La défenseure des droits publie un rapport sur la garantie des droits des usagers de services publics face aux algorithmes et aux systèmes d’IA (intelligence artificielle), et formule des recommandations pour les renforcer.

Le 13 novembre 2024, la défenseure des droits a publié un rapport intitulé « Algorithmes, systèmes d’IA et services publics : quels droits pour les usagers ? » , dans lequel elle analyse la garantie des droits des usagers des services publics face à l’utilisation des algorithmes et des systèmes d’IA.

Dans une perspective d’automatisation, d’amélioration et d’accélération de certaines procédures, de plus en plus de décisions administratives individuelles sont prises par le biais d’algorithmes ou de systèmes d’IA.

C’est dans ce contexte que la défenseure des droits a souhaité attirer l’attention sur deux points nécessitant une particulière vigilance, et formuler des recommandations pour garantir le respect des droits et libertés.

Le premier élément d’importance sur lequel la défenseure des droits attire l’attention, est l’importance de l’effectivité de la participation d’un agent dans le processus pour qu’il ne soit qualifié que de « partiellement automatisé ».

Pour cause, l’intervention humaine dans le processus de décision ne peut pas se contenter d’être symbolique, sans quoi la prise de décision serait intégralement automatisée et ne serait plus soumise aux mêmes règles.

Ainsi il est indispensable que l’intervention de l’agent se caractérise par un acte positif et effectif. L’humain doit avoir un réel impact sur le processus de décision.

Au regard de ces considérations, la Défenseure des droits recommande :

« Dans les cas où la décision administrative individuelle prise sur le fondement du résultat d’un algorithme ou d’un système d’IA est qualifiée de décision partiellement automatisée : d’édicter des critères et des modes opératoires obligatoires, alternativement ou cumulativement, pour qualifier plus précisément « l’intervention humaine ».

Deuxièmement, l’article 47 de la loi « Informatique et Libertés » dispose que l’information des usagers ayant fait l’objet de décisions administratives automatisées constitue une condition de validité de ces décisions, et place donc la transparence comme le second élément indispensable à considérer dans le cadre des prises de décision partiellement automatisées.

Afin que cette disposition consacrant l’information des personnes soit au mieux respectée, la défenseure des droits recommande notamment :

  • De se concentrer sur le respect des réglementations déjà en vigueur qui imposent des principes clairs garantissant la transparence via l’information des personnes (RGPD, CRPA)
  • De consacrer un droit à l’explication des décisions administratives individuelles entièrement ou partiellement automatisées ;
  • De travailler, en parallèle du développement des systèmes automatisés, sur les moyens et les outils adéquats pour expliquer les prises de décision issues de ces systèmes.

Cybermalveillance.gouv publie sa 3ème édition du baromètre sur la maturité cyber des collectivités

À l’occasion du Salon des Maires et des Collectivités locales, le 19 novembre 2024, Cybermalveillance.gouv a présenté la troisième édition de son étude sur la maturité cyber des collectivités territoriales.

Cette étude met notamment en lumière une prise en compte encore insuffisante des risques cyber par les collectivités.

Pour mémoire, et en référence à notre précédente brève sur le sujet, Cybermalveillance.gouv est un groupement d’intérêt public ayant vocation, d’une part, à assister les victimes de cyber malveillance, et, d’autre part, à les informer sur les menaces numériques ainsi que sur les moyens de s’en protéger.

Au sein de sa dernière étude, Cybermalveillance.gouv a dressé les constats qui suivent.

  • Les collectivités, qu’elles soient petites ou grandes, restent des cibles phares pour les cyberattaquants.

Une collectivité sur dix déclare avoir été victime d’une ou plusieurs cyberattaques au cours des douze derniers mois.

L’hameçonnage, ou phishing en anglais, continue de constituer la principale cyberattaque dont sont victimes les collectivités, suivi de près par la consultation d’un site infesté et le téléchargement d’un virus.

L’étude précise alors les conséquences déplorables de ces cyberattaques pour les collectivités, qui peuvent se matérialiser par :

  • Une interruption d’activité et de service ;
  • Une destruction ou un vol de données ;
  • Une perte financière ;
  • Une atteinte à leur réputation.

  • La prise en compte des risques cyber par les collectivités demeure insuffisante.

Certains chiffres révèlent un manque de prise en compte du risque cyber de la part des collectivités.

En effet, 44 % d’entre elles s’estiment être faiblement exposées aux risques cyber (soit 6 % de plus qu’en 2023).

53 % des collectivités considèrent bénéficier d’un bon niveau de protection, malgré un faible taux d’équipement en dispositifs de sécurité.

Cette confiance s’avère pourtant trompeuse, puisque seul 14 % des collectivités se sentent réellement préparées à faire face à une cyberattaque. Parmi elles, près de 80 % ne disposent pas — ou ignorent si elles disposent — d’une procédure de réaction en cas de violation de données.

Selon Laurent Verdier, Directeur de la sensibilisation de Cybermalveillance.gouv, cette situation résulte d’une subjectivisation des risques et d’une mauvaise interprétation du risque cyber.

Il insiste sur l’urgence de sensibiliser davantage les élus et les agents à une menace réelle et croissante.

  • Le manque de budget, de compétences et d’accompagnement constituent les principaux freins à la maîtrise du risque cyber.

L’étude de Cybermalveillance.gouv met en lumière les principaux obstacles rencontrés par les collectivités dans la gestion du risque cyber, à savoir un manque de connaissances (47 %), de compétences (36 %) et de budget (36 %).

Il est tout d’abord mis en exergue le manque d’accompagnement et de sensibilisation, empêchant une préparation sérieuse au risque cyber.

70 % des collectivités interrogées considèrent ne pas être en mesure d’évaluer si les solutions de cybersécurité proposées aujourd’hui sont adaptées à leurs besoins.

Les collectivités appellent alors à une meilleure formation des élus et de leurs agents.

En outre, Cybermalveillance.gouv révèle le faible budget alloué à l’informatique et à la sécurité des systèmes en 2024.

A ce titre, en 2024, 73 % des petites et moyennes collectivités disposaient d’un budget informatique annuel de moins de 5 000 euros, et 66 % n’envisagent pourtant pas d’évolution à la hausse pour l’année à venir, et ce, même pour les collectivités qui considèrent être fortement exposées aux risques.

Concernant les budgets spécifiquement dédiés à la cybersécurité, seules 10 % des collectivités prévoient une augmentation en 2024.

En conclusion, la troisième édition du baromètre de Cybermalveillance.gouv souligne des lacunes préoccupantes face à une menace cyber en constante progression. L’augmentation des budgets, ainsi qu’un effort accru de sensibilisation et de formation des élus et agents, s’imposent comme des axes prioritaires pour renforcer la protection des collectivités.

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) clarifie le cadre juridique de l’indemnisation des préjudices résultant de la violation de données personnelles

Dans un arrêt rendu le 14 décembre 2023, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) répond à plusieurs questions préjudicielles posées par la Cour administrative suprême de Bulgarie, et apporte ainsi des précisions sur le régime d’indemnisation applicable en cas de violation de données.

Plus précisément, la CJUE clarifie, d’une part, l’étendue de l’obligation de sécurité qui incombe au responsable du traitement, et, d’autre part, la manière dont doit être appréciée la notion de « dommage moral » pouvant résulter d’une violation de données.

Les questions qui ont été portées à la CJUE sont les suivantes.

  • Les articles 24 et 32 du RGPD permettent-ils de considérer qu’une divulgation non autorisée de données personnelles ou un accès non autorisé à de telles données par des tiers suffit à pouvoir considérer que les mesures de sécurité déployées par le responsable de traitement n’étaient pas appropriées ?

A titre liminaire, notons que les articles 24 et 32 du RGPD imposent au responsable du traitement de mettre en œuvre les mesures techniques et organisationnelles appropriées pour s’assurer, et être en mesure de démontrer, que le traitement est effectué conformément au RGPD.

La CJUE répond par la négative à cette première question, en considérant que ces dispositions se bornent à imposer au responsable du traitement d’adopter les mesures de sécurité destinées à éviter, dans la mesure du possible, toute violation de données à caractère personnel.

Ces dispositions du RGPD laissent en outre la possibilité au responsable de traitement de démontrer qu’il a mis en œuvre de telles mesures.

La Cour rappelle que le caractère approprié de ces mesures doit être apprécié de manière concrète.

Partant, les articles 24 et 32 du RGPD ne sauraient être compris en ce sens qu’une divulgation non autorisée de données à caractère personnel ou un accès non autorisé à de telles données par un tiers suffisent pour conclure que les mesures adoptées par le responsable du traitement concerné n’étaient pas appropriées.

 

  • Le caractère approprié des mesures techniques et organisationnelles mises en œuvre par le responsable de traitement doit-il être apprécié par les juridictions nationales de manière concrète, notamment en tenant compte des risques liés au traitement concerné ?

La CJUE répond par la positive, en précisant que la juridiction nationale doit se livrer à un examen de ces mesures sur le fond, au regard des circonstances propres au cas d’espèce et des risques liés au traitement concerné.

Elle précise qu’un tel examen nécessite de « procéder à une analyse concrète à la fois de la nature et de la teneur des mesures qui ont été mises en œuvre par le responsable du traitement, de la manière dont ces mesures ont été appliquées et de leurs effets pratiques sur le niveau de sécurité que celui-ci était tenu de garantir, eu égard aux risques inhérents à ce traitement. »

 

  • Dans le cadre d’une action en réparation fondée sur l’article 82 du RGPD, le responsable de traitement doit-il rapporter la preuve du caractère approprié des mesures de sécurité qu’il a mis en œuvre ?

Notons que l’article 82 du RGPD permet à toute personne ayant subi un dommage matériel ou moral du fait d’une violation du RGPD d’obtenir du responsable de traitement, ou du sous-traitant, la réparation du préjudice subi.

Pour répondre à la question qui lui est posée, la CJUE rappelle le principe de responsabilité posé par l’article 5 du RPGD, en vertu duquel le responsable de traitement est responsable du respect des principes liés au traitement des données personnelles qu’il met en œuvre. Ce même article prévoit que ledit responsable de traitement doit être en mesure de démontrer que ces principes sont respectés.

La CJUE répond à cette troisième question par la positive et affirme que le responsable de traitement doit prouver le caractère approprié des mesures de sécurité qu’il a mises en œuvre au titre de l’article 32 dudit règlement.

Elle précise à ce titre qu’une expertise judiciaire ne saurait constituer un moyen de preuve systématiquement nécessaire et suffisant.

  • Le responsable de traitement peut-il être exonéré de son obligation de réparer le dommage subi par une personne au titre de l’article 82 du RGPD du seul fait que ce dommage résulte d’une divulgation non autorisée de données personnelles ou d’un accès non autorisé à de telles données par des tiers ?

La CJUE répond par la négative, en rappelant qu’il revient au responsable de traitement de démontrer que le fait qui a provoqué le dommage concerné ne lui est nullement imputable.

  • La crainte d’un potentiel usage abusif de ses données personnelles par des tiers qu’une personne concernée éprouve à la suite d’une violation de données peut-elle constituer un dommage moral ?

La CJUE répond par la positive, en se fondant notamment sur le considérant 146 du RGPD qui prévoit que la notion de « dommage moral » doit être interprété au sens large.

Elle précise toutefois que la juridiction nationale saisie doit vérifier que cette crainte peut être considérée comme étant fondée, dans les circonstances spécifiques en cause et au regard de la personne concernée.

Cet arrêt offre ainsi des clarifications essentielles, permettant d’éclaircir certains principes posés par le RGPD, tout en soulignant l’importance d’une approche concrète et contextualisée en matière de protection des données.

Droit au silence et licenciement pour insuffisance professionnelle

Par une décision en date du 22 novembre 2024, le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a précisé que le licenciement pour insuffisance professionnelle ne revêtait pas le caractère d’une sanction, et que même si une telle décision avait été prise à l’issue d’une procédure de forme disciplinaire, l’agent n’avait pas à être informé de son droit de garder le silence.

En l’espèce, le maire d’une commune a, par arrêté, licencié un brigadier-chef principal pour insuffisance professionnelle.

Dans sa requête en annulation, l’agent invoquait un vice de procédure tiré du fait de ne pas avoir été informé de son droit de garder le silence au cours de la procédure disciplinaire à l’issue de laquelle son licenciement pour insuffisance professionnelle avait été décidé.

Toutefois, le tribunal juge qu’un tel moyen est inopérant, en estimant que « M. B fait valoir qu’il n’a pas été informé de son droit de garder le silence au cours de la procédure disciplinaire à l’issue de laquelle a été décidé son licenciement pour insuffisance professionnelle. Toutefois, le licenciement pour insuffisance professionnelle ne revêt pas le caractère d’une sanction. Dès lors et quand bien même cette décision doit être prononcée après observation de la procédure disciplinaire, M. B n’avait pas à être informé de son droit à se taire au cours de la procédure à l’issue de laquelle le maire de la commune l’a licencié pour insuffisance professionnelle. Par suite, le vice de procédure tiré du défaut d’information tenant au droit de se taire est inopérant et ne peut, pour ce motif, qu’être écarté. »

Par cette décision, le tribunal refuse d’appliquer l’obligation d’information du droit de se taire à la procédure préalable aux licenciements pour insuffisance professionnelle et opère ainsi une distinction entre la procédure à suivre pour licencier un agent pour insuffisance professionnelle et celle pour le sanctionner, alors même que l’article L. 553-2 du Code général de la fonction publique indique que « le licenciement d’un fonctionnaire pour insuffisance professionnelle est prononcé après observation de la procédure prévue en matière disciplinaire ».

En effet, si l’autorité administrative est tenue de suivre la procédure disciplinaire pour licencier un agent pour insuffisance professionnelle, le licenciement pour ce motif ne peut être fondé que sur des éléments révélant l’inaptitude de l’agent à exercer normalement les fonctions pour lesquels il a été engagé[1], et même si le juge administratif a admis que certains des faits susceptibles de de démontrer une telle insuffisance pouvaient également recevoir une qualification disciplinaire, sans pour autant remettre en cause l’insuffisance professionnelle de l’agent[2], un tel licenciement ne vise pas à sanctionner le comportement répréhensible d’un agent ayant manqué à ses obligations professionnelles.

La notification de l’obligation de se taire dans la procédure disciplinaire des fonctionnaires étant fondée sur le respect de la présomption d’innocence prévue à l’article 9 de la Déclaration des droits et de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et au caractère punitif de la mesure pouvant être prononcée à l’issue de la procédure disciplinaire[3], son respect n’est donc pas requis dans le cadre d’un licenciement pour insuffisance professionnelle, dénué de tout caractère répressif.

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[1] CE, 9 juin 2020, n° 425620.

[2] CAA de VERSAILLES, 26 janvier 2016, 14VE00916.

[3] Décision n° 2024-1105 QPC du 4 octobre 2024

Le courrier d’avocat n’est pas une décision administrative : nouvelle illustration

Par un jugement en date du 20 juin 2024, le Tribunal administratif de Versailles a rappelé qu’un courrier d’avocat ne constitue pas une décision administrative.

Dans cette affaire, une vacataire, Mme A, a sollicité auprès de son administration la requalification de sa situation de vacataire en agent non titulaire, et la régularisation subséquente de sa situation, en particulier la reconstitution de ses droits et l’indemnisation des préjudices subis.

Par un courrier en réponse, le conseil de son employeur l’informait du rejet de ses demandes.

C’est dans ces conditions que l’intéressée s’est tournée vers le Tribunal administratif de Versailles afin d’obtenir l’annulation de cette décision.

Saisi de cette affaire, le tribunal a énoncé, reprenant le considérant de principe en la matière (voir CE, 9 mai 2012, n° 355665, publié au Recueil sous le code A) que si les dispositions applicables (à savoir l’article R. 421-1 du Code de justice administrative et les articles 4 et 6 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques) « autorisent les personnes publiques à se faire représenter par des avocats dans leurs relations avec les autres personnes publiques ou avec les personnes privées, aucune décision administrative ne saurait toutefois résulter des seules correspondances de ces derniers, en l’absence de transmission, à l’appui de ces correspondances, de la décision prise par la personne publique qu’ils représentent ».

Il a relevé qu’en l’espèce, le courrier en litige portant rejet des demandes de l’intéressée n’était accompagné d’aucune décision prise par l’administration, et a considéré par conséquent que les conclusions dirigées contre ce courrier étaient irrecevables.

Précisons que cette solution ne prive pas l’agent de tout recours, celui-ci pouvant en l’absence de décision expresse de l’administration, former un recours contre la décision implicite de rejet. Il reste néanmoins toujours préférable, pour l’administration qui entend rejeter une demande formulée par l’un de ses agents d’édicter en son nom la décision de rejet, qu’elle pourra ensuite notifier directement à l’agent ou par l’intermédiaire de son conseil si tel est son souhait.

N’est pas imputable au service le syndrome anxio-dépressif d’un agent responsable des relations difficiles dont il se plaint

Par un arrêt du 16 octobre 2024, la cour administrative de Douai a recherché si le comportement d’une agente a été de nature à rompre le lien entre sa pathologie et le service.

En l’espèce, la cour était saisie d’une demande de réformation du jugement rendu par le Tribunal administratif de Lille. Celui-ci avait refusé d’annuler la décision du maire d’une commune de ne pas reconnaître imputable au service le syndrome anxio-dépressif d’une agente et par conséquent de ne pas lui octroyer un congé pour invalidité temporaire imputable au service.

On le rappelle, le syndrome anxio-dépressif n’est pas inscrit au tableau des maladies professionnelles. Cela implique que, pour être reconnu imputable au service, il doit, d’une part, être « essentiellement et directement causé par l’exercice des fonctions » et, d’autre part, être susceptible d’entraîner une incapacité permanente de 25 %[1].

Aussi, pour être reconnue imputable au service, la pathologie doit avoir un lien direct avec le service mais il n’est pas nécessaire que ce lien soit exclusif[2], ni certain ou déterminant[3].

La Cour relève ici que la pathologie de l’agente est survenue dans un climat professionnel conflictuel dont elle était à l’origine, du fait de son comportement. Elle estime ainsi que le syndrome anxio-dépressif dont elle souffre résulte de son fait personnel ce qui a pour effet de détacher la survenance de cette maladie du service, le lien ne saurait alors être direct et ce quand bien même l’ambiance dégradée du service est à l’origine de sa pathologie.

La Cour fait ainsi application de la jurisprudence du Conseil d’État selon laquelle il appartient au juge de déterminer « si une faute ou un fait de l’agent a contribué à sa maladie et, si c’est le cas, d’examiner s’il est exorbitant du service. » pour déterminer le caractère direct du lien entre la pathologie et le service[4].

Dans ces conditions, en l’absence d’imputabilité au service de la pathologie dont elle souffre, l’agente ne peut bénéficier du congé pour invalidité temporaire imputable au service et son arrêt de travail devra nécessairement prendre la forme d’un congé de maladie ordinaire, de longue maladie ou de longue durée[5].

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[1] Article L. 822-20 du Code général de la fonction publique et R. 461-8 du code de la sécurité sociale ;

[2] CE, 23 septembre 2013, n° 353093, aux tables ;

[3] CE, 8 mars 2023, n° 451972

[4] Ccls Laurent Cytermann sous CE, 13 mars 2019, n°s 407199 407795, au rec ;

[5] Articles L. 822-1, L. 822-6 et L. 822-12 du CGFP.

Promulgation de la loi « Airbnb » : point sur les aspects urbanisme

Outre des questions de copropriété, des sujets fiscaux, la loi dite « Airbnb » promulguée le 20 novembre dernier, prévoit divers dispositifs qui touchent au Code de l’urbanisme ou encore au Code de la construction et de l’habitation.

  • La délimitation de zone réservées aux résidences principales: l’article 5 de la loi institue une sorte de servitude de résidence principale dans les zones urbaines ou à urbaniser que peut instaurer le document local d’urbanisme quand :
  • Dans le périmètre du règlement, la taxe annuelle sur les logements vacants mentionnée à l’article 232 du Code général des impôts est applicable ;
  • Les résidences secondaires représentent plus de 20 % du nombre total d’immeubles à usage d’habitation.

L’instauration d’une telle servitude peut être engagée sous la forme d’une procédure de modification simplifiée du PLU prévue aux articles L. 153-45 à L. 153-48 du Code de l’urbanisme.

Toute promesse de vente devra faire mention de cette servitude, et ce mécanisme et assortis de sanctions financières, et d’un mécanisme de résiliation de plein droit du bail.

  • La généralisation de la déclaration préalable pour la location d’un meublé de tourisme: l’article 1er de la loi du 19 novembre 2024 prévoit que toute mise en location d’un meublé de tourisme, qu’il porte sur une résidence secondaire ou bien principale, doit faire l’objet d’une déclaration avec enregistrement auprès d’un téléservice national (qui sera mis en place au plus tard le 1er janvier 2026). Un décret devra préciser les pièces nécessaires à cette déclaration.
  • La possibilité d’abaisser de 120 à 90 jours le nombre de jours de location : l’article 4 prévoit la faculté pour les communes de décider d’abaisser, par délibération, de 120 à 90 jours par an le nombre maximum de jours de mise en location d’une résidence principale en qualité de meublé de tourisme.
  • Généralisation du DPE obligatoire: même pour les meublés de tourisme, ces derniers devront, à compter du 1er janvier 2034 respecter les niveaux de performance énergétique d’un logement décent (article 3).
  • Une adaptation du régime du changement d’usage: le périmètre territorial du changement d’usage est étendu, la charge de la preuve de l’usage d’habitation d’un local est modifiée pour répondre aux difficultés des communes pour établir cet usage. Les communes pourront aussi délimiter des zones dans lesquelles elles instaureront un nombre maximal d’autorisations temporaires dont la durée ne pourra pas excéder cinq ans. Dans ces zones, toute autorisation de changement d’usage permanent d’habitation à meublé de tourisme devra être compensé.

Un acte trois du zéro artificialisation nette (ZAN) ?

C’est ce qu’envisagent les sénateurs qui ont déposé une proposition de loi sénatoriale, l’exposé des motifs jugeant que « Le ZAN est devenu un sigle désespérant pour de nombreux élus locaux, synonyme de trajectoires de sobriété foncière imposées aux collectivités sans tenir compte des spécificités et des dynamiques territoriales ».

  • Un report des délais de traduction dans les documents locaux: Tout d’abord, la proposition de loi opère un nouveau report de traduction de la baisse des possibilités d’artificialisation dans les documents locaux. Si la loi n° 2023-630 du 20 juillet 2023 avait déjà reporté ces dates au mois de février 2027 pour les SCOT, et au mois de février 2028 pour les PLU, la proposition de loi suggère de les reporter à 2031 pour les SCOT, et à 2036 pour les PLUi et cartes communales.

Par ailleurs, les documents régionaux pourraient être de nouveau modifiés pour tenir compte de la faculté donnée par le projet de loi à ces documents de fixer des objectifs propres d’artificialisation, tel qu’exposé ci-après.

  • Une suppression de l’objectif législatif de réduction de la consommation d’ENAF: L’un des points marquant de cette proposition de loi est celui de l’article 2, abrogeant l’objectif intermédiaire de réduction de moitié de l’artificialisation à l’échelle nationale sur la décennie 2021 – 2031 par rapport à la décennie précédente. En réalité, des objectifs limites de consommation pourraient être fixés par les documents locaux régionaux, tels que le SRADDET, le SAR, le SDRIF-E, etc., sans se fier donc à un objectif national prédéfinit (50 %) de sobriété foncière.

Cet article fait référence au rapport du Sénat sur le ZAN remis en octobre 2024, selon lequel « déterminer une enveloppe globale d’artificialisation pour l’avenir, uniquement par référence aux dynamiques passées, ne permet pas de répondre aux besoins ».

  • Exclusion et non-mutualisation des projets d’envergure nationale et européenne (PENE): le projet de loi acte de l’exclusion de la non-mutualisation de ces PENE fixés par la loi des enveloppes régionales de la consommation d’ENAF. La première liste des PENE publiée en juin 2024 représente un peu moins de 12.000 hectares.
  • Un nouveau nom, une nouvelle composition et de nouvelles compétences pour la conférence régionale de gouvernance de la politique de réduction de l’artificialisation des sols: ce nouveau nom serait « conférence régionale de gouvernance de la sobriété foncière ». La présence des communes et EPCI compétents en matière d’élaboration des documents d’urbanisme, et disposant d’un tel document ou ayant engagé l’élaboration d’un tel document notamment, serait renforcée au sein de cette conférences.

Outre ses compétences actuelles de participation à la désignation des PENE, de suivi de la consommation à l’échelle régionale et de proposition de mesures relative à la lutte contre la consommation des ENAF, la conférence régionale participerait à la répartition de l’enveloppe de consommation d’ENAF entre les différentes collectivités.

Nous suivrons attentivement l’évolution de ce projet dans son traditionnel travail de navette parlementaire.

Expropriation et date d’appréciation de la charge et du coût des mesures de dépollution d’un terrain

Par un arrêt en date du 7 novembre 2024, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation rappelle les règles applicables en matière de moins-value pour dépollution d’un terrain exproprié.

Au cas présent, le bien litigieux concernait une parcelle se trouvant en zone 3NA du plan d’occupation des sols (POS) de la commune, correspondant à une réserve foncière destinée à moyen terme à l’accueil de l’habitat en cas notamment de création d’une zone d’aménagement concerté.

Selon les expropriés, qui contestaient l’arrêt de la Cour d’appel de Toulouse, la juridiction de l’expropriation, chargée de fixer les indemnités d’expropriation, devait vérifier si la présence de pollution dont elle avait constaté l’existence n’était pas incompatible avec l’urbanisation future qu’impliquait un tel classement et si cette pollution ne rendait pas impossible la construction de logements.

La Cour de cassation les déboute et énonce que le bien est estimé au jour du transfert de propriété, selon son usage effectif à la date de référence, sous réserve de sa conformité avec les documents d’urbanisme en vigueur, de telle sorte que la charge et le coût des mesures de dépollution à entreprendre ne sont pas appréciés au regard de l’usage futur du bien résultant du projet de l’expropriant mais de celui qu’en faisait l’exproprié à la date de référence.

Constatant qu’à la date de référence, le bien litigieux est une parcelle à usage de friche, conforme à la définition de la zone 3NA du POS de la commune, zone naturelle inconstructible, elle pose que c’est, sans être tenue à des recherches non demandées ou à des constatations rendues inopérantes, que la Cour d’appel de Toulouse en a déduit que la demande des expropriés de déduire l’indemnité d’expropriation d’une moins-value pour dépollution ne pouvait être accueillie.

Caractère exécutoire d’une délibération instituant le droit de préemption urbain dès sa publication ou son affichage et sa transmission au préfet

Par une décision en date du 18 novembre 2024, le Conseil d’Etat considère que le caractère exécutoire d’une délibération instituant le droit de préemption urbain résulte désormais du seul respect des formalités de publicité prévues par l’article L. 2131-1 du Code général des collectivités territoriales.

Par une délibération du 19 janvier 2017, le conseil communautaire de la communauté de communes Cœur Haute Lande a institué le droit de préemption urbain sur le territoire de la commune de Garein. Puis, par un arrêté du 29 janvier 2020, le président de la communauté de communes a exercé ce droit de préemption urbain sur une parcelle située sur le territoire de la commune.

Saisi d’un recours pour excès de pouvoir par l’acquéreur évincé, le Tribunal administratif de Pau a annulé cet arrêté. Par un arrêt du 4 juillet 2023, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté l’appel formé par la communauté de communes au motif qu’en l’absence de caractère exécutoire de la délibération instituant le droit de préemption urbain, l’arrêté du 29 janvier 2020 était dépourvu de base légale.

La communauté de communes s’est alors pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat.

Afin de déterminer le caractère exécutoire ou non de la délibération, le Conseil d’Etat s’est fondé uniquement sur les dispositions de l’article L. 2131-1 du Code général des collectivités territoriales qui prévoient qu’un acte, autre qu’individuel, est exécutoire lorsqu’il a été procédé à sa publication ou son affichage et à sa transmission au préfet.

Le Conseil d’Etat opère ainsi un revirement de jurisprudence puisqu’il considérait jusqu’ici que les formalités de l’article R. 211-2 du Code de l’urbanisme, à savoir l’affichage de la délibération en mairie pendant un mois et l’insertion d’une mention dans deux journaux diffusés dans le département, étaient nécessaires à l’entrée en vigueur des actes instituant le droit de préemption urbain (voir not. CE, 19 juin 2017, n° 407826 et CE, 8 décembre 2022, n° 466081).

Cette solution résultait d’une lecture stricte du second alinéa de l’article R. 211-2 du Code de l’urbanisme qui prévoit que les effets juridiques attachés à la délibération instituant le droit de préemption urbain ont pour point de départ l’exécution de l’ensemble des formalités de publicité prévues par ledit article.

C’est dans cette ligne jurisprudentielle que s’était inscrite la Cour administrative d’appel de Bordeaux pour en déduire que la délibération instituant le droit de préemption urbain n’était pas devenue exécutoire en l’absence de respect de l’obligation d’information par voie de presse.

Au regard de sa nouvelle position jurisprudentielle, le Conseil d’Etat annule donc l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux pour erreur de droit et lui renvoie l’affaire. Il pose que le respect de la durée d’affichage et celui de l’obligation d’information par voie de presse prévue par l’article R. 211-2 du Code de l’urbanisme sont sans incidence sur la détermination de la date à laquelle la délibération devient exécutoire.

La solution apportée par le Conseil d’Etat est alignée avec celle qu’il a adoptée à l’égard de l’entrée en vigueur de la délibération approuvant, révisant, abrogeant ou modifiant un plan local d’urbanisme lorsque la commune est couverte par un schéma de cohérence territoriale. En effet, celle-ci est exécutoire à compter de la date la plus tardive entre la date de publication et la date de transmission au représentant de l’Etat alors même que cette délibération doit, par ailleurs, faire l’objet d’un affichage pendant un mois et d’une mention apparente dans un journal diffusé dans le département et que ces dernières diligences sont sans incidence sur le caractère exécutoire de ladite délibération (voir not. CE, 02 avril 2021, n° 427736).

Naissance du permis d’aménager à tranches : publication du décret reconnaissant la possibilité de commercialiser les lots par tranches successives

Par principe, la vente des lots d’un lotissement ne peut intervenir qu’après la réalisation des travaux par le lotisseur.

Toutefois, en vertu des dispositions de l’article R. 442-13 du Code de l’urbanisme, le lotisseur peut demander que son permis d’aménager l’autorise à procéder à la vente ou à la location des lots avant l’exécution de tout ou partie des travaux prescrits, sous réserve de justifier d’une garantie d’achèvement des travaux.

Pour rappel, cette garantie est donnée par une banque, un établissement financier ou une société de caution mutuelle et peut prendre deux formes (C. urb., art. R. 442-14) :

  • une ouverture de crédit par laquelle celui qui l’a consentie s’oblige à avancer au lotisseur ou à payer pour son compte les sommes nécessaires à l’achèvement des travaux ;
  • une convention par laquelle la caution s’oblige envers les futurs attributaires des lots, solidairement avec le lotisseur, à payer les sommes nécessaires à l’achèvement des travaux.

Désormais, le nouvel article R. 442-13-1 du Code de l’urbanisme élargit cette exception en permettant la commercialisation des lots tranche par tranche, sous réserve de justifier des garanties d’achèvement des travaux correspondantes.

Le deuxième alinéa de cet article précise que la garantie sera levée lors du dépôt de la déclaration attestant l’achèvement et la conformité des travaux (DAACT), prévue par l’article R. 462-3 du Code de l’urbanisme, et de la garantie d’achèvement des travaux relatifs à la tranche suivante. Le dépôt de ces deux documents autorise le lotisseur à procéder à la vente ou à la location des lots au titre de la tranche suivante.

A titre d’exemple, le lotisseur qui a un lotissement en trois tranches (A, B et C) peut commercialiser les lots de la tranche A avant la réalisation des travaux prescrits, à condition de disposer d’une garantie d’achèvement des travaux pour cette tranche. Le lotisseur pourra ensuite commercialiser les lots de la tranche B lorsqu’il aura déposé la DAACT de la tranche A et la garantie d’achèvement des travaux de la tranche B. Il en ira de même pour la tranche C dont les lots pourront être commercialisés après le dépôt de la DAACT de la tranche B et de la garantie de la tranche C.

Ces nouvelles dispositions s’appliqueront aux demandes d’autorisation d’urbanisme déposées à compter du 21 décembre 2024.

A retenir également que, dans les communes de plus de 3.500 habitants, les demandes d’autorisation d’urbanisme ou les déclarations préalables émanant de personnes morales devront désormais être adressées par voie électronique, à compter du 1er janvier 2025.

Exercice du droit de rétrocession de l’exproprié : constitutionnel… sous réserve

Par une question prioritaire de constitutionnalité rendue n° 2024-1112 le 22 septembre 2024, le Conseil constitutionnel a confirmé la constitutionnalité des dispositions de l’article L. 421-3 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique concernant l’exercice du droit de rétrocession, mais ce sous réserve d’une interprétation.

 

Pour rappel, si les immeubles expropriés n’ont pas reçu, dans un délai de 5 ans à compter de l’intervention de l’ordonnance d’expropriation, la destination pour laquelle ils ont été expropriés ou ont cessé de recevoir cette destination, il est octroyé à l’ancien propriétaire un droit de rétrocession lui permettant d’acquérir de nouveau son ancienne propriété. Si l’ancien propriétaire décide d’exercer son droit de rétrocession, le prix d’acquisition sera fixé, comme en matière d’expropriation (à savoir à l’amiable ou, à défaut, par décision judiciaire).

L’article L. 421-3 du Code de l’expropriation, contesté dans le cadre de ce recours, intervient à la suite de cette fixation du prix de rachat et dispose qu’« à peine de déchéance, le contrat de rachat est signé et le prix payé dans le mois de sa fixation, soit à l’amiable, soit par décision de justice ».

Il en résulte ainsi que l’expropriant et l’ancien exproprié dispose d’un délai d’un mois pour réaliser les formalités nécessaires à la cession du bien (rédaction et signature de l’acte authentique de vente) et pour s’acquitter du paiement du prix de rachat, à défaut de quoi l’ancien exproprié – désormais acquéreur par rétrocession – sera considéré comme déchu de son droit.

En d’autres termes, si lesdites formalités ne sont pas réalisées dans le délai imparti d’un mois, l’expropriant est libéré de son obligation de revendre le bien à l’ancien exproprié, qui ne pourra plus prétendre à un quelconque droit de propriété sur ledit bien.

Cette disposition a fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité transmise par la Cour de cassation à l’issue d’une décision de renvoi en date du 5 septembre 2024.

En l’espèce, plusieurs expropriés avaient exercé leur droit de rétrocession pour le rachat d’une parcelle expropriée dans le cadre de la création d’une zone d’aménagement concerté. Le prix de rétrocession avait été fixé par un jugement du 14 novembre 2019 mais faute de réalisation des formalités d’acquisition et de paiement du prix, l’Etablissement public foncier du Grand Est leur avait notifié la déchéance de leur droit de rétrocession. Les requérants ont donc saisi le juge judiciaire aux fins de restitution de la parcelle contre le paiement du prix de rétrocession, procédure au terme de laquelle la Cour de cassation a transmis la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

Selon les requérants, l’article L. 421-3 du Code de l’expropriation porte atteinte au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en raison de la durée insuffisante laissée aux parties pour s’acquitter des formalités et du paiement, et ce notamment lorsque la méconnaissance de ce délai pourrait résulter du comportement de l’expropriant.

Par sa décision rendue le 22 novembre dernier, les Sages ont confirmé la constitutionnalité de l’article L. 421-3 du Code de l’expropriation au terme d’un raisonnement en deux temps.

D’une part, il a été énoncé que la disposition litigieuse a pour objet de prévenir l’inaction du titulaire du droit de rétrocession. En effet, comme l’a rappelé le représentant du Premier ministre dans ses conclusions, une fois le droit de rétrocession exercé par l’exproprié, l’expropriant, encore propriétaire du bien, ne dispose plus de la pleine disposition de son bien et se trouve notamment dans l’impossibilité de le vendre à un tiers.

Afin de prévenir les atteintes au droit de propriété de l’expropriant (propriétaire), il était donc nécessaire d’encadrer les délais de formalisation du rachat par l’exproprié. Tel est l’objet de la disposition litigieuse.

D’autre part, il est acquis que le délai d’un mois de l’article contesté ne court qu’à compter de la fixation définitive du prix de rachat (à l’amiable ou par décision judiciaire devenue définitive). Or, cette phase de fixation du prix intervient nécessairement après que l’exproprié ai exercé son droit de rétrocession. Aussi, pour le Conseil constitutionnel, il n’est pas fait obstacle à l’exercice du droit de rétrocession.

Néanmoins, le Conseil constitutionnel émet une réserve d’interprétation de l’article examiné :

« 9. Toutefois, ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître les exigences constitutionnelles précitées, être interprétées comme permettant que la déchéance du droit de rétrocession soit opposée à l’ancien propriétaire ou à ses ayants droit lorsque le non-respect du délai qu’elles prévoient ne leur est pas imputable »

Aussi, l’article L. 421-3 du Code de l’expropriation ne saurait permettre à un expropriant d’opposer la déchéance du droit de rétrocession à un exproprié ayant exercé son droit de rétrocession alors même que la méconnaissance du délai d’un mois laissé lui serait imputable en raison de son inaction ou son manque de diligences à réaliser les formalités de cession.

C’est sous cette réserve d’interprétation que le Conseil constitutionnel confirme la constitutionnalité de l’article L. 421-3 du Code de l’expropriation.

Cette décision, favorable aux expropriés, ne peut qu’inciter les expropriants comme les expropriés à anticiper la réalisation des formalités de rachat, et ce notamment en cas d’accord amiable sur le prix.

Les expropriants, quant à eux, devront être attentifs à la conservation des justificatifs des diligences opérées, afin de prévenir toute difficulté dans l’hypothèse d’une contestation de l’acquisition de la déchéance du droit de rétrocession.

La décision QPC étant silencieuse sur les modalités d’appréciation de l’inertie de l’expropriant conduisant au non-respect du délai prévu par l’article L. 421-3, désormais déclaré constitutionnel, il reviendra certainement au Juge judiciaire de statuer dans l’avenir sur ces questions.

Le juge de l’expropriation n’est pas tenu par les propositions amiables de l’expropriant

Dans cette affaire, les indemnités d’expropriation dues à l’exproprié ont été fixées judiciairement. L’exproprié a effectué un pourvoi en cassation dans lequel il soulève deux moyens.

En premier lieu, l’exproprié contestait le fait que le juge de l’expropriation n’avait pas tenu compte de l’offre faite par l’expropriant pendant la phase amiable antérieure à sa saisine.

L’on rappelle que l’expropriant doit notifier le montant de ses offres aux expropriés et les inviter à faire connaître le montant de leur demande (L. 311-4 du Code de l’expropriation), et ce n’est qu’à défaut d’accord sur le montant des indemnités, que celles-ci sont fixées par le juge de l’expropriation (L. 311-5 du même code).

Concrètement, dans cette affaire, l’exproprié s’était vu offrir une indemnité de 12.000 euros à l’amiable pour l’édification d’un mur antibruit mais, faute d’accord, le juge de l’expropriation a été saisi et a fixé à 1.860 euros l’indemnité de clôture, indemnité identique à celles des autres expropriés.

Sur ce point, la Cour de cassation rappelle que les offres faites à l’amiable entre les parties ne lient pas le juge de l’expropriation saisi ultérieurement, celui-ci n’étant tenu que par les demandes figurant dans les mémoires des parties, et donc dans la limite des prétentions des parties, conformément à l’article R. 311-22 du Code de l’expropriation.

Il arrive donc qu’un exproprié obtienne une indemnité principale et des éventuelles indemnités complémentaires dont les montants fixés par le juge de l’expropriation sont moindres que ce qu’il aurait pu obtenir s’il avait accepté l’offre amiable antérieure de l’expropriant. Dès le stade de la procédure amiable, il est donc utile pour l’exproprié d’étudier l’éventuelle marge de manœuvre qu’il pourrait avoir devant le juge de l’expropriation par rapport à l’offre amiable.

En second lieu, l’exproprié soutenait qu’il devait bénéficier d’une indemnité de dépréciation du surplus car l’expropriation concernait environ 24,5 % de son jardin. Le juge de l’expropriation a rejeté sa demande.

La Cour de cassation a ici relevé que le juge du fond avait bien rappelé qu’il s’agissait d’une expropriation partielle et que la perte de valeur subie par le surplus de la propriété restant à l’exproprié n’ouvre droit à réparation que sous réserve de résulter directement de l’emprise partielle objet de l’expropriation, et non de l’implantation d’un ouvrage public. En effet, le seul fait d’exproprier partiellement une parcelle ne confère pas un droit automatique à l’exproprié de percevoir une indemnité de dépréciation du surplus. Et la preuve de cette démonstration incombe à l’exproprié.

Au présent cas, le juge de l’expropriation avait relevé que le seul préjudice direct lié à l’emprise était la dépossession de 24,5 % de la superficie de la parcelle de l’exproprié qui est donc passée de 3.191 m² à 2.409m². La Cour de cassation estime que le juge de l’expropriation a souverainement retenu que si les travaux liés à l’aménagement de la route allaient provoquer une perte de vue et de nuisances sonores, selon ce qui ressortait bien d’un rapport produit par l’exproprié, ce dernier n’apportait en revanche aucune preuve de la perte de valeur du surplus non exproprié de sa parcelle résultant de la seule partie d’emprise expropriée.

Précisions sur la procédure à mettre en œuvre : Modification ou révision du plan local d’urbanisme (PLU) pour le passage d’une parcelle classée en 2 AU à 1 AU

Dans cette affaire, des sociétés ont sollicité l’annulation d’une délibération d’un conseil municipal de 2018 approuvant la modification n° 3 du plan local d’urbanisme (PLU), ensemble le rejet de leur recours gracieux, en soulevant notamment le moyen selon lequel une procédure de révision aurait dû être mise en œuvre.

En particulier, cette modification n° 3 était relative à la modification du zonage et à l’ouverture à l’urbanisation d’un terrain de 10 hectares « à urbaniser », antérieurement classé en zone 2 AU afin de la classer en 1 AU.

Le tribunal administratif a rejeté leur requête. La cour administrative d’appel a confirmé le jugement. Le Conseil d’Etat a alors été saisi d’un pourvoi en cassation à l’encontre de l’arrêt de la Cour.

D’abord, le Conseil d’Etat a rappelé qu’un document d’urbanisme local pouvait définir quatre types de zones : les zones urbaines, les zones à urbaniser, les zones agricoles, et les zones naturelles et forestières.

Le Conseil d’Etat a ensuite rappelé la définition des zones à urbaniser (AU) au sens de l’article R. 151-20 du Code de l’urbanisme. En substance, cet article distingue deux types de zones à urbaniser :

  • la zone 1 AU concerne des parcelles déjà desservies par des voies et réseaux d’électricité, d’eau et d’assainissement d’une capacité suffisante pour desservir les futures constructions ;
  • la zone 2 AU correspond à des parcelles desservies par de tels réseaux mais en capacité insuffisante pour les futures constructions, et qui sont subordonnées à une modification ou une révision du PLU.

En outre, le Conseil d’Etat rappelle que les articles du Code de l’urbanisme applicables en l’espèce disposent que, sous réserve des cas où une révision du PLU s’impose, le PLU est modifié lorsque la collectivité compétente décide de modifier le règlement, les OAP ou le programme d’orientations et d’actions. Aussi, lorsque le projet de modification porte sur l’ouverture à l’urbanisation d’une zone, une délibération motivée de l’organe délibérant doit être prise pour justifier de l’utilité de cette ouverture au regard des capacités d’urbanisation encore inexploitées dans les zones déjà urbanisées et la faisabilité opérationnelle d’un projet dans ces zones. Enfin, à l’inverse, le PLU est révisé lorsque la Collectivité décide d’ouvrir à l’urbanisation une zone à urbaniser qui, dans les 9 ans [aujourd’hui le délai est de 6 ans] suivant sa création, n’a pas été ouverte à l’urbanisation ou n’a pas fait l’objet d’acquisitions foncières significatives de la part de ladite Collectivité compétente, directement ou par l’intermédiaire d’un opérateur foncier.

Cela étant posé, le Conseil d’Etat distingue selon que :

  • La parcelle est classée en zone à urbaniser depuis moins de 9 ans (désormais 6 ans), alors la Collectivité compétente pourra procéder par modification de son PLU, en justifiant par une délibération motivée de l’utilité de l’opération au regard des capacités d’urbanisation encore inexploitées dans les zones déjà urbanisées et la faisabilité opérationnelle d’un projet dans ces zones ;
  • La parcelle est classée en zone à urbaniser depuis plus de 9 ans (désormais 6 ans). Dans ce cas, il faudra mettre en œuvre la procédure de révision de son PLU pour la classer en zone urbaine.

Et le Conseil d’Etat justifie ici cette distinction selon la durée de classement en zone AU : «  Par ces dispositions, le législateur a entendu prévenir la constitution de réserves foncières dépourvues de projet d’aménagement et inciter les établissements publics de coopération intercommunale et les communes à définir et mettre en œuvre dans le délai de neuf ans les orientations d’aménagement et de programmation pour les zones identifiées par le plan local d’urbanisme comme étant à urbaniser, ainsi que cela ressort des travaux parlementaires préalables à l’adoption de la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové qui a introduit les dispositions précitées de l’article L. 153-31 dans le Code de l’urbanisme. Il en résulte que le délai de neuf ans qu’elles prévoient court, soit à compter du classement initial comme zone à urbaniser du secteur en cause, soit, le cas échéant, à compter d’une révision ultérieure du plan local d’urbanisme portant, notamment par l’adoption d’un nouveau projet d’aménagement et de développement durables, sur un projet d’aménagement pour ce secteur. »

Enfin, le point de départ du délai est important.

Au cas d’espèce, c’était le passage du zonage 2 AU à 1 AU qui posait difficulté car il fallait apprécier la date du point de départ du délai de 9 ans. En effet, il fallait savoir si l’on prenait en compte la date de la révision générale du PLU en 2013 ou celle de la création en 2005 de la zone à urbaniser en cause.

Autrement posé, si l’on considère la date de l’approbation générale de la révision du PLU en 2013, le délai de 9 ans n’était pas encore expiré lors de la modification n° 3 approuvée en 2018, de sorte que l’ouverture à l’urbanisation pouvait se faire par une modification du PLU. A l’inverse, si l’on considère qu’il faut tenir compte de la date de création de la zone à urbaniser en cause en 2005, le délai de 9 ans était largement expiré en 2018, de sorte que la procédure à mettre en œuvre était une procédure de révision.

La cour administrative d’appel a calculé le délai de 9 ans par rapport à la date de la révision générale du PLU, approuvée par délibération de 2013, emportant notamment nouveau PADD et nouveaux règlements écrit et graphique.

Ce faisant, le Conseil d’Etat a jugé que la Cour n’avait pas commis d’erreur de droit.

Enfin, sur ce point, le rapporteur public, Maxime BOUTRON, rappelait que :

« La lettre de la loi n’est pas explicite. Repartons un instant de ses fondements. Par la loi « ALUR » n° 2014-366 du 24 mars 2014, le législateur a fait le constat que de trop nombreuses communes avaient tendance à créer des zones à urbaniser (2 AU), lors de l’élaboration de leur PLU, dans le seul but de constituer des réserves foncières, sans réel projet d’aménagement à court ou moyen terme. Afin de lutter contre ces pratiques et de les contraindre à mieux penser leur développement au regard des possibilités offertes par le tissu urbain déjà existant, il a souhaité introduire une sorte de « péremption » des zones 2 AU au terme d’un délai de neuf ans. Le texte initial du Gouvernement prévoyait que ce délai de neuf ans serait calculé à partir de la date d’approbation du PLU ou, si ce plan avant fait l’objet d’une ou plusieurs révisions, de la date d’approbation de la dernière révision. Mais à la faveur des amendements à l’Assemblée comme au Sénat, cette précision a d’abord disparu avant un amendement n° 526 au Sénat de M. Jacques Chiron le réexplicitant mais qui est tombé à la faveur de l’adoption d’un autre amendement. S’il est donc vrai que la loi en vigueur est muette, par deux fois (texte initial et amendement de clarification ayant reçu l’avis favorable du Gouvernement), il a bien été proposé de retenir la date d’approbation du PLU ou de la dernière révision de celui-ci. Et c’est ce que nous vous proposerons donc de juger explicitement, dans le même sens que la cour. »

Par conséquent, le Conseil d’Etat a confirmé l’arrêt des juges du fond.

Appréciation de la compatibilité d’un projet soumis à autorisation d’urbanisme avec une orientation d’aménagement et de programmation (OAP)

Dans cette affaire, un permis de construire a été délivré pour la construction d’un ensemble immobilier de dix-sept logements répartis dans trois immeubles collectifs.

Des voisins du projet ont saisi le tribunal administratif d’un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de ce permis de construire.

Ce permis a été partiellement annulé par le tribunal administratif au motif notamment qu’il était incompatible avec l’orientation d’aménagement et de programmation (OAP) n° 1 applicable dans la zone où se situe la parcelle objet du projet en litige, OAP qui prévoit de renforcer la mixité fonctionnelle à l’entrée du village et de permettre, pour les dix prochaines années, l’accueil d’activités de services.

Pour les premiers juges, l’incompatibilité était révélée par le fait que le projet ne prévoyait que la création de logements sans réserver au sein des rez-de-chaussée des trois immeubles collectifs une partie des surfaces de plancher créées pour l’accueil d’activités de services.

Le pétitionnaire a alors saisi le Conseil d’Etat d’un pourvoi en cassation ; l’appel étant supprimé dans ce type de contentieux par l’article R. 811-1-1 du Code de justice administrative.

  • Dans un premier temps, le Conseil d’Etat a rappelé qu’une autorisation d’urbanisme doit toujours être compatible avec les OAP du PLU applicable, de sorte que si les travaux objets de l’autorisation d’urbanisme sont incompatibles ou contrarient les objectifs de l’OAP, l’autorisation d’urbanisme ne pourra pas être délivrée. Il s’agit du considérant de principe d’une précédente décision du Conseil d’Etat, Commune de Lavérune (CE, 30 décembre 2021, n° 446763, mentionné aux Tables).
  • Dans un second temps, le Conseil d’Etat a précisé que cette compatibilité entre l’autorisation d’urbanisme sollicitée et l’OAP s’apprécie en procédant à une « analyse globale des effets du projet sur l’objectif ou les différents objectifs d’une OAP, à l’échelle de la zone à laquelle ils se rapportent».

Au cas d’espèce, le Conseil d’Etat a donc considéré que les premiers juges avaient commis une erreur de droit en annulant le permis de construire délivré au seul motif d’une incompatibilité du projet avec l’OAP n° 1 car le projet ne prévoyait que des logements et ne prévoyait pas d’accueillir des activités de services aux rez-de-chaussée des trois immeubles collectifs.

Par conséquent, le Conseil d’Etat a jugé que le tribunal aurait dû « rechercher si les effets de ce projet devaient être regardés comme suffisants pour contrarier, par eux-mêmes, les objectifs de l’OAP à l’échelle de la zone à laquelle l’OAP se rapportait. ».

Autrement posé, la circonstance qu’un projet porte uniquement sur la création de logements au sein du périmètre d’une OAP dédiée à la mixité fonctionnelle et à l’accueil d’activités de services, ne contrarie pas automatiquement, pour le seul motif de l’absence de réalisation d’espaces dédiés à l’activité de services, les objectifs de l’OAP applicables à l’échelle de la zone concernée par le périmètre de l’OAP.

Un conseiller municipal peut être élu maire sans avoir été candidat mais n’est pas obligé d’accepter les fonctions correspondantes

Dans une décision en date du 18 novembre 2024, le Conseil d’Etat a rappelé que l’article L. 2122-7 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), portant sur l’élection du maire, n’impose pas que les conseillers municipaux fassent acte de candidature pour être élus (v. en ce sens déjà : CE, 9 juillet 2021, n° 449223).

Ainsi, les votes peuvent valablement porter sur tout membre du conseil municipal et, logiquement, un conseiller non candidat peut, s’il obtient la majorité absolue au 1er ou au 2ème tour, ou la majorité relative au 3ème tour, être élu maire.

En somme, les suffrages exprimés en faveur d’un conseiller municipal non candidat aux fonctions de maire ne peuvent être exclus pour ce motif.

Ainsi, le Conseil d’Etat en a déduit que la circonstance que l’expression de suffrages en faveur d’un conseiller municipal non candidat aux fonctions de maires résulterait d’une manœuvre destinée à altérer la sincérité du scrutin est inopérante.

Cette argumentation des appelants était dirigée contre le décompte des voix, et tendait précisément à exclure la prise en compte des suffrages exprimés au profit du conseiller municipal non candidat.

De sorte qu’y répondre sur le fond aurait conduit à remettre en cause la portée susmentionnée de l’article L. 2122-7 du CGCT.

La Haute juridiction a toutefois rappelé que nul n’est obligé d’exercer un mandat, et précisé que le conseiller élu maire a la possibilité de refuser ses fonctions. Dans ce cas, le conseil municipal peut procéder immédiatement à une nouvelle élection pour le remplacer, sans nécessité pour le conseiller élu de présenter sa démission (v. également en ce sens CE, 3 novembre 1972, n° 83820). Dans le cas contraire, le maire élu peut démissionner selon la procédure prévue à l’article L. 2122-15 du CGCT.

Dans l’affaire qui a donné lieu à la décision commentée, il avait été procédé à l’élection du maire délégué d’une commune déléguée d’une commune nouvelle. Une seule personne avait candidaté, mais c’était un autre élu qui avait recueilli la majorité des voix.

Il avait alors été décidé d’exclure les votes s’étant porté sur le conseiller non candidat, et celui qui avait candidaté aux fonctions de maire avait été déclaré élu.

L’élection avait alors été déférée au tribunal administratif qui l’avait annulée dès lors que les votes en faveur du « non candidat » avaient été exclus à tort, en l’absence de toute cause d’invalidité des bulletins (lesdites causes étant listées, pour rappel, à l’article L. 66 du Code électoral).

Le Conseil d’Etat a confirmé cette analyse et a, tout comme le tribunal administratif, refusé de renvoyer une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à l’article L. 2122-7 du CGCT.

Il était en effet précisément reproché à cet article de ne pas imposer qu’il soit fait acte de candidature.

La Haute juridiction a rappelé que « en n’imposant pas la présentation de candidatures pour l’élection du maire au sein du conseil municipal, le législateur a dans l’usage de son pouvoir d’appréciation, entendu donner la plus large latitude au vote des conseillers municipaux afin de faciliter la désignation des exécutifs communaux ».

Elle a ensuite considéré que ce choix ne portait pas atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution dès lors que, ainsi que cela a été indiqué, nul n’est obligé d’exercer un mandat qu’il refuse.

Pénalités en délégation de service public : effets de la substitution d’une société ad hoc et application du délai Czabaj

CAA Toulouse, 1er octobre 2024, n° 23TL01797

Par deux arrêts du 19 mars 2024 et du 1er octobre 2024, la Cour administrative d’appel de Toulouse a précisé que la substitution d’une société ad hoc dans les droits et obligations du titulaire initial d’une convention de délégation de service public impliquait le transfert des droits et obligations résultant des titres de recettes émis avant la date d’effet de la substitution. Par suite, elle a jugé que la possibilité de contester les titres de recettes appartenait en tant que débitrice à la seule société ad hoc.

En l’espèce, le Département du Tarn a conclu avec la société SFR une convention de délégation de service public ayant pour objet la conception, l’établissement et l’exploitation d’un réseau de communications électroniques à très haut débit. Compte tenu des difficultés rencontrées dès les premiers mois d’exécution de la convention, le Département du Tarn a été contraint d’appliquer des pénalités de retard et d’émettre des titres de recettes à l’encontre de la société SFR, titulaire initial de la convention.

Postérieurement à l’émission de ces titres de recettes et conformément aux stipulations de la convention de DSP, une société ad hoc, dénommée Tarn Fibre, s’est substituée dans les droits et obligations de la société SFR. A la suite de cette substitution, la société SFR a sollicité, lors d’une première instance, l’annulation des titres de recette émis à son encontre. Cette demande a été rejetée par des jugements n°s 2103714, 2103732 et 2103133 du 17 mai 2023 du Tribunal administratif de Toulouse, au motif que la société SFR était dépourvue d’intérêt à agir. La société SFR a interjeté appel de ces jugements devant la Cour administrative d’appel de Toulouse.

La Cour administrative d’appel de Toulouse a suivi le raisonnement des premiers juges qui ont retenu l’irrecevabilité soulevée en défense par le Département du Tarn. Dans ces deux arrêts, la cour a relevé que les stipulations de la convention de DSP consacraient le principe d’un transfert des droits et obligations acquis par la société SFR au profit de la société Tarn Fibre, nouveau délégataire. Elle en a déduit que « les droits et obligations découlant de l’émission de ces titres ont été transférés à la société Tarn Fibre dès la date de prise d’effet de la substitution et le recouvrement des sommes correspondantes ne peut, depuis, être poursuivi qu’auprès d’elle. Par suite, la possibilité de contester les titres litigieux en tant que débitrice appartient à la seule société Tarn Fibre, qui l’a du reste fait dans le cadre d’autres instances. Par conséquent, c’est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la société SFR était dépourvue d’intérêt à agir. »

La Cour administrative d’appel de Toulouse a appliqué les principes dégagés par le Conseil d’Etat[1] relatifs à la substitution de cocontractant et aux effets attachés à la cession des marchés publics et des délégations de service public.

Par ailleurs, prenant acte du rejet des recours de la société SFR pour irrecevabilité, la société Tarn Fibre a décidé de saisir elle-même le Tribunal administratif de Toulouse et ainsi de solliciter l’annulation des titres de recettes émis initialement à l’encontre de la société SFR. Par deux ordonnances du 26 juin 2024[2], le Tribunal administratif de Toulouse a retenu, une nouvelle fois, la fin de non-recevoir opposée par le Département du Tarn et a rejeté pour irrecevabilité manifeste les requêtes de la société Tarn Fibre.

Le Tribunal administratif de Toulouse a fait application du principe de sécurité juridique tiré de la jurisprudence du Conseil d’Etat « Czabaj »[3] pour rejeter la demande de la requérante. Le tribunal rappelle ainsi que ne peut « être contestée indéfiniment un décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance ». En effet, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable qui ne saurait excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse a été notifiée, ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance, ceci nonobstant l’absence de mention des délais et voies de recours dans une décision administrative.

S’agissant des titres exécutoires contestés, le Tribunal administratif de Toulouse considère qu’il résulte de l’instruction que la société Tarn Fibre a effectivement eu connaissance de ces derniers au plus tard le 15 avril 2022, date à laquelle la requérante avait adressé une réclamation à la paierie départementale du Tarn tendant à la contestation d’une compensation opérée par le payeur départemental du Tarn entre une somme qui lui était contractuellement due et celle résultant de plusieurs titres de perception émis en 2020, dont ceux en litige. Le juge de première instance concluait donc que le recours contentieux contre les titres de recettes contestés aurait dû s’exercer dans le délai raisonnable d’un an à compter du 15 avril 2022, et que la requête enregistrée le 24 juillet 2023 était donc manifestement tardive.

Cette dernière tentative de recours à l’encontre des titres de recettes émis par le Département du Tarn aura été l’occasion pour le Tribunal administratif de Toulouse d’illustrer l’application de la jurisprudence Czabaj aux recours dirigés contre des titres de recettes.

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[1]CE, section des finances, avis du 8 juin 2000, n° 364803

[2] TA Toulouse, ordonnances n° 2303654 et n° 2305355 du 26 juin 2024

[3] CE, 13 juillet 2016, M. Czabaj, n° 387763

Achats de moins de 40.000 € HT : qui peut le plus peut le moins ?

L’affaire était pourtant entendue : lorsque l’estimation des besoins des acheteurs était inférieure au seuil de 40.000 € HT prévu par l’article R. 2122-8 du Code de la commande publique (CCP), les collectivités recouraient à la méthode dite des « trois devis » : trois prestataires étaient directement sollicités et, le plus souvent, le moins disant était choisi.

Mais cette habitude a été récemment et directement questionnée à la suite d’une décision rendue par le Tribunal administratif de Strasbourg. Dans une décision en date du 16 mai 2024 (Société Ingevo, req. n° 2108389), le Tribunal a en effet considéré que lorsqu’un acheteur sollicite trois devis auprès de certains opérateurs, tout en rédigeant un règlement de consultation prévoyant l’application des dispositions du Code de la commande publique (CCP) pour l’analyse des offres, il se soumet en fait à une procédure adaptée au sens du Code, pour laquelle le recours au critère unique du prix était irrégulier compte tenu de l’objet du marché.

De nombreux commentateurs en ont conclu que le fait de demander plusieurs devis n’était pas (plus) possible car nécessairement constitutif d’une procédure adaptée au sens du Code de la commande publique (c’est-à-dire avec publicité et mise en concurrence minimales). En-deçà d’un montant de 40.000 € HT, l’acheteur serait en quelque sorte « contraint » de ne solliciter qu’un seul prestataire.

Nous pensons pourtant que cette analyse, aussi intéressante et fondée soit-elle, doit être nuancée.

D’abord, il nous semble que l’esprit de l’absence de publicité et de mise en concurrence préalables est de laisser une marge de liberté à l’acheteur, tout en entourant cette liberté d’un minimum de principes. On voit mal en quoi il serait contraint de ne consulter qu’un seul opérateur économique !

Ensuite, l’analyse du Tribunal administratif de Strasbourg parait contestable : elle repose sur le fait que la Commune aurait entendu mettre en œuvre une procédure de publicité (ce que n’est pas la procédure des 3 devis dès lors qu’il n’y a pas de publication !) et une procédure de mise en concurrence préalables, « notamment en se soumettant aux règles de jugement des offres prévues par le Code de la commande publique ».

Or, en recourant à plusieurs devis, il y a certes une mise en concurrence, mais au sens commun du terme, et cette mise en concurrence minimale répond le mieux, non seulement à l’impérieuse nécessité de respecter les grands principes de la commande publique dès le 1er euro, mais aussi à la lettre même de l’article R. 2122-8 du CCP qui précise qu’en dessous du seuil de 40.000 €, « l’acheteur veille à choisir une offre pertinente, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même opérateur économique lorsqu’il existe une pluralité d’offres susceptibles de répondre au besoin ».

Dès lors, comment choisir une offre, qui plus est pertinente, faire une bonne utilisation des deniers publics et ne pas contracter systématiquement avec un même opérateur si l’on est autorisé ne consulter qu’un seul un opérateur ? A suivre le raisonnement, la pratique du sourcing prévue par l’article R. 2111-1 du code serait en réalité obligatoire avant la conclusion d’un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables puisqu’elle seule permettrait alors de conclure un marché directement avec un opérateur, tout en ayant veillé à choisir une offre pertinente ! La solution est séduisante mais ce n’est pas celle posée par les textes qui n’imposent nullement cet enchainement, et ce d’autant plus que les dispositions précitées précisent que si les résultats du sourcing peuvent être utilisés par l’acheteur, leur utilisation ne doit pas avoir pour effet de fausser la concurrence ou de méconnaître les principes essentiels de liberté d’accès à la commande publique, de transparence des procédures, et d’égalité de traitement des candidats.

Enfin, le risque est limité puisque compte tenu des montants en jeu, l’annulation ou la résiliation du marché est peu probable (la poursuite du marché a par exemple été décidée au cas d’espèce du Tribunal administratif de Strasbourg) et l’indemnisation quasi impossible puisque si l’attributaire est celui ayant proposé le meilleur prix, le requérant avait donc peu de chance d’obtenir le marché (à qualité technique peu ou prou équivalente, là encore ce fut la position retenue par le Tribunal administratif de Strasbourg). A l’inverse, la position selon laquelle les achats de faible montant nécessiteraient de solliciter seulement un opérateur nous semble faire courir un risque bien plus important, sur les plans pénaux, des contrôles des CRC ou du Juge administratif si cela conduit à des attributions récurrentes et si les principes de la commande publique ne sont pas respectés.

En réalité, il nous semble que l’acheteur peut recourir à un opérateur en particulier (quoi que cette manière de faire pourrait aussi être critiquée) mais également recourir à plusieurs devis. Dans ce cas, il doit s’inscrire dans un formalisme limité : pas de règlement de la consultation, pas de cahier des charges, mais une simple lettre de consultation qui ne fait pas référence aux autres dispositions du Code hormis celles de l’article R. 2122-8 du CCP. Il peut être indiqué aux opérateurs sollicités qu’afin de choisir une offre pertinente, plusieurs opérateurs seront sollicités sur le fondement du prix, mais qu’il ne s’agit pas d’une procédure adaptée et d’une mise en concurrence au sens du Code. Eventuellement, l’on peut préciser que cette lettre de consultation constitue un sourcing, avant conclusion d’un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables, mais cela ne nous semble pas être une obligation, plutôt une sécurité supplémentaire.

Qui peut le plus, peut sans doute le moins donc, et il serait dommage, à l’heure où la commande publique est critiquée dans son coût et son formalisme, de faire un excès de zèle juridique…

Marché à bons de commande sans minimum : la résiliation (irrégulière) n’ouvre pas droit à indemnisation

Par un arrêt du 17 septembre 2024, la Cour administrative d’appel de Versailles rappelle que le titulaire d’un marché à bons de commande sans minimum n’a pas droit à l’indemnisation de son manque à gagner en cas de résiliation irrégulière du marché, solution qui peut être étendue au cas d’un accord-cadre conclu sans minimum.

Dans cette affaire, Centrale Supélec a passé avec la société Jancarthier un marché public à bons de commande relatif à la fourniture de titres de transport et services annexes. Le marché, d’une durée initiale d’un an, pouvait être reconduit tacitement trois fois au maximum sauf à avertir la société attributaire au moins trois mois avant la date de reconduction. Le marché a été notifié le 26 juillet 2016 (avec, semble-t-il, un début d’exécution fixé au 1er janvier 2017) et, par lettre du 23 octobre 2018, Centrale Supélec a informé la société titulaire de sa volonté de mettre fin au marché à compter du 31 décembre 2018. La société titulaire soutenait notamment, devant le juge administratif, que la non-reconduction avait été irrégulière dès lors qu’elle aurait dû être communiquée avant le 1er octobre 2018, et réclamait ainsi une indemnisation de la perte de bénéfice subie.

La Cour administrative d’appel de Versailles juge : « Si le titulaire d’un marché résilié irrégulièrement peut prétendre à être indemnisé de la perte du bénéfice net dont il a été privé, il lui appartient d’établir la réalité de ce préjudice. Dans le cas d’un marché à bons de commande dont les documents contractuels prévoient un minimum en valeur ou en quantité, le manque à gagner ne revêt un caractère certain qu’en ce qu’il porte sur ce minimum garanti ».

Ce faisant, elle fait application d’une jurisprudence établie (CE, 10 octobre 2018, Société du docteur Jacques Franc, n° 410501) selon laquelle la perte de chance, pour le titulaire d’un marché à bons de commande, de réaliser des bénéfices ne peut constituer un préjudice certain que si le contrat prévoit un montant minimum de commandes. Autrement, le préjudice est incertain et n’est donc pas indemnisable, la circonstance que le marché ait été résilié de manière régulière ou non étant d’ailleurs indifférente (CAA Douai, 9 février 2021, Société OK Menuiseries, n° 19DA01125). De même, doivent être rejetées les conclusions indemnitaires présentées au titre de la perte de chance par un candidat évincé irrégulièrement de la procédure d’attribution d’un marché à bons de commandes sans minimum (CAA Douai, 25 mars 2021, Société NC Déménagement, n° 19DA01716).

Le délégataire résilié doit être indemnisé de la part non-amortie des droits d’entrée et redevances versées au délégant qui correspondent à la mise à disposition d’ouvrages nécessaires au fonctionnement du service public

Le Conseil d’Etat est récemment venu préciser le calcul de l’indemnisation des investissements non amortis du concessionnaire en cas de résiliation d’un contrat de concession avant son terme.

Dans cette instance, la commune de Fontainebleau avait conclu avec la société auxiliaire de parcs de la région parisienne (SAPP) un contrat d’affermage avec travaux portant sur la modernisation, la rénovation, l’exploitation et l’entretien de parcs de stationnement souterrains et voirie, ainsi qu’un un contrat confiant à cette même société la gestion du stationnement payant sur voirie.

La commune a décidé de résilier ces deux contrats pour un motif d’intérêt général tenant à leur durée excessive de vingt ans. On rappellera, en effet, qu’une personne publique peut décider de résilier un contrat dès lors que sa durée présente un caractère excessif, tirant les conséquences de l’illégalité d’une telle durée[1].

Le concessionnaire résilié a, d’une part, demandé au Tribunal administratif de Melun la reprise des relations contractuelles et, d’autre part, la réparation des préjudices subis par la résiliation illégale des contrats.

Le juge de première instance a d’abord considéré que la durée excessive des concessions ne pouvait, au cas présent, justifier leur résiliation mais que la reprise des relations contractuelles porterait une atteinte excessive aux droits du nouveau délégataire, les deux contrats ayant déjà été réattribués. Puis, par un jugement avant-dire droit du 15 juin 2018, il a jugé que la SAPP était fondée à demander l’indemnisation de son préjudice et a prescrit une expertise afin de l’évaluer.

Finalement, le 28 juillet 2020, le tribunal administratif a condamné la commune de Fontainebleau à verser à la SAPP les sommes de 2.480.474 euros hors taxes au titre de la valeur nette comptable des investissements non amortis à la date de prise d’effet de la résiliation et de 2.201.000 euros hors taxes au titre du manque à gagner pour la période allant de la résiliation des contrats à leur date normale d’échéance, avec intérêts au taux légal capitalisés.

La Cour administrative d’appel de Paris ayant confirmé ce jugement, la commune de Fontainebleau a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat qui a permis de clarifier le régime d’indemnisation du concessionnaire résilié s’agissant notamment de ses investissements non amortis.

Précisément, il s’agissait pour le Conseil d’Etat de juger si les droits d’entrée et les redevances versés par le concessionnaire à l’autorité concédante en contrepartie de la mise à disposition des ouvrages de la concession devaient être pris en compte dans le calcul de l’indemnisation du concessionnaire résilié au titre de la part non amortie, à la date de la résiliation, des dépenses qu’il avait engagées.

Après avoir rappelé que les sommes versées par le concessionnaire au concédant ne doivent pas être étrangères à l’objet de la concession, le Conseil d’Etat a estimé que « Lorsque la convention de délégation de service public prévoit que ces sommes correspondent à la mise à disposition de biens, évalués nécessairement à la valeur nette comptable, et qu’elle est résiliée par la collectivité délégante avant son terme normal, le délégataire a droit, sauf si le contrat en stipule autrement, à l’indemnisation par la collectivité délégante de la part non amortie de telles sommes correspondant, à la date de la résiliation, à la valeur nette comptable des biens ainsi mis à disposition, si ces biens font retour à la collectivité ou sont repris par celle-ci ».

Il a ainsi considéré que le non-amortissement des sommes, versées en contrepartie de la mise à disposition d’ouvrages nécessaires au fonctionnement du service public, doit faire l’objet d’un remboursement en cas de résiliation du contrat avant son terme, sauf si le contrat en stipule autrement.

Si le concessionnaire a droit à une telle indemnisation, on rappellera cependant que celle-ci est limitée à la valeur nette comptable des ouvrages financés par le concessionnaire, comme l’a précisément rappelé le Conseil d’Etat dans un arrêt rendu le 24 novembre 2023, commenté dans une précédente lettre d’actualités, excluant la réévaluation de l’indemnité de fin de contrat due au concessionnaire en contrepartie de la remise des biens de retour par tout mécanisme contractuel (en l’occurrence un taux moyen des obligations à long terme)[2].

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[1] Voir par exemple CE, 7 mai 2012, Société auxiliaire de parcs de la région parisienne, n° 365043.

[2] CE, 24 novembre 2023, n° 473696