Annulation du décret sur l’emballage plastique de certains fruits et légumes

La loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (AGEC) a consacré l’interdiction de conditionner les « fruits et légumes frais non transformés », dans un emballage composé, pour tout ou partie, de plastique (article L. 541-15-10, III, al. 16 du Code de l’environnement).

Il est possible de déroger à cette interdiction pour les lots supérieurs à 1,5 kg ou pour les « fruits et légumes présentant un risque de détérioration lors de leur vente en vrac dont la liste est fixée par décret ».

En application de cette disposition, un premier décret a été adopté en 2021 (Décret n° 2021-1318 du 8 octobre 2021), avant de faire l’objet d’une annulation contentieuse par le Conseil d’État (CE, 9 décembre 2022, n° 458440).

À la suite de cette annulation, un nouveau décret (Décret n° 2023-478 du 20 juin 2023) a été adopté par le Gouvernement.

Un recours en annulation contre ce dernier décret, formé par deux syndicats professionnels du secteur, a été accueilli par l’arrêt, ici commenté, du Conseil d’État, le 8 novembre 2024. Celui-ci s’est fondé sur un vice substantiel de procédure.

En principe, conformément à la directive 2015/1535 du 9 septembre 2015, les projets de normes techniques doivent faire l’objet d’une communication par les États membres auprès de la Commission (article 5, §1 de la directive précitée). Un report d’adoption de trois mois est prévu (art. 6, §1), susceptible d’être allongé à 12 mois « si, dans les trois mois qui […] suivent [la communication], la Commission fait part du constat que le projet de règle technique porte sur une matière couverte par une proposition de directive, de règlement ou de décision présentée au Parlement européen et au Conseil » (art. 6, §4).

En l’espèce, le Gouvernement a respecté l’obligation initiale de communication à la Commission. Celle-ci a invité la France à un report de 12 mois, dans la mesure où son objet était susceptible de couvrir celui du projet de règlement européen sur les emballages et déchets d’emballages. Or, le Gouvernement ne s’est pas conformé au délai de report prescrit par la Commission – de douze mois, soit jusqu’au 15 décembre 2023 – en adoptant le décret litigieux le 20 juin 2023.

À ce titre, au visa de la jurisprudence Papier Mettler Srl c/ Italie de la CJUE (CJUE, 21 décembre 2023, C86/22) le Conseil d’État annule le décret, en ce qu’il est « entaché, du fait de son adoption avant l’expiration de la période de report […] », telle que demandée par la Commission, « d’un vice substantiel justifiant son annulation […] ».

Cette annulation intervient dans un contexte où la procédure d’adoption du nouveau règlement européen sur les emballages et déchets d’emballages, réformant la directive 94/62/CE du 20 décembre 1994 est largement avancée. Un nouveau décret, s’il était adopté dans les mêmes conditions, risquerait d’être soumis à cette même période de report décidée par la Commission.

Aides d’État – La Commission européenne approuve la compensation de service public accordée à Corsica Linea et à La Méridionale pour la prestation de services de transport maritime vers la Corse entre 2023 et 2030

En décembre 2022, les sociétés Corsica Linea et La Méridionale se sont vues attribuer cinq contrats de prestation de services de transport maritime de passagers et de fret entre Marseille et cinq ports corses pour la période 2023-2030. La France a notifié à la Commission européenne (ci-après, la « Commission ») l’octroi d’une compensation de 853,6 millions d’euros (ci-après, la « Compensation ») à ces sociétés pour la fourniture de ces services.

Pour rappel, en application des règles de l’Union européenne en matière d’aides d’État, les entreprises peuvent, moyennant le respect de certains critères, bénéficier d’une compensation destinée à couvrir le surcoût inhérent à la prestation d’un service public dont elles sont chargées de l’exécution. Les États membres peuvent ainsi octroyer des aides d’État pour la prestation de services publics, tout en veillant à ce que les entreprises auxquelles ces services ont été confiés ne bénéficient pas d’une surcompensation, ce qui permet de réduire au maximum les distorsions de concurrence et de garantir une utilisation efficiente des ressources publiques.

L’une des conditions essentielles pour octroyer des compensations de service public à une entreprise est que cette dernière soit effectivement chargée d’un service public ou pour reprendre la terminologie européenne d’un service d’intérêt économique général (ci-après, « SIEG »). Or, si les États membres disposent d’un large pouvoir d’appréciation quant à la définition de ce qu’ils considèrent être un SIEG, la Commission exerce un contrôle sur cette qualification (lequel demeure, en principe, limité à l’erreur manifeste d’appréciation).

Le principal contrôle exercé par la Commission sur la qualification des SIEG est que les États membres ne qualifient pas de tels des services qui sont satisfaits par le jeu normal du marché. La Commission « considère [effectivement] qu’il ne serait pas opportun d’assortir d’obligations de service public spécifiques une activité qui est déjà fournie ou peut l’être de façon satisfaisante et dans des conditions (prix, caractéristiques de qualité objectives, continuité et accès au service) compatibles avec l’intérêt général, tel que le définit l’État, par des entreprises exerçant leurs activités dans des conditions commerciales normales »[1].

En l’espèce, la Commission a précisément considéré qu’elle avait besoin d’informations supplémentaires pour déterminer si la compensation publique versée aux sociétés Corsica Linea et La Méridionale était conforme aux règles de l’UE en matière d’aides d’État. Elle souhaitait en particulier s’assurer qu’il était véritablement nécessaire de qualifier de SIEG certaines prestations confiées à ces entreprises et de leur imposer des obligations de service public. La Commission a par conséquent décidé d’ouvrir une enquête approfondie afin d’apprécier si :

  • l’inclusion du transport de marchandises par camions remorques et des conducteurs de poids lourd dans les contrats est justifiée par un besoin de service public, compte tenu de la présence sur le marché d’une offre commerciale développée depuis le port voisin ;
  • le volume du trafic de fret devant être transporté en vertu des contrats ne dépasse pas le besoin de service public défini par les autorités françaises.

Après avoir procédé à un examen approfondi des informations qui lui ont été communiquées dans le cadre de cette enquête, la Commission a considéré que l’offre du marché disponible dans le port de Marseille et les ports voisins n’était pas en mesure d’absorber la totalité de la demande des utilisateurs pour leur trafic de marchandises par camions remorques avec la Corse. Partant, elle a conclu à l’existence d’une carence de l’initiative privée et à la possibilité de qualifier le transport de marchandises par camions remorques et des conducteurs de poids lourd de SIEG ainsi que d’imposer des obligations de service public aux sociétés attributaires pour satisfaire ce service. En outre, la Commission a également constaté que les volumes minimaux de fret à transporter fixés par les contrats de service public n’étaient manifestement pas disproportionnés au regard des besoins constatés.

Dès lors que les autorités françaises n’ont pas commis d’erreur manifeste d’appréciation dans la qualification du SIEG et que le montant de la Compensation était strictement limité à ce qui était nécessaire pour compenser les obligations de service public mises à la charge des sociétés attributaires, la Commission a autorisé ladite compensation en vertu des règles de l’Union en matière d’aides d’État.

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[1] Communication de la Commission relative à l’application des règles de l’Union européenne en matière d’aides d’État aux compensations octroyées pour la prestation de services d’intérêt économique général, 2012/C 8/02, 11 janvier 2012.

Vers une extension du soutien étatique à la production photovoltaïque

CRE, 24 octobre 2024, n° 2024-195

Deux délibérations de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) se prononçant sur des projets de textes réglementaires annoncent un élargissement à venir du champ d’application des dispositifs de soutien étatique (obligation d’achat et complément de rémunération) à la production d’électricité photovoltaïque.

Par une première délibération n° 2023-334 du 16 novembre 2023, mise en ligne seulement le 4 novembre 2024, la CRE s’était prononcée, d’une, part sur un projet de décret relatif aux catégories d’installations éligibles à l’obligation d’achat et au complément de rémunération et, d’autre part, sur un projet d’arrêté fixant les conditions d’achat et de complément de rémunération de l’électricité produite par les installations au sol utilisant l’énergie solaire photovoltaïque et situées en métropole continentale d’une puissance crête installée inférieure ou égale à 1 mégawatt.

Par ces deux textes, l’Etat projetait :

  • D’une part, d’ouvrir le soutien via le guichet ouvert aux installations utilisant l’énergie solaire photovoltaïque implantées sur terrains dégradés ou bénéficiant de dispositif de suivi de la course du soleil sur deux axes d’une puissance crête installée inférieure à 1 MWc3, lesdites installations n’en bénéficiant pas auparavant ;
  • D’autre part, de permettre à certaines installations photovoltaïques au sol en métropole continentale (installations de puissance crête installée comprise entre 500 kWc et 1 MWc), auparavant éligibles à un soutien par appel d’offres, de bénéficier d’un soutien directement via un guichet ouvert.

Dans la délibération du 16 novembre 2023, la CRE s’était prononcée globalement de manière favorable au dispositif, mais avait néanmoins formulé un certain nombre d’observations et de recommandations (mises en cohérences, modifications du projet).

L’Etat a donc revu le texte initial de l’arrêté et soumis un nouveau projet de texte à la CRE, qui reprend certaines recommandations formulées dans sa délibération du 16 novembre 2023 et modifie certaines dispositions n’ayant pas d’ores et déjà fait l’objet d’un avis de la CRE. En revanche, aucun nouveau projet de décret n’a été soumis à la CRE.

Par une délibération n° 2024-195 du 24 octobre 2024, la CRE se prononce favorablement sur le dispositif, elle note qu’un certain nombre de ses recommandations de novembre 2023 ont été suivies, et en formule de nouvelles.

Validation des tarifs d’entretien du matériel roulant pour trois lots ouverts à la concurrence remportés par des sociétés dédiées de SNCF Voyageurs

Par un avis du 24 octobre 2024, l’Autorité de régulation des transports (ci-après, « ART ») a validé le projet de tarification des redevances relatives aux prestations régulées fournies par les sociétés dédiées de SNCF voyageurs dans leurs cinq centres d’entretien du matériel roulant pour les horaires de service 2025 et 2026. L’ART a, par ailleurs, assorti cette validation de trois recommandations.

Rappelons que cette saisine s’inscrit dans le cadre de la mise en exploitation, à partir du 14 décembre 2024, des premiers lots ouverts à la concurrence remportés par les sociétés dédiées de SNCF Voyageurs.

Dans son avis, L’ART souligne la réalisation de travaux d’optimisation des coûts par ces entités, qui permettent d’afficher des tarifs compétitifs par rapport aux tarifs régulés des centres de maintenance de SNCF Voyageurs.

L’ART considère que la méthodologie proposée pour l’élaboration des tarifs est acceptable au regard du contexte et des enjeux. Afin de construire les futures offres de référence de maintenance sur le fondement de données fiabilisées, l’Autorité recommande d’abord la mise en place d’outils permettant de mesurer les temps et fréquences d’utilisation réels des différentes installations de maintenance.

SNCF Voyageurs a engagé des travaux d’optimisation de l’organisation opérationnelle des centres de maintenance pour ses sociétés dédiées. Afin d’encourager leur poursuite, l’ART recommande, ensuite, de mesurer les gains de productivité réellement constatés au cours des prochains horaires de service.

Enfin, en ce qui concerne la consistance des offres proposées par les sociétés dédiées, L’ART recommande de clarifier l’offre relative au nettoyage du matériel roulant afin de garantir un accès transparent et non discriminatoire à cette prestation.

L’extension de la protection fonctionnelle : Mode d’emploi

Ces dernières années, la jurisprudence a considérablement précisé le corpus juridique encadrant la protection fonctionnelle. A ce titre, elle a à la fois largement étendu la catégorie des bénéficiaires tout en précisant les infractions qui ouvrent le droit à une telle protection. Le point d’orgue de l’évolution du régime résidant dans la loi du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux[1] qui a largement fait évoluer les modalités d’octroi de la protection fonctionnelle en distinguant selon la qualité de l’élu, auteur présumé ou victime.

Comment obtenir la protection fonctionnelle ?

Depuis la loi du 21 mars 2024, on distingue deux situations pour octroyer la protection fonctionnelle. D’une part, celle dans laquelle l’élu fait l’objet de poursuites pénales[2]. Dans cette situation, les modalités d’octroi de la protection fonctionnelle restent inchangées. Ainsi, son octroi n’est pas explicitement assujetti à une demande préalable de l’élu intéressé par les textes. Néanmoins, l’élu concerné ne pourra se prévaloir d’un quelconque refus de la collectivité s’il n’a pas formulé de demande en ce sens, de sorte que cette demande s’impose généralement en pratique, ne serait-ce que pour définir le champ précis de la demande de protection. Partant, un courrier sera adressé au Maire par l’élu poursuivi ou, si le Maire est poursuivi pénalement, à l’élu le suppléant.

Cette demande doit conduire à l’inscription à l’ordre du jour de la plus prochaine séance du conseil municipal de l’octroi de la protection fonctionnelle sollicitée. La protection ne peut être accordée à un élu que par délibération de l’organe délibérant de la collectivité[3]. Il en va de même pour le refus de la protection fonctionnelle : le juge administratif censure ainsi le refus opposé par un maire à l’octroi de la protection fonctionnelle d’un ancien élu, au motif qu’il n’était pas compétent pour prendre une telle décision[4]. Notons encore que la Cour administrative d’appel de Versailles a, à cette occasion, précisé que le maire ne peut faire obstacle à l’inscription à l’ordre du jour de la demande de protection fonctionnelle[5]. Toutefois, en pratique, on voit difficilement comment contraindre le maire à une telle inscription sauf à ce que le préfet ou le tiers des membres du conseil municipal lui en fasse la demande expresse. L’on précisera, enfin, que l’élu concerné par la demande de protection fonctionnelle ne peut participer au conseil délibérant sur sa demande, ce qui non seulement entache la décision d’illégalité, mais expose également l’intéressé à un risque de conflit d’intérêt et à des poursuites pour prise illégale d’intérêt[6].

D’autre part, les modalités d’octroi de la protection fonctionnelle dans la situation où l’élu est victime ont été considérablement refondues par la loi du 21 mars 2024[7]. Auparavant, le conseil municipal était aussi seul compétent pour octroyer la protection fonctionnelle. Désormais, le 3ème alinéa de l’article L. 2123-35 du Code général des collectivités territoriales prévoit que l’élu en question doit formaliser une demande au maire ou, s’il s’agit du maire, à l’élu le suppléant. Ainsi, il apparait que le législateur remet en cause la jurisprudence selon laquelle il n’était pas nécessaire qu’une demande écrite formalisée soit adressée[8]. Bien plus, un accusé de réception de cette demande doit être remis à l’expéditeur. Cet accusé de réception est d’autant plus nécessaire qu’il marque le point de départ du délai de 5 jours au terme duquel l’élu sera réputé bénéficier de la protection fonctionnelle à la condition que le maire ou l’élu le suppléant ait accompli deux diligences dans ce laps de temps. Il s’agit, d’une part, de transmettre la demande au préfet de département, à travers une télétransmission dans des conditions identiques à celles mises en œuvre dans le cadre du contrôle de légalité[9] et, d’autre part, d’informer les membres du conseil municipal. S’agissant de cette information, le législateur n’a apporté aucune précision sur les modalités selon lesquelles elle devrait être faite. De sorte que le maire ou l’élu le suppléant semble jouir d’une totale marge de manœuvre. On pourrait notamment penser, afin de se ménager la preuve de la délivrance d’une telle information, à l’utilisation de la plateforme sécurisée de communication des documents aux élus préalablement aux séances du conseil municipal. A défaut de réaliser ces diligences dans le délai de 5 jours à compter de l’accusé de réception de la demande, l’élu est réputé bénéficier de la protection fonctionnelle dès lors que la télétransmission et l’information ont été réalisées. Il semble donc que si ces diligences ne sont pas réalisées dans un même temps, seule la réalisation de la seconde diligence ouvre le droit à la protection fonctionnelle.

L’information des élus est ensuite portée à l’ordre du jour de la séance suivante du conseil municipal qui peut alors décider de l’abroger ou de la retirer. Cette abrogation ou ce retrait peut même intervenir plus tardivement dès lors que le délai de 4 mois à compter de son octroi est respecté[10]. Dans ce délai de 4 mois à compter de l’octroi de la protection fonctionnelle, le maire est tenu de convoquer tout conseil municipal à la demande d’un seul de ses membres. L’aléa du retrait ou de l’abrogation pèse donc lourdement sur l’élu bénéficiaire pendant 4 mois.

Si l’article L. 2123-35 du CGCT a été présenté comme l’avancée majeure de la réforme de la protection fonctionnelle en promettant de faciliter son octroi via une attribution automatique, relevons néanmoins que, en pratique, sa mise en œuvre peut sembler complexe et implique l’intervention des élus à de multiples niveaux.

Notons enfin que, dans l’attente d’un positionnement définitif du Conseil d’Etat, la Cour administrative d’appel de Versailles a récemment admis une extension du bénéfice de la protection fonctionnelle à tous les conseillers municipaux, même ceux n’ayant pas reçu de délégation du maire et n’exerçant en conséquence pas de fonction exécutive[11]. Cet arrêt entre en contrariété avec un arrêt plus ancien de la Cour administrative d’appel de Nancy qui avait lui refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle aux élus qui n’exerçaient aucune fonction exécutive[12]. Ces décisions invitent donc pour le moment à la prudence.

A quelles conditions ?

La protection fonctionnelle à l’élu victime consiste pour la Collectivité à « protéger » l’élu « contre les violences, menaces ou outrages dont ils pourraient être victimes à l’occasion ou du fait de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté »[13].

Il est important de relever que ces dispositions applicables aux élus ne visent que trois qualifications pénales, les violences, les menaces et les outrages, alors que l’article L. 134-5 du Code général de la fonction publique offre au bénéfice des agents publics une énumération beaucoup plus complète des infractions susceptibles d’être couvertes par la protection fonctionnelle[14]. Toutefois, le juge administratif considère que la protection fonctionnelle n’est pas limitée aux cas énumérés par les textes, et qu’elle peut être accordée « à raison de toutes menaces ou attaques dont ces élus feraient l’objet à l’occasion ou du fait de leurs fonctions » ; pour un exemple en matière de diffamation[15].

Notons bien que le juge administratif se réfère à sa propre notion de « menaces ou d’attaques » plutôt qu’à la qualification pénale exacte des faits dénoncés par la victime. Du reste, le juge administratif s’est toujours positionné dans une démarche d’unification des régimes de protection fonctionnelle entre celui des agents publics et celui des élus. Les atteintes volontaires à l’intégrité physique et le harcèlement peuvent donc relever du champ d’application de la protection fonctionnelle des élus.

A l’inverse, dans la mesure où aucun texte ne renvoie à des qualifications pénales non-intentionnelles, le juge administratif considère que des faits qualifiables pénalement de blessures involontaires ne peuvent relever du champ d’application de la protection[16]. Un élu communal victime d’une bousculade non intentionnelle ne sera donc pas, en l’état du droit, éligible à la protection fonctionnelle. Il pourra en revanche, dans une certaine mesure, bénéficier de l’article L.2123-31 du CGCT.

Enfin, le contrôle du juge administratif s’opère sur le lien avec les fonctions ; ainsi l’élu qui subirait « des attaques ou des menaces » pour des raisons personnelles et non liées à ses fonctions ne serait pas non plus éligible à la protection.

La protection fonctionnelle à l’élu auteur d’infraction[17] est par essence différente de la première, puisque l’élu n’est plus victime d’une infraction mais son auteur supposé. La condition est que les faits ne doivent pas avoir le « caractère de faute détachable de l’exercice de ses fonctions ».

A ce titre, le Tribunal des Conflits et le juge administratif ont élaboré depuis des décennies une jurisprudence abondante mais clairvoyante sur le sujet, dont la principale clé de voutes est qu’une infraction pénale (y compris intentionnelle[18]) n’est pas nécessairement – ipso facto – une faute détachable[19], sauf s’il s’agit d’un crime[20] ; ils n’ont depuis pas varié.

La Cour de cassation, dans sa formation pénale, partageait initialement cet état d’esprit jurisprudentiel : « Attendu qu’en l’état de ces seules énonciations procédant de ses constatations souveraines et abstraction faite d’un motif surabondant voire erroné selon lequel la faute pénale serait nécessairement une faute personnelle détachable des fonctions, la cour d’appel a justifié sa décision »[21].

Un arrêt récent semblerait démontrer que la Cour de cassation ne souhaite désormais plus adhérer à ce pacte jurisprudentiel, à tout le moins en matière d’infraction d’atteinte à la probité. L’arrêt du 8 mars 2023 indique que : « En effet, d’une part, les infractions de prise illégale d’intérêts sont détachables des mandats et fonctions publics exercés par leur auteur »[22]. Il vient donc considérer que le fait de prise illégale d’intérêts constitue nécessairement une faute personnelle et détachable, sans utiliser les critères traditionnellement dégagés par les deux ordres juridictionnels. Avouons que l’on perd en nuance, car il y a des situations de conflit d’intérêts pénal où l’auteur du délit, au sens de la jurisprudence administrative, n’a pas recherché une préoccupation d’ordre privé, un intérêt de lucre, ou encore dans des conditions de particulière gravité, mais sera tout de même pénalement sanctionné.

Du reste, prenons garde : la protection s’étend aux frais de procédure, et aux condamnations civiles[23]. L’amende n’est pas garantie, car il s’agit d’une sanction pénale soumise au principe de la personnalité de la peine. Depuis la loi du 21 mars 2024, l’élu victime, comme l’agent public, voit pris en charge l’assistance psychologique et les coûts qui résultent de l’obligation de protection.

Enfin, s’agissant des infractions financières (passibles d’une procédure contentieuse devant la Cour des comptes au titre de la responsabilité financières des gestionnaires publics)[24], une ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Paris considère que la protection fonctionnelle peut être accordée[25].

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Finalement, une vigilance accrue doit être portée quant aux modalités et aux conditions d’octroi de la protection fonctionnelle au regard de la réforme légale récente et de la jurisprudence foisonnante en la matière. La vigilance est d’autant plus de mise qu’une erreur d’octroi de la protection fonctionnelle peut conduire à une qualification d’infraction pénale.

 

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[1] Loi n° 2024-247 du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux

[2] Article L. 2123-34 du CGCT

[3] CAA Lyon, 25 novembre 2008, n° 06LY01776.

[4] CAA Versailles, 20 décembre 2012, n° 11VE02556

[5] CAA Versailles, 20 décembre 2022, n° 11VE02556

[6] CAA Douai, 24 mai 2017, n° 15DA00805

[7] Article L. 2123-35 du CGCT

[8] CE, 8 juillet 2020, n°427002

[9] II de l’article L2131-2 du CGCT

[10] Article L. 242-1 du Code des relations entre le public et l’administration et suivants.

[11] CAA Versailles, 9 février 2024, n° 22VE01436

[12] CAA Nancy, 12 décembre 2019, n° 18NC02134

[13] Articles L.2123-35, L.3123-29, L.4135-29 et L.5214-8 du CGCT

[14] « Les atteintes volontaires à l’intégrité de sa personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages ».

[15] CAA Marseille, 3 février 2011, n°09MA01028

[16] CAA Lyon 8 sept. 2020 n°18LY01220

[17] Articles L.2123-34, L.3123-28, L.4135-28 et L.5214-8 du CGCT

[18] Pour des illustrations : « présentent le caractère d’une faute personnelle détachable des fonctions de maire des faits qui révèlent des préoccupations d’ordre privé, qui procèdent d’un comportement incompatible avec les obligations qui s’imposent dans l’exercice de fonctions publiques ou qui, eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils ont été commis, revêtent une particulière gravité ; qu’en revanche ni la qualification retenue par le juge pénal ni le caractère intentionnel des faits retenus contre l’intéressé ne suffisent par eux-mêmes à regarder une faute comme étant détachable des fonctions » (CE, 30 décembre 2015, n°391798 : à propos d’un Maire poursuivi pour détournement de fonds publics) ; « Les appréciations critiques formulées ne sauraient, à les supposer fautives, être regardées comme détachables des fonctions, dès lors qu’en l’absence d’autres éléments de preuve (…), elles ne suffisent à démontrer que l’attitude de cet élu local procédait d’une intention malveillante ou de la volonté de satisfaire un intérêt personnel étranger au service public » (Tribunal des conflits 25 janvier 1993 Préfet du Finistère, Association « Vivre la rue » et Mme Cann c/ Maloisel, n°02848 Recueil Lebon).

[19] Tribunal des conflits, 14 janvier 1935 Thépaz, Rec. 224 et GAJA

[20] Tribunal des conflits, 19 mai 1954, Veuve Rezsetin : Rec. CE 1954, p. 704

[21] Crim., 4 juin 2002, n°01-81.280

[22] Crim., 8 mars 2023, n°22-82.229

[23] CE, 5 mai 1971, GILLET, n°79494

[24] Les élus ne sont en principe pas redevables, sauf pour certaines qualifications.

[25] Tribunal administratif de Paris, 14 mars 2024 / n°2403460

Réparation des dommages corporels : apports et limites du référentiel Mornet mis à jour en septembre 2024

En septembre 2024, comme chaque année depuis 2013, le référentiel Mornet a été mis à jour afin d’intégrer les dernières jurisprudences, pratiques judiciaires et évolutions sociétales. Si elle garde la même fonction et la même structure (I), la version 2024 du référentiel apporte néanmoins quelques ajouts et précisions (II), tout en conservant certaines limites (III).

1. Rappel sur le référentiel Mornet

Conçu en 2013 à l’initiative de la Conférence des premiers présidents de cours d’appels, mis à jour depuis par divers magistrats sous la présidence de Monsieur Benoît MORNET, conseiller à la Cour de cassation, le référentiel Mornet est un document traitant des problématiques liées à la réparation du dommage corporel, à destination des magistrats, avocats et assureurs.

Ainsi, il présente les acteurs de l’indemnisation – victimes, auteurs, employeurs, assureurs, fonds d’indemnisation –, détaille les éléments concernant l’expertise – décision ordonnant l’expertise, contenu des missions d’expertise, composantes à prendre en compte tel que l’état antérieur de la victime, sa consolidation, son aggravation –, décrit les postes de préjudices pour les victimes directes et indirectes tels qu’issus de la nomenclature Dintilhac, propose des références d’indemnisation et des outils de calcul de ces préjudices, présente les recours ouverts aux tiers payeurs et enfin expose les spécificités en matière d’accidents du travail.

S’il s’agit d’un document indicatif sans reconnaissance législative, il est néanmoins considéré comme un véritable document de référence par les différents acteurs de l’indemnisation.

2. Sur les apports de la version 2024 du référentiel Mornet

La version 2024 intègre tout d’abord un arrêt de la Cour de cassation du 25 avril 2024 qui consacre deux avancées au bénéfice des victimes, à propos du déficit fonctionnel temporaire (DFT) et des pertes de gains professionnels actuels (PGPA) (Civ. 2, 25 avr. 2024, n° 22-17.229).

Ainsi la Cour a retenu pour une victime ayant subi un DFT de 9 ans que « la perte d’espoir et de chance de réaliser un projet de vie familiale » pendant la période temporaire particulièrement longue pouvaient être indemnisées au titre du DFT. Ce poste de préjudice inclut donc, outre un préjudice sexuel et d’agrément temporaires déjà admis, un préjudice d’établissement temporaire. Dans le même ordre idée, elle consacre l’indemnisation au titre des PGPA de la «limitation [des] possibilités professionnelles et la perte d’une chance de bénéficier de promotions professionnelles» subies par la victime avant consolidation.

Quant au déficit fonctionnel permanent, le référentiel 2024 a le mérite d’insister encore davantage sur la nécessité de majorer l’indemnité pour tenir compte de la situation particulière de la victime et notamment ses douleurs permanentes et troubles dans ses conditions d’existence, précisant que ces éléments « ne relèvent pas nécessairement de l’avis du médecin-expert ni d’un pourcentage, mais plus des éléments apportés par la victime pour les caractériser », incitant ainsi à prendre en considération prioritairement les doléances de la victime.

De même, le référentiel appuie encore un peu plus sur le fait que les barèmes de capitalisation proposés par la Gazette du Palais pour le calcul des préjudices futurs à compter de la liquidation, « tiennent compte des effets de l’inflation, ce qui permet de protéger la victime contre les effets de l’érosion monétaire et répond en conséquence à l’exigence de réparation intégrale ». Il faut espérer que cela incitera les fonds de garantie à abandonner définitivement les barèmes obsolètes, tels que le barème de capitalisation de référence pour l’indemnisation des victimes proposé par la Fédération française de l’assurance, non approprié au regard des données démographiques, économiques et monétaires sur lesquelles il s’appuie, et à suivre les barèmes publiés à la Gazette du Palais, comme le font déjà la grande majorité des juges du fond.

Des précisions sont ensuite apportées sur les pertes de droits à la retraite, qui doivent être indemnisées intégralement, que ce soit au sein des pertes de gains professionnels futurs (PGPF) ou d’un autre poste, lorsque la victime subit une incapacité, et ce même en cas de périodes de chômage validant des trimestres de retraite, conformément à un arrêt de la Cour de cassation du 6 juillet 2023 (Civ. 2, 6 juil. 2023, n° 21-25.667).

Malheureusement, le référentiel souligne dans le même temps l’exigence accrue attendue quant à la preuve de l’impossibilité pour la victime d’exercer une activité professionnelle pour que ce préjudice soit indemnisé au titre des préjudices professionnels permanents (Civ. 1, 8 févr. 2023, n° 21-21.283).

Le référentiel 2024 introduit enfin un nouveau poste de préjudice intitulé « préjudice d’angoisse d’attente » qui indemnise l’inquiétude éprouvée lorsque les proches d’une victime apprennent que celle-ci est exposée à un péril de nature à porter atteinte à son intégrité corporelle, avec une incertitude pesant sur son sort. Il s’agit du préjudice communément appelé « préjudice d’attente et d’inquiétude », admis expressément depuis l’arrêt du 25 mars 2022 de la Cour de cassation et devant faire l’objet d’un poste autonome (Ch. mixte, 25 mars 2022, n° 20-17.072).

3. Sur les limites de la version 2024 du référentiel Mornet

Il faut souligner l’augmentation des propositions d’indemnisation relevées dans la version 2024 à propos du préjudice d’affection des frères et sœurs d’une victime décédée, passant de 9.000-14.000 € à 15.000-25.000 € pour les frères et sœurs vivant au sein du même foyer, et de 6.000-9.000 € à 11.000-15.000 € pour les autres.

Malheureusement, force est de constater que ces propositions, tout comme celles des autres proches n’ayant pas vu d’augmentation dans cette mise à jour annuelle, restent bien en-deçà d’une réparation intégrale. Il est en effet possible d’obtenir, bien heureusement, des indemnisations à hauteur de 50.000 € pour des frères et sœurs vivant au sein du même foyer, et de 80.000 € pour des parents, loin des 20 à 30.000 € proposés par le référentiel, et ce en phase de négociation avec les fonds, où les sommes sont quasi-systématiquement inférieures à celles obtenues devant les juridictions.

En outre, il est fortement regrettable que le référentiel ne prend pas encore en compte le dernier arrêt majeur de la Cour de cassation concernant le préjudice d’angoisse de mort imminente (Civ. 2e, 11 juill. 2024, n° 23-10.068 ; article du 17-10-2024), qui sera très certainement inclus dans la prochaine édition.

Si ce nouveau référentiel présente des avancées pour le droit des victimes, il est nécessaire de garder toujours à l’esprit qu’il ne s’agit que d’un document indicatif, ayant vocation à aider les acteurs de l’indemnisation dans leur évaluation des préjudices, mais nullement à se substituer à une telle évaluation.

Le risque est en effet que les assureurs et magistrats suivent les barèmes et propositions données dans le référentiel, sans prendre en compte les particularités de chaque situation.

Or il est important de rappeler que le principe de réparation intégrale du préjudice s’oppose à l’évaluation d’un préjudice sur la base d’un barème rigide et qu’il faut impérativement tenir compte des spécificités de chaque victime et de chaque accident.

Locaux commerciaux situés hors ressort territorial du juge saisi : la cour d’appel de Paris confirme la validité des clauses attributives de compétence

Par un arrêt rendu le 24 octobre 2024, la cour d’appel de Paris a mis un terme à la polémique suscitée par quatre ordonnances rendues le 21 juin 2024 par le président du Tribunal judiciaire de Paris, statuant en formation collégiale, qui avaient toutes conclu à l’incompétence du Juge des référés parisien lorsque le litige portait sur des locaux commerciaux situés en dehors de Paris.

Au soutien de ces décisions, le Président du Tribunal judiciaire de Paris avait estimé que la règle de compétence édictée par l’article R. 145-23 du Code de commerce était d’ordre public, de telle sorte que les parties n’avaient pas pu valablement y déroger en donnant compétence à un tribunal qui n’était pas celui de la situation de l’immeuble.

La cour d’appel de Paris infirme ces décisions et rappelle que les commerçants peuvent valablement déroger aux règles de compétence territoriale, sous réserve que la clause soit spécifiée de façon très apparente et que la juridiction désignée soit déterminable, ce qui était le cas en l’espèce.

La cour d’appel de Paris rappelle ainsi une règle classique édictée par l’article 48 du Code de procédure civile et met fin aux espoirs du Tribunal judiciaire de Paris qui ambitionnait de libérer son rôle de nombreuses affaires afférentes à des baux commerciaux portant sur des locaux situés en dehors de Paris.

Compte bancaire frauduleux : le débiteur public ne peut pas invoquer la théorie civiliste du « créancier apparent » dans le cadre de l’exécution d’un contrat administratif

Par une décision en date du 21 octobre 2024[1], le Conseil d’Etat a eu l’occasion de répondre à une question inédite s’agissant du paiement des sommes dues en exécution d’un contrat administratif, réalisé sur un compte bancaire frauduleux.

Dans cette affaire, l’établissement public du Grand Port Maritime de Bordeaux avait conclu un marché de fourniture et de mise en service d’une grue à tour sur portique, et avait procédé aux différents règlements prévus par le cahier des clauses administratives du marché. Toutefois, il s’est avéré que ces versements (d’un montant total de plus d’un million d’euros !) avaient été réalisés sur un compte bancaire frauduleux. Le titulaire du marché n’ayant, de ce fait, pas été payé pour la réalisation de ses prestations, celui-ci a adressé une réclamation au pouvoir adjudicateur.

Le Grand Port Maritime de Bordeaux estimant que les paiements qu’il avait déjà réalisés étaient libératoires, la société a saisi le Tribunal administratif de Bordeaux qui, par un jugement du 29 mars 2021, a condamné le Grand port maritime à payer à la société la somme de 1.095.048 euros, assortie des intérêts moratoires établis selon une majoration de huit points du taux appliqué par la Banque centrale européenne à ses opérations principales de refinancement les plus récentes, ainsi que la somme de 120 euros au titre de l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement.

Estimant que la théorie du « créancier apparent » figurant à l’article 1342-3 du Code civil – et selon laquelle « le paiement fait de bonne foi à un créancier apparent est valable » – était applicable, le Grand port maritime de Bordeaux a interjeté appel afin qu’il soit considéré que l’escroc était un créancier apparent, et qu’en conséquence, les paiements qu’il avait déjà faits de bonne foi étaient valables et libératoires. Toutefois, par un arrêt en date du 4 juillet 2023, la Cour administrative d’appel de Bordeaux n’a pas suivi ce raisonnement et a considéré que les dispositions de l’article 1342-3 du Code civil n’étaient pas applicables en cas d’usurpation d’identité frauduleuse et, qu’en toute hypothèse, un escroc n’était pas un créancier apparent.

Saisi d’un pourvoi par l’établissement public, le Conseil d’Etat pose le principe selon lequel la théorie du créancier apparent n’est pas applicable aux contrats administratifs, et que la personne publique est tenue de procéder au paiement des sommes dues quand bien même son cocontractant aurait commis des manquements ayant rendu possible l’escroquerie :

« En deuxième lieu, il appartient à une personne publique de procéder au paiement des sommes dues en exécution d’un contrat administratif en application des stipulations contractuelles, ce qui implique, le cas échéant, dans le cas d’une fraude tenant à l’usurpation de l’identité du cocontractant et ayant pour conséquence le détournement des paiements, que ces derniers soient renouvelés entre les mains du véritable créancier. La personne publique ne peut ainsi utilement se prévaloir, pour contester le droit à paiement de son cocontractant sur un fondement contractuel, ni des dispositions de l’article 1342-3 du Code civil relatives au créancier apparent, qui ne sont pas applicables aux contrats administratifs, ni des manquements qu’aurait commis son cocontractant en communiquant des informations ayant rendu possible la manœuvre frauduleuse ».

En effet, dans ses conclusions, le Rapporteur public Nicolas Labrune justifiait cette position par des considérations relatives aux spécificités de la dépense publique, et relevait plus particulièrement que le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique imposait à la personne publique effectuant un paiement de vérifier la régularité de ce paiement, et qu’elle ne pouvait donc procéder à un paiement sur la base des seules apparences. Il relevait, en outre, que ce décret ne renvoyait pas aux dispositions de l’article 1342-3 du Code civil.

La personne publique qui, en raison d’une usurpation d’identité, a réglé les sommes dues au titre d’un contrat de la commande publique sur un compte bancaire frauduleux, est donc tenue de renouveler les versements au profit du véritable créancier.

Toutefois, dans la décision commentée, le Conseil d’Etat ajoute que :

« En revanche, la personne publique, si elle s’y croit fondée, peut rechercher, outre la responsabilité de l’auteur de la fraude, celle de son cocontractant, en raison des fautes que celui-ci aurait commises en contribuant à la commission de la fraude, afin d’être indemnisée de tout ou partie du préjudice qu’elle a subi en versant les sommes litigieuses à une autre personne que son créancier. Le juge peut, s’il est saisi de telles conclusions par la personne publique, procéder à la compensation partielle ou totale des créances respectives de celles-ci et de son cocontractant ».

Dès lors, dans l’hypothèse où le cocontractant aurait commis des manquements rendant possible l’escroquerie, la personne publique devra bien veiller à présenter des conclusions en indemnité dirigées contre son cocontractant, afin que le Juge procède, s’il a lieu, à la compensation des créances respectives de la personne publique et de son cocontractant.

 

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[1] CE, 21 octobre 2024, Grand Port Maritime de Bordeaux, req. n° 487929

Intelligence artificielle et exception de fouille de textes et de données : une première décision rendue en Europe

Le 24 septembre dernier, le Tribunal régional de Hambourg a rendu la première décision européenne concernant les exceptions de fouille de textes et de données (également connues sous l’acronyme « TDM » pour « Text and datamining »), dans le contexte de leur mise en œuvre pour la phase, très discuté en droit d’auteur, d’entrainement des systèmes d’intelligence artificielle (« IA »).

Pour rappel, les exceptions de fouille de textes et de données ont été consacrées par la DAMUN (la directive du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique[1]) et font aujourd’hui l’objet de nombreux débats pour leur mise en œuvre dans le contexte de l’intelligence artificielle, et plus particulièrement des systèmes d’IA générative (tels que ChatGPT ou Midjourney).

En effet, la DAMUN a introduit deux exceptions au droit d’auteur :

  • L’article 3 permet la reproduction et l’extraction de données sur des œuvres protégées par le droit d’auteur, accessibles de manière licite par des organismes de recherches et des institutions du patrimoine culturel, dans un but circonscrit à la recherche scientifique;
  • L’article 4 permet quant à lui une telle reproduction pour tout bénéficiaire, sans restriction concernant l’objet des activités réalisées, mais en introduisant une limite par la possibilité donnée aux titulaires de droits de s’y opposer (mécanisme d’ opt-out).

Ces exceptions européennes ont été transposées en droit français, à l’Article L. 122-5-3 du Code de la propriété intellectuelle, ainsi qu’en droit allemand. Dans le cas d’espèce, elles ont été invoquées devant le Tribunal de Hambourg à la suite d’une utilisation de contenus visuels protégés pour entrainer un système d’IA générative.

Plus précisément, l’organisme à but non lucratif allemand LAION, qui a pour activité la mise à disposition publique et gratuite d’une banque de données d’entrainements pour les IA, a publié un set de données (ou dataset) particulièrement dense nommé LAION-5B, utilisé pour entraîner certains systèmes d’IA génératives (notamment, Stable Diffusion).

LAION-5B comprenait un lien hypertexte conduisant vers une image mise en ligne et vendue sur le site internet Bigstockphoto du photographe Robert Kneschke. Ce dernier a reproché à LAION d’avoir téléchargé une copie d’une de ses photographies en basse qualité, dotée par ailleurs d’un tatouage numérique, alors que les conditions d’utilisation du site interdisaient l’utilisation des images par des « programme automatisés ». LAION a invoqué, pour sa défense, les deux exceptions TDM et le tribunal a considéré que les reproductions opérées par LAION avaient bien été effectuées à des fins scientifiques, et étaient donc couvertes par l’exception posée par l’article 3 de la DAMUN, concluant à une absence de violation des droits d’auteur du photographe.

Cette décision donne une première interprétation de l’exception TDM dans le cadre de l’IA.

Tout d’abord sur l’exception de l’article 3 prévue à des fins de recherches scientifiques, retenue ici, le tribunal a précisé que celle-ci ne doit pas être entendue d’une manière trop restrictive. En effet, les juges ont reconnu que, bien que la création du dataset ne puisse pas être en tant que telle considérée comme un gain de connaissance (critère associé à la recherche scientifique), cette base de données en constituait une étape essentielle. En ce sens, le tribunal a considéré que le fait que le dataset soit publié gratuitement et ouvertement, et donc sans objectif commercial, pouvait permettre à des chercheurs d’en bénéficier et donc de créer un gain de connaissance. Ce raisonnement sur la mise à disposition des données à des fins scientifiques a ici suffit à utiliser l’exception TDM pour justifier de l’absence d’une violation du droit d’auteur.

Dans une autre mesure, cette décision a également précisé l’autre exception TDM posée à l’article 4 et plus particulièrement en ce qui concerne l’expression de l’opt-out. La DAMUN mentionne que cette réserve peut être exprimée notamment dans le cadre de conditions générales d’utilisation mais « au moyen de procédés lisibles par machine »[2]. En l’espèce, l’opt-out était inscrit dans les conditions générales du site internet sur lequel la photographie était reproduite, sous la forme d’un texte et non d’un procédé technique particulier, ce que les juges ont trouvé suffisant pour que l’opt-out soit considéré comme valablement manifesté. L’exception de l’article 4 ne pouvait donc pas s’appliquer en l’espèce car l’opt-out avait été suffisamment exprimé.

Sur ce dernier point, la décision allemande est également intéressante en ce sens qu’elle rappelle l’obligation pour les fournisseurs de systèmes d’IA de mettre en place un mécanisme particulier pour identifier les réserves de droits revendiquées par les auteurs dans le cadre de ces exceptions posées par la DAMUN, explicitement « y compris au moyen de technologies de pointe », obligation introduite par le récent règlement sur l’IA[3].

Les juges ont donc ici considéré que le scraping opéré par LAION pouvait être considéré comme une opération de TDM à des fins de recherches scientifiques et ainsi être utilisé pour les phases d’entraînement des IA, sans violation du droit d’auteur. Une première décision favorable au développement de l’IA générative en gardant toutefois à l’esprit qu’elle a été prise dans le contexte particulier d’une utilisation faite par un organisme à but non lucratif pour alimenter un dataset dont le tribunal allemand a retenu que cette activité participait à la recherche scientifique.

 

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[1] Directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique

[2] Considérant 18 de la DAMUN

[3] Règlement (UE) 2024/1689 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024 établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle, Article 53.1,c

Renforcement de l’obligation d’information des changements intervenant au sein des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) et lieu de vie et d’accueil (LVA)

Le gestionnaire d’un établissement, d’un service social ou médico-social (ESSMS) ou d’un lieu de vie et d’accueil (LVA) doit informer l’autorité qui a autorisé la structure de tout changement important dans l’activité, l’installation, l’organisation, la direction ou le fonctionnement de l’ESSMS ou le LVA (article L. 313-1 du Code de l’action sociale et des familles (CASF).

Cette obligation d’information, souvent sujette à interprétation (qu’est-ce qu’un « changement important » ?), était cependant peu encadrée : cette information devait-elle avoir lieu préalablement au changement important ? Et si oui, dans quel délai afin de permettre à l’autorité de réagir si elle l’estimait nécessaire ? A quels risques s’exposait le gestionnaire s’il ne respectait pas cette obligation d’information ?

Autant de questions auxquelles la loi n° 2024-317 du 8 avril 2024 dite « loi Bien Vieillir » et plus précisément son article 35 sont venus apporter des précisions bienvenues au sujet de cette obligation qu’il est désormais possible de qualifier d’« obligation de déclaration », codifiées à l’article L. 313-1 du CASF.

  • Tout d’abord, sur le périmètre de cette obligation de déclaration: elle vise non plus seulement tout changement important dans l’activité, l’installation, l’organisation, la direction ou le fonctionnement de l’ESSMS ou du LVA mais également tout changement dans les modalités de contrôle direct ou indirect de la personne morale gestionnaire de l’ESSMS ou du LVA se traduisant par l’exercice direct ou indirect d’un pouvoir prépondérant de décision ou de gestion par une nouvelle personne morale. Cet ajout vise les hypothèses où des groupes privés lucratifs prennent le contrôle d’ESSMS ou de LVA sans cession d’autorisation, échappant ainsi au contrôle des autorités compétentes.
  • Ensuite, sur le délai dans lequel cette déclaration doit être effectuée: le gestionnaire doit déclarer préalablement le changement à l’autorité, à savoir « au moins deux mois avant sa mise en œuvre » ;
  • Enfin, sur le pouvoir d’opposition aux mains de l’autorité destinataire de la déclaration : l’autorité peut faire opposition dans un délai de deux mois à compter de la déclaration par une décision motivée pour trois motifs :
    • s’il apparaît que le changement envisagé méconnaît le CASF,
    • ne respecte pas les conditions de l’autorisation,
    • ou présente des risques susceptibles d’affecter la prise en charge des personnes accueillies ou accompagnées ou le respect de leurs droits.

Ces dispositions doivent s’appliquer aux changements intervenus au sein des ESSMS et LVA depuis le 1er juillet 2024.

Toutefois, un doute peut subsister sur leur effectivité dans la mesure où leurs conditions d’application, notamment les modalités de l’instruction de la déclaration par les autorités, n’ont pas encore été fixées par décret (dont la publication est envisagée pour décembre 2024). A suivre donc.

Intérêt à agir contre les autorisations d’urbanisme : les précisions bienvenues du Conseil d’État

CE, 16 octobre 2024, n° 475093

Voisin immédiat : trop loin, trop bruyant, pas assez près, trop tard ? Il est parfois délicat pour les services instructeurs ainsi que les pétitionnaires d’autorisations d’urbanisme de déterminer un risque contentieux au prisme de l’intérêt à agir des riverains d’un projet.

Par deux décisions, le Conseil d’Etat est venu apporter des précisions utiles sur l’appréciation de cet intérêt à agir des tiers (hors association) contre les autorisations d’urbanisme.

Rappelons d’abord que l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme prévoit que l’intérêt à agir d’un tiers (autre que les personnes publiques ou certaines associations) contre une autorisation d’urbanisme est subordonné à la démonstration que le projet autorisé est de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’il détient ou occupe régulièrement ou pour lequel il est titulaire d’un bail, d’une promesse de vente ou d’un contrat préliminaire.

L’article L. 600-1-3 du même code ajoute que l’intérêt à agir du requérant s’apprécie à la date d’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire, sauf circonstances particulières. Ces dispositions dérogent ainsi au principe selon lequel l’intérêt à agir s’apprécie à la date d’édiction de l’acte contesté.

Construisant au fil du temps la notion du voisin immédiat, le Conseil d’État définit le voisin immédiat comme une personne qui, en raison de sa situation particulière, a en principe un intérêt à agir lorsqu’elle présente au juge des éléments concernant la nature, l’importance ou la localisation d’un projet (voir en ce sens : CE, 13 avril 2016, Bartolomei, n° 389798, commenté ici[1]).

I. Nuisances sonores & parcelles en voisinage immédiat

C’est justement cette notion de voisin immédiat que le Conseil d’Etat s’est appliqué à parfaire dans la première décision évoquée (8 octobre 2024, n° 493773).

L’on sait que, sans être voisin immédiat, le tiers qui réside à plus de 700 mètres d’un projet de station de conversion électrique justifie d’un intérêt à agir en raison des nuisances sonores qu’il subira (CE, 10 juin 2015, n° 386121), solution d’ailleurs transposée s’agissant de nuisances sonores générées par une salle de réception située à plus de 130 mètres et séparée de la parcelle du requérant par un espace boisé (CAA Versailles, 19 janvier 2017, n° 15VE02091).

Par ailleurs, une habitation située à près de 500 mètres d’un projet de construction d’un poulailler pouvant accueillir jusqu’à 25 000 volailles et dont les parcelles d’assiette respectives sont contiguës sur 50 mètres a pu être reconnue comme faisant partie du voisinage immédiat du poulailler, par les nuisances sonores et olfactives auxquelles elle est exposée (CAA Nantes, 17 mars 2023, n° 21NT01083).

Dans l’affaire ici étudiée, une société d’exploitation agricole requérante et son gérant contestaient les permis de construire accordés pour la transformation d’une grange en lieu de réception destiné à accueillir des évènements festifs pouvant accueillir jusqu’à 200 personnes et d’autres bâtiments en lieu d’hébergement.

Saisi en référé, le Tribunal administratif d’Orléans avait d’abord refusé de leur reconnaître la qualité de voisins immédiats, le domicile du gérant et le siège social de la société étant situés à près de 400 mètres des projets, dont ils étaient séparés par un boisement.

Au vu de cette distance et de la séparation des parcelles par un espace boisé, le juge des référés avait donc refusé d’admettre leur intérêt à agir au titre des nuisances sonores – applaudissements, voix et cris de joie en provenance de la propriété, audibles  » très distinctement  » depuis le jardin de la maison des requérants -, générées par les rassemblements festifs organisés dans la salle de réception, notamment de nature à perturber les animaux présents sur les parcelles qu’ils exploitent.

C’est cette analyse que censure le Conseil d’Etat.

En effet, la Haute juridiction note « que certaines des parcelles appartenant aux requérants sont immédiatement contiguës de parcelles appartenant à la société bénéficiaire du permis de construire et du permis modificatif litigieux et que l’existence d’une cuvette naturelle renforce le vis-à-vis entre les parcelles occupées par [les requérants] et celles qui font l’objet des projets autorisés par les décisions litigieuses, et notamment l’exposition des premières aux nuisances résultant des secondes, en dépit des boisements qui les séparent. »

Par conséquent, la société requérante et son gérant se voient reconnaître un intérêt à agir. L’ordonnance du Juge des référés du Tribunal administratif d’Orléans est annulée.

En l’absence de vis-à-vis évident, le Conseil d’Etat offre la confirmation que la qualité de voisin immédiat ne résulte pas seulement d’une appréciation objective d’une distance entre deux points, mais relèvent aussi de considérations plus subjectives et sensorielles.

Ces considérations constituent ainsi distinctement des atteintes aux conditions d’occupation, d’utilisation et de jouissance que subissent, ici, les parcelles non bâties exploitées dans le cadre d’une activité professionnelle.

II. Locataire évincé d’un immeuble voué à être démoli

Dans la seconde affaire ici commentée (16 octobre 2024, n° 475093), le Conseil d’Etat a eu à connaître une configuration assez particulière.

Une société contestait le permis de construire délivré à une autre société en vue d’édifier un immeuble en lieu et place de l’immeuble qu’elle occupait en vertu d’un contrat de bail.

Pour reconnaître un intérêt à agir à cette société, la Cour administrative d’appel de Lyon avait estimé que « la mise en œuvre du permis de construire en litige s’inscrit dans un projet d’ensemble qui nécessitera la démolition de l’immeuble précité, que [la requérante] occupe encore à la date de l’arrêté litigieux au titre d’un bail en cours de validité » et avait refusé de tenir compte du permis de démolir distinct devenu définitif obtenu par la pétitionnaire car il était « postérieur à la date d’affichage de la demande de permis de construire en litige prise en compte par l’article L. 600-1-3 du Code de l’urbanisme pour apprécier l’intérêt à agir ».

Or, le Conseil d’Etat refuse ici d’appréhender l’intérêt à agir de la requérante au vu du projet dans son ensemble et retient que le permis de construire « par lui-même, n’était pas de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance par la société du bien occupé ». Autrement dit, le locataire sur le point d’être évincé n’a pas, par hypothèse, la qualité de voisin immédiat et ne peut donc revendiquer un intérêt à agir.

Il s’écarte ainsi de la motivation bienveillante de la Cour fondée sur l’article L. 600-1-3 du Code de l’urbanisme[2] pour refuser par principe au locataire d’un immeuble ayant vocation à être détruit tout intérêt à agir contre le permis de construire l’immeuble qui le remplacera.

Après avoir annulé l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon, le Conseil d’Etat rejette donc la requête de la société pour défaut d’intérêt à agir.

Cette solution fait écho à une affaire plus ancienne dans laquelle le Conseil d’Etat avait dénié à une société un intérêt à agir à l’encontre d’un permis de construire délivré sur un terrain dont elle avait été définitivement expropriée (CE, 4 novembre 1992, n° 81837).

La société requérante aurait donc vraisemblablement été uniquement recevable à contester le permis de démolir, seule autorisation de nature à affecter directement ses conditions d’occupation, d’utilisation et de jouissance du bien occupé.

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[1] https://www.seban-associes.avocat.fr/publications/urbanisme-la-preuve-de-l-interet-a-agir-contre-un-permis-de-construire/

[2] « Il ressort des pièces du dossier que la société Genedis est locataire de l’immeuble situé sur le terrain d’assiette du projet en vertu d’un contrat de bail commercial en date du 12 mars 2015 conclu pour une durée de dix ans avec la société immobilière Abraham Bloch, devant se terminer le 31 décembre 2024 et portant sur un terrain situé composé des parcelles cadastrées section BM nos. Le tènement immobilier loué comprend un bâtiment de 7465 m² sur deux étages quelle occupe, un parking couvert denviron 1380 m² et un terrain attenant aménagé en enrobé à usage de parking, le tout contenant environ 170 places. La mise en œuvre du permis de construire en litige s’inscrit dans un projet d’ensemble qui nécessitera la démolition de l’immeuble précité, qu’elle occupe encore à la date de l’arrêté litigieux au titre d’un bail en cours de validité, et cette autorisation sera ainsi de nature à léser directement ses conditions d’occupation, d’utilisation et de jouissance du bien qu’elle occupe, alors même que la démolition du bâtiment a été autorisée par un arrêté distinct du 4 décembre 2018 devenu définitif mais postérieur à la date d’affichage de la demande de permis de construire en litige prise en compte par l’article L. 600-1-3 du Code de l’urbanisme pour apprécier l’intérêt à agir. Par suite, la société SIAB n’est pas fondée à soutenir que la requête présentée par la société Genedis à l’encontre du permis en litige délivré le 10 mai 2019 serait irrecevable en l’absence d’intérêt à agir de cette dernière société. » (CAA Lyon, 1re ch. – formation à 3, 18 avr. 2023, n° 21LY02999, annulé).

Le malaise survenu sur le lieu et dans le temps du service ne revêt pas le caractère d’un accident de service si celui-ci est dû au traitement médicamenteux de l’agent

Par un arrêt en date du 22 octobre 2024, la Cour administrative d’appel de Toulouse a, à propos du malaise d’un agent pourtant survenu sur le lieu et dans le temps du service, écarté la qualification d’accident de service.

En l’espèce, un adjoint technique territorial titulaire, exerçait les fonctions d’agent de surveillance de la voie publique au sein du service de la police municipale d’une commune a, alors qu’il était en service, été victime d’un malaise lipothymique avec perte de connaissance incomplète, qui l’a fait chuter, lui occasionnant des douleurs et des contusions au niveau de l’épaule, du genou et de la cheville.

Il a alors sollicité auprès de la collectivité qui l’emploie la reconnaissance de l’imputabilité de son accident au service, laquelle lui a été refusée.

Il a ensuite contesté cette décision devant le Tribunal administratif de Nîmes qui a fait droit à sa demande par un jugement du 18 juillet 2022, dont la commune a interjeté appel.

Saisie de ce litige, la Cour administrative d’appel de Toulouse a tout d’abord rappelé les dispositions de l’article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires (désormais codifiées à l’Article L. 822-18 du Code général de la fonction publique) puis le considérant de principe en matière d’accident de service selon lequel, « un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d’une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l’absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet évènement du service, le caractère d’un accident de service. Il appartient dans tous les cas au juge administratif, saisi d’une décision de l’autorité administrative compétente refusant de reconnaître l’imputabilité au service d’un tel événement, de se prononcer au vu des circonstances de l’espèce ».

Puis, la Cour est revenue sur les circonstances du malaise de l’agent, lequel avait « lors de sa prise de service (…) indiqué à ses collègues ne pas se sentir bien, à tel point que ces derniers lui ont conseillé d’aller voir un médecin » et « après avoir repris totalement connaissance, […] indiqué prendre plusieurs médicaments, dont de la morphine à raison de trois prises quotidiennes ». La juridiction a également précisé que « il n’est pas établi ni même allégué par M. B…, tant en première instance qu’en appel, que ce malaise trouverait son origine dans les conditions d’exercice de ses fonctions, que ce soit au jour de l’accident ou de manière plus générale ». Elle a donc estimé que « dans ces conditions, le malaise dont a été victime [l’agent] ne saurait être regardé comme imputable au service ».

La Cour a donc estimé que le traitement médicamenteux de l’agent à l’origine de son malaise constituait une circonstance particulière détachant cet évènement du service.

Par conséquent, elle a d’une part, annulé le jugement du Tribunal administratif de Nîmes et, d’autre part, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, rejeté les demandes présentées par l’agent en première instance.

Lotissement : l’absence de vente de la totalité des lots n’empêche pas la cristallisation des règles d’urbanisme

Par une décision en date du 18 octobre 2024, le Conseil d’Etat a donné un éclairage pratique important sur le régime du lotissement sur l’application des dispositions permettant de cristalliser les règles d’urbanisme sur l’ensemble des lots.

Dans cette espèce, un promoteur avait obtenu, le 30 août 2018, pour le compte des propriétaires indivisaires des lots concernés, une décision de non-opposition à la déclaration préalable déposée en vue de la constitution d’un lotissement de 4 lots. Par la suite, 3 de ces lots (A, C, D) ont été cédés, les 27 et 28 août 2021, à ce même promoteur, le lot destiné à être bâti n’étant, quant à lui, pas cédé.

Par la suite, un permis de construire valant division a été délivré au promoteur en vue de l’implantation de 30 logements répartis entre 16 maisons individuelles et 6 bâtiments devant accueillir quatorze logements sociaux intermédiaires, les constructions étant autorisées sur 3 des lots (B, C et D). Ce permis a fait l’objet d’un contentieux qui donne l’occasion au Conseil d’Etat de se prononcer sur la question de la cristallisation des règles d’urbanisme dans un lotissement.

En effet, en application du deuxième alinéa de l’article L. 442-14 du Code de l’urbanisme, « lorsque le lotissement a fait l’objet d’un permis d’aménager, le permis de construire ne peut être refusé ou assorti de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d’urbanisme nouvelles intervenues depuis la date de délivrance du permis d’aménager, et ce pendant cinq ans à compter de l’achèvement des travaux constaté dans les conditions prévues par décret en Conseil d’Etat ». Le Code de l’urbanisme prévoit donc une cristallisation des règles d’urbanisme pendant une durée de 5 ans à compter de la délivrance de la décision de non-opposition à déclaration préalable (dans la mesure où cette dernière n’impliquer la réalisation d’aucun travaux).

Par ailleurs, l’article R* 424-18 du Code de l’urbanisme prévoit un délai de validité de 3 ans à compter de l’intervention de la décision de non-opposition (y compris tacite) au terme duquel l’autorisation d’urbanisme devient caduque.

La problématique portée devant le Conseil d’Etat était donc de savoir si la vente intervenue pour 3 des 4 lots du lotissement permettait de faire échec à la caducité de la déclaration préalable de lotissement et ainsi de se prévaloir de la cristallisation des règles d’urbanisme.

Le Conseil d’Etat répond positivement à cette interrogation :

« 3. Il résulte, en premier lieu, de ces dispositions qu’une division en propriété ou en jouissance d’une unité foncière ou de plusieurs unités foncières contiguës constitue un lotissement dès lors que l’un au moins des terrains issus de cette division est destiné à être bâti.

4. En second lieu, dès lors que la division foncière a été réalisée par le transfert en propriété ou en jouissance d’une partie au moins des lots dans le délai de validité de l’arrêté de non-opposition à déclaration préalable prévu par l’article R* 424-18 du Code de l’urbanisme cité au point 2, le bénéficiaire de cet arrêté peut se prévaloir, à l’occasion d’une demande de permis de construire, des droits attachés, en vertu de l’article L. 442-14 du même code, au lotissement autorisé. Est sans incidence, à cet égard, la circonstance que le lot destiné à être bâti n’ait pas lui-même fait l’objet d’un transfert en propriété ou en jouissance».

Le Conseil d’Etat adopte ainsi une position souple et pragmatique sur le régime du lotissement et confirme ainsi la possibilité de se prévaloir de la cristallisation des règles d’urbanisme, et ce alors même que les lots n’ont été que partiellement vendus et que le lot destiné à être bâti (qui a justifié le recours à la procédure de lotissement) n’a pas fait l’objet d’un transfert de propriété ou de jouissance.

Conclusion d’un bail commercial et annulation d’une décision de déclassement : rappel du régime indemnitaire applicable au bail commercial irrégulièrement conclu sur le domaine public avant 2014.

Par un arrêt du 20 septembre dernier, la Cour administrative d’appel de Marseille rappelle que la conclusion d’un bail commercial sur le domaine public est interdite et qu’elle constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la personne publique : l’occasion pour la juridiction de revenir sur le régime indemnitaire applicable à la réparation du préjudice subi par le preneur à bail commercial illégalement conclu avant 2014 sur le domaine public.

En l’espèce, une commune propriétaire d’un ensemble immobilier sur un port de plaisance a conclu un bail commercial le 28 juillet 2009, pour une durée de neuf ans, avec une société exploitant un salon de coiffure ainsi qu’un magasin de vêtements et d’accessoires de mode.

En 2018, la commune a refusé de renouveler ce bail commercial, au motif que le local serait situé sur son domaine public. La société a alors formulé une demande préalable indemnitaire puis a saisi le Tribunal administratif de Nice d’une requête tendant à la réparation des préjudices qu’elle estimait avoir subis en conséquence de ce non-renouvellement, laquelle requête a été rejetée. La société a donc interjeté appel de cette décision.

Saisie de ce litige, la Cour administrative d’appel relève tout d’abord que la parcelle sur laquelle se situe l’ensemble immobilier appartient effectivement au domaine public de la commune, dès lors que les délibérations du conseil municipal ayant procédé à son déclassement ont été annulées par un jugement du Tribunal administratif de Nice en date du 7 juillet 2009 (et notifié le 20 juillet suivant, soit antérieurement à la conclusion du bail), jugement confirmé par un arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille du 22 novembre 2011.

Elle rappelle ensuite que la conclusion d’un bail commercial est interdite sur le domaine public : cette solution ancienne est admise tant par les juridictions administratives[1] que judiciaires[2]. Il est vrai que la loi du 18 juin 2014 (dite Pinel) a introduit la possibilité d’exploiter un fonds de commerce sur le domaine public dans le Code général de la propriété des personnes publiques[3]. Mais il convient toutefois de distinguer l’exploitation d’un fonds de commerce, d’un côté, et la conclusion d’un bail commercial, de l’autre : si le premier est désormais autorisé, le second est toujours prohibé, en raison de l’incompatibilité du régime des baux commerciaux avec le caractère précaire et révocable de l’autorisation d’occuper le domaine public.

 

Après avoir rappelé le principe d’interdiction de conclusion d’un bail commercial sur le domaine public, la Cour administrative d’appel fait application du régime attaché à l’indemnisation de l’exploitant d’un bail commercial irrégulièrement conclu sur le domaine public, régime énoncé par le Conseil d’Etat dans sa décision Société des remontées mécaniques Les-Houches-Saint-Gervais de 2014 :

« En raison du caractère précaire et personnel des titres d’occupation du domaine public et des droits qui sont garantis au titulaire d’un bail commercial, un tel bail ne saurait être conclu sur le domaine public. Lorsque l’autorité gestionnaire du domaine public conclut un « bail commercial » pour l’exploitation d’un bien sur le domaine public ou laisse croire à l’exploitant de ce bien qu’il bénéficie des garanties prévues par la législation sur les baux commerciaux, elle commet une faute de nature à engager sa responsabilité. Cet exploitant peut alors prétendre, sous réserve, le cas échéant, de ses propres fautes, à être indemnisé de l’ensemble des dépenses dont il justifie qu’elles n’ont été exposées que dans la perspective d’une exploitation dans le cadre d’un bail commercial ainsi que des préjudices commerciaux et, le cas échéant, financiers qui résultent directement de la faute qu’a commise l’autorité gestionnaire du domaine public en l’induisant en erreur sur l’étendue de ses droits ».

L’exploitant peut donc prétendre à l’indemnisation (i) de l’ensemble des dépenses exposées pour l’exploitation du bail commercial (ii) ainsi que des préjudices commerciaux et financiers qui résultent directement de la faute commise par la personne publique en l’induisant en erreur sur l’étendue de ses droits.

Et si la collectivité propriétaire met fin avant son terme au bail commercial illégalement conclu, l’exploitant doit fatalement être regardé, pour l’indemnisation des préjudices qu’il invoque, comme ayant été titulaire d’un contrat portant autorisation d’occupation du domaine public pour la durée du bail conclu[4]. Comme rappelé dans l’arrêt commenté, il peut ainsi obtenir réparation du préjudice direct et certain résultant de la résiliation unilatérale d’une telle convention, et notamment de la perte des bénéfices découlant d’une occupation conforme aux exigences de la protection du domaine public et des dépenses exposées pour l’occupation normale du domaine qui auraient dû être couvertes au terme de cette occupation, mais évidemment sous réserve qu’il n’en résulte aucune double indemnisation.

Enfin, la Cour précise qu’un exploitant occupant le domaine public en vertu d’un « bail commercial » délivré avant l’entrée en vigueur de la loi Pinel ne peut pas prétendre à l’indemnisation de la perte d’un fonds de commerce, puisqu’un tel fonds ne peut avoir légalement été constitué avant cette date. Cette position s’inscrit dans la prolongation du principe dégagé par le Conseil d’Etat dans sa décision de 2014 précitée, selon lequel la loi Pinel n’a pas de portée rétroactive et ne tend donc pas à s’appliquer aux baux commerciaux conclus antérieurement à son entrée en vigueur[5].

 

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[1] CE, 23 janvier 1976, Kergo, req. n° 97342 ; CE, 24 novembre 2014, Société des remontées mécaniques Les-Houches-Saint-Gervais, req. n° 352402.

[2] Cass. 3e civ., 28 février 1984, n° 82-11.194.

[3] Article L. 2124-32-1 du Code général de la propriété des personnes publiques.

[4] CE, 21 décembre 2022, req. n°464505.

[5] CE, 24 novembre 2014, Société des remontées mécaniques Les-Houches-Saint-Gervais, req. n°  352402.

Protection fonctionnelle des élus locaux : double différence de traitement validée par le Conseil constitutionnel

CC, 11 octobre 2024, Décision QPC n° 2024-1107

Par deux décisions en date du 11 octobre 2024, le Conseil constitutionnel s’est penché sur les différences de régimes en matière de protection fonctionnelle et leur conformité à la Constitution.

I. Il s’agissait, dans la première affaire (n° 2024-1106), de la différence de traitement entre agents publics et élus locaux.

Dans cette affaire, le conseil municipal de la commune d’Istres avait octroyé à son maire le bénéfice de la protection fonctionnelle dans le cadre de l’enquête préliminaire dont il faisait l’objet, ouverte par le parquet national financier pour des délits d’atteinte à la probité.

La Commune reprochait alors aux dispositions précitées de l’article L. 2123-34 du CGCT de n’accorder la protection fonctionnelle de la commune qu’au stade des poursuites pénales, sans en étendre le bénéfice aux actes intervenant au cours de l’enquête préliminaire.

Il en résultait, selon elle, une différence de traitement injustifiée entre les élus municipaux et les agents publics.

A cet égard, rappelons que, aux termes de l’article L. 2123-34 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), la commune est tenue d’accorder la protection fonctionnelle aux élus communaux exerçant ou ayant exercé des fonctions exécutives[1] lorsque ceux-ci font l’objet de poursuites pénales, c’est-à-dire lorsque l’action publique a été mise en mouvement à leur encontre conformément à l’article 1er du Code de procédure pénale.

De son côté, en application de l’article L. 134-4 du Code général de la fonction publique, l’agent public peut bénéficier de la protection fonctionnelle avant l’engagement de toutes poursuites pénales à son encontre et donc pour des actes intervenant au cours de l’enquête préliminaire (lorsqu’il est entendu en qualité de témoin assisté, lorsqu’il est placé en garde à vue ou lorsqu’il se voit proposer une mesure de composition pénale).

Saisi de la question de la conformité à la Constitution de l’article L. 2123-34 du CGCT précité, le Conseil d’Etat a renvoyé cette question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel[2].

Le Conseil constitutionnel refuse toutefois d’y voir une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi, considérant que les agents publics « ne se trouvent pas dans la même situation que les élus chargés d’administrer la commune, au regard notamment de la nature de leurs missions et des conditions d’exercice de leurs fonctions ».

Il juge alors que, compte tenu de la différence de situation entre agents publics et élus municipaux, le législateur n’était pas tenu de les soumettre aux mêmes règles de protection fonctionnelle.

II. Dans la seconde affaire (n° 2024-1107), le Conseil constitutionnel était cette fois saisi de la différence de traitement entre les conseillers régionaux titulaires de fonctions exécutives et les autres conseillers régionaux.

Dans cette affaire, la commission permanente du conseil régional d’Île-de-France avait refusé d’accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle à un conseiller régional dans le cadre de sa citation directe devant le Tribunal de grande instance de Paris pour des faits de diffamation.

Le conseiller requérant faisait alors valoir que, en réservant le bénéfice de la protection fonctionnelle aux conseillers régionaux titulaires de fonctions exécutives, ces dispositions institueraient une différence de traitement injustifiée entre ces derniers et les autres conseillers régionaux.

Sur ce point, pour rappel, l’article L. 4135-28 du CGCT réserve, comme pour tous les autres élus locaux, le bénéfice de la protection fonctionnelle aux seuls conseillers régionaux exerçant des fonctions exécutives[3].

Saisi de la question de la conformité à la Constitution de l’article L. 4135-28 du CGCT, le Conseil d’Etat a renvoyé cette question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel[4].

Néanmoins, le Conseil constitutionnel a, là encore, écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.

Il a, en effet, jugé que « en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu accorder le bénéfice de la protection aux conseillers régionaux exerçant des fonctions exécutives, compte tenu des risques de poursuites pénales auxquels les exposent ces fonctions ».

Le Conseil constitutionnel en déduit dès lors que les conseillers régionaux exerçant des fonctions exécutives ne sont pas placés dans la même situation que les autres conseillers régionaux, ce qui justifie la différence de traitement.

En définitive, on retiendra des deux décisions précitées que le Conseil a jugé conforme à la Constitution l’octroi différencié de la protection fonctionnelle entre agents publics et élus municipaux, d’une part, et entre conseillers régionaux titulaires de fonctions exécutives et autres conseillers régionaux, d’autre part.

On relèvera néanmoins que, dans chacune des deux décisions, le Conseil constitutionnel invite explicitement le législateur à prendre position sur le sujet en lui rappelant qu’il lui « serait loisible […] d’étendre la protection fonctionnelle » à d’autres actes de la procédure pénale, pour la première affaire, et aux autres conseillers régionaux, pour la seconde.

En validant cette double différence de traitement, ces décisions interrogent plus largement sur la nécessité d’une nouvelle réflexion sur l’efficacité des dispositifs de protection fonctionnelle des élus locaux et sur les modalités de leur traduction législative.

 

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[1] A savoir le maire, ses adjoints ou les conseillers ayant reçu une délégation de la part du maire.

[2] CE, 15 juillet 2024, n° 490227, inédit.

[3] A savoir le président du conseil régional ou le conseiller régional le suppléant ou ayant reçu une délégation.

[4] CE, 15 juillet 2024, n° 469682, inédit.

Enquête administrative et droit de se taire

Par un arrêt du 23 octobre 2024, la Cour administrative d’appel de Paris a précisé que l’absence d’information à un agent de son droit de se taire, au stade de l’enquête administrative, ne saurait entacher d’illégalité la procédure disciplinaire diligentée ensuite pour ces mêmes faits.

En l’espèce, un blâme a été infligé à un capitaine de police, affecté à une brigade de police secours de nuit, pour avoir tenu à deux gardiennes de la paix des propos déplacés, interrogeant l’une d’elle avec insistance sur ses origines et entreprenant la seconde sur sa vie privée de manière grivoise.

Au moyen de sa demande d’annulation, l’intéressé invoquait notamment l’irrégularité de l’enquête administrative préalable, au motif qu’il n’avait pas été informé lors de la convocation à son audition de son droit de se taire.

La Cour administrative d’appel de Paris confirme le rejet de cette analyse en estimant que « si M. B… se prévaut de l’irrégularité de l’enquête administrative préalable à la sanction litigieuse, à raison de l’imprécision de la convocation pour un entretien le 7 avril 2020, laquelle ne précise pas les faits qui lui sont reprochés et ne l’informe pas du droit qu’il a de se taire, de l’absence de confrontations avec ses collègues, et de la partialité de ses supérieurs hiérarchiques à son égard, les conditions dans lesquelles une enquête administrative est diligentée au sujet de faits susceptibles de donner ultérieurement lieu à l’engagement d’une procédure disciplinaire sont, par elles-mêmes, sans incidence sur la régularité de cette procédure ».

La Cour administrative d’appel de Paris refuse ainsi d’étendre, à la phase d’enquête préalable, la récente décision du Conseil constitutionnel n° 2024-1105 en date du 4 octobre 2024, jugeant contraire à la constitution le fait de ne pas informer les fonctionnaires mis en cause de leur droit de se taire dans le cadre de la procédure disciplinaire.

Si la Cour s’inscrit, pour l’instant, dans la jurisprudence en vigueur selon laquelle, les conditions dans lesquelles une enquête administrative est diligentée sont, par elles-mêmes, sans incidence sur la régularité de la procédure disciplinaire engagée par la suite, la pérennité de cette position ne va pas de soi.

En effet, lors de l’enquête préalable, l’agent entendu peut être amené par ses déclarations ou ses réponses, dont l’autorité investie du pouvoir de sanction est susceptible d’avoir connaissance, à reconnaître les manquements qui lui sont reprochés et, par suite, de s’auto-incriminer.

Or, c’est justement sur ce fondement que les sages du Conseil constitutionnel ont déclaré contraire à la constitution les dispositions de l’article 19 de la loi du 13 juillet 1983, aujourd’hui codifiées à l’article L. 532-4 du Code général de la fonction publique.

Signe d’une pratique religieuse de l’agent et principe de laïcité

On le sait l’agent public est soumis dans le cadre de l’exercice de ses fonctions aux principes de neutralité et de laïcité. Ces principes interdisent à l’agent l’expression pendant ses heures de service de ses convictions religieuses ainsi que de se servir de son appartenance à l’administration à des fins de prosélytisme.

Par conséquent, il est interdit à l’agent de manifester ses opinions religieuses durant son service notamment par le port de signes d’appartenance religieuse. Ceci est d’autant plus vrai lorsque l’agent exerce des prérogatives de puissance publique ou des fonctions de représentation.

Mais qu’en est-il lorsque l’agent présente des signes physiques apparents démontrant une pratique religieuse privée ?

Le Préfet de Police de Paris avait à cet égard refusé à un candidat de lui accorder l’agrément nécessaire à l’exercice de la profession de policier adjoint au motif qu’il présentait une marque physique visible sur le front dite « tabâa ».

Selon le préfet de police, cette marque révélait une pratique religieuse assidue de l’intéressé, laissant supposer, toujours selon lui, « un risque de repli identitaire » de l’agent.

La Cour administrative d’appel de Paris, dans un arrêt du 18 octobre 2024, a annulé cette décision. Elle a jugé que cette marque qui est la simple conséquence physique d’une pratique religieuse exercée dans un cadre privé, et n’est pas à elle seule de nature à établir que la candidature de l’agent serait incompatible avec les principes de laïcité et de neutralité.

Elle ne permet pas non plus de considérer que l’agent ne présentait pas les garanties requises pour exercer les fonctions de policier adjoint.

Le préfet de police ne pouvait donc légalement refuser de lui délivrer l’agrément en vue de l’exercice des fonctions de policier adjoint.

Reprise de sépulture en terrain commun : le Conseil constitutionnel censure les dispositions de l’article L. 2223-4 du Code général des collectivités territoriales (CGCT)

Par une décision en date du 31 octobre 2024, le Conseil constitutionnel est venu censurer des dispositions de l’article L. 2223-4 du Code Générale des collectivités territoriales relatives à la crémation des défunts inhumés en terrain commun en cas de reprise de sépulture.

Une décision qui trouve son origine dans un litige porté devant le Tribunal administratif de Paris par le fils d’une défunte inhumée en terrain commun dans le cimetière de Thiais.

Le 29 mars 2017, le corps de Mme A, inhumé 5 ans plus tôt en terrain commun au sein du cimetière a été exhumé avant de faire l’objet d’une crémation et que ses cendres n’y soient dispersées.

Son fils, M. B, adresse deux années plus tard un recours préalable aux services municipaux tendant à la réparation du préjudice moral qu’il estime avoir subi du fait de la faute qu’aurait commise le maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police en procédant à cette crémation. Recours implicitement rejeté en raison du silence gardé par la mairie et qui donne donc lieu à un recours contentieux de la part de M.B.

Si la demande de M.B. est accueillie en première instance par le Tribunal administratif de Paris qui condamne la Ville à lui verser la somme de 5.000 euros, la Cour administrative d’appel de Paris (saisie d’un appel de la Ville de Paris) rejette dans son arrêt du 5 décembre 2023 ses prétentions en considérant qu’aucune responsabilité ne peut être retenue contre la Ville.

En effet, en l’état du droit positif, aucune disposition du CGCT n’impose aux services municipaux de porter à la connaissance de la famille d’un défunt les conditions de prise en charge de son corps lorsqu’il est inhumé en terrain commun et que sa sépulture fait l’objet d’une reprise.

Cela ressort de la lettre de l’article L. 2223-4, lequel dispose : « Un arrêté du maire affecte à perpétuité, dans le cimetière, un ossuaire aménagé où les restes exhumés sont aussitôt réinhumés. Le maire peut également faire procéder à la crémation des restes exhumés en l’absence d’opposition connue ou attestée du défunt. Les restes des personnes qui avaient manifesté leur opposition à la crémation sont distingués au sein de l’ossuaire. » En vertu de cet article, l’absence d’opposition connue ou attestée du défunt suffit à permettre aux services municipaux de procéder à la crémation des restes mortuaires exhumés.

Des dispositions qui trouvent à s’appliquer :

  • A l’issue d’une reprise de sépulture consécutive à une procédure de reprise de concession funéraire: en effet, lorsqu’une concession est reprise par les services municipaux les restes des personnes y étant inhumées sont, après mise en œuvre de la procédure de reprise idoine[1], exhumés pour être réinhumés ou crématisés selon les conditions de l’article L. 2223-4 du CGCT (voir en ce sens article R. 2223-21 du CGCT[2]).

Dans cette hypothèse, le titulaire de la concession est informé de la mise en œuvre de la procédure de reprise. Bien que cela ne soit pas précisé par les textes, cette information porte également en pratique sur le devenir des restes mortuaires qui se trouvaient dans la concession.

  • Mais également à l’issue d’une reprise de sépulture située en terrain commun: les sépultures situées en terrain commun – c’est-à-dire dans le terrain consacré dans les cimetières à l’inhumation des corps en dehors de toute concession funéraire – peuvent quant à elles être reprises de façon pure et simple au bout de cinq ans à compter de l’inhumation par l’effet de l’article R. 2223-5 du CGCT[3].

Le maire peut alors, selon les dispositions de l’article L. 2223-4 du CGCT, réinhumer les restes mortuaires issus de telles sépultures en terrains communs ou procéder à leur crémation « en l’absence d’opposition connue ou attesté du défunt ».

Par l’effet de ces dispositions, aucune information préalable n’est donc portée à la connaissance de la famille du défunt sur la reprise de la sépulture en terrain commun ou la possibilité de procéder à la crémation de son corps.

C’est dans cette deuxième situation que se trouve M. B., qui va, à l’occasion du pourvoi introduit devant le Conseil d’Etat contre l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris rendu à son encontre, contester la constitutionnalité des dispositions de l’article L. 2223-4 du CGCT.

Considérant en effet que cette absence d’information sur l’expiration du délai de sépulture en terrain commun et la possibilité de procéder à la crémation des restes du défunt en cas de reprise de cette dernière est contraire au respect de la vie privée et la liberté de conscience des personnes inhumées, le requérant demande au Conseil d’Etat de renvoyer au Conseil Constitutionnel la question de la conformité à la Constitution de l’article L. 2223-4 précité. Le Conseil d’Etat procède au renvoi de cette question prioritaire de constitutionnalité par une décision en date du 30 juillet 2024.

Le Conseil Constitutionnel, à travers une décision aussi courte que pragmatique, considère que l’absence d’obligation pour le maire d’informer les tiers susceptibles de faire connaître l’opposition à la crémation du défunt inhumé en terrain commun à l’occasion de la reprise de sa sépulture méconnaît le principe de la dignité humaine constitutionnellement reconnu (qui ne cesse pas avec la mort).

Il décide ainsi de l’abrogation des mots « en l’absence d’opposition connue ou attestée du défunt » figurant au deuxième alinéa de l’article L. 2223-4 du CGCT comme étant contraire à la Constitution.

Une abrogation dont il vient moduler les effets dans le temps, l’abrogation immédiate de ce passage ayant eu pour conséquence manifestement excessive de permettre la crémation des restes exhumés lors de la reprise d’une sépulture malgré l’opposition connue ou attestée du défunt.

Afin de préserver les droits des défunts et de leurs proches, le Conseil Constitutionnel décide de reporter la date de l’abrogation effective de ces dispositions au 31 décembre 2025 et pose d’ici là l’obligation pour les maires d’informer par tout moyen utile les tiers susceptibles de faire connaître la volonté du défunt du fait qu’il envisage de faire procéder à la crémation des restes exhumés à la suite de la reprise d’une sépulture en terrain commun.

A notre sens, cette information pourrait également inclure une notification en amont de la reprise de la sépulture en terrain commun permettant aux proches de manifester leur volonté éventuelle de procéder à l’inhumation du défunt dans une concession.

En outre, il nous semble qu’une obligation explicite d’information sur la possibilité de procéder à la crémation des restes mortuaires issus d’une procédure de reprise de concession devrait également être intégrée à la loi.

Il reste à attendre ce que prévoiront les nouvelles dispositions législatives sur ce point, dont l’entrée en vigueur devrait donc intervenir avant le 31 décembre 2025.

 

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[1] Et ce, soit sur le fondement de l’article L. 2223-15 du CGCT pour les concessions non-perpétuelles en défaut de paiement et arrivées à échéance depuis 2 ans, soit sur celui de la procédure de reprise des concessions en état d’abandon prévue par l’article L. 2223-17 du CGCT.

[2] Lequel dispose : Les terrains occupés par les concessions reprises peuvent faire l’objet d’un nouveau contrat de concession seulement lorsque les prescriptions des articles L. 2223-4, R. 2223-6, R. 2223-19 et R. 2223-20 ont été observées.

[3] L’article R. 2223-5 du CGCT dispose : « L’ouverture des fosses pour de nouvelles sépultures n’a lieu que de cinq années en cinq années. »

Ouverture à la consultation publique du nouveau Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC-3)

À l’occasion d’une conférence de presse à Givors, Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique, de l’Énergie, du Climat et de la Prévention des risques et Michel Barnier, Premier ministre, ont présenté le projet de troisième Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC-3) soumis jusqu’au 27 décembre 2024 à la consultation du public.

Envisagée comme une « démarche d’ajustement au climat actuel ou attendu, qu’il s’agisse de la variabilité climatique mais aussi des évènements climatiques extrêmes », l’adaptation au changement climatique fait l’objet d’un regain d’intérêt ces dernières années. L’ancien ministre de la Transition écologie et de la cohésion des territoires Christophe Béchu en a fait un sujet central de son action entre 2022 et 2024.

Dans la continuité du PNACC-1 (2011-2015) et du PNACC-2 (2018-2022), le PNACC-3 formule 51 mesures et annonce « plus de 200 actions concrètes » afin de répondre aux cinq axes retenus par le plan : protéger la population, assurer la résilience des territoires, des infrastructures et des services essentiels, adapter les activités humaines, protéger notre patrimoine naturel et culturel et mobiliser les forces vives de la nation.

Pour le Gouvernement, ce plan doit préparer la France à une augmentation des températures moyennes annuelles de 4°C en 2100 par rapport aux années 1850-1900. Cette donnée tirée de la trajectoire de réchauffement de référence pour l’adaptation au changement climatique (TRACC) a été très commentée dans la presse et par les associations de protection de l’environnement. Elle conditionne l’ensemble des mesures envisagées par le plan.

Bio-raffinage d’huile de palme : l’absence d’analyse des effets indirects dans les pays fournisseurs

La plateforme de la Mède exploitée par Total, dans les Bouches-du-Rhône abritait de longue date des activités de raffinage traditionnel. Depuis 2015 et la fin de ces activités, un processus de transition vers le « bioraffinage » – processus de transformation de la biomasse ou des productions végétales en carburant – a été engagé. Cette nouvelle raffinerie doit notamment permettre de transformer de l’huile de palme provenant d’Asie du Sud-Est.

En l’espèce, l’arrêté préfectoral du 16 mai 2018, autorisait Total à produire sur ce site du « biodiesel « HVO » à partir d’huiles végétales » – dont de l’huile de palme importée.

Un jugement avant-dire droit, rendu par le Tribunal administratif de Marseille le 1er avril 2021 à la suite d’une requête introduite par différentes associations de protection de l’environnement, a partiellement annulé l’arrêté du 16 mai 2018 « en tant seulement qu’il ne fixe pas de limitation quantitative annuelle plus stricte […] à l’utilisation d’huile de palme et de ses dérivés dans le fonctionnement de la bioraffinerie de La Mède » (cons. 1). Le jugement enjoint par ailleurs le préfet de prendre un arrêté modificatif pour mieux encadrer l’utilisation d’huile de palme. Cet arrêté, pris le 2 mai 2022, portant autorisation modificative et régularisant l’arrêté du 16 mai 2018, a été adopté à la suite d’une nouvelle enquête publique menée sur la base une étude d’impact complémentaire actualisée sur le volet climatique du projet.

Par un jugement du 13 juillet 2022, le tribunal administratif a ensuite rejeté le surplus des conclusions de la requête des associations.

Les associations ont alors interjeté appel de cette décision et d’une partie du jugement avant-dire droit, demandant ainsi l’annulation des arrêtés du 16 mai 2018 et du 2 mai 2022.

Le 7 octobre 2024, la CAA de Marseille s’est prononcée sur ces demandes ; c’est l’objet de l’arrêt ici commenté.

L’analyse de la décision fait apparaître que les associations reprochent essentiellement à l’étude d’impact initiale (celle réalisée en vue de l’adoption de l’arrêté du 16 mai 2018) son insuffisance dans la prise en compte des effets indirects sur l’environnement et le climat du plan d’approvisionnement d’huile de palme dans les pays exportateurs. À ce titre, elles mobilisent notamment le manque de traçabilité des huiles utilisées et l’impact sur le changement climatique. Ce moyen focalisera notre attention.

Par l’arrêt commenté, la cour administrative de Marseille rejette à nouveau le recours des associations. Elle estime en effet que ni la Charte de l’environnement, ni le Code de l’environnement, « n’imposent […] d’analyser dans l’étude d’impact l’ensemble des effets indirects de l’approvisionnement en huiles végétales dans les pays de provenance situés, en l’espèce, principalement en Indonésie et en Malaisie où est produite l’huile de palme entrant majoritairement dans l’approvisionnement de l’installation » (cons. 18). L’étude d’impact doit seulement, pour les matières premières importées, préciser « leur nature, leur pays de provenance, leur localisation dans ce pays, les quantités utilisées ainsi que les modalités de production locale » (cons. 18).

Sur ce dernier point, le juge admet, d’abord, que Total n’avait initialement pas fourni ces différentes informations. La multinationale a toutefois apporté des précisions quant à la provenance des huiles, « dans le cadre de la régularisation résultant de l’exécution » du jugement avant-dire droit (cons. 21), en s’appuyant sur un schéma de certification volontaire reconnu par l’Union européenne et la Commission européenne, l’International Sustainability and Carbon Certification (ISCC).

Puis, si le juge reconnaît que les informations transmises par Total ne permettaient pas de connaître la localisation précise dans le pays de production de l’huile de palme, il considère cependant que « cette circonstance n’a pas nui à l’information complète de la population ni n’a été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative » compte-tenu des informations transmises au sein de l’étude d’impact actualisée et de la certification volontaire à laquelle Total a décidé de se conformer (cons. 22), ainsi que des informations relatives au fournisseur sélectionné, Asian Agri.

Au regard de ces éléments, le juge écarte donc le moyen relatif à l’insuffisance de l’étude d’impact initiale.

Pour le reste, et sans revenir ici de manière détaillée sur le raisonnement retenu, le juge écarte de manière plus directe les différents moyens soulevés par les associations relatifs :

  • à l’annulation d’une partie du jugement avant-dire droit au regard de l’article L. 181-18 du Code de l’environnement,
  • à l’insuffisance alléguée de l’étude d’impact complémentaire réalisée en vue de l’adoption de l’arrêté du 2 mai 2022,
  • à l’absence de prise en compte, par l’étude d’impact complémentaire du « changement d’affectation des sols générés par l’utilisation de l’huile de palme dans l’étude d’impact modifiée et le caractère erroné des paramètres pris en compte dans le calcul des émissions des gaz», Total s’étant fondé sur un protocole reconnu par le droit de l’Union s’assurant ainsi du respect des critères de durabilité de la directive dite RED II tout au long de la chaîne de contrôle (cons. 31)
  • à l’atteinte aux intérêts visés à l’article L. 511-1 du Code de l’environnement portée par « l’absence d’analyse des conséquences environnementales du plan d’approvisionnement en huiles végétales»

L’ensemble des moyens étant écartés, la requête a été rejetée.

Il est à noter que les associations soulevaient par ailleurs, une question préjudicielle destinée à la CJUE concernant la prise en compte des effets indirects sur l’environnement dans l’évaluation environnementale de l’approvisionnement d’une installation de production de bio-carburants, y compris lorsque les impacts environnementaux surviennent à l’étranger. Cette question, s’appuie sur le refus, par le juge interne, de prendre en compte dans l’évaluation environnementale ces effets indirects liés à l’importation de matière première survenus à l’étranger, le régime de l’évaluation environnementale étant largement déterminé par le droit de l’Union européenne.  Cette demande a toutefois également été rejetée par le Cour administrative d’appel.