Le principe de non-discrimination ne s’applique pas aux aides d’Etat

Par un arrêt en date du 29 juillet 2024, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) confirme la compatibilité de l’aide d’Etat accordée par la République d’Autriche à Austrian Airlines AG dans le cadre de la crise sanitaire.

En juillet 2020 la République d’Autriche a décidé d’accorder un prêt subordonné convertible en subvention de 150 millions d’euros en faveur de la compagnie aérienne Austrian Airlines AG, société du Groupe Lufthansa. Cette mesure vise à indemniser la compagnie pour les dommages résultant de l’annulation ou la reprogrammation de ses vols à la suite de l’instauration de restrictions en matière de déplacement et d’autres mesures de confinement dans le contexte de la pandémie de COVID-19. S’agissant d’un avantage susceptible d’être qualifié d’aide d’Etat au sens de l’article 107 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), la République d’Autriche a notifié son projet de prêt le 23 juin 2020 à la Commission européenne en application de l’article 108 § 3 du TFUE.

Par une décision en date du 6 juillet 2020, la Commission a déclaré l’aide compatible avec le marché intérieur car destinée, en application du c) de l’article 107 § 2 du TFUE, à remédier aux « dommages causés par les calamités naturelles ou par d’autres évènements extraordinaires ».

Exclues du bénéfice de l’aide, les compagnies aériennes Ryanair DAC et Laudamotion GmbH ont décidé de former un recours en annulation contre la décision de la Commission européenne. Déboutées en première instance (Tribunal, 14 juillet 2021, Ryanair et Laudamotion/Commission, T‑677/20), les requérantes se sont pourvues auprès de la CJUE afin d’obtenir, outre l’annulation de l’arrêt du Tribunal rejetant leurs prétentions, l’annulation de la décision de la Commission déclarant l’aide compatible. A l’appui de leur pourvoi, les compagnies aériennes ont développé sept moyens, tous rejetés par la Cour. En substance, la Cour considère que :

  • La combinaison de l’aide avec celle dont bénéficient les sociétés du Groupe Lufthansa, n’a pas pour effet d’entrainer une surcompensation des dommages subis par Austrian Airlines ;
  • L’Etat n’est pas tenu de remédier à l’intégralité des dommages causés par l’évènement extraordinaire et d’accorder des aides à l’ensemble des entreprises ayant subi ces dommages ;
  • Le principe de non-discrimination ne s’applique pas aux aides d’Etat qui remplissent les conditions de l’article 107 § 2 du TFUE ;
  • L’aide ne constitue pas une entrave à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services dès lors qu’il n’est pas établi qu’elle produit des effets restrictifs allant au-delà de ceux qui sont inhérents à une aide d’Etat octroyée conformément à l’article 107 § 2 du TFUE ;

Par conséquent, la Cour rejette le pourvoi des compagnies Ryanair DAC et Laudamotion GmbH, et valide l’aide d’Etat octroyée par la République d’Autriche en faveur de la compagnie Austrian Airlines dans le cadre de la pandémie de COVID 19.

Zones humides : actualités sur l’implantation de plans d’eau

CE, 20 août 2024, N° 497008

L’arrêté du 3 juillet 2024 a modifié la nomenclature des installations, ouvrages, travaux et aménagements (IOTA) afin de permettre l’implantation de plans d’eau d’une superficie inférieure à 1 hectare au sein de zones humides. Il n’est ainsi désormais plus nécessaire de démontrer qu’un tel plan d’eau participe à la restauration de la zone humide ou qu’il respecte les conditions fixées par l’article 4 de l’arrêté du 9 juin 2021 (notamment qu’il réponde à un objectif d’intérêt général ou que ses bénéfices escomptés prévalent sur les bénéfices pour l’environnement et la société liés à la préservation des fonctions de la zone humide affectée par le projet).

Plusieurs associations ont demandé au juge des référés de suspendre l’application de cet arrêté sur le fondement de la procédure dite de référé-suspension consacrée à l’article L. 521-1 du Code de justice administrative. Elles soutenaient, d’une part, qu’il existait un doute sérieux quant à sa légalité dès lors en particulier qu’il méconnaitrait le principe de non régression (l’arrêté ayant pour effet de réduire le champ d’application de la protection des zones humides et alors qu’aucune garantie n’est prévue pour compenser la réduction des zones humides tandis qu’une telle réduction a pourtant des incidences notables sur l’environnement). D’autre part, les associations considèrent qu’il serait entaché d’une erreur manifeste d’appréciation au regard des objets des articles L. 210-1, L. 211-1 et L. 211-1-1 du Code de l’environnement qui visent la préservation des zones humides et la gestion durable et équilibrée de la ressource.

Le Conseil d’Etat s’est prononcé sur cette demande par une ordonnance du 20 août 2024, qu’il a rejeté aux motifs que la condition liée à l’urgence à suspendre ne serait pas caractérisée. Il estime en effet que la modification apportée par l’arrêté du 3 juillet 2024 serait d’une ampleur limitée et que les considérations d’ordre général apportées par les requérantes sur l’importance des zones humides et les perturbations apportées par la création de plans d’eau ne démontrent pas une atteinte grave et immédiate à un intérêt public ni aux intérêts des requérantes et à ceux qu’elles entendent défendre.

Sécheresse et ICPE : une nécessaire adaptation des installations classées pour la protection de l’environnement

Rapport sur la sobriété hydrique des installations classées pour la protection de l’environnement

1°) Publié au Journal officiel du 6 juillet 2024, l’arrêté en date du 3 juillet 2024 a apporté des précisions sur les obligations des exploitants d’installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) en cas de sécheresse. Cet arrêté modifie ainsi les obligations qui sont identifiées au sein de l’arrêté du 30 juin 2023 (cf. notre article sur le sujet). Les modifications et précisions suivantes sont apportées :

  • De nouvelles définitions sont introduites concernant les eaux de pluie (« eaux issues des précipitations atmosphériques, collectées à l’aval de surfaces inaccessibles aux personnes, en dehors des opérations d’entretien ou de maintenance, correspondant notamment aux couvertures d’un bâtiment autre qu’en amiante ou en plomb») et les eaux d’exhaure (« eaux prélevées lors d’un drainage réalisé en vue de maintenir à sec des bâtiments ou des ouvrages, ou de rabattre une nappe phréatique conformément à une prescription administrative. Elles correspondent aux eaux issues d’une exsurgence, d’une remontée ou d’un affleurement de nappe souterraine et aux eaux issues des précipitations atmosphériques ») ;
  • Les modalités de calcul du volume de référence, permettant de déterminer les réductions quantitatives imposées dans le cadre de l’exploitation de l’ICPE, sont modifiées. Ainsi :
    • le volume de référence sur la base duquel les réductions de prélèvements seront calculées sera celui utilisé en période normale d’activité et hors période de sécheresse ;
    • l’arrêté du 3 juillet 2024 prévoit désormais également qu’un tel volume de référence devra être fixé pour chaque milieu de prélèvement ;
    • les modalités de calcul des volumes devant permettre les usages nécessaires à la sécurité des installations et à la protection de l’environnement sont modifiées, ces volumes étant désormais fixés par l’arrêté à une valeur forfaitaire de 5 % du volume de référence (avec une possibilité de déduire un volume supérieur sur justification de l’exploitant) ;
    • les volumes des eaux d’exhaures peuvent être déduits du volume de référence.
  • Il est précisé que les niveaux de réduction doivent être atteints pour chacun des prélèvements concernés ;
  • Les exploitants ne devront tenir à disposition de l’inspection des installations classées les informations relatives aux volumes d’eau nécessaires à la sécurité de l’exploitation et de l’environnement que s’ils sont supérieurs aux 5 % forfaitaires mentionnés ci-avant ;
  • Les exploitants n’auront plus à transmettre les données requises sur le site identifié par l’arrêté du 30 juin 2023, l’arrêté du 3 juillet 2024 renvoyant désormais au site de télédéclaration du ministère.

2°) Par ailleurs, le Conseil général de l’économie (CGE) et l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) ont remis en juillet 2024 un rapport au ministre de la Transition Écologique et de la cohésion des territoires sur la sobriété hydrique des ICPE. Constatant que le phénomène des sécheresses a vocation à s’aggraver dans le temps, le rapport formule plusieurs recommandations sur le plan règlementaire :

  • Intégrer des plafonds de prélèvement adaptés, en agissant en priorité sur les zones de répartition des eaux (ZRE) et les territoires en tension quantitative des SDAGE ; il s’agirait ainsi de revoir, dans un délai de 2 à 5 ans, les arrêtés d’autorisation afin de fixer un plafond de prélèvement basé sur une situation climatique et hydrique actualisée, mais également que des plafonds évolutifs soient déterminés pour intégrer les effets anticipés des changements climatiques. Il serait également utile d’intégrer les mesures à adopter en cas de sécheresse au sein des arrêtés individuels. Pour les préleveurs les plus importants, il est conseillé de prescrire la réalisation d’études puis d’ajuster le plafond de prélèvement sur la base de ces études ;
  • Une meilleure coordination entre les règlementations IOTA et ICPE devrait être introduite. Le rapport recommande également en ce sens de solliciter l’avis des commissions locales de l’eau (CLE) sur les prélèvements prévus au sein des demandes d’autorisation ICPE. Quant aux contrôles sur les arrêtés sécheresse, il est préconisé qu’ils donnent lieu à des objectifs quantifiés et soient coordonnés entre l’inspection des Installations classées et la police de l’eau.

Le rapport conseille également de veiller à ce que les nouveaux projets ne soient pas implantés en zones en tension pour la ressource et de faciliter la réutilisation des eaux usées traitées, en supprimant la nécessité d’obtenir une autorisation individuelle pour y avoir recours.

Quand la Commission classe les activités aviation et maritime comme vertes, les ONG voient rouge

UE, Règlement délégué (UE) 2023/2485 de la commission du 27 juin 2023 modifiant le règlement délégué (UE) 2021/2139 par des critères d’examen technique supplémentaires permettant de déterminer à quelles conditions certaines activités économiques peuvent être considérées comme contribuant substantiellement à l’atténuation du changement climatique ou à l’adaptation à celui-ci et si ces activités ne causent de préjudice important à aucun des autres objectifs environnementaux

L’Union Européenne est l’un des principaux émetteurs d’obligations vertes dans le monde. En 2023, plus de la moitié du volume mondial des obligations vertes provenait d’Europe[1].

Initiée en 2018 par la Commission et adoptée en 2020[2], la taxonomie verte de l’UE est un système de classification des activités économiques conçu pour identifier celles qui sont écologiquement durables et qui n’accentuent pas le changement climatique. Elle a pour objectif de diriger les investissements privés vers des activités respectueuses de l’environnement, dans le but d’atteindre la neutralité climatique d’ici 2050[3]. Elle s’appuie sur six objectifs environnementaux majeurs, dont l’atténuation du changement climatique, la prévention et la réduction de la pollution ou encore, la protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes[4].

En 2023, la Commission a étendu la taxonomie aux secteurs de l’aviation et du maritime, en justifiant cette inclusion, notamment, par le potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’aviation, qui pourrait ainsi contribuer significativement à la décarbonation des transports et à l’atténuation du changement climatique[5]. Or, même si ces secteurs sont essentiels à l’économie européenne, leur inclusion a suscité des vives critiques, notamment de la part de plusieurs eurodéputés écologistes avant son adoption[6] puis par des organisations non gouvernementales (« ONG ») environnementales[7] au regard des objectifs climatiques fixés par l’UE.

En mai 2023, les eurodéputés ont exprimé leur inquiétude vis-à-vis notamment des critères maritimes, en estimant que ces critères prolongeraient les investissements dans les navires à moteur à combustion et compromettant les alternatives à faible teneur en carbone. Ils ont souligné que cela irait à l’encontre de l’objectif initial de la taxonomie et les objectifs climatiques de l’UE[8].Haut du formulaire Bas du formulaire

Puis en janvier 2024, les ONG ont introduit sans succès une demande de réexamen des critères devant la Commission[9]. En conséquence, ces ONG ont annoncé le 28 août 2024 avoir déposé un recours devant la Cour de Justice de l’Union européenne (« CJUE ») contestant cette inclusion[10]. Elles dénoncent une forme de « greenwashing », en affirmant que ces activités, encore fortement dépendantes des combustibles fossiles, ne devraient pas bénéficier du label « durable » sans des conditions plus strictes. Pour ces ONG, dès lors que la taxonomie de l’UE doit inclure des activités qui soutiennent un objectif de 1,5°C[11], elles estiment que l’UE a ignoré cela en intégrant des avions et navires fonctionnant aux combustibles fossiles qui causent une pollution importante et posent un risque sérieux pour les objectifs climatiques de l’UE pour 2030 et 2050.

Par ailleurs, ce n’est pas la première affaire soumise à la CJUE sur les critères de la taxonomie. Une affaire similaire est déjà pendante devant elle. En 2023, après l’introduction du gaz naturel et du nucléaire, des ONG telles que Greenpeace[12] ont saisi la CJUE afin de contester l’introduction de ces secteurs.

En conclusion, les décisions à venir de la CJUE pourraient ainsi redéfinir les contours de la taxonomie verte et son rôle dans la transition écologique de l’Union européenne.

Affaires à suivre…

 

[1] Rapport 2023 sur l’état du marché dans le monde, Climate Bonds Initiative ; le chiffre couvre les émissions souveraines et privées, et inclut le Royaume-Uni ainsi que l’AELE.

[2] Règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088 (Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE)

[3] Commission européenne, Taxonomie verte : mode d’emploi !, 13 janvier 2022

[4] Article 9 du Règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088 (Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE)

[5] RÈGLEMENT DÉLÉGUÉ (UE) 2023/2485 DE LA COMMISSION du 27 juin 2023 modifiant le règlement délégué (UE) 2021/2139 par des critères d’examen technique supplémentaires permettant de déterminer à quelles conditions certaines activités économiques peuvent être considérées comme contribuant substantiellement à l’atténuation du changement climatique ou à l’adaptation à celui-ci et si ces activités ne causent de préjudice important à aucun des autres objectifs environnementaux

[6] European Parliament, Greens/EFA reaction to draft Taxonomy technical screening criteria, May 3rd 2023

[7] Fossielvrij, Protect our Winters, Dryade, CLAW and Opportunity Green

[8] European Parliament, Greens/EFA reaction to draft Taxonomy technical screening criteria, May 3rd 2023

[9] NGOs launch legal challenge against EU’s bid to label fossil fuel planes and ships as green, January 16th 2024

[10] NGOs take the EU Commission to Court over flawed sustainable finance criteria that label polluting planes and ships as green, August 28th 2024

[11] « Les critères d’examen technique visés au paragraphe 1 comprennent également des critères concernant les activités liées à la transition vers une énergie propre compatibles avec un profil d’évolution visant à limiter l’augmentation de la température à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels, notamment l’efficacité énergétique et les sources d’énergie renouvelables, dans la mesure où ces activités apportent une contribution substantielle à la réalisation d’objectifs environnementaux. » Article 19 du Règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088 (Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE)

[12] Taxonomie : Greenpeace saisit la justice contre la Commission européenne pour stopper le greenwashing du gaz et du nucléaire, 18 avril 2023.

Actualité réglementaire estivale en matière de garanties d’origine de biogaz et de certificats de production de biogaz

Décret n° 2024-718 du 6 juillet 2024 relatif à l’obligation de restitution de certificats de production de biogaz

Arrêté du 6 juillet 2024 relatif au dispositif des certificats de production de biogaz

La période estivale a été marquée par l’adoption de plusieurs textes réglementaires particulièrement attendus en matière de valorisation de la production de biogaz.

D’une part, en matière de garanties d’origine a été publié le Décret n° 2024-681 du 4 juillet 2024 relatif au bénéfice des garanties d’origine de biogaz pour les collectivités territoriales et au droit préférentiel d’achat des garanties d’origine des producteurs de biométhane sous contrat d’obligation d’achat. Rappelons que les garanties d’origine sont des certificats assurant que, pour une unité énergétique prélevée dans le réseau public, une unité énergétique d’origine renouvelable a été injectée dans ce même réseau. Les garanties d’origine de biogaz sont régies par les articles L. 446-18 à L. 446-22 du Code de l’énergie, mais plusieurs textes réglementaires étaient attendus pour compléter le cadre juridique. Tel est l’objet du décret du 4 juillet qui vient préciser les modalités selon lesquelles les collectivités territoriales peuvent exercer leur droit de préférence pour l’achat des garanties d’origine des producteurs de biométhane disposant d’un contrat d’obligation d’achat. En effet, lorsqu’une garantie d’origine est émise par le producteur de biogaz, l’installation de production ne peut bénéficier du dispositif de soutien étatique de l’obligation d’achat, prévu aux articles L. 446-4 et L. 446-5 du Code de l’énergie (art. L. 446-19 de ce même Code).

Les communes, groupement de communes ou métropoles sur le territoire desquels est implantée l’installation bénéficiant du dispositif du soutien, disposent alors d’une faculté de préemption, prévue par les articles L. 446-22 et D. 446-38-1 du Code de l’énergie, afin de disposer à titre gratuit des garanties d’origine attachées à l’installation et d’attester de l’origine locale et renouvelable de leur consommation de biogaz, en vue de leur utilisation immédiate. Les nouvelles dispositions intégrées dans le Code de l’énergie prévoient ainsi les modalités d’application du transfert des garanties d’origine vers les communes, groupements de communes et métropoles dans lesquels le biométhane associé (conditions d’information du gestionnaire du registre des garanties d’origine de biogaz et délais applicables pour l’essentiel).

D’autre part, en matière de certificats de production de biogaz un Décret n° 2024-718 du 6 juillet 2024 relatif à l’obligation de restitution de certificats de production de biogaz et un Arrêté du 6 juillet 2024 relatif au dispositif des certificats de production de biogaz ont été publiés. Le dispositif des certificats de production de biométhane, qui s’inspire du mécanisme des certificats d’économie d’énergie, « vise à favoriser la production de biogaz injecté dans les réseaux de gaz naturel et l’atteinte des objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie », au sens de l’article L.446-31 du Code de l’énergie, en imposant aux fournisseurs de gaz naturel, dont les livraison ou consommations annuelles excèdent 400 gigawattheures de pouvoir calorifique supérieur, une obligation de restitution à l’Etat de certificats de productions de biogaz (art. L. 446-42 et R. 446-114 du Code de l’énergie). Ces fournisseurs peuvent s’acquitter de cette obligation soit en produisant directement du biogaz et en demandant les certificats de production de biogaz correspondant à cette production, soit en acquérant des certificats auprès de producteurs de biogaz (art. L. 446-42 du Code de l’énergie). Le décret publié vise à préciser les dernières modalités d’application de ce dispositif de certificats de production de biogaz, en particulier :

  • les volumes de consommation de gaz naturel concernés pour la première période d’obligation de restitution de certificats de production de biogaz laquelle s’étend du 1er janvier 2026 au 31 décembre 2028 ;
  • et le niveau de restitution de certificats de production de biogaz pour les fournisseurs de gaz naturel assujettis.

L’arrêté en date du 6 juillet apporte enfin des précisions techniques les coefficients de modulation des à la baisse du nombre de certificats délivrés le cas échéant par l’organisme gestionnaire du registre des certificats de production de biogaz et le niveau de la pénalité applicable en cas d’insuffisance ou de défaut d’inscription de certificats par un fournisseur (art. R .446-123 et R. 446-124 du Code de l’énergie).

Résultats d’appels d’offres de la CRE en matière d’hydroélectricité, d’énergie éolienne et de photovoltaïque

CRE, Délibération du 13 juin 2024 portant décision relative à l’instruction des dossiers de candidature à la 7e période de l’appel d’offres portant sur la réalisation et l’exploitation d’installations de production d’électricité à partir de l’énergie solaire « Centrales sur bâtiments, serres agrivoltaïques, hangars, ombrières et ombrières agrivoltaïques de puissance supérieure à 500 KWc »

CRE, Délibération du 25 juin 2024 portant décision relative à l’instruction des dossiers de candidature à la 7e période de l’appel d’offres portant sur la réalisation et l’exploitation d’installations de production d’électricité à partir de l’énergie mécanique du vent implantées à terre

Le résultat de plusieurs appels d’offre organisés par la Commission de Régulation de l’Energie (ci-après, CRE) a été rendu public au cours de l’été.

D’abord, par une délibération du 11 juillet 2024 portant décision relative à l’instruction des dossiers de candidature à la première période de l’appel d’offres portant sur la réalisation et l’exploitation d’installations hydroélectriques, mise en ligne le 7 août 2024, la CRE s’est prononcée sur les dossiers retenus. L’appel d’offres concernait des installations hydroélectriques nouvelles de puissance supérieure à 1 MW et inférieure à 4,5 MW et était segmenté en deux familles concernant respectivement les installations implantées sur des nouveaux sites (famille 1) et celles équipant des sites existants (famille 2). La CRE propose de retenir trois dossiers sur les cinq déposés, les trois dossiers relevant de la famille 1. On notera qu’alors que la puissance totale recherchée par la CRE s’élevait à 30MW, et que la puissance totale des dossiers déposés s’élevait au global à 16,9 MW, seule une puissance de 10,1 MW est retenue à travers les 3 dossiers lauréats.

Ensuite, par une délibération du 13 juin 2024, portant décision relative à l’instruction des dossiers de candidature à la 7e période de l’appel d’offres portant sur la réalisation et l’exploitation d’installations de production d’électricité à partir de l’énergie solaire « centrales sur bâtiments, serres agrivoltaïques, hangars, ombrières et ombrières agrivoltaïques de puissance supérieure à 500 KWc », mise en ligne le 11 juillet 2024, la CRE a arrêté la liste des lauréats de cette 7ème période de l’appel d’offre en matière photovoltaïque (dit également « AO PPE2 PV Bâtiment »). Là encore, alors que la puissance appelée totale était de 400 MWc, la puissance cumulée des 84 dossiers déposés s’élevait à 275 MWc, tandis que la puissance cumulée retenue par la CRE à travers les 50 projets lauréats s’élève seulement à 180 MWc.

Enfin, par une délibération du 25 juin 2024, également mise en ligne le 11 juillet 2024, ce sont les dossiers de candidature à la 7e période lauréats de l’appel d’offres portant sur la réalisation et l’exploitation d’installations de production d’électricité à partir de l’énergie mécanique du vent implantées à terre (dit « AO PPE2 Eolien terrestre ») qui ont été retenus. Et à l’inverse des deux appels d’offres précédemment mentionnés, l’objectif de puissance appelée est atteint. En effet, alors que la puissance appelée était de 925 MW, la puissance cumulée des 73 dossiers déposés s’élevait à 1 564,2 MW. La CRE a décidé d’en retenir 48, pour une puissance cumulée de 925,9 MW.

Précision relative à l’obligation de création d’une régie en matière d’autoconsommation collective

Un arrêté en date du 10 juillet 2024 a fixé à 1 MW le seuil en deçà duquel les collectivités mettant en œuvre des opérations d’autoconsommation collective sont dispensées de créer une régie. En effet, par principe, les collectivités territoriales et leurs groupements ont l’obligation de constituer une régie, dotée de la personnalité morale ou de la seule autonomie financière, pour l’exploitation directe d’un service public industriel et commercial (article L1412-1 CGCT 1er alinéa).

Toutefois, la loi dite « APER » du 10 mars 2023 a créé une dérogation à l’obligation de créer un budget annexe pour les opérations d’autoconsommation individuelle et collective qui figure désormais à l’article L. 1412-1 dernier alinéa du CGCT. Mais cette disposition renvoyait à un arrêté le soin de fixer un seuil maximal permettant de bénéficier de cette dérogation.

Tel est l’objet de l’arrêté du 10 juillet 2024 qui fixe ledit seuil à 1MW. Il s’agit d’un seuil cumulé par collectivité tenant donc compte de l’ensemble des opérations d’autoconsommation collective mises en œuvre.

Dissipons les zones d’ombre de la solarisation des parcs de stationnement

Projet de décret portant application de l’article 40 de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables NOR : TREL2412698D

Les parcs de stationnement extérieurs doivent, sous conditions, être équipés de dispositifs de production d’énergie renouvelable. Cette obligation vaut tant pour les parcs de stationnement à créer que pour les parcs de stationnement existants.

Le cadre juridique relatif à la solarisation des parcs de stationnement extérieurs se caractérise par sa complexité du fait de son éclatement entre plusieurs dispositions législatives. Afin de déterminer si un parc de stationnement est soumis à l’obligation de solarisation, il convient ainsi à la fois de se référer au Code de l’urbanisme, au Code de la construction et de l’habitation et à l’article 40 de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables. Les évolutions législatives, permettant de comprendre l’actuelle répartition entre les Codes, peuvent être résumées en trois temps :

1. Obligation de solariser les toitures des nouvelles constructions et possibilité de réaliser cette obligation sur les ombrières surplombant les aires de stationnement associées à ces nouvelles constructions[1] ;

2. Obligation d’équiper les nouveaux parcs de stationnement, associés ou non à des constructions de bâtiments, de dispositifs d’ombrage[2] ;

3. Obligation de solariser les parcs de stationnement existants[3].

Ainsi, en application de ces différentes dispositions et sous réserve de certaines surfaces couvertes, les parcs de stationnement extérieurs, existants ou à construire, devront être équipés d’ombrières dotées de dispositifs de production d’énergie renouvelable. Deux régimes cohabitent selon l’existence ou non, au 1er juillet 2023, du parc de stationnement concerné[4]. Le présent focus traitera ainsi des points suivants :

  • Parcs de stationnement soumis à l’obligation d’ombrage ou de solarisation (I) ;
  • Modalités de calcul de la superficie à prendre en compte (II) ;
  • Exceptions à l’obligation de solarisation (III) ;
  • Entrée en vigueur de l’obligation (IV) ;
  • Sanctions en cas de non-respect de l’obligation (V).

I. Les parcs de stationnement concernés par les obligations d’ombrage ou de solarisation

I.1. Les parcs de stationnement soumis à l’obligation d’ombrage

Aux termes de l’article L. 111-19-1 du Code de la construction et de l’habitation, les nouveaux parcs de stationnement extérieurs de plus de 500 mètres carrés devront être équipés de dispositifs d’ombrage sur au moins la moitié de leur surface. Cette obligation d’ombrage peut être remplie par l’intégration de dispositifs végétalisés ou d’ombrières. L’article précité dispose en effet que ces parcs de stationnement « doivent […] intégrer des dispositifs végétalisés ou des ombrières concourant à l’ombrage desdits parcs sur au moins la moitié de leur surface ». Les parcs de stationnement extérieurs de plus de 500 mètres carrés concernés par l’obligation prévue par l’article L. 111-19-1 précité sont les suivants :

  • Les nouveaux parcs de stationnement ouverts au public[5] dont l’autorisation d’urbanisme est postérieure au 1er janvier 2024[6];
  • Les parcs de stationnement faisant l’objet de travaux dont l’autorisation d’urbanisme ou la date d’acceptation des devis ou de passation des contrats relatifs aux travaux est postérieure au 1er janvier 2024 :
  • et qui peuvent être qualifiés de rénovation lourde[7], c’est-à-dire ceux dont le revêtement de surface est remplacé en totalité sur plus de la moitié de sa superficie[8];
  • ou bien dont la somme des superficies faisant l’objet d’un remplacement total du revêtement de surface au sol, entrepris sur une période de quinze ans, est supérieure à la moitié de la superficie totale[9];
  • Les parcs de stationnement faisant l’objet d’un nouveau contrat de concession de service public, de prestation de service ou de bail commercial portant sur leur gestion, ou d’un renouvellement dudit contrat[10].

I.2. Les parcs de stationnement soumis à l’obligation de solarisation

L’article 40 de la loi APER a considérablement élargi l’obligation précédemment exposée. D’abord, elle a mué l’obligation d’ombrage en obligation de solarisation, de sorte que le gestionnaire du parking n’a plus le choix entre les deux possibilités ci-avant exposées mais doit nécessairement équiper ledit parc de stationnement d’ombrières dotées de panneaux photovoltaïques. Ensuite, elle a étendu l’obligation aux parcs existants et aux nouveaux parcs qui ne sont pas concernés par les articles L. 111-19-1 et L. 171-4 précités mais elle ne concerne que les parcs de stationnement d’une superficie supérieure à 1.500 mètres carrés.  L’article 40 de la loi APER dispose :

« Les parcs de stationnement extérieurs d’une superficie supérieure à 1 500 mètres carrés sont équipés, sur au moins la moitié de cette superficie, d’ombrières intégrant un procédé de production d’énergies renouvelables sur la totalité de leur partie supérieure assurant l’ombrage. ».

Des commentateurs ont pu s’inquiéter de la soumission des nouveaux parcs à la fois aux articles L. 111-19-1 et L. 171-4 et à l’article 40 de la loi APER[11]. Toutefois, l’article 40 ne concerne pas les parcs de stationnement soumis aux articles L. 111-19-1 et L. 171-4 puisque son III. dispose : « sans préjudice de l’article L. 111-19-1 du Code de l’urbanisme et de l’article L. 171-4 du Code de la construction et de l’habitation ».

Cette exclusion est commentée par les travaux parlementaires, qui apportent une précision utile :

« Cette dernière précision permet d’intégrer au dispositif les nouveaux parcs de stationnement extérieurs de plus de 2500 mètres carrés [devenus 1500 mètres carrés dans la version de la loi APER finalement adoptée] qui ne sont pas ouverts au public (lesquels ne sont pas couverts par la rédaction actuelle de l’article L. 111-19-1 du Code de l’urbanisme) ou qui ne sont pas associés aux bâtiments ou parties de bâtiment auxquels s’applique l’obligation prévue à l’article L. 171-4 du Code de la construction et de l’habitation. ».[12]

Ainsi, aux termes du III. de l’article 40 précité[13], sont concernés par l’obligation de solarisation, dans la mesure où ils ont une superficie supérieure à 1.500 mètres carrés :

  • Les parcs de stationnement existants au 1er juillet 2023 ;
  • Les parcs de stationnement dont la demande d’autorisation d’urbanisme a été déposée à compter du 10 mars 2023 ;
  • Les nouveaux parcs de stationnement extérieurs dont la demande d’autorisation d’urbanisme a été déposée après le 1er juillet 2023, autres que ceux entrant dans le champ d’application de l’article L. 171-4 du Code de la construction et de l’habitation ou de l’article L. 111-19-1 du Code de l’urbanisme.

II. Les modalités de calcul de la superficie à prendre en compte

Les textes d’application des articles L. 111-19-1 et L. 171-4 ont apporté des précisions sur la superficie à prendre compte pour déterminer si un parc de stationnement est concerné par l’obligation d’ombrage. Le projet de décret d’application de l’article 40 de la loi APER reprend les mêmes conditions pour déterminer si un parc de stationnement est soumis à l’obligation de solarisation. La superficie à prendre en compte pour déterminer si le parc de stationnement est concerné par l’obligation d’installer un dispositif d’ombrage est prévue par l’article R. 111-25-7 du Code de l’urbanisme qui prévoit que seront pris en compte pour calculer les 500 mètres carrés prévus :

« 1° Les emplacements destinés au stationnement des véhicules et de leurs remorques, situés en dehors de la voie publique, au sein d’un périmètre compris entre la ou les entrées et la ou les sorties du parc ;

2° Les voies et les cheminements de circulation, les aménagements et les zones de péage permettant l’accès à ces emplacements, au sein d’un périmètre compris entre la ou les entrées et la ou les sorties du parc. ».

L’article précité ajoute que les « espaces verts, les espaces de repos, les zones de stockage, les espaces logistiques, de manutention et de déchargement » ne doivent pas être pris en compte pour le calcul des 500 mètres carrés.

Le projet de décret reprend exactement la même définition mais ajoute des espaces à la liste de ceux qui ne doivent pas être pris en compte. Il envisage par ailleurs de modifier l’article R. 111-25-7 précité afin d’unifier les définitions. Ainsi, sous réserve d’une adoption conforme du décret, ne seront pas non plus pris en compte dans la définition de la superficie « les parties des aires routières de stationnement définies par un arrêté conjoint des ministres chargés du Transport des marchandises dangereuses, des installations classées, de l’urbanisme, de l’environnement et de l’énergie et qui constituent des parcs de stationnement au sens de l’article R. 111-25-1, en raison de l’impossibilité de ne pas aggraver un risque technologique ».

Par ailleurs, concernant spécifiquement les parcs de stationnement soumis à l’article 40 de la loi APER, le législateur a prévu une possibilité de mutualisation pour les parcs de stationnement adjacents, précisé par le projet de décret. Le troisième alinéa de l’article 40 dispose :

« Lorsque plusieurs parcs de stationnement sont adjacents, les gestionnaires peuvent, d’un commun accord dont ils peuvent attester, mutualiser l’obligation mentionnée au même premier alinéa sous réserve que la superficie des ombrières réalisées corresponde à la somme des ombrières devant être installées sur chacun des parcs de stationnement concernés. ».

III. Les exceptions aux obligations d’ombrages et de solarisation

L’obligation d’installer un dispositif d’ombrage sur les parcs de stationnement de plus de 500 mètres carrés est grevée de nombreuses exceptions. Visées de manière générale par l’article L. 111-19-1 du Code de l’urbanisme, ces exceptions ont été détaillées par le décret n° 2023-1208 du 18 décembre 2023.

L’obligation d’installer des ombrières dotées de panneaux photovoltaïques sur les parcs de stationnement de plus de 1.500 mètres carrés fait également l’objet de nombreuses exceptions. Listées par l’article 40 de la loi APER, modifié par l’article 23 de la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte, ces exceptions sont détaillées par le projet de décret d’application de l’article 40 précité. Force est de constater que ces exceptions sont largement similaires à celles prévues par le décret n° 2023-1208 précité.

En outre, si le projet de décret prévoit de nouvelles exceptions pour l’obligation article 40, il convient de souligner qu’il opère également une modification des articles du Code de l’urbanisme relatifs aux exceptions visées par l’article L . 111-19-1 du Code de l’urbanisme de sorte que de nouvelles exceptions s’y appliqueraient également.

En premier lieu, concernant les obligations en vigueur applicables aux parcs de stationnement soumis à l’article L. 111-19-1 du Code de l’urbanisme, seront invocables les exceptions suivantes :

  • La présence d’arbre à canopée large, répartis sur l’ensemble du parc, à raison d’un arbre pour trois emplacements[14];
  • Des contraintes techniques liées à la nature du sol, telles que la composition géologique ou l’inclinaison de celui-ci[15];
  • L’impossibilité technique de ne pas aggraver, en conséquence d’une telle installation, un risque naturel, technologique ou relatif à la sécurité civile[16];
  • Des contraintes techniques liées à l’usage du parc de stationnement, le rendant incompatible avec une telle installation[17];
  • Lorsque l’installation de chacun de ces dispositifs est impossible au motif que les coûts totaux hors taxes des travaux engendrés par ces obligations compromettent la viabilité économique du propriétaire du parc[18].

Concernant plus spécifiquement l’installation d’ombrières dotées de dispositifs de production d’énergie renouvelable, pourront être exemptés :

  • Les parcs de stationnement implantés aux abords d’un monument historique, dans le périmètre d’un site patrimonial remarquable, dans un site inscrit ou classé en application des articles L. 341-1 et L. 341-2 du Code de l’environnement, à l’intérieur du cœur d’un parc national délimité en application de l’article L. 331-2 du même Code[19];
  • Les parcs de stationnement pour lesquels il est démontré qu’une telle installation est impossible en raison de contraintes techniques ou d’un ensoleillement insuffisant engendrant des coûts d’investissement portant atteinte de manière significative à la rentabilité de cette installation[20];
  • Les parcs de stationnement pour lesquels il est démontré qu’une telle installation est impossible en raison des coûts totaux hors taxes des travaux engendrés par cette obligation qui s’avèrent excessifs[21].

L’ensemble des méthodes de détermination des coûts excessifs de l’installation d’ombrière photovoltaïque a été fixé par l’arrêté du 5 mars 2024 portant application du décret n° 2023-1208 du 18 décembre 2023 portant application de l’article L. 171-4 du Code de la construction et de l’habitation et de l’article L. 111-19-1 du Code de l’urbanisme régissant les parcs de stationnement, auquel nous renvoyons.

Enfin, de manière plus générale, ne sera pas soumis à l’obligation d’ombrage le parc de stationnement pour lequel il est démontré que l’installation des dispositifs d’ombrage est impossible en raison de la suppression ou de la transformation totale ou partielle prévue de ce parc, pour laquelle une première autorisation d’urbanisme a été délivrée avant le 1er juillet 2023[22].

En second lieu, le projet de décret prévoit les mêmes exceptions pour les parcs de stationnement soumis à l’article 40 de la loi APER. De plus, le projet de décret ajoute de nouvelles exceptions, concernant à la fois les parcs de stationnement soumis à l’article 40 de la APER (article 3 à 10 du projet de décret), et les parcs de stationnement soumis à l’article L. 111-19-1 du Code de l’urbanisme en modifiant les articles R. 111-25-3 et suivants du Code de l’urbanisme. Sous réserve que le projet de décret soit adopté sans modification, pourront ainsi être exemptés de l’obligation d’ombrage ou de l’obligation de solarisation :

  • Les parcs où stationnent des véhicules transportant des marchandises dangereuses et les installations classées soumises à autorisation, enregistrement ou déclaration en application du livre V du Code de l’environnement[23];
  • Les parcs où stationnent des véhicules motorisés dont le poids total en charge est supérieur à 3,5 tonnes[24].

Par ailleurs, l’article 8 du projet de décret et l’article R. 111-25-14 du Code de l’urbanisme modifié par ce même projet apportent une précision utile pour pouvoir conclure au caractère excessif du coût des travaux pour déroger à l’obligation d’ombrage ou de l’obligation de solarisation. Ainsi, « lorsque le gestionnaire du parc de stationnement est soumis ou se conforme à une obligation légale ou réglementaire, ou qu’il a recours à un appel d’offre en application de l’article L.2124-2 du Code de la commande publique ou d’un appel à manifestation d’intérêt en application de l’article L. 2122-1-3-1 du code général de la propriété des personnes publiques, ayant pour objet l’organisation d’une procédure de sélection préalable pour la mise en œuvre de l’obligation d’installation des dispositifs mentionnés au I de l’article 1er, la déclaration sans suite de la procédure lorsque cette dernière s’est révélée infructueuse présume du caractère excessif du coût des travaux. Une procédure est considérée comme infructueuse en l’absence de réponse, ou en présence d’offres inacceptables au sens de l’article L. 2152-3 du Code de la commande publique ».

Enfin, concernant spécifiquement les parcs de stationnement soumis à l’article 40 de la loi APER, le gestionnaire de ces parcs pourra être exempté de l’obligation de solarisation s’il y installe des procédés de production d’énergies renouvelables ne requérant pas l’installation d’ombrières, sous réserve que ces procédés permettent une production équivalente d’énergies renouvelables[25].

En troisième lieu, le propriétaire du parc de stationnement devra justifier de sa demande d’exception à l’occasion de sa demande d’autorisation d’urbanisme. La demande devra comprendre tous les éléments qu’il estime nécessaire de produire ainsi qu’un résumé non technique[26]. Concernant les parcs de stationnement soumis à l’article 40 de la loi APER, le gestionnaire devra en plus fournir une étude technico-économique[27].

En quatrième lieu, le projet de décret mettra un terme à une difficulté qui avait pu naitre au sujet de la contradiction entre l’obligation d’ombrage et les règles du plan local d’urbanisme applicable à la zone.

Si le projet de décret est adopté en l’état, un nouvel article R. 111-25-20 sera inséré dans le Code de l’urbanisme et prévoira que « les règles des plans locaux d’urbanisme, notamment celles relatives à l’emprise au sol, à la hauteur, à l’implantation et à l’aspect extérieur des constructions, ne constituent pas des contraintes au sens de l’article L. 111-19-1. Leur application ne peut avoir pour effet d’empêcher l’installation des dispositifs qu’il mentionne ou de réduire l’étendue des obligations qui y est inscrite ». Le II. de l’article 3 du projet de décret prévoit la même disposition pour les parcs de stationnement soumis à l’article 40 de la loi APER.

IV. L’entrée en vigueur des obligations

Concernant les nouveaux parcs de stationnement de plus de 500 mètres carrés, soumis aux dispositions des articles L. 111-19-1 du Code de l’urbanisme et L. 171-4 du Code de la construction et de l’habitation précités, l’obligation est entrée en vigueur le 1er janvier 2024, date d’entrée en vigueur des dispositions réglementaires codifiées par le décret n° 2023-1208 précité. Aussi, tous les parcs de stationnement répondant aux conditions prévues par les articles L. 171-4 et L. 111-19-1, tels que présentés au I.1. ci-dessus, dont l’autorisation d’urbanisme est postérieure au 1er janvier 2024, sont soumis à l’obligation d’ombrage.

Concernant les parcs de stationnement soumis à l’article 40 de la loi APER, c’est-à-dire pour rappel, les parcs de stationnement existant au 1er juillet 2023, les parcs de stationnement dont la demande d’autorisation d’urbanisme a été émise entre le 10 mars 2023 et le 1er janvier 2024, et les nouveaux parcs n’entrant pas dans le champ d’application des articles L. 171-4 et L. 111-19-1 (les parcs de plus de 1.

 

500 mètres carrés non associés à un bâtiment ou non ouverts au public), les règles d’entrée en vigueur sont prévues par le III. de l’article 40 de la loi APER. Aux termes de ce III. :

« III.-Sans préjudice de l’article L. 111-19-1 du Code de l’urbanisme et de l’article L. 171-4 du Code de la construction et de l’habitation, le I du présent article s’applique aux parcs de stationnement extérieurs existant au 1er juillet 2023 et à ceux dont la demande d’autorisation d’urbanisme a été déposée à compter de la promulgation de la présente loi :

1° Lorsque le parc de stationnement extérieur est géré en concession ou en délégation de service public, à l’occasion de la conclusion d’un nouveau contrat de concession ou de délégation ou de son renouvellement. Si la conclusion ou le renouvellement de la concession ou de la délégation intervient avant le 1er juillet 2026, le même I entre en vigueur à cette date. Si la conclusion ou le renouvellement de la concession ou de la délégation intervient après le 1er juillet 2028, ledit I entre en vigueur le 1er juillet 2028 ;

2° Lorsque le parc de stationnement extérieur n’est pas géré en concession ou en délégation de service public, le 1er juillet 2026 pour les parcs dont la superficie est égale ou supérieure à 10 000 mètres carrés, et le 1er juillet 2028 pour ceux dont la superficie est inférieure à 10 000 mètres carrés et supérieure à 1 500 mètres carrés. ».

On retiendra donc que, outre le cas particulier des parcs de stationnement gérés en concession ou en délégation de service public, l’obligation de solarisation devra être accomplie :

  • Le 1er juillet 2026 pour les parcs d’une superficie supérieure ou égale à 10.000 mètres carrés ;
  • Le 1er juillet 2028 pour les parcs d’une superficie supérieure à 1.500 mètres carrés.

Enfin, un délai supplémentaire pourra être accordé par le préfet de département lorsque le gestionnaire du parc de stationnement justifie que les diligences nécessaires ont été mises en œuvre pour satisfaire à ses obligations dans les délais impartis mais que celles-ci ne peuvent être respectées du fait d’un retard qui ne lui est pas imputable[28].

V. Sur les sanctions encourues

Le gestionnaire du parc de stationnement qui n’aurait pas respecté les obligations issues de l’article 40 de la loi APER pourrait se voir infliger une sanction pécuniaire. Aux termes du V. de l’article 40 précité :

« En cas de méconnaissance des obligations prévues au I du présent article, l’autorité administrative compétente prononce à l’encontre du gestionnaire du parc de stationnement concerné, chaque année et jusqu’à la mise en conformité dudit parc, une sanction pécuniaire dans la limite d’un plafond de 20.000 euros si le parc est d’une superficie inférieure à 10.000 mètres carrés et de 40.000 euros si le parc est d’une superficie supérieure ou égale à 10.000 mètres carrés. ».

En définitive, de nombreuses exceptions permettront aux gestionnaires de parcs de stationnement d’éviter la solarisation forcée de leurs parcs.

On soulignera néanmoins que la logique du législateur, qui tend à promouvoir le développement des énergies renouvelables, pourrait rejoindre l’intérêt des gestionnaires des parcs de stationnement, l’installation d’ombrières pouvant être positivement perçue comme une opportunité pour, à moyen terme, réduire les coûts d’exploitation des parcs de stationnement en consommant une électricité produite localement.

 

Marie-Hélène Pachen-Lefèvre et Simon Ollic

 

[1] Article 47 de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat

[2] Article 101 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets

[3] Article 40 de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, dite loi APER

[4] Article 40 III. de la loi APER précitée

[5] Article L. 111-19-1 du Code de l’urbanisme

[6] Article 4 du décret n° 2023-1208 du 18 décembre 2023

[7] Article L. 171-4-1 du Code de l’urbanisme

[8] Article R. 111-25-2 du Code de l’urbanisme

[9] Article R. 111-25-2 du Code de l’urbanisme

[10] Point V. de l’article 101 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021

[11] Les commentaires déposés à l’occasion de la consultation du public sur le projet de décret portant application de l’article 40 de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables.

[12] Rapport n° 82, première lecture au Sénat, Commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, déposé le 26 octobre 2022

[13] Le III. de l’article 40 de la loi APER dispose : « III.-Sans préjudice de l’article L. 111-19-1 du Code de l’urbanisme et de l’article L. 171-4 du Code de la construction et de l’habitation, le I du présent article s’applique aux parcs de stationnement extérieurs existant au 1er juillet 2023 et à ceux dont la demande d’autorisation d’urbanisme a été déposée à compter de la promulgation de la présente loi ».

[14] Article R. 111-25-8 du Code de l’urbanisme

[15] Article R. 111-25-9 du Code de l’urbanisme

[16] Article R. 111-25-9 du Code de l’urbanisme

[17] Article R. 111-25-9 du Code de l’urbanisme

[18] Article R. 111-25-12 du Code de l’urbanisme

[19] Article R. 111-25-10 du Code de l’urbanisme

[20] Article R. 111-25-11 du Code de l’urbanisme

[21] Article R. 111-25-14 du Code de l’urbanisme

[22] Article R. 111-25-16 du Code de l’urbanisme

[23] Article 3 du projet de décret et article R. 111-25-9 modifié

[24] Article 3 du projet de décret et article R. 111-25-9 modifié

[25] Article 40 I. de la loi APER et article 2 de son projet de décret d’application

[26] Article R. 111-25-19 du Code de l’urbanisme

[27] Article 11 du projet de décret

[28] Cette possibilité de report est prévue par le cinquième alinéa du III. de l’article 40 de la loi APER. Par ailleurs, un projet de décret est en consultation sur le sujet : https://www.consultations-publiques.developpement-durable.gouv.fr/consultation-du-public-sur-le-projet-de-decret-a3049.html

Décret du 10 juillet 2024 : allongement du délai d’inhumation ainsi que de crémation et autres mesures de simplification dans le domaine funéraire

Est paru au Journal officiel du 11 juillet 2024 un décret portant diverses mesures administratives dans le domaine funéraire. Parmi celles-ci, l’allongement des délais d’inhumation et de crémation des défunts.

En sa version antérieure, l’article R. 2213-33 du CGCT prévoyait que l’inhumation d’un corps ou son dépôt dans un caveau provisoire devait avoir lieu entre 24 heures et 6 jours après le décès de la personne, l’entrée de sa dépouille en France métropolitaine (en cas de décès dans une collectivité d’outre-mer, en Nouvelle Calédonie ou à l’étranger) ou en cas de problème médico-légal, de la délivrance de l’autorisation d’inhumation.

Le décret ici commenté prévoit désormais un délai maximal de 14 jours pour ce faire. On notera que le texte instaure également la possibilité pour le préfet, en cas de circonstances locales particulières, de déroger à ce délai de principe pendant une durée maximale d’un mois. Le délai d’inhumation dérogatoire ne peut alors être supérieur à 21 jours. Le même régime est prévu par le décret à l’article R. 2213-35 pour les délais de crémation. Ainsi que l’indique la notice du décret, cet allongement intervient « afin de remédier à l’augmentation croissante des demandes de dérogation à ces délais, déposées auprès des préfectures, fondées tant sur des causes conjoncturelles, comme des épisodes de surmortalité constatés à certaines périodes, que des causes structurelles, telles que l’accroissement des demandes de crémation auxquelles les crématoriums ne peuvent pas toujours faire face ».

Le décret du 11 juillet 2024 ouvre par ailleurs l’utilisation d’autres procédés que la gravure sur les plaques des cercueils (pourvu qu’ils garantissent le caractère durable des inscriptions) et modifie en ce sens l’article R. 2213-20 du CGCT. Les informations devant figurer sur le cercueil demeurent en revanche inchangées (l’année de décès et, s’ils sont connus, l’année de naissance, le prénom, le nom de famille et, s’il y a lieu, du nom d’usage du défunt). En outre, le texte permet de procéder à la fermeture des cercueils par d’autres techniques que les cachets de cire anciennement imposés (article R. 2213-45 du CGCT).

Il complète enfin les fondements juridiques des compétences du préfet de police de Paris en matière d’autorisation de dérogation au délai d’inhumation et de crémation et rectifie une référence à un article du Code général des collectivités territoriales dans le décret n° 2015-1459 du 10 novembre 2015.

Le service de la gestion des crématoriums est-il un service public industriel et commercial ?

C’est à l’occasion d’un contentieux portant sur la mise à la retraite litigieuse d’un agent communal que s’est posé la question, inédite devant les tribunaux, de la qualification du service public de gestion des crématoriums.

Le 23 mai 2018, M. A, assistant funéraire affecté au crématorium de Cornebarrieu, a saisi le conseil des prud’hommes de Toulouse afin d’obtenir la résiliation du CDI qui le lie en cette qualité à la régie communale des pompes funèbres de Toulouse. En cours d’instance et par arrêté du 3 juillet 2018, il a été admis à faire valoir ses droits à la retraite et radié des cadres à compter du 25 juin 2018. M.A a alors demandé devant la juridiction prud’homale la requalification de cette mise à la retraite en licenciement sans cause réelle et sérieuse et le paiement de diverses sommes. Le conseil des prud’hommes de Toulouse a rejeté la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître de ce litige par un jugement du 11 mai 2021, infirmé sur ce point par un arrêt du 14 juin 2022 de la Cour d’appel renvoyant les parties devant le conseil des prud’hommes. La Cour de cassation a alors été saisie d’un pourvoi en cassation de la commune de Toulouse contre cet arrêt soutenant la compétence des juridictions administratives. Par un arrêt du 6 mars 2024, la haute juridiction a renvoyé cette question de compétence au Tribunal des Conflits.

La question posée au Tribunal des Conflits est donc celle de la nature administrative ou industrielle et commerciale du service public concerné par le contrat de travaux de M.A. En effet, les contrats conclus entre le gestionnaire d’un service public industriel et commercial (SPIC) avec un agent sont en principe des contrats de droit privé alors que ceux conclus avec la personne publique gérant un SPA sont en principe administratifs. Et c’est de cette distinction découle l’ordre de juridiction compétent pour connaître des litiges dont ils font l’objet. Mais quel est le service public faisant l’objet du contrat de travail en cause ? Le service extérieur des pompes funèbres (ci-après SEPF), lequel comprend notamment la fourniture de personnel et des objets et prestations nécessaires aux obsèques et aux crémations (article L. 2223-19 8° du CGCT) ? ou le service de création et de gestion des crématoriums (article L. 2223-40 du CGCT), auquel participe d’ailleurs ces prestations du SEPF ?

Les deux, semble considérer le Tribunal des Conflits, qui qualifie tour à tour la nature juridique de ces deux services publics pour trancher la question de compétence dont il est saisi. Il rappelle à ce titre que le SEPF, dont les prestations sont ici assurées par la régie en cause ayant employé M.A est un service public industriel et commercial. Cette qualification avait déjà été posée par un avis du Conseil d’Etat du 19 décembre 1995[1] « eu égard à l’origine de ses ressources, constitués par les prix acquittés par les familles en paiement des prestations assurées, et aux modalités de son fonctionnement, marquées par la pluralité des intervenants publics ou privés agissant dans le cadre de la loi précitée du 8 janvier 1993 ». En effet depuis la loi susvisée, et ainsi que le prévoit l’article L. 2223-19 du CGCT, le SEPF est un service public facultatif et concurrentiel :

  • D’une part, la commune ou l’EPCI territorialement compétent en matière de service extérieur des pompes funèbres peut décider de l’instituer/l’organiser ou non (et alors de le laisser à l’initiative privée des opérateurs funéraires) ;
  • D’autre part, qu’elles décident ou non de s’en emparer, ces communes et EPCI (et leurs régies ou délégataires) ne bénéficient d’aucun droit d’exclusivité pour fournir les prestations du service extérieur des pompes funèbres, celui-ci pouvant être directement exploité par tout opérateur privé dûment habilité.

A l’inverse, le service de création et de gestion des crématoriums est un service public exclusivement placé sous le giron des communes et intercommunalités compétentes (leur gestion pouvant être assurée directement notamment par une régie ou de façon déléguée dans le cadre d’une DSP). Pour autant le Tribunal des Conflits considère, sans le justifier plus avant, que le service de la gestion des crématoriums dont est ici aussi chargée la régie des pompes funèbres de Toulouse est également un SPIC sans que son caractère exclusivement communal ne puisse y faire obstacle. Une circulaire du 12 décembre 1997 avait indiqué en ce sens qu’ « eu égard à l’origine de ses ressources constituées par des redevances acquittées par les familles » l’activité des crématoriums doit être considérée comme un SPIC « lorsqu’elle organisée en régie ». Et ce, à l’exclusion des prestations du service financées par les recettes provenant du budget général de la commune.

Le Tribunal s’inscrit donc dans le prolongement de cette interprétation, sans pour autant préciser s’il cantonne également cette qualification au cas où la gestion du crématorium est confiée à une régie ou à une régie en charge du SEPF. Sur la base de cette qualification d’espèce, le Tribunal des Conflits considère que M. A est lié à la commune de Toulouse par un contrat de droit privé et que le litige en cause relève par conséquent de la juridiction judiciaire.

Cette jurisprudence, qui à notre connaissance est la première à revenir sur la qualification du service de gestion des crématoriums méritera d’être complétée à l’avenir.

 

[1] Conseil d’Etat, avis n° 558.102 du 19 décembre 1995

Recours gracieux non obligatoires : faut-il prendre en compte la date d’envoi ou la date de réception pour vérifier le respect du délai de recours ?

Pour rappel, la jurisprudence a récemment évolué s’agissant de la date à prendre en compte pour le délai de recours contentieux. En effet, par une décision en date du 13 mai 2024, le Conseil d’Etat a jugé que :

« 2. Sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires, telles les dispositions relatives à la contestation des élections politiques ou celles prévoyant des délais exprimés en heures ou expirant à un horaire qu’elles précisent, la date à prendre en considération pour apprécier si un recours contentieux adressé à une juridiction administrative par voie postale a été formé dans le délai de recours contentieux est celle de l’expédition du recours, le cachet de la poste faisant foi. » (CE, 13 mai 2024, n°466541, publié au Recueil).

Cette affaire concernait précisément le cas d’un appel interjeté par voie postale devant une juridiction de Paris par une personne habitant en Polynésie Française. Il s’en évince qu’il faut désormais prendre la date d’envoi par voie postale d’un recours contentieux à une juridiction pour apprécier le respect du délai de deux mois et non la date de réception par la juridiction. Mais qu’en est-il pour les recours gracieux ? D’abord, l’on rappelle que l’article L. 411-2 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA) dispose que :

« Toute décision administrative peut faire l’objet, dans le délai imparti pour l’introduction d’un recours contentieux, d’un recours gracieux ou hiérarchique qui interrompt le cours de ce délai. ».

Ensuite, l’article R. 421-1 du Code de justice administrative dispose que :

« La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. ».

Toutefois, le principe découlant de la décision du Conseil d’Etat de mai 2024 précitée nous parait uniquement applicable aux recours contentieux et non aux recours gracieux, mais une distinction s’impose pour ces derniers. En effet, il convient de distinguer ici recours gracieux préalables obligatoires et recours gracieux non obligatoires. A ce titre, l’on relève que le rapporteur public de cette affaire, Monsieur Jean-François de Montgolfier, rappelle dans ses conclusions sous la décision du Conseil d’Etat du 13 mai 2024, la distinction entre recours gracieux obligatoire et recours non obligatoires, et qu’il tend, selon nous, vers une uniformisation de la règle quel que soit le recours :

« La complexité résulte en particulier de la coexistence de règles différentes pour les recours administratifs et pour les recours contentieux. Ainsi, le principe de la date d’envoi s’applique au recours administratif préalable obligatoire (27 juillet 2005, Mme H…, n° 271916, A ou 30 mars 2011, Association des parents d’élèves des collèges du canton de Saint-Lys, n° 344811, T). Au contraire, pour apprécier si un recours administratif, gracieux ou hiérarchique, a conservé le délai de recours contentieux, vous jugez que c’est la date de sa réception qui s’applique (21 mars 2003, Préfet de police c/ Mme X P…, n° 240511, B ; 30 janvier 2019, MM…, n° 410603, B). ».

Cela étant dit, d’une part, à aucun moment le Conseil d’Etat n’indique expressément dans sa décision de mai 2024 qu’il étendrait ce principe aux recours gracieux, a fortiori les recours non obligatoires. D’autre part, si l’article L. 112-1 du Code des relations entre le public et l’administration dispose que :

« Toute personne tenue de respecter une date limite ou un délai pour présenter une demande, déposer une déclaration, exécuter un paiement ou produire un document auprès d’une administration peut satisfaire à cette obligation au plus tard à la date prescrite au moyen d’un envoi de correspondance, le cachet apposé par les prestataires de services postaux autorisés au titre de l’article L. 3 du code des postes et des communications électroniques faisant foi.
Ces dispositions ne sont pas applicables :

1° Aux procédures d’attribution des contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation ;

2° Aux procédures pour lesquelles la présence personnelle du demandeur est exigée en application d’une disposition particulière. ».

Cet article ne s’applique pas aux recours gracieux facultatifs mais seulement aux recours administratifs préalables obligatoires :

« 3. L’institution d’un recours administratif, préalable obligatoire à la saisine du juge, vise à laisser à l’autorité compétente pour en connaître le soin d’arrêter définitivement la position de l’administration. Pour autant, dès lors que le recours administratif obligatoire a été adressé à l’administration préalablement au dépôt de la demande contentieuse, la circonstance que cette dernière demande ait été présentée de façon prématurée, avant que l’autorité administrative ait statué sur le recours administratif, ne permet pas au juge administratif de la rejeter comme irrecevable si, à la date à laquelle il statue, est intervenue une décision, expresse ou implicite, se prononçant sur le recours administratif. Il appartient alors au juge administratif, statuant après que l’autorité compétente a définitivement arrêté sa position, de regarder les conclusions dirigées formellement contre la décision initiale comme tendant à l’annulation de la décision, née de l’exercice du recours administratif préalable, qui s’y est substituée.

  1. En l’espèce, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B…, par deux lettres recommandées avec accusés de réception datées du 20 août 2020, a respectivement adressé un recours administratif préalable au président du conseil départemental de l’Essonne et un recours contentieux au tribunal administratif de Versailles. Le tribunal administratif, après avoir relevé que le recours administratif préalable, exigé par l’article L. 262-47 du code de l’action sociale et des familles, alors au demeurant qu’il n’est pas applicable aux litiges relatifs à l’attribution ou à la récupération de l’aide exceptionnelle de fin d’année, qui est une allocation versée au nom de l’Etat, avait été exercé par M. B… de telle sorte qu’il avait été reçu par le département de l’Essonne le mardi 1er septembre 2021 postérieurement à l’enregistrement de sa requête au greffe du tribunal le samedi 28 août 2021, a rejeté cette dernière comme manifestement irrecevable au motif qu’il n’avait pas formé de recours administratif préalablement à la saisine du juge. En statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait de tenir compte, non de la date de réception par le département du recours administratif formé par M. B…, mais de sa date d’envoi, et au surplus, compte tenu de la date à laquelle il statuait, de regarder les conclusions de M. B… comme dirigées contre la décision implicite née du rejet de son recours administratif préalable, qui s’était substituée aux décisions initiales portant sur ses droits au revenu de solidarité active et sur l’indu de revenu de solidarité active, le tribunal administratif a commis une erreur de droit. M. B… est, par suite, fondé à demander pour ce motif l’annulation de l’ordonnance qu’il attaque.» (CE, 28 avril 2022, n° 450339 ; voir encore : CAA Bordeaux, 27 avril 2021, n° 19BX01273).

Selon nous, le recours gracieux doit être effectué dans le délai de deux mois à compter de la notification si la décision en litige contient les voies et délais de recours. L’intéressé devra donc veiller à ce que son recours gracieux soit réceptionné dans le délai de deux mois imparti et non simplement envoyé dans ce même délai. Pour un exemple :

« 4. D’autre part, il est constant que la décision du 6 juillet 2021 par laquelle le président du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur a infligé la sanction d’exclusion temporaire de fonctions d’une durée de trois jours à M. A… lui a été notifiée le 20 juillet 2021, et que cette décision comportait la mention des voies et délais de recours. Pour rejeter la demande d’annulation de cette décision en raison de sa tardiveté, l’ordonnance attaquée relève que si un recours gracieux a été adressé par M. A… à son employeur, celui-ci a été réceptionné le 22 septembre 2021 seulement, soit au-delà du délai de deux mois qui lui était imparti à cette fin, lequel a expiré le 21 septembre 2021. Si, pour justifier de ce que ce recours gracieux a été réceptionné par l’administration avant le 21 septembre 2021, M. A… produit un rapport d’émission de télécopie du 20 septembre 2021 attaché au courrier du même jour tendant au retrait de la décision du 6 juillet 2021, un tel document ne peut à lui seul, eu égard aux conditions techniques dans lesquelles il est établi, apporter la preuve de la réception effective du recours de M. A… avant l’expiration du délai de deux mois, dont l’effectivité est expressément contestée par la région. Dans ces conditions, le recours gracieux réceptionné le 22 septembre 2021 n’a pu avoir aucun effet sur le délai de recours de deux mois, lequel a expiré le 21 septembre 2021. Par suite, la décision du 10 novembre 2021 par laquelle le président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur a rejeté ce recours n’a pu rouvrir un nouveau délai de deux mois au bénéfice de M. A…. Il suit de là que sa demande introduite le 7 janvier 2022 au greffe du tribunal administratif de Marseille était tardive. » (CAA Marseille, 30 mars 2023, n° 22MA00413).

Plus encore, le centre de recherches et de diffusion juridiques du Conseil d’Etat, qui a commenté la décision de mai 2024, indique que si la distinction recours obligatoires ou recours gracieux n’a plus lieu d’être, il rappelle bien qu’elle n’a pas été formellement abandonnée par le Conseil d’Etat :

« S’agissant ensuite du délai imparti pour l’exercice d’un recours administratif préalable, il faut ici distinguer les recours obligatoires des recours gracieux ou hiérarchiques de droit commun. Le principe de la date d’envoi s’applique déjà aux recours administratifs préalables obligatoires (RAPO ; CE 27 juill. 2005, n° 271916, Houdelette, Lebon ; AJDA 2005. 2087), par application du CRPA. Quant aux recours administratifs de droit commun, ils sont soumis à la règle de la date de réception (CE 21 mars 2003, n° 240511, Préfet de police c/ Pan, Lebon T. ; AJDA 2003. 1345, concl. S. Austry). Cette spécificité, historiquement rattachée à celle des recours contentieux, n’a plus lieu d’être, même si ce précédent de 2003 n’a pas été formellement abandonné par la décision commentée. » (AJDA 2024, n°1381, Double date, par Alexis Goin et Louise, Cadin, maîtres des requêtes au Conseil d’Etat et responsables du centre de recherches et de diffusion juridiques).

Enfin, la doctrine semble également aller dans le sens de la date de réception et non d’envoi du recours gracieux, même si elle serait a priori en faveur d’une uniformité :

« On prendra garde néanmoins à ne pas confondre recours contentieux et recours administratif. En effet en ce qui concerne les recours gracieux ou hiérarchiques dirigés à l’encontre d’un acte administratif, la règle demeure en l’état antérieur : le délai n’est interrompu que par la réception par l’Administration de la lettre constituant ledit recours administratif (CE, 15 mars 1961, Baillot). Enfin, il faut souligner que la solution n’a pas vocation à affecter la grande majorité désormais des situations, à savoir celles où la saisine de la juridiction est opérée par l’application Télérecours. » (Lexis360, Délai de recours – revirement de jurisprudence : le délai de recours interrompu par l’envoi postal de la requête – Procédures n°7, juillet 2024. Comm 188, par Serge DEYGAS, Avocat).

Enfin, nous vous indiquons le commentaire récent d’un juge rapporteur public du Tribunal administratif de Melun, Manon Van Daele (Lexis360 Procédure contentieuse – Date d’envoi ou date de réception des recours administratifs non obligatoires : qu’en dit la jurisprudence aujourd’hui ?, dans La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 28, 15 juillet 2024, act.397), qui commente un arrêt récent de la Cour administrative d’appel de Versailles (CAA Versailles, 1er juillet 2024, n° 21VE03465) qui étend la jurisprudence du Conseil d’Etat à tout recours gracieux même non obligatoire :

« 8. D’autre part, le délai de l’article R. 421-1 du code de justice administrative est un délai franc. S’il expire un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé, il est prorogé jusqu’au premier jour ouvrable suivant. Et sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires, telles les dispositions relatives à la contestation des élections politiques ou celles prévoyant des délais exprimés en heures ou expirant à un horaire qu’elles précisent, la date à prendre en considération pour apprécier si un recours contentieux adressé à une juridiction administrative par voie postale a été formé dans le délai de recours contentieux est celle de l’expédition du recours, le cachet de la poste faisant foi. Ces principes sont également applicables aux recours administratifs non obligatoires.

  1. Il ressort des pièces du dossier que le recours gracieux du 29 mai 2018 par lequel M. A… a demandé le retrait des arrêtés litigieux, notifiés le 28 mars 2018, a été adressé par lettre recommandée et reçue par la commune le 30 mai 2018. A la date de l’expédition de ce recours gracieux le 29 mai 2018, le délai de recours contentieux, qui est un délai franc, n’était pas expiré. Ainsi, le recours gracieux du 29 mai 2018 a interrompu le délai de recours contentieux à l’encontre des arrêtés du 27 février 2018. » (CAA Versailles, 1er juillet 2024, n° 21VE03465).

Cet arrêt est donc postérieur à la décision du Conseil d’Etat précitée. Selon ce juge administratif : « un éventuel pourvoi dira si le Conseil d’État confirme cette extension retenue par les cours administratives d’appel de Douai et de Versailles ou s’il s’en tiendra à ses jurisprudences de mars 2003 et janvier 2019. » (source précitée). Nous sommes donc face à une jurisprudence mouvante. La position du Conseil d’Etat est susceptible d’évoluer soit explicitement par exemple dans le cadre d’un pourvoi en cassation en confirmant la position extensive de certains juges du fond, soit implicitement s’il laisse les juridictions du fond étendre l’application de sa nouvelle règle. Au contraire, l’on peut considérer que le fait pour le Conseil d’Etat de ne pas avoir établi un considérant de principe général dans sa décision de mai dernier signifie qu’il ne souhaite pas l’extension de ce principe au recours gracieux.

Les codes de bonnes pratiques pour les intelligences artificielles à usage général, un outil nécessaire à la mise en œuvre du récent règlement européen sur l’intelligence artificielle

La mise en œuvre de ces codes est prévue à l’article 56 « Codes de bonnes pratiques » du Règlement (UE) 2024/1689 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024 dit « règlement sur l’intelligence artificielle » ou, en anglais, « IA Act » (ci-après le « règlement sur l’IA » ou le « règlement »), entré en vigueur le 1er août 2024 qui prévoit une application de ses dispositions de manière progressive au cours des trois prochaines années[1].

L’établissement de ces lignes directrices pour les modèles d’IA à usage général a été confié au Bureau de l’IA, avec le Comité IA, deux nouvelles instances de gouvernance mises en place par le nouveau règlement. Plus précisément, le Bureau de l’IA a été créé par décision de la Commission européenne pour améliorer les connaissances de l’UE en matière d’IA en développant des outils et/ou des méthodologies ou encore la coopération entre les différents acteurs concernés par ce règlement. Le Comité sur l’IA représente pour sa part l’avis de chaque Etat membre sur ces questions. Les codes ont pour objet de mettre en place un mode de conformité provisoire en attendant l’applicabilité pleine et entière des dispositions du règlement relatives à ces modèles d’IA particuliers.

Pour rappel,  sont définis par l’article 3 du règlement comme les modèles d’IA formés « à l’aide d’une grande quantité de données en utilisant l’auto-supervision à grande échelle qui présente une généralité significative et est capable d’exécuter de manière compétente un large éventail de tâches distinctes ». Cela concerne notamment les modèles d’IA génératives comme le célèbre ChatGPT, mais comprend en pratique de très nombreux systèmes. Dans cette optique, le Bureau de l’IA a lancé un appel à candidatures (qui a pris fin le 25 août dernier) pour former un groupement composé de fournisseurs de modèles d’IA à usage général (qui peuvent être, au sens du règlement IA, des « autorités publiques »), ainsi que des organisations de la société civile, des représentants des titulaires de droits d’auteur, des experts du monde universitaire ou indépendants, qui sera chargé de participer à l’élaboration des codes de bonnes pratiques.

L’objectif de ces codes,  prévus pour être publiés d’ici le 2 mai 2025, est de détailler les règles applicables aux fournisseurs de modèles d’IA à usage général afin que ces derniers puissent y recourir pour démontrer leur conformité. Plus particulièrement, quatre groupes de travail vont devoir œuvrer à leur rédaction, dont le premier portera sur la question épineuse des règles de transparence et de respect des droits d’auteur, avec notamment l’exigence de publication du résumé du contenu utilisé pour la formation des systèmes d’IA.

Ces codes devront ensuite être évalués par le Bureau de l’IA et le Comité de l’IA, puis approuvés par la Commission européenne. A défaut d’approbation, cette dernière établira des règles communes pour la mise en œuvre des obligations pertinentes. Bien qu’ayant une nature non contraignante, ce document, s’il est approuvé, sera précieux pour les acteurs publics qui mettent à disposition de leurs agents des systèmes d’IA à usage général afin d’anticiper au mieux leur conformité avec les dispositions du nouveau règlement.

 

[1] Article 113 du règlement sur l’IA

Le droit au bail du conjoint survivant n’ayant fait l’objet d’aucune renonciation expresse exclut tout transfert au profit des descendants

Par un arrêt rendu en date du 4 juillet 2024 et publié au Bulletin, la Cour de cassation a rappelé que, sauf renonciation expresse, le conjoint survivant cotitulaire d’un bail d’habitation bénéficie d’un droit exclusif sur le logement ayant servi à l’habitation commune des époux, excluant ainsi tout transfert du bail aux descendants.

En l’espèce, une société bailleresse du secteur social avait donné à bail un appartement à des époux, parents de deux enfants. Ces derniers se sont séparés et une ordonnance de non-conciliation rendue en 2013 a attribué le logement familial à l’épouse. Celle-ci étant décédée en 2016, l’époux qui ne demeurait plus dans les lieux depuis 2011 a signé un avenant au bail quelques jours après le décès pour le désigner comme restant seul titulaire du bail. Plusieurs suppléments de loyer de solidarité étant demeurés impayés par la suite, la société bailleresse a fait délivrer à l’époux un commandement de payer visant la clause résolutoire en 2018, puis l’a assigné quelques mois plus tard en expulsion et en paiement des arriérés.

Afin de s’opposer aux demandes de la société bailleresse, l’époux et ses enfants – intervenus volontairement dans la procédure – ont soutenu que les suppléments de loyer de solidarité n’auraient pas dû être appliqués en ce que l’époux n’avait jamais demandé à bénéficier du droit au bail et avait même envoyé une lettre en 2011 pour indiquer qu’il quittait le logement, tandis que les enfants avaient au contraire bénéficié d’un transfert du bail au décès de leur mère par application de l’article 14 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989. Ainsi, à défaut d’avoir pris en compte les revenus des enfants pour déterminer si des suppléments de loyer de solidarité étaient réellement dus, la société bailleresse devait être déboutée de l’ensemble de ses demandes.

La Cour d’appel de Paris ayant accueilli cette argumentation, la société bailleresse s’est pourvue en cassation.

Relevant que l’époux n’avait ni délivré congé ni expressément renoncé au droit au bail dont il bénéficiait en vertu de l’article 1751 du Code civil, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris en rappelant que le droit au bail était exclusif au conjoint survivant et ne pouvait entrer en concurrence avec aucun autre droit locatif, en ce compris le droit au transfert des descendants issu de l’article 14 de la loi précitée, confirmant ainsi un précédent arrêt rendu quelques années auparavant (Cass. Civ. 3e, 28 juin 2018, n° 17-20.409). L’époux étant seul titulaire du droit au bail, seuls ses revenus devaient donc être pris en compte pour déterminer si des suppléments de loyer de solidarité étaient dus, ce qui fut fait par la société bailleresse.

Ainsi que l’écrivait La Fontaine dans sa fable du Rat et de l’Huître, tel est pris qui croyait prendre : l’époux ne pouvait tout à la fois signer un avenant reconnaissant qu’il était seul titulaire du bail au décès de son épouse et prétendre que ses enfants avaient bénéficié d’un transfert du droit au bail afin d’échapper au paiement de suppléments de loyer de solidarité.

Burkini : la saga estivale continue

TA Nice, ord., 20 août 2024, n° 2404567

La période estivale n’a pas échappé aux désormais habituels arrêtés municipaux interdisant la baignade et l’accès aux plages en fonction de critères vestimentaires. Sont directement concernés par ces interdictions les « burkinis », tenues qui permettent à certaines femmes de confession musulmane de se baigner dans le respect de leurs convictions religieuses[1]. Selon les cas, cette tenue est considérée par les édiles comme non-conforme aux bonnes mœurs, au principe de laïcité ou encore à l’hygiène et à la sécurité de la baignade.

En la matière, rappelons qu’aux termes du considérant de principe dégagé dans son ordonnance du 26 août 2016[2], le juge des référés du Conseil d’Etat a jugé que les mesures de police tendant à réglementer l’accès à la plage et la pratique de la baignade – au rang desquelles figurent les arrêtés « anti-burkini » – « […] doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées au regard des seules nécessités de l’ordre public, telles qu’elles découlent des circonstances de temps et de lieu, et compte tenu des exigences qu’impliquent le bon accès au rivage, la sécurité de la baignade ainsi que l’hygiène et la décence sur la plage ».

La Haute juridiction avait ainsi rappelé, comme il est de principe en matière de police administrative, que les restrictions que le maire apporte, en tant qu’autorité de police, aux libertés, doivent être justifiées par des risques avérés d’atteinte à l’ordre public.

A noter qu’à la suite de cette ordonnance du Conseil d’État, plusieurs autres arrêtés municipaux ont été suspendus par les juges des référés des tribunaux administratifs, retenant l’absence de troubles à l’ordre public générés par les tenues prohibées[3]. Les 19 et 20 août derniers, ce sont les juges des référés des Tribunaux administratifs de Bastia (1) et de Nice (2) qui ont été amenés à se prononcer sur la légalité de telles interdictions.

1. Sans surprise et conformément à la jurisprudence constante sus-rappelée, l’interdiction du port du burkini sur la plage de Lecci, en Corse, a été suspendue par le juge des référés du Tribunal administratif de Bastia.

Dans cette affaire, le maire avait interdit, pour la période estivale, l’accès aux plages et la baignade à « toute personne n’ayant pas une tenue correcte respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité ainsi que le port de vêtements pendant la baignade ayant une connotation contraire à ces principes ». Le juge des référés a d’abord relevé qu’il n’était pas établi que le port des tenues prohibées par l’arrêté litigieux ait été susceptible de troubler l’ordre public sur le territoire communal. En l’absence de tels risques, il a en outre estimé que le contexte de menace terroriste et le climat de tension international dont l’arrêté́ faisait état, ainsi que la circonstance, au demeurant inexacte, relative au maintien de l’état d’urgence, ne pouvaient suffire à justifier légalement l’interdiction prévue par l’arrêté litigieux. Enfin, les considérations tenant au respect des règles d’hygiène et de sécurité́, qui figuraient également dans l’arrêté du maire de Lecci, n’ont pas davantage emporté la conviction du juge des référés puisqu’il n’était pas établi que le port des tenues prohibées serait constitutif d’un risque pour l’hygiène ou la sécurité́ des usagers des plages et des baigneurs.

Dans ces conditions, dès lors que l’interdiction ne reposait ni sur des risques avérés de troubles à l’ordre public, ni sur des motifs d’hygiène ou de sécurité́ de la baignade, le juge des référés a considéré que l’arrêté querellé portait une atteinte grave et illégale à la liberté d’aller et venir, à la liberté de conscience et à la liberté personnelle. Il en a, ce faisant, ordonné la suspension.

2. A l’inverse, et de manière plus remarquée, la demande de suspension de l’arrêté du maire de Mandelieu-la-Napoule a été rejetée sans audience (au motif de son caractère manifestement infondé, en application de l’article L. 522-3 du CJA) par le juge des référés du Tribunal administratif de Nice.

En l’occurrence, le maire a interdit, pour la période estivale, l’accès aux plages et la baignade à « toute personne ayant une tenue non respectueuse des règles de l’hygiène et de sécurité́ des baignades adaptées au domaine public maritime, à toute personne dont la tenue est susceptible d’entraver ses mouvements lors de la baignade et de compliquer les opérations de sauvetage en cas de noyade et à toute personne dont la tenue est susceptible d’entrainer, à l’instar des années 2012 et 2016, des troubles à l’ordre public, voire des affrontements violents ».

Saisi de cette interdiction, le juge des référés a considéré que celle-ci était justifiée, « dans le contexte actuel de cohabitation particulièrement tendue interreligieuse et intercommunautaire », par le risque de troubles à l’ordre public qu’est susceptible d’entraîner le port d’une tenue manifestant de manière ostentatoire la pratique d’un culte. C’est donc, selon les termes de l’ordonnance, « sans porter une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté́ de manifester ses convictions religieuses, ni commettre une discrimination à l’égard des femmes musulmanes, ni enfin, suggérer un quelconque lien entre le port du burkini et la menace terroriste » – répondant sur ce dernier point aux requérants, qui dénonçaient l’existence d’une stigmatisation résultant du lien direct que ferait l’arrêté́ entre le port du burkini et la menace terroriste –, que le maire a pu interdire l’accès aux plages et la baignade aux personnes vêtues de tenues regardées comme présentant un caractère religieux ostentatoire. Du point de vue des exigences en matière d’hygiène et de sécurité, le juge des référés a également retenu qu’en interdisant l’accès aux plages à toute personne dont la tenue est de nature à contrevenir à l’hygiène publique et à gêner les secours en cas de noyade, le maire n’a fait qu’user de manière adéquate et proportionnée de ses pouvoirs de police, sans porter une atteinte grave et manifestement illégale à aucune liberté fondamentale.

Cette ordonnance – rendue pour rappel sans audience – apparaît pour le moins surprenante dans la mesure où, en juillet 2023, le Conseil d’Etat avait déjà annulé une ordonnance similaire par laquelle le juge des référés du Tribunal administratif de Nice avait refusé de suspendre l’exécution d’un arrêté pris en des termes identiques par le maire de Mandelieu-la-Napoule[4].

La Haute juridiction avait en effet considéré que les incidents de 2012 et de 2016 sur lesquels se fondait l’arrêté de 2023 – au demeurant repris par l’actuel arrêté de 2024 –, qui avaient eu lieu plusieurs années auparavant, n’étaient pas susceptibles de faire apparaître que l’interdiction de tenues manifestant de manière ostensible une appartenance religieuse serait justifiée par des risques avérés de troubles à l’ordre public. Elle avait par ailleurs relevé que la commune n’apportait aucun élément relatif à un risque pour l’hygiène ou la sécurité des usagers de la plage et des baigneurs qui serait lié, par nature, au port de telles tenues, risque ici encore à nouveau repris par l’arrêté de 2024.

L’ordonnance rendue le 20 août dernier par le juge des référés du Tribunal administratif de Nice, qui apparaît donc s’inscrire à rebours de la solution dégagée par le Conseil d’Etat en juillet 2023, n’a, pour l’heure, semble-t-il, pas été frappée d’appel devant la Haute juridiction – ce compte tenu, probablement, de la sortie de vigueur prochaine de l’arrêté litigieux, dont l’exécution prendra fin le 31 août prochain.

Il est néanmoins permis de gager que, selon toute vraisemblance, la Haute juridiction aurait été amenée à retenir la même solution qu’en 2023.

 

[1] Plus précisément, contraction des termes « burqa » et « bikini », il s’agit d’un vêtement composé de deux ou trois éléments et couvrant l’ensemble du corps de la femme, à l’exception du visage, des mains et des pieds (Défenseur des droits, décision n° 2018-303 du 27 décembre 2018 relative au refus d’accès d’un établissement de bain à une femme musulmane portant un burkini).

[2]  CE, ord., 26 août 2016, n° 402742.

[3] V. pour un exemple parmi d’autres : TA Toulon, ord., 30 août 2016, n° 1602545.

[4] CE, ord., 17 juillet 2023, n° 475636.

Réforme pénale : Extension de l’accès au dossier d’instruction

La loi n° 2023-1059 en date du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice – précisée par une Circulaire du 2 août 2024 – entrera en vigueur le 30 septembre 2024. Au programme de celle-ci, une avancée significative en matière d’accès au dossier d’information judiciaire, la réforme permettant désormais aux parties de se faire délivrer copie de tout ou partie des pièces et actes du dossier dès réception de la convocation en vue de leur première comparution ou audition de partie civile. Cet accès est même renforcé pour les parties civiles qui pourront solliciter une copie du dossier dès leur constitution de partie civile, quand bien même elles n’auraient pas été auditionnées. Notons toutefois que le juge d’instruction peut s’opposer à cette demande, par ordonnance motivée, susceptible d’appel devant le président de la chambre de l’instruction.

Cette modification de l’article 114 du Code de procédure pénale est d’autant plus opportune dans le contexte de l’annulation, par décision du Conseil d’Etat du 24 juillet dernier, des dispositions du décret n° 2022-546 du 13 avril 2022 autorisant les avocats à photographier ou scanner la procédure lors de la consultation du dossier. Outre ces deux aspects procéduraux, cette réforme comporte plusieurs dispositions importantes notamment et non exhaustivement:

  • l’allongement du délai de pourvoi en matière pénale qui passe de 5 à 10 jours francs (article 568 du Code de procédure pénale) ;
  • la suppression de la déclaration d’intention dans le cadre de l’instruction (article 175 du Code de procédure pénale) ;
  • une modification des conditions pour solliciter une démise en examen ;
  • un allègement des modalités pour désigner un avocat dans le cadre d’une instruction ;
  • de nouvelles règles en matière de justice des mineurs (mise à l’épreuve éducative, simplification des significations et citations etc.) ;
  • une évolution du régime des mesures de sureté (contrôle judiciaire, détention provisoire, assignation à résidence etc.) ;
  • une extension du recours aux moyens de communication en distanciel (Interrogatoire de première comparution pour les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) compétentes en Outre-mer, interprète, médecin etc.).

Un agent qui est directement et personnellement exposé à un risque avéré d’atteinte volontaire à son intégrité physique ou à sa vie a droit à la protection fonctionnelle

Par un arrêt en date du 7 juin 2024, le Conseil d’Etat met fin à une « conception exagérément restrictive de la protection fonctionnelle »[1] et précise que celle-ci s’applique également à l’agent public exposé à un risque avéré d’atteinte à son intégrité physique.

En l’espèce, deux affaires étaient portées devant le Conseil d’Etat par le ministère de l’Intérieur et des Outre-mer. Le 3 octobre 2019, un individu s’était introduit au sein des locaux de la préfecture de police de Paris et avait assassiné trois policiers. Deux agentes, présentes sur les lieux, n’ont pas été blessées mais se sont retrouvées face à l’auteur de l’attentat, ce qui les a traumatisées. Les agentes, constituées partie civile dans la procédure pénale engagée contre l’auteur, ont sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle aux fins, notamment, que leurs frais de représentation exposés dans cette instance soient pris en charge par leur employeur comme le permet la jurisprudence administrative de longue date[2]. Cette demande avait toutefois été rejetée par le ministre de l’Intérieur. Saisi par les agentes à l’issue d’un rejet de leur recours gracieux, le Tribunal administratif de Paris a annulé ce refus, décision confirmée par la Cour administrative d’appel de Paris. Le ministre a donc porté cette affaire devant le Conseil d’Etat. Le Conseil d’Etat rejette la requête du ministre et confirme l’analyse des juges du fond. Il précise le champ d’application de la protection fonctionnelle et en ouvre le bénéfice :

« 4. Cette obligation de protection s’applique également lorsque l’agent est directement et personnellement exposé à un risque avéré d’atteinte volontaire à son intégrité physique ou à sa vie en raison de sa qualité d’agent public. ».

Dans ses conclusions sur cette décision le rapporteur public explique que l’article L. 134-5 du Code général de la fonction publique protège non seulement les agents contre les atteintes à leur intégrité physique mais également contre « les menaces » qu’ils pourraient subir. Ainsi l’existence d’un risque grave et immédiat de subir une atteinte à son intégrité constitue nécessairement une menace au sens de cet article. De plus, contrairement à ce qui était invoqué par le ministère, le rapporteur public estime que bien que la menace doive être personnelle, son motif n’a pas besoin de l’être ; il suffit que la menace soit motivée par les fonctions exercées par l’agent pour lui ouvrir droit à la protection fonctionnelle.

Dans ces conditions, les agents répondant aux conditions pour bénéficier de la protection fonctionnelle, l’administration ne pouvait leur refuser et ce quand bien même un autre régime leur offrirait une protection équivalente[3].

 

[1] Conclusions du rapporteur public sur l’affaire Monsieur Labrune ;

[2] CE, 2 avril 2003, M. C., n° 249805, 249862.

[3] CE,14 février 1975, n° 87730, au rec.

Une activité de DJ ne saurait être regardée comme une activité accessoire autorisée

Par une décision en date du 10 juillet 2024, le Conseil d’Etat a précisé que l’exercice d’une activité d’animation de soirées musicales à titre commercial, en dépit de la mise en demeure de cesser ces activités et du blâme infligé et alors qu’elle ne relevait d’aucune des catégories d’activités accessoires dont le cumul peut être autorisé, est de nature à justifier l’édiction d’une sanction disciplinaire de révocation, quand bien même cette activité ne l’aurait pas empêché d’accomplir les missions qui lui étaient dévolues dans le cadre de son emploi.

En l’espèce, un adjoint technique territorial de 2ème classe exerçant les fonctions d’agent de maintenance des bâtiments au sein d’un collège a été révoqué pour avoir méconnu les dispositions liées au cumul d’activités ainsi que son obligation d’obéissance hiérarchique, en continuant d’exercer, malgré les demandes de son employeur d’y mettre un terme, une activité de DJ à titre commercial.

D’abord rejetée par le Tribunal administratif de Bordeaux, la requête en annulation avait ensuite été accueillie par la Cour administrative d’appel de Bordeaux en annulant la révocation, compte tenu du fait que les faits litigieux n’avaient causé aucun préjudice à l’administration ou à un tiers et n’avaient pas davantage, en dépit de leur réitération, mis en cause l’intérêt ou la dignité du service. La Cour en avait déduit que la sanction de révocation édictée par le Département n’était pas proportionnée au regard de la faute commise.

Le Conseil d’Etat n’a pas partagé l’analyse de la Cour. Selon lui, eu égard à la gravité des manquements, « toutes les sanctions moins sévères que la révocation susceptible d’être infligées à M. A… en application de l’article 29 de la loi du 13 juillet 1983, étaient, en raison de leur caractère insuffisant, hors de proportion avec les fautes qu’il avait commises ». Cette décision rappelle notamment les limites strictes fixées par le statut à l’exercice d’activités accessoires. Elles sont limitativement énumérées à l’article 11 du décret n° 2020-69 du 30 janvier 2020 relatif aux contrôles déontologiques dans la fonction publique.

Or, une activité exercée à titre commercial d’animation de soirées musicales ne correspond ni à une activité à caractère sportif ou culturel, y compris d’encadrement et d’animation dans les domaines sportif, culturel ou de l’éducation populaire, ni ne caractérise une œuvre de l’esprit au sens de l’article L.112-2 du Code de la propriété intellectuelle, susceptible d’être exercée librement.

La circonstance que cette activité « accessoire » ne soit pas incompatible avec l’exercice par l’agent de ses fonctions était sans incidence sur la méconnaissance de ses obligations statutaires.

Changement d’affectation motivée sur la manière de servir de l’agent : attention à la sanction déguisée

On le sait, le fonctionnaire n’est pas titulaire de ses fonctions mais uniquement de son grade. L’employeur public peut donc décider de son changement d’affectation pour un motif tiré de l’intérêt du service, lequel peut éventuellement être attaché à la manière de servir de l’agent, s’il apparait qu’elle nuit au bon fonctionnement de son service. Le risque est néanmoins, dans ces cas, d’une requalification de la mesure en sanction déguisée. Si une telle qualification est retenue, le changement d’affectation fera inévitablement grief à l’agent, pourra alors faire l’objet d’un recours et être annulée par le juge administratif, en raison, notamment en considération de la méconnaissance de la procédure contradictoire propre à la procédure disciplinaire. Pour procéder à cette qualification, le juge s’attache à deux critères :

  • L’intention répressive de l’auteur de la mesure ;
  • L’atteinte à la situation du fonctionnaire, c’est-à-dire de le priver d’une partie des droits ou des avantages liés à sa fonction.

C’est précisément le contrôle qu’a opéré le Tribunal administratif de Bordeaux dans son jugement du 12 juillet. En l’espèce, un CHU avait décidé de changer d’affectation un ambulancier en raison de son comportement et plus précisément au motif du non-respect des mesures de protection contre la covid-19, le refus de respecter des ordres du supérieur hiérarchique, le refus du port de la ceinture de sécurité qui impactent la prise en charge des patients et des reproches impactant le travail collectif et la posture managériale. Le juge relève toutefois que le CHU ne justifiait sa décision par aucun motif d’intérêt du service, en se bornant à évoquer de manière générale les impacts de son comportement sur le travail collectif. Or, au regard de l’ensemble des reproches faits à l’intéressé mais surtout à la circonstance qu’au cours d’un entretien, l’intéressé a été informé que si une nouvelle problématique de comportement était identifiée, il serait sanctionné par un avertissement, le juge a considéré que le changement d’affectation revêtait principalement un caractère disciplinaire et s’apparentait à une sanction.

Il a donc annulé la décision de changement d’affectation.

Dès lors, outre les motifs avancés pour justifier le changement d’affectation de l’agent, qui doivent être très clairement et explicitement fondés sur l’intérêt du service, ce jugement nous montre qu’il convient de prêter une attention particulière à l’ensemble de la procédure et du contexte précédant la mesure, tels que les entretiens éventuels organisés avec l’agent, qui ne doivent pas révéler une volonté de sanctionner l’agent.

Décret BRS du 16 juillet 2024 (2/2) : mise en œuvre du bail réel solidaire (BRS) et du bail réel solidaire d’activité (BRSA)

L’article 2 du décret n° 2024-838 en date du 16 juillet 2024 apporte deux séries de modifications :

En premier lieu, il fait évoluer les conditions de mise en œuvre du bail réel solidaire – ici BRS (art. R. 255-1 et suivants du Code de la construction et de l’habitation) :

  • A compter du 1er janvier 2025, le preneur d’un BRS ne pourra plus être propriétaire d’un logement adapté à ses besoins et ses capacités susceptible de constituer sa résidence principale ou de lui procurer des revenus suffisants pour lui permettre d’établir sa résidence principale dans un logement du parc privé (nouvel article R. 255-1-1 du CCH). Cette situation est établie au moyen d’une attestation sur l’honneur ;
  • le preneur d’un BRS est expressément autorisé à louer tout ou partie du logement objet de son BRS, après en avoir informé préalablement l’organisme de foncier solidaire – ici OFS (il n’est pas fait mention, en revanche, d’une autorisation à obtenir). Toutefois, le BRS peut interdire cette faculté ;
  • enfin, s’agissant des BRS « locatifs » (hypothèse marginale à l’heure actuelle), il est précisé que les plafonds de loyers et de ressources sont ceux applicables aux PLUS, PLS et PLAI.

En second lieu, l’article 2 du décret fixe les modalités de mise en œuvre des baux réels solidaires d’activités (BRSA) consacrés par la loi dite « 3DS » n° 2022-217 du 21 février 2022 et définis par l’ordonnance n° 2023-80 du 8 février 2023. Sur ce point, on notera en particulier que :

  • les plafonds de prix de cession des droits réels dans le cadre des BRSA (de même que les plafonds de loyers dans le cas des BRSA locatifs) sont fixés par l’OFS, qui doit retenir une « décote significative » par rapport à la valeur, sur le marché libre, de locaux similaires et situés à proximité ;
  • la revente des droits réels immobiliers dans le cadre des BRSA est régie par des règles équivalentes à celles en vigueur pour les BRS (la valeur d’acquisition peut être actualisée par application d’un indice choisi par l’OFS et peut être majoré de la valorisation de travaux d’amélioration effectués) ;
  • les critères d’éligibilité aux micro-entreprises sont précisés (art. R. 256-3 du CCH) ;
  • la conclusion d’un BRSA (ou d’un contrat d’occupation en cas de BRSA locatif) doit être précédée d’une publicité d’une durée minimale de deux mois dans un journal d’annonces légales ;
  • il est prévu, de la même manière que pour le BRS, une garantie de rachat.

Décret bail réel solidaire du 16 juillet 2024 (1/2) : évolution des modalités de gestion des organismes de foncier solidaire

Le décret n° 2024-838 du 16 juillet 2024, paru le 17 juillet 2024, apporte plusieurs modifications aux modalités de gestion des organismes de foncier solidaire (OFS).

En premier lieu, l’article 1er du décret définit le caractère subsidiaire de l’activité des OFS relative aux bail réel solidaire d’activité (BRSA) : pour mémoire, la loi dite « 3DS » n° 2022-217 du 21 février 2022 avait consacré la possibilité pour les OFS, à titre subsidiaire, de réaliser ou faire réaliser des locaux d’activité sur des terrains acquis ou gérés au titre de leur activité principale (production de logements en bail réel solidaire – ici BRS), le dispositif du BRSA ayant par la suite été défini par l’ordonnance n° 2023-80 du 8 février 2023. Le décret du 16 juillet 2024 précise cette notion de subsidiarité, ces locaux devant représenter au plus 30 % de la surface de plancher affectée aux logements en BRS d’une même opération.

En deuxième lieu, l’article 1er du décret apporte des précisions financières et comptables en :

  • renforçant les obligations des OFS en termes de tenue d’une comptabilité séparée (séparation des résultats de l’activité de BRS des résultats de l’activité BRSA) ;
  • introduisant, s’agissant des règles d’affectation des résultats, la possibilité d’une « fongibilité asymétrique » des excédents budgétaires : alors que les résultats de l’activité de BRS sont entièrement affectés au maintien et au développement de cette activité, les résultats de l’activité de BRSA sont affectés au développement et au maintien de cette activité mais aussi de l’activité de BRS ;
  • assouplissant les règles relatives aux réserves financières obligatoires, l’OFS n’ayant plus que l’obligation d’y affecter une part de ses bénéfices suffisante pour assurer la pérennisation de l’ensemble des BRS conclus (auparavant, les recettes devaient y être intégralement affectées).

Enfin, en troisième lieu, l’article 1er du décret du 16 juillet 2024 apporte des précisions sur les procédures de contrôle et d’agrément des OFS :

  • s’agissant de la procédure d’instruction de la demande d’agrément :
    • la loi 3DS avait ajouté l’avis préalable obligatoire du Comité Régional de l’Habitat et de l’Hébergement (CRHH). Le décret met les textes réglementaires en conformité avec cette disposition, faisant de l’avis de CRHH une pièce obligatoire de la demande d’agrément, de sorte que le délai d’instruction ne court pas tant que le CRHH n’a pas rendu son avis, l’organisme ne pouvant donc se prévaloir d’aucun agrément tacite.
    • le contrôle sur la demande d’agrément est renforcé, puisqu’il devra être justifié du besoin en logement en accession sociale à la propriété sur le territoire concerté par la demande, compte tenu de la population.
  • s’agissant du contrôle de l’activité,
    • le contenu du rapport d’activité prévu à l’article R. 329-11 du Code de de l’urbanisme est précisé pour tenir compte de l’activité en BRSA, mais aussi, s’agissant des organismes HLM agréés en qualité d’OFS, de la vente HLM réalisée en BRS ;
    • toute modification de statuts ou des documents constitutifs de l’OFS sera transmis par le Préfet au CRHH pour information.
    • Précisons pour les OFS clôturant leurs comptes à une date autre que le 31 décembre que le rapport d’activité devra désormais être remis au préfet ayant délivré l’agrément au plus tard le 31 juillet de chaque année.