques.

Reprenant sa précédente décision : commune de Valbonne en date du 7 mars 2019 (CE, 7 mars 2019, n° 417629), le Conseil d’État indique que l’article L. 2144-3 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) permet à une commune, en tenant compte des nécessités de l’administration des propriétés communales, du fonctionnement des services et du maintien de l’ordre public « d’autoriser, dans le respect du principe de neutralité à l’égard des cultes et du principe d’égalité, l’utilisation, par une association pour l’exercice d’un culte, d’un local communal […], à l’exclusion de toute mise à disposition exclusive et pérenne, dès lors que les conditions financières de cette autorisation excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte. Une commune ne peut rejeter une demande d’utilisation d’un tel local au seul motif que cette demande lui est adressée par une association dans le but d’exercer un culte. ».

C’est ainsi que, lorsqu’il y a une mise à disposition d’un local communal pour l’exercice d’un culte, le conseil municipal doit déterminer le montant d’une contribution que lui doit l’association à raison de l’utilisation de ce local dans le respect du principe d’égalité, de telle façon qu’il ne soit pas constitutif d’une libéralité. Or le Conseil d’État précise, dans sa décision du 18 mars 2024, que l’existence d’une libéralité ne saurait résulter du simple fait que le local est mis à disposition gratuitement, mais est appréciée « compte tenu de la durée et des conditions d’utilisation du local communal, de l’ampleur de l’avantage éventuellement consenti et, le cas échéant, des motifs d’intérêt général justifiant la décision de la commune ».

Ainsi, la gratuité n’est pas nécessairement constitutive d’une libéralité, prohibée par la loi du 9 décembre 1905, celle-ci devant s’apprécier au regard des critères fixés par la Haute juridiction, à savoir la durée, les conditions d’utilisation du local, l’ampleur de l’avantage éventuellement consenti, les motifs d’intérêt général justifiant cette décision le cas échéant. Le Conseil d’État a, dans cette affaire, annulé l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille (CAA Marseille, 19 décembre 2022, n° 21MA01455) qui avait annulé l’arrêté du 13 juin 2018 pris par le maire de Nice autorisant une association à occuper à titre gratuit un théâtre municipal le vendredi 15 juin 2018 pendant quatre heures pour y célébrer une fête musulmane.

La Cour administrative d’appel de Marseille avait considéré l’arrêté illégal en se fondant sur les dispositions de l’article L. 2125-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) aux termes desquelles :

« Toute occupation ou utilisation du domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 donne lieu au paiement d’une redevance. […] l’autorisation d’occupation ou d’utilisation du domaine public peut être délivrée gratuitement aux associations à but non lucratif qui concourent à la satisfaction d’un intérêt général ».

Elle avait plus précisément estimé que l’association ne pouvait être regardée comme concourant à la satisfaction d’un intérêt général visé à cet article, condition d’une autorisation d’occupation ou d’utilisation du domaine public délivrée à titre gratuit aux associations à but non lucratif. Or le Conseil d’État a jugé que le seul fondement applicable était celui de l’article L. 2144-3 du CGCT, précisant que cet article dérogeait aux dispositions, générales, de l’article L. 2125-1 précitées du CGPPP. Il a ajouté que la Cour ne pouvait pas déduire, du seul fait que le local communal avait été mis à sa disposition gratuitement, que la commune aurait consenti une libéralité en faveur d’un culte, prohibée par les dispositions de la loi du 9 décembre 1905. Il a ainsi annulé l’arrêt et renvoyé l’affaire devant la Cour, à qui il reviendra donc d’appliquer les critères fixés dans la décision commentée, afin de déterminer si, en l’espèce, la mise à disposition à titre gratuit était ou non constitutive d’une libéralité.

Les précisions jurisprudentielles à venir sur l’application de ces critères seront les bienvenues afin de permettre aux communes d’apprécier, à l’avenir, la légalité d’une mise à disposition gratuite de leurs locaux affectés aux services publics, visés à l’article L. 2144-3 du CGCT.

Publication de la loi du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux : quels apports en matière de protection des élus dans le cadre de leur mandat ?

La loi n° 2024-247 du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux est parue au Journal officiel du 22 mars dernier.

Au-delà de la consolidation de l’arsenal répressif afin de sanctionner les violences dont peuvent être victimes les élus à l’occasion de l’exercice de leur mandat (voir sur ce point notre autre brève sur le sujet) cette loi modifie les conditions de prise en charge des élus dans le cadre de la protection fonctionnelle et renforce la prise en compte des mandats électifs locaux par les acteurs judiciaires et étatiques.

En premier lieu, la loi du 21 mars 2024 modifie les modalités d’octroi de la protection fonctionnelle lorsque les élus sont victimes d’infractions. A ce titre, la loi rend automatique – c’est-à-dire sans décision préalable du conseil municipal – l’octroi de la protection fonctionnelle aux maires et aux adjoints ou anciens maires ou adjoints victimes de violences, de menaces ou d’outrages qui en font la demande. L’octroi automatique de la protection fonctionnelle s’appliquera également aux présidents et vice-présidents des conseils régionaux et départementaux, aux conseillers ayant reçu délégation ainsi qu’à leurs anciens élus. La loi précise, d’une part, que la protection fonctionnelle comprend les restes à charge et les dépassements d’honoraires médicaux et psychologiques engagés par les élus victimes et affirme, d’autre part, que les dépenses de protection fonctionnelle présentent le caractère de dépenses obligatoires pour les collectivités.

La loi met par ailleurs expressément à la charge de l’État la protection fonctionnelle des maires ou élus municipaux ayant reçu délégation, victimes de violences, menaces ou d’outrages lorsqu’ils agissent en tant qu’agent de l’État (par exemple comme officier d’état civil ou officier de police judiciaire). Une disposition du texte élargit également la protection fonctionnelle de l’État aux candidats aux élections et prévoit, sous certaines conditions, le remboursement par l’État des frais de sécurisation engagés par les candidats pendant la campagne électorale en cas de menace avérée (l’intervention d’un décret est prévue sur ce point).

Enfin, face à la difficulté des candidats et des élus à assurer les permanences électorales ou la tenue des lieux accueillant des réunions électorales, la loi opère une modification du Code des assurances. Les intéressés pourront dorénavant saisir le bureau central de la tarification (BCT) en cas de refus d’assurer leurs permanences par au moins deux compagnies d’assurance. Notons toutefois que ces dispositions ne seront applicables qu’à partir du 22 mars 2025, soit un an avant les élections municipales.

En second lieu, la loi du 21 mars 2024 prévoit des mesures tendant à renforcer la prise en compte des réalités des mandats électifs locaux par les acteurs judiciaires et étatiques. A cet égard, les nouvelles dispositions renforcent l’information du maire quant aux suites judiciaires données aux infractions constatées sur son territoire et prévoient la signature de conventions entre associations d’élus locaux, préfets et procureurs sur le traitement judiciaire des infractions commises contre des élus.

Par ailleurs, la loi prévoit que les procureurs de la République pourront désormais communiquer, dans un espace réservé dans les bulletins municipaux, sur les affaires en lien avec la commune.

En outre, de nouvelles dispositions prévoient un dépaysement des affaires mettant en cause un maire ou un adjoint au maire dans l’exercice de leur mandat. Cette procédure conduit concrètement à dessaisir le tribunal normalement compétent afin de renvoyer l’affaire auprès d’une autre juridiction – étant observé que ce privilège de juridiction, qui avait été supprimé en 1993, n’est pas de droit en ce sens qu’il constitue une simple faculté pour le procureur de la République.

Loi du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des élus : un pas de plus dans la prise en charge des signalements et plaintes des élus victimes d’agression

Face à la recrudescence inquiétante des agressions commises à l’encontre des élus locaux – qu’elles prennent la forme de violences volontaires, de menaces, d’injures ou encore de harcèlement moral –, la réponse du législateur se devait ferme pour espérer être dissuasive.

En juillet 2023, un plan national de prévention et de lutte contre les violences faites aux élus, structuré autour de quatre grands axes destinés à renforcer la sécurité et la protection des édiles, avait été présenté par le Gouvernement. La loi n° 2024-247 en date du 21 mars 2024 constitue la traduction juridique des mesures proposées. Parmi celles-ci, un renforcement et une aggravation de l’arsenal répressif existant sont prévus. Ainsi, les violences volontaires commises à l’encontre des élus locaux ou nationaux – et même sur d’anciens élus dans la limite de six années après la fin de leur mandat – ou leurs proches seront sanctionnées comme les violences sur les forces de l’ordre. En cas d’injure, d’outrage ou de diffamation publique proférée contre des élus, une peine de travail d’intérêt général permettant d’associer et de sensibiliser les auteurs de ces infractions à la chose publique pourra désormais être prononcée.

Par ailleurs, la qualité d’élu devient une circonstance aggravante du délit de harcèlement moral – y compris en matière de cyberharcèlement – et de l’infraction de mise en danger de la vie d’autrui lorsqu’il vise un candidat pendant une campagne électorale. Reste à espérer que la vie publique locale qui connaît une pénalisation croissante fera également l’objet d’une protection par le juge judiciaire.

La fraude corrompt tout… et le juge ne s’en rend pas complice : un permis de construire obtenu par fraude n’est pas régularisable

Dans sa décision n° 464257 en date du 11 mars 2024, le Conseil d’Etat vient préciser que le juge ne peut pas régulariser un vice entachant un permis obtenu par fraude.

Dans l’affaire en cause, un particulier avait sollicité un permis de construire une maison d’habitation en R+1 en lieu et place d ‘un garage existant qui servait stocker du mobilier. Le PLU de la commune prévoyait que les constructions devaient être implantées à une distance des limites séparatives au moins égale à six mètres. Cependant, une exception était réservée dans le PLU pour les surélévations de constructions existantes légalement autorisées.

Le pétitionnaire, qui souhaitait construire à 1,57 mètres de la limite séparative, s’était prévalu de cette exception, en faisant valoir que la construction surélevait un abri accolé au garage. Toutefois, devant le Tribunal administratif, statuant en premier et dernier ressort en vertu de l’article R. 811-1-1 du CJA, il a été constaté que l’abri en question était en réalité une ruine, dont les murs étaient effondrés et qui n’avait plus de toiture. Le Tribunal en a déduit que l’exception aux règles de distances ne pouvait s’appliquer dès lors que la construction autorisée ne consistait pas en une surélévation d’une construction existante. Un pourvoi en cassation a été formé devant le Conseil d’Etat. Il était reproché au juge du fond de ne pas avoir mis en œuvre les mécanismes de régularisation.

Pour rappel, l’article L. 600-5 du Code de l’urbanisme permet au juge administratif, saisi d’un recours en annulation d’une autorisation d’urbanisme de procéder à son annulation partielle et prévoir sa régularisation après l’instance tandis que l’article L. 600-5-1 du même Code permet de régulariser l’autorisation d’urbanisme en cours d’instance à la suite d’un sursis à statuer. En l’espèce, après avoir rappelé les dispositions des articles L. 600-5 (annulation partielle) et L. 600-5-1 (sursis à statuer en vue d’une régularisation), le Conseil d’Etat estime :

« 7. Toutefois, le juge ne peut faire application de ces dispositions lorsque l’autorisation d’urbanisme dont il est saisi a été obtenue par fraude ».

En effet, en droit, la fraude consiste en des manœuvres de nature à tromper l’administration sur la réalité du projet dans le but d’échapper à l’application d’une règle d’urbanisme. Lorsqu’est en cause une fraude par fausse déclaration, elle nécessite donc la réunion d’un élément matériel (la communication d’informations erronées pour obtenir un avantage alors qu’il ne remplit pas les conditions pour l’obtenir) et un élément intentionnel (la volonté délibérée de tromper l’administration).

En l’espèce, dès lors que le pétitionnaire ne pouvait ignorer que l’abri était en ruine, il a été jugé qu’il a sciemment induit en erreur la commune en le présentant comme une construction existante, les éléments de la fraude étaient donc réunis :

« 9. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la construction autorisée par le permis de construire était implantée à moins de six mètres de la limite séparative et que le pétitionnaire se prévalait, au soutien de cette implantation dérogatoire, d’une construction existante. Pour juger que le permis méconnaissait la règle énoncée au point 8, le tribunal administratif s’est fondé, par des motifs non contestés en cassation, sur ce que l’appentis en cause, accolé au garage, était en réalité en ruines et ne pouvait, de ce fait, être qualifié de construction existante. Il a également jugé, par des motifs non davantage contestés, que l’auteur de la demande de permis, qui ne pouvait ignorer cet état de fait, avait sciemment induit la commune en erreur en présentant cet appentis comme un bâtiment existant sur les plans joints à sa demande, ainsi qu’en omettant de joindre au reportage photographique qu’il avait annexé à cette demande une photographie de la façade nord du garage, à laquelle était adossée l’appentis en ruine, commettant ainsi une fraude afin de bénéficier d’une règle d’urbanisme plus favorable. Il résulte de ce qui a été dit au point 7 qu’en s’abstenant, dans ces circonstances, de mettre en œuvre les dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, le tribunal administratif n’a pas méconnu son office, ni commis d’erreur de droit ».

Ce faisant, le Conseil d’Etat confirme une solution déjà été adoptée par plusieurs juges du fond (CAA Lyon 12 octobre 2021, M. Farre, n° 20LY03430 ; CAA Marseille, 30 novembre 2023, Mme Gay, n° 22MA02534 ; CAA Nancy 27 décembre 2023, M. Humbert, n° 20NC1144).

Enfin, étant donné la nature du vice, c’est l’annulation totale du permis qui est confirmée : il appartiendra alors au pétitionnaire de présenter une nouvelle demande de permis.

Pas de CDIsation tacite dans la fonction publique territoriale

Un CDD conclu pour une durée qui conduit, en cours d’exécution du contrat, à dépasser la durée maximale d’emploi de six années, ne se transforme pas tacitement en CDI.

Sous l’empire de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, si l’autorité concédante souhaitait poursuivre la relation contractuelle avec l’agent alors même que la durée totale des CDD successifs excédait six années de service, elle ne pouvait le faire que par une décision expresse et par la voie du CDI. La méconnaissance de ces dispositions, conduisant en cours d’exécution du contrat à dépasser la durée maximale de six ans, n’entrainait pas transformation tacite du CDD en CDI (C.E, 30 septembre 2015, « Courtois », n° 374015).

L’état du droit était établi mais l’adoption et l’entrée en vigueur du Code général de la fonction publique (CGFP) ont fait ressurgir cette interrogation au sujet des agents contractuels de la fonction publique territoriale. En effet, les dispositions dudit Code prévoient, tant pour la fonction publique de l’Etat (article L. 332-4 du CGFP) que pour la fonction publique hospitalière (article L. 332-17 du CGFP) que « lorsque les services accomplis atteignent la durée de six ans avant l’échéance du contrat en cours, celui-ci est réputé être conclu à durée indéterminée ». En d’autres termes, les CDD des agents relevant de la fonction publique hospitalière et de la fonction publique de l’Etat peuvent se transformer tacitement en CDI.

Mais s’agissant des agents contractuels de la fonction publique territoriale, l’article L. 332-11 du CGFP a seulement envisagé l’hypothèse d’un accord mutuel entre les parties en prévoyant que ces dernières « peuvent, d’un commun accord, conclure un nouveau contrat à durée indéterminée ». Ainsi, et contrairement aux autres fonctions publiques, le CGFP n’avait ni admis, ni interdit, la transformation du CDD, durant son exécution, en CDI. Par la décision commentée, le Conseil d’Etat est donc venu apporter une clarification bienvenue :

« Dans l’hypothèse où ces conditions d’ancienneté sont remplies par un agent territorial avant l’échéance du contrat, celui-ci ne se trouve pas tacitement transformé en contrat à durée indéterminée. Dans un tel cas, les parties ont la faculté de conclure d’un commun accord un nouveau contrat, à durée indéterminée, sans attendre cette échéance. Elles n’ont en revanche pas l’obligation de procéder à une telle transformation de la nature du contrat, ni de procéder à son renouvellement à son échéance ».

Cette décision emporte ainsi une double conséquence :

  • Durant l’exécution du contrat, le CDD d’un agent de la fonction publique territoriale ne pourra se transformer en CDI que par une décision expresse qui pourra, si les parties le souhaitent, intervenir avant l’échéance du CDD. Il n’y a donc pas de CDIsation tacite pour les agents contractuels de la fonction publique territoriale ;
  • Au terme du CDD, la collectivité n’est pas tenue de procéder à la transformation du contrat, ni de procéder à son renouvellement.

Cette décision offre un nouvel exemple du maniement précautionneux de la transformation du CDD en CDI par le Conseil d’Etat, qui refuse « avec constance d’envisager, en l’absence de texte, la requalification d’un CDD en CDI » (pour reprendre les termes du Rapporteur Public Vincent Daumas dans ses conclusions sous la décision « Courtois » précitée). Ce contrôle de la pérennisation des contrats est d’abord guidé par un principe cardinal du droit de la fonction publique selon lequel les emplois permanents ne peuvent être pourvus que par des fonctionnaires, le recours aux agents contractuels ne pouvant qu’être exceptionnel.

En outre, cette spécificité du régime applicable aux agents de la fonction publique territoriale repose sans doute sur la volonté de « préserver la libre administration des collectivités territoriales qui s’exprime y compris en matière de recrutement et de gestion du personnel » comme le suggère la Rapporteure Publique, Marie-Gabrielle MERLOZ dans ses conclusions.  Attention, il n’en demeure pas moins que l’agent pourra toujours emprunter la voie indemnitaire pour obtenir réparation des préjudices qu’il estime avoir subis lors de l’interruption de la relation contractuelle (C.E, 20 mars 2017, Benmessahel, n° 392792).

Une demande de protection fonctionnelle n’est pas un document administratif communicable

Dans une décision en date du 11 mars 2024, le Conseil d’Etat a jugé que la communication d’une demande de protection fonctionnelle porte, par elle-même, préjudice à la personne qui a formulé cette demande et doit donc, dans tous les cas, être refusée.

En principe, toute personne a le droit à la communication des documents administratifs détenus par les personnes publiques. Néanmoins, afin de protéger la sensibilité de certaines informations, l’article L. 311-6 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA) énumère les hypothèses dans lesquelles les documents ne sont communicables qu’à l’intéressé. Tel est le cas des documents « faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice ». L’Administration doit alors, sous le contrôle du juge, procéder à un examen au cas par cas des circonstances de l’espèce afin de déterminer si le document sollicité peut être communiqué à un tiers sans porter préjudice à la personne intéressée.

Par exception à cette règle de l’appréciation in concreto, il existe des cas dans lesquels, par principe, le document communiqué porte préjudice à la personne intéressée. L’Administration est alors tenue d’en refuser la communication. Le Conseil d’Etat a par exemple jugé ainsi que les éléments permettant d’identifier les soignants lors de la communication d’une copie du registre de contention et d’isolement d’un centre hospitalier doivent être occultés « afin d’éviter que la divulgation d’informations les concernant puisse leur porter préjudice » (CE, 8 février 2023, Centre Hospitalier de l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer », n° 455887).

Avec l’arrêt en date du 11 mars 2024, c’est aujourd’hui également le cas de la demande de protection fonctionnelle : «lLa divulgation à un tiers d’une telle demande doit être regardée comme étant, par elle-même et quel que soit son contenu, susceptible de porter préjudice à son auteur, qui a seul qualité de personne intéressée au sens des mêmes dispositions ». Refuser la communication de la demande de protection fonctionnelle est donc de principe (et de rigueur !).

En retenant cette solution jurisprudentielle, le Conseil d’Etat vient frapper du sceau de la confidentialité la demande de protection fonctionnelle en tenant compte « à la fois de la signification de la protection fonctionnelle et des conditions dans lesquelles elle peut être demandée », pour parler comme le Rapporteur Public Laurent Domingo, dont les conclusions sont particulièrement éclairantes quant aux motifs fondant l’arrêt commenté. Laurent Domingo nous rappelle d’abord ainsi que la demande de protection fonctionnelle ne concerne que l’agent et son administration et n’a donc pas vocation à intéresser un tiers. Il précise également que le dispositif consacré à l’article L. 135-6 du Code général de la fonction publique (CGFP), permettant de recueillir les signalements d’agents doit garantir la confidentialité de l’identité de l’auteur du signalement. La cohérence commande donc d’assurer cette même garantie aux auteurs de demande de protection fonctionnelle. Laurent Domingo ajoute enfin (et surtout) que « la confidentialité de la demande est une protection » afin de contribuer à libérer la parole des agents victimes et de s’assurer qu’ils ne soient pas inquiétés par leur propre demande.

L’arrêt commenté a également le mérite de nous rappeler que « les documents, quelle que soit leur nature, qui se rattachent à la fonction juridictionnelle n’ont pas le caractère de documents administratifs » communicables à l’instar des plaintes qui constituent la première étape de la procédure pénale (CE, 5 mars 2018, n° 401933). Le requérant ne pouvait donc, en l’espèce, ni obtenir la communication des demandes de protection fonctionnelle adressées au directeur-adjoint de l’Etablissement national des invalides de la Marine (ENIM), ni obtenir la communication de la plainte pénale déposée par une agente ainsi que tous les documents en possession de l’ENIM relatifs à cette plainte.

La solution ici retenue s’inscrit dans le courant jurisprudentiel protecteur des auteurs de signalements ; qu’il s’agisse, comme ici, de l’agent auteur de la demande de protection fonctionnelle, ou qu’il s’agisse de l’agent dont le témoignage, anonymisé en cas de « risque avéré de préjudice » a été recueilli dans le cadre d’un rapport d’inspection (CE, 22 décembre 2023, n° 462455). On notera que le principe de la confidentialité de la demande de protection fonctionnelle sera susceptible d’entrer en contradiction avec le droit à la communication des éléments du dossier dans le cadre d’une procédure disciplinaire. En effet, il n’est pas exclu que puisse se glisser, dans le dossier administratif, la demande de protection fonctionnelle à l’origine des poursuites disciplinaires. Avec les conséquences que l’on sait. L’attention est donc de mise (lors de la constitution du dossier).

La régularisation d’un permis de construire s’apprécie en prenant en compte la possibilité de revoir l’économie générale du projet et non le seul projet existant

Le maire de Nouméa a délivré à la SCI Fly 2018 un permis de construire autorisant la rénovation d’une maison d’habitation, ainsi que la création d’une piscine, d’un vestiaire et d’un débarras. Cet équipement étant destiné à un usage privatif mais aussi à accueillir des enfants pour des cours d’apprentissage de la natation. Après avoir relevé que le projet autorisé ne satisfaisait pas aux exigences de nombre de places de stationnement minimales correspondant aux besoins de la construction, la Cour administrative d’appel de Paris a écarté la possibilité de régulariser ce vice en application de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme ou de prononcer une annulation partielle en application de l’article L. 600-5 du même Code.

Dans son avis « M » du 2 octobre 2020, le Conseil d’Etat avait énoncé qu’un : « vice entachant le bien-fondé d’une autorisation d’urbanisme est susceptible d’être régularisé, même si cette régularisation implique de revoir l’économie générale du projet en cause dès lors que les règles d’urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n’implique pas d’apporter à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même » (CE, Section, avis, 2 octobre 2020, M., n° 438318).

Il est fait application de ce principe dans la décision commentée. Le Conseil d’Etat a en effet jugé que la Cour administrative d’appel de Paris a commis une erreur de droit en retenant que la possibilité de créer des places supplémentaires sur le terrain d’assiette du projet n’apparaissait pas envisageable compte tenu de la taille du terrain et de la nécessité d’y prévoir des espaces plantés. La Cour aurait dû, comme l’explique le Rapporteur Public Laurent Domingo, rechercher si la SCI Fly 2018 était susceptible « de faire évoluer son projet, et par exemple abandonner son idée de dispenser des cours de natation. Ce qui, évidemment, changerait tout en termes de stationnement ».

La Cour avait également refusé de faire droit à la demande de régularisation au motif que la commune de Nouméa n’apportait pas de précisions sur la possibilité de réaliser des places de stationnement dans l’environnement immédiat de la construction, comme l’autorisaient les dispositions du PLU applicables à la date de l’arrêt de la Cour. Ce faisant, la Cour a « quasiment procédé à l’instruction d’une demande de permis modificatif » (pour parler comme Laurent Domingo). Elle est sanctionnée par le Conseil d’Etat qui juge qu’« en exigeant qu’une telle possibilité soit établie devant elle dès ce stade de la procédure, alors qu’une telle analyse suppose de prendre en compte les évolutions susceptibles d’être apportées au projet et la recherche, le cas échéant, d’accords de tiers pour assurer un stationnement dans l’environnement du projet, elle a également commis une erreur de droit ».

Les principes retenus ici par le Conseil d’Etat ont le mérite de placer chacun des acteurs du contentieux de l’urbanisme face à ses responsabilités :

  • Le juge administratif qui se prononce sur l’application des règles de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme et sursoit à statuer ;
  • Le pétitionnaire qui est libre d’adapter (ou non) son projet ;
  • Le service instructeur qui peut toujours s’opposer (ou non) à la nouvelle demande ;
  • Une nouvelle fois le juge administratif qui pourra être amené à statuer sur le permis de construire modificatif (PCM) et sur le permis de construire initial, le cas échéant régularisé.

Responsabilité délictuelle du syndic : quitus donné au syndic ne fait pas obstacle à l’action individuelle du copropriétaire

Par un arrêt en date du 29 février 2024, la Cour de cassation a jugé que le vote d’un copropriétaire en faveur d’une résolution de l’assemblée générale d’un syndicat des copropriétaires, donnant quitus au syndic, ne lui interdisait pas de rechercher la responsabilité délictuelle de ce dernier.

De jurisprudence constante, il est reconnu au copropriétaire, qui n’a pas de lien de droit avec le syndic, la possibilité de se prévaloir de la faute commise par celui-ci dans l’exercice de son mandat (Cass. Civ., 3e, 6 mars 1991, pourvoi n° 89-18.758). Il était également admis par les juges du fond que, si le quitus donné au syndic faisait obstacle à l’action du syndicat des copropriétaires en réparation des dommages causés par des manquements connus imputables au syndic, le quitus n’empêchait pas l’action individuelle d’un copropriétaire à l’encontre du syndic tendant à la réparation d’un préjudice personnel.

Dans l’espèce présentée à la Haute Cour, le copropriétaire avait intenté, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, une action à l’encontre du syndic après avoir participé au vote donnant quitus à celui-ci pour sa gestion. Le syndic s’était pourvu en cassation en invoquant notamment qu’il résultait des procès-verbaux d’assemblée générale de la copropriété que les désordres, qui servaient de fondement à l’action individuelle du copropriétaire, avaient été portés à la connaissance de ce dernier, d’une part, et qu’il avait voté en faveur du quitus, d’autre part. La Cour de cassation a rappelé que, si le copropriétaire qui vote en faveur d’une résolution de l’assemblée générale des copropriétaires donnant quitus au syndic n’est pas recevable à demander l’annulation de cette résolution, en application des dispositions prévues à l’article 42, alinéa 2 de la loi 65-55 du 10 juillet 1965, il peut toujours « rechercher la responsabilité délictuelle du syndic pour obtenir réparation d’un préjudice personnel né de sa faute ».

Cette décision de la Cour de cassation s’explique par un raisonnement en trois temps.

Dans un premier temps, il résulte des dispositions particulières du droit de la copropriété que le vote favorable d’un copropriétaire à un projet de résolution de l’assemblée générale n’a pour seule conséquence que d’entraîner l’irrecevabilité de son action tendant à en demander l’annulation (article 42 précité) et, dans ce cas d’un vote d’approbation des comptes du syndicat par l’assemblée générale, ne constitue pas une de compte individuel par chacun des copropriétaires (article 45-1 du décret n° 67-223).

Dans un second temps, la Cour de cassation a fait une application classique du principe de l’effet relatif en droit des contrats (article 1199 du Code civil). La relation contractuelle ne liant que le syndicat au syndic, seul le premier peut donner quitus au second. Le vote d’un copropriétaire, tiers à la convention, ne saurait avoir valeur de quitus pour le syndic.

Enfin, dans un troisième et dernier temps, le vote du copropriétaire en faveur du quitus ne peut pas en s’analyser en une renonciation explicite et non équivoque du copropriétaire à agir à titre personnel.

Restructuration : le transfert obligatoire des salariés peut s’organiser même en l’absence de transfert du personnel encadrant

De nombreuses entreprises et acteurs de l’action publique (associations, offices publics de l’habitat, etc.) sont confrontés à la question du sort de leur personnel attaché à l’exploitation d’une activité reprise par une autre entité. Tel peut notamment être le cas dans l’hypothèse de la fin d’une activité précédemment exercée dans le cadre d’un marché public qui a été attribué à une nouvelle entité. Tel peut, encore, être le cas en matière de fusion-absorption, de résiliation de contrat de location-gérance, etc. A cet égard, l’article L. 1224-1 du Code du travail, tel qu’interprété par la chambre sociale de la Cour de cassation, prévoit une obligation de reprise du personnel par l’entité cessionnaire de l’activité en cas de transfert d’une entité économique autonome. Selon la Haute juridiction, l’entité économique autonome est un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels et/ou incorporels permettant l’exercice d’une activité poursuivant un objectif propre (Cass. Soc., 23 octobre 2007 n° 06-45.289). Derrière cette définition abstraite se cache, en réalité, des questions concrètes.

Ainsi, dès lors qu’une entreprise :

  • choisit de poursuivre une activité identifiée à laquelle est spécifiquement affecté un personnel propre nécessaire à son exploitation ;
  • et qu’elle reprend les éléments d’actifs corporels ou incorporels nécessaires à sa poursuite sans changement significatif des moyens d’exploitation ;
  • il y a lieu de reprendre l’intégralité des contrats de travail affectés à cette activité.

En pratique, des débats peuvent avoir lieu à l’égard des éléments et du personnel nécessaires à l’exploitation de l’activité. En effet, dès lors que le cessionnaire reprend une activité dépourvue d’éléments d’actifs ou de personnel spécifiquement dédié à celle-ci, il y a lieu, selon la Cour de cassation, d’écarter l’application de l’article L. 1224-1 du Code du travail. Dans l’arrêt ci-commenté rendu le 31 janvier 2024, la chambre sociale de la Cour de cassation a eu à trancher une problématique similaire[1] : L’absence de totale de personnel encadrant relatif à l’activité transférée suffit elle à écarter l’obligation de reprise du personnel issue de l’article L. 1224-1 du code du travail ?

En l’espèce, le nouvel attributaire d’un marché de prestations de service (activité de chargement et de déchargement de colis) n’avait pas repris les salariés de l’ancien prestataire attachés à cette activité. L’un des salariés de l’ancien prestataire a saisi la formation de référé du conseil de prud’hommes pour le paiement de diverses sommes, en dirigeant son action contre les sociétés entrante et sortante. A hauteur d’appel, les juges du fond ont considéré que la société sortante était restée l’employeur du salarié. Ils expliquaient, à cet égard, que l’absence totale d’équipe d’encadrement dédiée à l’activité ne permettait pas de caractériser l’existence d’une entité économique autonome. L’article L 1224-1 du Code du travail ne pouvait donc pas, selon elle, trouver application. La Cour d’appel s’était notamment appuyée sur le contrat entre l’ancien prestataire et l’attributaire du marché qui stipulait : « le prestataire s’engage à assurer un encadrement et une surveillance efficaces ». L’ancien prestataire soulignait également dans ses propres conclusions que « cet encadrement était nécessaire à la bonne exécution de la prestation ».

La Cour de cassation n’a pas suivi le raisonnement de la Cour d’appel. Dans un premier temps, celle-ci a rappelé que la seule perte d’un marché n’emportait pas, en elle-même, le transfert d’une entité économique autonome. Puis elle a souligné que l’absence de transfert de personnel encadrant était insuffisante à écarter un tel transfert dès lors que la Cour d’appel avait constaté :

 « que la société entrante avait repris le marché de prestations confié à la société sortante et poursuivi, dans les mêmes locaux et avec les mêmes équipements, la même activité à laquelle étaient affectés quatorze salariés manutentionnaires, en sorte qu’il y avait transfert d’éléments corporels et incorporels significatifs nécessaires à l’exploitation ».

 Pour la chambre sociale de la Cour de cassation, donc, l’absence de personnel encadrant n’est pas une condition suffisante à écarter l’obligation de reprise du personnel issue de l’article L. 1224-1 du Code du travail, dès lors que l’activité transférée se voyait doté :

  • d’un personnel spécifiquement affecté à son exploitation ;
  • d’actifs corporels et incorporels nécessaires à son exploitation.

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[1] Cass. Soc., 31 janvier 2024, n° 21-25.273

Une offre de renouvellement à des clauses différentes vaut refus de renouvellement

La 3ème chambre civile de la Cour de cassation a rendu le 11 janvier 2024 (Cass. Civ., 3e, 11 janvier 2024, FS-B, n° 22-20.872) un arrêt important en matière de congé avec offre de renouvellement. En l’espèce, une bailleresse avait consenti le 15 janvier 1999 un bail commercial à ses locataires pour un usage de restaurant. Le 29 avril 2016, la bailleresse a signifié à ses locataires un congé avec offre de renouvellement subordonnée, notamment, à la modification de la contenance des lieux loués et à des obligations d’entretien des locataires.

Les locataires ont restitué les lieux et ont assigné la bailleresse en paiement d’une indemnité d’éviction.

Pour rejeter la demande en paiement d’une indemnité d’éviction des locataires, la Cour d’appel a relevé que les modifications auxquelles la bailleresse entendait subordonner l’offre de renouvellement ne pouvait s’inscrire valablement dans le cadre d’un congé avec offre de renouvellement. Néanmoins les juges du fond ont considéré que le congé exprimait une offre de régularisation d’un nouveau bail, de sorte qu’il ne pouvait s’analyser en un congé sans offre de renouvellement. Ce n’est pas la position de la Cour de cassation qui a cassé et annulé la décision des juges du fond au visa des articles 1103 du Code civil et des articles L. 145-8 et L. 145-9 du Code de commerce.

La Cour de cassation a d’une part rappelé qu’il résultait de ces textes, qu’à défaut de convention contraire, le renouvellement du bail commercial s’opérait aux clauses et conditions du bail venu à expiration, sauf le pouvoir reconnu au juge en matière de fixation de prix. La Cour de cassation a d’autre part rappelé qu’un congé est un acte unilatéral qui met fin au bail par la seule manifestation de volonté de celui qui l’a délivré. Qu’il s’en déduisait ainsi « qu’un congé avec une offre de renouvellement du bail à des clauses et conditions différentes du bail expiré, hors le prix, doit s’analyser comme un congé avec refus de renouvellement ouvrant droit à indemnité d’éviction ».

Cet arrêt important constitue une alerte pour tous les praticiens des baux commerciaux qui doivent faire preuve d’une particulière prudence dans la rédaction de leurs congés avec offre de renouvellement.

Offices publics de l’habitat : un décret « toilette » les règles relatives aux commissions d’appel d’offres

Le décret n° 2024-177 du 6 mars 2024 met en cohérence les textes réglementaires relatifs aux commissions d’appel d’offres des offices publics de l’habitat (OPH) avec les textes législatifs en vigueur y afférents depuis l’entrée en vigueur de la loi ELAN du 23 novembre 2018. En effet, alors que l’article R. 433-2 du CCH (suite à l’entrée en vigueur du décret du 10 avril 2017 pris pour l’application de la loi « Sapin II ») fixe des règles de composition précises, le Code général des collectivités territoriales (art. L. 1414-2) dispose, depuis l’entrée en vigueur de la loi ELAN, que « pour les marchés publics passés par les offices publics de l’habitat, la commission d’appel d’offres est régie par les dispositions du code de la construction et de l’habitation applicables aux commissions d’appel d’offres des organismes privés d’habitations à loyer modéré.», autrement dit par les dispositions des articles R. 433-5 et suivants dudit code. Pour autant, l’article R. 433-2 n’avait pas été modifié ni abrogé.

Désormais, tout doute est levé : l’article R. 433-6 est expressément rendu applicable à la composition et au fonctionnement des CAO des OPH par envoi opéré par l’article R. 433-2 ainsi modifié. Si cette clarification est bienvenue et permet au conseil d’administration de l’OPH de déterminer librement le nombre de membres et la composition de la CAO (en désignant, par exemple, des administrateurs et/ou des salariés de l’OPH), nous soulignerons cependant qu’elle ne tranche pas la question de savoir si le conseil d’administration de l’OPH devra examiner un rapport annuel sur l’exécution des marchés passés suivant une procédure formalisée.

Ce rapport annuel est en effet prévu au deuxième alinéa de l’article R. 433-6. Toutefois, cette obligation ne concerne pas à proprement parler les règles de composition et de fonctionnement des CAO, seules concernées par le renvoi opéré par l’article R. 433-2. En l’absence de disposition équivalente dans les textes applicables aux OPH, cette obligation ne devrait donc s’appliquer qu’aux organismes privés d’HLM (ESH et coopératives HLM).