Le régime de réparation du préjudice d’angoisse de mort imminente : avancée ou recul ?

Par un arrêt du 11 juillet 2024, la deuxième chambre civile lève enfin toute ambiguïté en confirmant la nécessité d’indemniser le préjudice d’angoisse de mort imminente tant en cas de décès qu’en cas de survie de la victime (I). Par le même temps, elle met néanmoins fin aux espoirs des victimes de réparation autonome de ce poste de préjudice qu’elle inclut dans les souffrances endurées (II).

 

1. Sur la confirmation de la nécessaire réparation du préjudice d’angoisse de mort imminente, que la victime soit ou non décédée

La chambre criminelle avait déjà eu l’occasion de dessiner les contours du préjudice d’angoisse de mort imminente, en énonçant que ce poste consistait en la souffrance psychique subie entre le moment de l’accident et le décès de la victime, résultant d’un état de conscience suffisant pour envisager sa propre fin (Crim., 23 oct. 2012, n° 11-83.770).

Un an plus tard, elle avait précisé que ce préjudice prenait fin au moment de la disparition de la conscience du risque de mort par la victime, qui pouvait intervenir soit au moment de son décès, soit en amont, au moment de la perte de conscience au sens médical (Crim., 15 oct. 2013, n° 12-83.055).

Certains revendiquaient alors l’absence d’existence d’un tel préjudice lorsque la victime survivait à ses blessures.

La formulation ambiguë de la chambre mixte de la Cour de cassation dans son arrêt du 25 mars 2022, qui évoquait un « préjudice spécifique lié à la conscience de sa mort imminente, du fait de la dégradation progressive et inéluctable de ses fonctions vitales », confortait les opposants à la réparation d’un tel préjudice en cas de survie de la victime (Ch. mixte, 25 mars 2022, n° 20-15.624).

Sur ce point, l’arrêt de la deuxième chambre civile rendu le 11 juillet 2024 a le mérite d’être particulièrement clair et tranche définitivement cette question dans les termes suivants (Civ. 2e, 11 juill. 2024, n° 23-10.068) :

« 5. À compter de la survenance du fait dommageable, la victime d’une atteinte corporelle ou d’une menace d’atteinte corporelle suffisamment graves pour qu’elle envisage légitimement l’imminence de sa propre mort, subit un préjudice spécifique.

6. Dans le cas où la victime a survécu, ce préjudice se réalise dès qu’elle a conscience de la gravité de sa situation et tant qu’elle n’est pas en mesure d’envisager raisonnablement qu’elle pourrait survivre.»

Le préjudice d’angoisse de mort imminente doit donc nécessairement être réparé dès lors que la victime envisage légitimement l’imminence de sa propre mort, que celle-ci se soit ou non réalisée.

Il s’agit là d’une clarification qui ne peut qu’être saluée en ce qu’elle bénéficiera aux victimes de dommage corporel dans leurs demandes d’indemnisation.

2. Sur l’indemnisation non obligatoirement autonome du préjudice d’angoisse de mort imminente

Outre la définition du préjudice, l’arrêt de la deuxième chambre civile apporte également une précision quant au régime de sa réparation, moins favorable ici aux victimes.

En effet, il existait dans un premier temps une divergence de position entre la chambre criminelle et la deuxième chambre civile de la Cour de cassation concernant l’autonomie de ce poste de préjudice.

Ainsi, la chambre criminelle admettait la réparation du préjudice d’angoisse de mort imminente tant au titre des souffrances endurées (Crim., 11 juill. 2017, n° 16-86.796) que de façon autonome (Crim., 23 oct. 2012, n° 11-83.770, B ; Crim., 15 oct. 2013, n° 12-83.055).

À l’inverse, la deuxième chambre civile censurait automatiquement toute réparation de ce préjudice au titre d’un poste autonome (Cass. 2e civ., 2 févr. 2017, n° 16-11.411Cass. 2e civ., 14 sept. 2017, n° 16-22.013).

L’arrêt de la chambre mixte du 25 mars 2022 précité, en affirmant que c’est « sans indemniser deux fois le même préjudice que la Cour d’appel (…) a réparé, d’une part, les souffrances endurées du fait des blessures, d’autre part, de façon autonome, l’angoisse d’une mort imminente » avait laissé penser qu’il était nécessaire d’indemniser ce préjudice dans un poste autonome, indépendant notamment des souffrances endurées.

L’arrêt de la deuxième chambre civile du 11 juillet 2024 montre qu’il ne s’agissait toutefois pas de la bonne grille de lecture, et qu’il fallait voir plutôt dans l’arrêt de la chambre mixte une affirmation de la spécificité du préjudice d’angoisse de mort imminente par rapport aux autres souffrances endurées par la victime, plutôt qu’une obligation de cloisonnement du préjudice dans un poste autonome.

Ainsi, l’arrêt énonce que ce préjudice se rattache en principe aux souffrances endurées (Civ. 2e, 11 juill. 2024, n° 23-10.068) :

« 7. Ce préjudice d’angoisse de mort imminente en cas de survie se rattache au poste des souffrances endurées, qui indemnise toutes les souffrances physiques et psychiques, quelles que soient leur nature et leur intensité, ainsi que les troubles associés qu’endure la victime à compter du fait dommageable et jusqu’à la consolidation de son état de santé. »

Pour autant, l’indemnisation du préjudice dans un poste autonome ne saurait donner lieu à elle seule à cassation, le seul critère à prendre en compte étant celui de l’absence de double indemnisation.

Cette solution est à distinguer notamment de celle apportée en matière de préjudice d’attente et d’inquiétude subi par les proches de la victime, pour lequel la chambre mixte a affirmé qu’il « ne se confond pas (…) avec le préjudice d’affection et ne se rattache à aucun autre poste de préjudice indemnisant ces victimes, mais constitue un préjudice spécifique qui est réparé de manière autonome » (Ch. mixte, 25 mars 2022, n° 20-17.072).

Si l’indemnisation du préjudice d’angoisse de mort imminente au titre d’un poste autonome est donc toujours possible, la formulation de l’arrêt du 11 juillet 2024 incitera inévitablement les juges du fond à intégrer ce préjudice aux souffrances endurées.

Cette intégration risque malheureusement d’entraîner une minimisation de l’indemnisation, en aboutissant à une simple majoration de la réparation des souffrances endurées en cas d’existence d’une angoisse de mort imminente, là où la séparation du préjudice d’angoisse de mort imminente et des souffrances endurées permettrait plus facilement d’obtenir une plus juste indemnisation des victimes.

L’urbanisme sous la loupe de la Rue Cambon : retours sur le rapport de la Cour des comptes concernant la délivrance des permis de construire

Le 26 septembre dernier, la Cour de comptes a publié un rapport intitulé « La délivrance des permis de construire, un parcours complexe dans un cadre instable », au terme duquel elle dresse un bilan, assez funeste, du parcours d’un demandeur d’autorisations d’urbanisme et formule quelques recommandations visant principalement à favoriser la compréhension des enjeux mutuels des pétitionnaires et de l’Administration dans le cadre de ces procédures.

Dressant un état des lieux des difficultés existantes dans les procédures d’obtention d’une autorisation d’urbanisme, la Cour appelle de ses vœux à renforcer l’information des pétitionnaires des évolutions possibles des nouvelles règles applicables afin de diminuer le sentiment de sanction que génère un refus d’autorisation d’urbanisme.

L’une des raisons identifiées par la Cour de ce constat réside dans l’incompréhension des pétitionnaires des nombreuses règles applicables (urbanistiques, environnementales, patrimoniales, sociales, …) qui, en raison de leur évolution, ne leur garantissent pas toujours une issue favorable à la demande d’autorisation, et ce alors même qu’un certificat d’urbanisme avait été obtenu préalablement.

Illustrant le millefeuille de normes dénoncé dans ce rapport, la Cour prend exemple sur 4 types de normes (qui s’imposent pour partie aux rédacteurs de PLU) qui ne manquent pas de complexifier le montage des projets surtout dans l’hypothèse où elles ne se trouvent pas traduites directement dans les documents d’urbanisme : les normes pour lutter contre les risques présents sur un territoire, l’obligation de mixité sociale et la production minimale de logements sociaux, l’objectif « zéro artificialisation nette » et les zones de protection du patrimoine. Afin de renforcer la visibilité sur les projets, la Cour propose ainsi que les pétitionnaires soient informés des évolutions de ces normes après l’obtention d’un certificat d’urbanisme, afin d’anticiper les éventuelles déconvenues au moment du dépôt de l’autorisation d’urbanisme.

Par ailleurs, il est indiqué dans ce rapport que les lourdes et couteuses procédures de révision et de modification des documents d’urbanisme et leur absence d’actualisation automatique maintiennent un risque d’incertitude pour les opérateurs du secteur.

A ce titre, la Cour relève que les procédures d’évaluation des documents d’urbanisme (permettant notamment de statuer sur la nécessité de les mettre en compatibilité avec les documents sectoriels) ne sont pas assez respectées, l’AMF reconnaissant en effet que cette obligation « n’a pas eu suffisamment de résultats en la matière ». En effet, les dispositions de l’article L. 153-27 du Code de l’urbanisme imposent une évaluation des PLUi dans un délai maximum de 6 ans après leur approbation afin d’analyser les résultats de l’application du plan (qui peut donc aussi comprendre les analyses relatives à l’artificialisation des sols). Sur ce point, la Cour appelle les préfets à rappeler les obligations d’évaluation des documents d’urbanisme en prévention de la révision des documents d’urbanisme.

Par ailleurs, si la planification relève essentiellement de l’échelon intercommunal, l’instruction et, plus encore la délivrance, des autorisations d’urbanisme restent très majoritairement entre les mains des communes et des maires qui refusent de se départir de ce pouvoir, élément à prendre en compte dans le schéma des procédures d’urbanisme.

Dans un second temps, la Cour examine plus particulièrement la procédure d’obtention d’une autorisation d’urbanisme, en dressant un premier constat : l’existence de nombreux aléas procéduraux qui fragilisent la position des opérateurs du secteur (existence de procédures spéciales notamment environnementales, consultations multiples pouvant impliquer des avis conformes, etc.). Ces procédures ralentissent la conduite des projets et conduisent nécessairement les promoteurs à en tenir compte dans la rédaction des avant-contrats qui peuvent mettre en péril la bonne conduite d’un projet.

Plus encore, à l’issue de ces procédures, et alors mêmes que les pétitionnaires pourraient se prévaloir d’un permis de construire tacite, beaucoup se heurtent à des difficultés pour l’obtention d’un certificat attestant de l’obtention de l’autorisation sollicitée. La Cour s’interroge donc sur la nécessité de mettre en œuvre une sanction en cas de refus de délivrance d’un permis tacite, en dehors du recours au juge administratif.

Dernier facteur d’insécurité dans le parcours des pétitionnaires : la généralisation des normes « hors textes » comme les chartes d’urbanisme ou les labels. Edifiées sans base légale, les élus ont de plus en plus recours à ces chartes qu’ils entendent imposer et opposer aux pétitionnaires dans le cadre de leurs demandes d’autorisation. La Cour adopte une position très sévère à l’égard de ces chartes qui se situent, pour elle, à la frontière du pouvoir discrétionnaire des élus concernant la politique d’aménagement du territoire et proposera de les proscrire dans les textes. 

Forte de ces constats, la Cour formule quelques recommandations, qui répondent pour une faible partie seulement aux enjeux et problématiques soulevés dans le cadre de ce rapport :

  1. Mettre en place des formations adaptées aux besoins des agents exerçant dans les services décentralisés et déconcentrés, afin de permettre l’émergence d’une véritable filière de l’instruction et du contrôle de l’urbanisme (amélioration).
  2. Fixer une obligation d’informer les pétitionnaires qui ont obtenu un certificat d’urbanisme lorsqu’une révision de la carte des risques est décidée postérieurement à cette obtention (amélioration).
  3. Améliorer la fluidité de l’instruction en ligne, notamment en interfaçant les bases de données des services obligatoirement consultés (service départemental d’incendie et de secours, architectes des bâtiments de France, etc.) (amélioration).
  4. Donner aux pétitionnaires, dès le début de la procédure d’instruction de leurs demandes d’autorisation, les informations nécessaires à la bonne préparation de leur projet (procédure classique, procédures d’exception, taxes prévisibles, etc.) (amélioration).
  5. Instaurer une phase de dialogue avec les missions régionales d’autorité environnementale, avant toute analyse d’impact (simplification).
  6. Proscrire l’usage de documents à contenus prescriptifs ou similaires, sans base, ni compétence légale, s’ajoutant aux dispositions des plans locaux d’urbanisme ou plans locaux d’urbanisme intercommunaux tels que des chartes d’urbanisme (sécurisation).
  7. Garantir aux pétitionnaires ayant obtenu un permis tacite, la communication, sur simple demande, d’un certificat prouvant le dépôt des pièces et la date de transmission au préfet (clarification).

Le ministre de la Transition Ecologique et de la Cohésion des Territoires a présenté ces observations à la suite de la communication de ce rapport considérant notamment que la mise à jour des certificats d’urbanisme en cas d’évolution de la législation lui « paraît complexe à mettre en place. Cette nouvelle obligation augmenterait la charge de travail des services instructeurs qui devraient, en plus de leur travail d’instruction, identifier et informer les pétitionnaires concernés ».

Par ailleurs le Ministre informe la Cour qu’il entend mettre fin à l’exception exonérant de dépôt électronique les dossiers concernant les établissements recevant du public (décret n° 2016-1491 du 4 novembre 2016), ce qui ne manquera de fluidifier les procédures d’instruction des demandes d’autorisation selon le Ministre en réponse à la recommandation n° 3.

La cristallisation des moyens prévue par le Code de l’urbanisme est exclusive de celle prévue par le Code de justice administrative

Par un arrêt du 30 septembre 2024, la Cour administrative d’appel de Versailles a considéré que les dispositions de l’article R. 600-5 du Code de l’urbanisme, relatives à la cristallisation automatique des moyens dans le cadre d’un recours contentieux portant sur une décision d’occupation ou d’utilisation du sol, fait obstacle à la faculté du juge de fixer un autre délai sur le fondement de l’article R. 611-7-1 du Code de justice administrative.

Par une requête enregistrée le 25 mai 2022 et le 24 août 2022, l’association « Collectif pour le Triangle de Gonesse » et autres ont demandé à la Cour administrative d’appel de Versailles d’annuler le jugement n° 1811963 du 22 mars 2022 , par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 14 septembre 2018, par lequel le Préfet du Val-d’Oise a délivré à la société du Grand Paris un permis de construire pour édifier une gare ferroviaire à Gonesse.

À cette occasion, la Cour administrative d’appel de Versailles a eu l’occasion d’apporter des précisions sur l’application des articles R. 611-7-1 du Code de justice administrative lorsque le contentieux porte sur une décision d’occupation ou d’utilisation du sol.

Rappelons que les dispositions de l’article R. 611-7-1 du Code de justice administrative permettent au juge administratif de fixer une date à compter de laquelle les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux :

« Lorsque l’affaire est en état d’être jugée, le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l’instruction peut, sans clore l’instruction, fixer par ordonnance la date à compter de laquelle les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux. (…) ».

Par dérogation, lorsque les décisions attaquées sont des autorisations d’urbanisme, l’article R. 600-5 du Code de l’urbanisme prévoit une cristallisation automatique des moyens deux mois après le dépôt du premier mémoire en défense, sauf décision contraire du juge qui peut, à tout moment, fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens :

« Par dérogation à l’article R. 611-7-1 du Code de justice administrative, et sans préjudice de l’application de l’article R. 613-1 du même code, lorsque la juridiction est saisie d’une requête relative à une décision d’occupation ou d’utilisation du sol régie par le présent code, ou d’une demande tendant à l’annulation ou à la réformation d’une décision juridictionnelle concernant une telle décision, les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense. Cette communication s’effectue dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article R. 611-3 du Code de justice administrative.

Lorsqu’un permis modificatif, une décision modificative ou une mesure de régularisation est contesté dans les conditions prévues à l’article L. 600-5-2, les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux à son encontre passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense le concernant.

Le président de la formation de jugement, ou le magistrat qu’il désigne à cet effet, peut, à tout moment, fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens lorsque le jugement de l’affaire le justifie. (…) ».

Au cas d’espèce, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise avait indiqué aux parties qu’elles disposaient d’un délai d’un mois à compter duquel les moyens nouveaux seraient irrecevables, sur le fondement des dispositions de l’article R. 611-7-1 du Code de justice administrative.

La Cour administrative d’appel de Versailles, saisie de l’irrégularité du jugement, a précisé que les recours contentieux formés contre une décision d’occupation ou d’utilisation du sol relèvent d’une procédure spéciale impliquant une cristallisation automatique du débat contentieux dans un délai de deux mois à compter de la notification aux parties du premier mémoire en défense. Par suite, le juge administratif ne peut utilement faire application des dispositions de l’article R. 611-7-1 du Code de justice administrative pour fixer un délai différent de celui prévu par le Code de l’urbanisme.

Gestion de fait : la Cour des comptes condamne plusieurs élus municipaux en raison de l’immixtion de deux associations dans le recouvrement de recettes destinées à la collectivité

Depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022, la gestion de fait est désormais une infraction, sanctionnée par les juridictions financières, en vertu du nouvel article L. 131-15 du Code des juridictions financières. Elle constitue néanmoins une survivance de l’ancienne responsabilité personnelle et pécuniaire (« RPP »), supprimée par l’ordonnance précitée qui a créé un régime juridictionnel unifié de responsabilité des gestionnaires publics.

Pour rappel, la gestion de fait concerne toute personne qui, sans avoir la qualité de comptable public ou sans agir sous le contrôle et pour le compte d’un comptable public, s’est ingérée dans le maniement de deniers publics. Le maniement des fonds publics relève, en effet, de la seule compétence du comptable public. Celui-ci est autorisé à payer les dépenses des personnes morales de droit public, à encaisser leurs recettes et, d’une manière générale, à gérer les crédits, fonds et valeurs leur appartenant. Lorsqu’une personne (physique ou morale) manie ces deniers, en lieu et place du comptable public, elle est ainsi reconnue comptable de fait (ou autrement appelée gestionnaire de fait).

Par un arrêt prononcé le 10 octobre dernier, la Cour des comptes, statuant pour la première fois sur l’infraction de gestion de fait, a condamné le maire et trois conseillers municipaux d’une commune pour avoir organisé l’encaissement, par deux associations, de recettes destinées à la collectivité.

Dans cette affaire, la Cour s’est d’abord déclarée compétente pour juger les élus locaux susceptibles d’avoir commis l’infraction de gestion de fait, y compris pour la période antérieure au 1er janvier 2023.  A cet égard, elle indique que la gestion de fait était déjà, dans le régime antérieur, sanctionnée par une amende (prononcée soit par la Cour de discipline budgétaire et financière, soit par la chambre régionale des comptes) et que la sanction de cette infraction – dont elle souligne que les éléments constitutifs demeurent inchangés – relève désormais de sa compétence depuis le 1er janvier 2023.

Sur le fond, deux séries d’irrégularités ont conduit la Cour à caractériser l’infraction de gestion de fait. S’agissant de la première série d’irrégularités, elle a considéré que l’encaissement, par une association, de recettes issues de la vente par un musée communal d’objets confectionnés et des billets d’entrée dans cet équipement, alors même qu’une régie de recettes avait été instituée à cet effet, constituait une gestion de fait des deniers de la collectivité. Pour retenir que l’association ne disposait pas d’un titre légal pour manier les sommes en cause, elle a notamment écarté une convention dite de délégation de service public, conclue entre la collectivité et l’association mais qui n’emportait pas transfert du risque d’exploitation au cocontractant.

Dans la seconde affaire, la Cour a regardé comme constitutifs de gestion de fait l’encaissement de recettes et le règlement de dépenses concernant des manifestations culturelles et sportives organisées par la commune, qui en a confié la gestion financière à une autre association, sans convention.

Ces irrégularités ont été imputées au maire et à deux adjointes, qui avaient donné instruction aux deux associations d’effectuer les opérations litigieuses, ainsi qu’au président et à la trésorière de la seconde association, ces derniers, par ailleurs conseillers municipaux, s’étant prêtés à ce dispositif. Tenant compte des circonstances de l’espèce et, en particulier, de la bonne foi et de la contribution active de certaines des personnes renvoyées à la cessation des irrégularités et de leur degré respectif d’implication dans le maniement des fonds publics, la Cour a prononcé des amendes de 3.000, 2.000 et 1.000 €, ainsi qu’une dispense de peine. La Cour a également décidé que l’arrêt soit intégralement publié au Journal officiel de la République française.

Si la forme associative est régulièrement utilisée par les collectivités en raison de la souplesse que son régime juridique procure, la décision commentée vient rappeler qu’elle n’en demeure pas moins un vecteur récurrent de gestion de fait.

On soulignera enfin que les faits ont été signalés au ministère public par un directeur régional des finances publiques, autorité désormais habilitée, en vertu de l’ordonnance du 23 mars 2022, à déférer au ministère public près la Cour des comptes des faits susceptibles de constituer des infractions financières (article L. 142-1-1 du Code des juridictions financières).

La Cour de cassation se prononce pour la première fois sur le terme du délai de la prescription trentenaire en matière de rétrocession d’un bien exproprié

Par une décision en date du 19 septembre 2024, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation, a dû se prononcer sur le point de savoir si la demande de rétrocession envoyée à l’administration interrompait la prescription trentenaire pour solliciter la rétrocession d’un bien exproprié qui n’a pas reçu, dans le délai de cinq ans à compter de l’ordonnance d’expropriation, la destination prévue ou ont cessé de recevoir cette destination.

Dans cette affaire, la commune a obtenu du préfet qu’il déclare d’utilité publique son projet de création d’un bassin tampon et d’un parc d’animation, par arrêté préfectoral de 1986.

Par un arrêté de 1987, le préfet a déclaré cessibles les parcelles nécessaires au projet.

Puis, par ordonnance en date du 15 mars 1988, le juge de l’expropriation a déclaré expropriés, au profit de la commune, en vue de la création d’un bassin tampon et d’un parc d’animation, les terrains, immeubles, portions d’immeubles, et droits réels immobiliers dont l’acquisition est nécessaire.

Par lettre recommandée avec accusé de réception (LRAR) du 26 février 2018, reçue le 27 février 2018, les anciens propriétaires des parcelles expropriés ont écrit à la commune en soutenant que les parcelles dont ils ont été expropriés n’ont qu’en partie reçu la destination prévue par la déclaration d’utilité publique, puisque, selon eux, si un bassin de rétention des eaux pluviales a bien été implanté sur une des parcelles expropriées, les travaux relatifs à la création d’un parc d’animation n’auraient jamais eu lieu.

La commune n’a jamais répondu à cette demande.

Les anciens propriétaires expropriés ont alors assigné la commune devant le Tribunal de grande instance de Caen, par assignation en date du 27 juin 2018, aux termes de laquelle ils sollicitent, sur le fondement des dispositions de l’article L. 421-1 du Code de l’expropriation, la rétrocession de leurs parcelles.

Pour rappel, l’article L. 421-1 du Code de l’expropriation dispose que :

« Si les immeubles expropriés n’ont pas reçu, dans le délai de cinq ans à compter de l’ordonnance d’expropriation, la destination prévue ou ont cessé de recevoir cette destination, les anciens propriétaires ou leurs ayants droit à titre universel peuvent en demander la rétrocession pendant un délai de trente ans à compter de l’ordonnance d’expropriation, à moins que ne soit requise une nouvelle déclaration d’utilité publique. »

L’article R. 421-6 du même Code dispose que :

« Le tribunal judiciaire est compétent pour connaître des litiges nés de la mise en œuvre du droit prévu à l’article L. 421-1, lorsque la contestation porte sur le droit du réclamant.

Le recours est introduit, à peine de déchéance, dans le délai de deux mois à compter de la réception de la notification de la décision administrative de rejet. »

Par un jugement en date du 15 décembre 2020 (RG n° 18/02140), la première chambre civile du Tribunal judiciaire de Caen a déclaré les requérants irrecevables en leur action aux fins de rétrocession des parcelles, pour cause de prescription.

Ils ont alors interjeté appel devant la première chambre civile de la Cour d’appel de Caen, laquelle a confirmé, par sa décision en date du 26 juin 2023 (RG n° 21/00342), le jugement de première instance.

Enfin, les requérants se sont pourvus devant la Cour de cassation. Ils soutiennent en effet que leur assignation n’est pas prescrite car leur demande de rétrocession auprès de l’administration a interrompu le délai de trente ans, que cette demande préalable obligatoire s’assimile à celle que l’on retrouve en matière administrative, consacrée par le Code des relations entre le public et l’administration (CRPA).

Selon eux, seule la demande auprès de l’expropriante doit intervenir dans le délai de 30 ans tandis que la saisine du juge civil pour solliciter la rétrocession peut intervenir au-delà du délai de 30 ans, dès lors qu’elle intervient dans le délai de 2 mois à compter de la réception de la notification de la décision administrative de rejet explicite ou implicite.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi au motif que :

« 7. En premier lieu, la demande préalable de rétrocession adressée à l’autorité expropriante ne constituant pas un recours gracieux ou hiérarchique contre une décision administrative, au sens de l’article L. 411-2 du Code des relations entre le public et l’administration, ce texte ne lui est pas applicable.

    1. En second lieu, ne constituant pas une demande en justice au sens de l’article 2241 du code civil, elle n’est pas interruptive du délai de prescription trentenaire.
    2. Il en résulte que l’action judiciaire en rétrocession doit être engagée dans le délai de deux mois à compter de la réception de la notification de la décision administrative de rejet et dans le délai de trente ans à compter de l’ordonnance d’expropriation. »

La Cour de cassation considère ici que les dispositions du Code des relations entre le public et l’administration ne s’appliquent pas à la matière d’expropriation, celle-ci disposant de règles spéciales.

En outre, la Cour de cassation considère que le courrier envoyé en LRAR portant demande de rétrocession à l’administration n’est pas au nombre des demande en justice du Code civil permettant d’interrompre le délai de prescription trentenaire.

Concrètement, dans notre espèce, si la demande auprès de la Commune a bien eu lieu dans le délai de 30 ans, reçue le 27 février 2018, l’assignation est, elle, intervenue le 27 juin 2018, soit deux mois après la décision implicite de refus de rétrocéder le bien par la commune du 27 avril 2018, de sorte qu’elle est intervenue au-delà du délai de 30 ans qui a commencé à courir le 15 mars 1988.

Par conséquent, la Cour de cassation confirme que l’assignation en justice portant rétrocession d’un bien exproprié est enfermée dans deux délais :

  • elle doit intervenir dans le délai de deux mois à compter de la décision de refus de l’administration de procéder à la rétrocession à la suite d’une demande en ce sens de l’exproprié ;
  • elle doit également intervenir au sein du délai de trente ans à compter de l’ordonnance d’expropriation.

Transmission d’une QPC par la Cour de cassation au sujet du délai très court dans lequel le contrat de rachat du bien exproprié rétrocédé doit être signé et le prix payé

Rappel des faits :

Un arrêté préfectoral de 1993 a déclaré d’utilité publique un projet de création d’une zone d’aménagement concerté à Thionville.

Environ un an plus tard, l’établissement public foncier de Lorraine, devenu l’Etablissement public foncier de Grand Est (EPFGE) désigné pour procéder aux acquisitions nécessaires au projet de DUP, a acquis des terrains à des particuliers.

Par un jugement du 15 février 2013, le Tribunal de grande instance de Thionville a ordonné la rétrocession de l’une des parcelles objet de l’acte notarié de 1994.

Puis le prix de la rétrocession a été fixé par un jugement du 14 novembre 2019, rectifié par un jugement du 19 mars 2020.

Le 13 octobre 2020, l’EPFGE a notifié aux expropriés la déchéance de leur droit de rétrocession en application de l’article L. 421-3 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

Les propriétaires expropriés ont saisi le Juge de l’expropriation du département de la Moselle, aux fins de restitution de ladite parcelle, contre le paiement du prix de rétrocession.

Le Juge de l’expropriation de la Moselle s’est déclaré incompétent au profit du Tribunal judiciaire de Thionville.

C’est ainsi que, devant le juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Thionville, les expropriés ont soulevé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC)

Par ordonnance du 3 juin 2024, le Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Thionville a transmis cette QPC à la Cour de cassation.

Analyse de la recevabilité de la QPC par la Cour de cassation :

La QPC soulevée est la suivante :

« L’article L. 421-3 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ainsi que par l’article 1 du protocole n° 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ? ».

L’article L. 421-3 du Code de l’expropriation dispose que :

« A peine de déchéance, le contrat de rachat est signé et le prix payé dans le mois de sa fixation, soit à l’amiable, soit par décision de justice. »

La Cour de cassation a vérifié les 3 conditions permettant d’accueillir une QPC, à savoir, selon l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel :

  • 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;
  • 2° Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;
  • 3° La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

1° La Cour de cassation a, d’abord, considéré que la QPC en tant qu’elle vise une non-conformité au protocole n° 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, n’était pas recevable.

La Cour de cassation s’est donc uniquement prononcée sur la QPC en tant qu’elle visait également les articles 2 et 17 de la DDHC.

A ce titre, elle a reconnu que l’article L. 421-3 du Code de l’expropriation était bien applicable au litige, dès lors que cet article est opposé à la demande d’exécution du jugement ayant ordonné la rétrocession de la parcelle au profit des expropriés, au prix fixé judiciairement.

2° De même, la Cour a considéré que l’article en litige n’avait pas déjà été déclaré conforme à la Constitution, et que la QPC présentait un caractère sérieux.

3° Enfin, la Cour de cassation a considéré, pour deux motifs, que la QPC méritait d’être transmise au Conseil constitutionnel :

  • D’une part, « la disposition contestée, en ce qu’elle sanctionne par la déchéance du droit de rétrocession par l’absence de signature de l’acte de vente et de paiement du prix dans le délai d’un mois à compter de la fixation amiable ou judiciaire du prix, nonobstant l’accomplissement à cette fin de diligences par le titulaire du droit de rétrocession ou une éventuelle inertie de l’autorité expropriante, est susceptible de priver d’effectivité l’exercice du droit de rétrocession et, ainsi, de porter atteinte au droit de propriété» ;
  • D’autre part, « cette atteinte pourrait être considérée comme disproportionnée, dès lors que le délai d’un mois paraît incompatible avec les délais usuels d’établissement d’un acte authentique et, lorsque le bénéficiaire du droit de rétrocession est tenu de recourir à un financement, de souscription d’un prêt bancaire»

Par conséquent, la Cour de cassation a transmis cette QPC au Conseil constitutionnel.

La décision du Conseil constitutionnel est vivement attendue puisqu’elle aura des conséquences très pratiques sur la mise en œuvre concrète du droit de rétrocession.

La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) prononce onze nouvelles sanctions dans le cadre de sa procédure simplifiée

Le 8 octobre 2024, la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) a publié un état des lieux sur les sanctions intervenues dans le cadre de sa procédure simplifiée depuis juin 2024. Le constat est d’ores et déjà celui d’un nombre d’organismes contrôlés comme d’organismes sanctionnés en hausse par rapport à 2023 (24 sanctions au total prises en 2023 contre 28 en 9 mois en 2024).

Depuis juin 2024, ce sont donc onze nouvelles sanctions qui sont intervenues dans le cadre de la procédure simplifiée, pour un montant total de 129.000 euros.

Pour rappel, la procédure de sanction simplifiée de la CNIL lui permet de prononcer des sanctions plus rapides pour les dossiers non-complexes. Ces sanctions ne sont pas publiques et ne peuvent pas dépasser 20.000 euros.

Cette procédure constitue l’un des outils de la CNIL lui permettant de faire respecter le RGPD, et de prendre en compte de manière efficace toutes les plaintes reçues chaque année (16.000 en 2023).

Certains manquements au RGPD sont particulièrement représentés dans les causes de ces 11 sanctions infligées par la CNIL depuis juin 2024.

La CNIL appelle donc à la particulière vigilance des organismes sur les manquements identifiés, à l’occasion de ces procédures, soit :

  • le non-respect du principe de minimisation des données, notamment via la surveillance vidéo permanente des salariés, et les enregistrements de la totalité des conversations téléphoniques (ces enregistrements doivent toujours être proportionnés au regard de la finalité poursuivie) ;
  • l’absence de registre de traitement (deux sociétés de moins de 250 salariés ont été sanctionnées sur ce motif) ;
  • l’absence de moyens permettant de refuser les cookies aussi facilement que de les accepter ;
  • le défaut de coopération avec la CNIL ;
  • le non-respect des droits des personnes (absence de réponse dans les délais prévus) ;
  • le manquement à l’information des personnes (clients et salariés).

La tendance actuelle de la CNIL est donc largement marquée par une hausse significative de son activité répressive, laquelle doit appeler à une attention renforcée de l’ensemble des acteurs publics sur le parfait respect de la réglementation.

A cet effet, la CNIL rappelle avoir mis à disposition des organismes et notamment de leurs référents informatiques et libertés et délégués à la protection des données, différents outils d’accompagnement et rappelle qu’elle répond de façon quotidienne à leur demande (15.000 réponses apportées en 2023).

Son site internet est au demeurant quotidiennement alimenté de préconisations et d’avis auxquels il est particulièrement utile de se référer.

Sursis à statuer dans les communes sous tension : l’appel court-circuité

Par un arrêt du 26 septembre 2024 (classé en C+), la Cour administrative d’appel de Paris est venue préciser le champ d’application de l’article R. 811-1-1 du Code de justice administrative, dans sa rédaction issue du décret n° 2022-929 du 24 juin 2022.

De ce texte, il faut retenir que dans certains cas, les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur des recours liés à des projets d’urbanisme. Cela signifie qu’ils sont la seule instance à examiner ces recours, sans possibilité d’appel. Seul le Conseil d’Etat peut ensuite être saisi en cassation. Mais comment traiter les sursis à statuer au prisme de ces dispositions ?

Les cas connus de suppression du double degré de juridiction en urbanisme

Rappelons que l’article R. 811-1-1 du Code de justice administrative s’applique à toutes les communes au sein desquelles est perçue la taxe annuelle sur les logements vacants, communes dites sous tension, où existe un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logements. Les communes concernées sont listées en annexe du décret n° 2013-392 du 10 mai 2013.

Afin de réduire les délais de jugement et répondre plus rapidement aux besoins en construction de logements de ces communes, le 1° de cet article supprime dans ces communes le double degré de juridiction pour un certain nombre de décisions en matière d’occupation des sols.

Ainsi, ne peuvent faire l’objet d’un appel les jugements relatifs aux permis de construire ou de démolir un bâtiment comportant plus de deux logements, les permis d’aménager un lotissement, les décisions de non-opposition à une déclaration préalable autorisant un lotissement ainsi qu’aux décisions portant refus de ces autorisations ou opposition à déclaration préalable.

Dans la même perspective, le 2° de ce même article supprime l’appel contre les jugements relatifs aux actes de création ou de modification des zones d’aménagement concerté visées par l’article L. 311-1 du Code de l’urbanisme, et à l’acte approuvant le programme des équipements publics mentionné à l’article R. 311-8 du même Code, lorsque la zone d’aménagement concerté à laquelle ils se rapportent porte principalement sur la réalisation de logements et qu’elle est située en tout ou partie sur le territoire d’une commune sous tension.

Dans un autre registre, on trouve également une suppression du double degré de juridiction en matière d’éoliennes terrestres. L’article R. 311-5 du Code de justice administrative instaure une compétence de premier et dernier ressort au profit des cours administratives d’appel pour toutes les décisions environnementales et d’urbanisme afférentes aux éoliennes terrestres, dans l’objectif de ne pas ralentir le déploiement des énergies renouvelables sur le territoire national. Il en va de même en matière d’urbanisme commercial.

Vers la suppression de l’appel pour les sursis à statuer opposés dans les communes sous tension ?

Rappelons tout d’abord que l’autorité compétente doit se prononcer sur les demandes de permis de construire ou de déclaration préalable. Toutefois, dans certains cas visés à l’article L. 424-1 du Code de l’urbanisme, il peut être décidé de suspendre l’examen de la demande pour éviter que le projet entre en conflit avec d’autres projets urbains : PLU en cours d’élaboration, opération d’aménagement, etc. Ce sursis à statuer peut durer jusqu’à deux ans, mais il doit être justifié et ne peut pas être renouvelé pour les mêmes raisons.

Dans l’affaire dont a eu à connaître la Cour administrative d’appel de Paris, était en jeu le champ d’application du 1° de l’article R. 811-1-1 du Code de justice administrative et, plus précisément, les décisions de refus des autorisations qu’il vise.

Après l’annulation par le Tribunal administratif de Montreuil du sursis à statuer qu’elle avait opposé à une demande de permis de construire un immeuble de 56 logements sur le fondement du 2ème alinéa de l’article L. 424-1 du Code de l’urbanisme, la commune de Livry-Gargan, qui figure sur la liste des communes sous tension, a décidé d’interjeter appel de ce jugement.

Selon elle, l’article R. 811-1-1 du Code de justice administrative ne visant pas les décisions de sursis à statuer, il n’avait pas vocation à s’appliquer en l’espèce.

Quelques mois plus tôt, dans un jugement n° 2004260 du 9 octobre 2023 le Tribunal administratif de Grenoble (commentaire ici[1]), avait eu à se prononcer, dans une configuration différente, sur la nature du sursis à statuer vis-à-vis d’un refus d’autorisation d’urbanisme.

En considérant que le « sursis à statuer constitue une décision administrative d’une nature juridique différente d’un refus de permis de construire », le Tribunal administratif de Grenoble avait refusé qu’au motif initialement opposé par la commune pour refuser une autorisation d’urbanisme soit substitué un sursis à statuer pour tenir compte d’un plan local d’urbanisme intercommunal en cours d’élaboration.

À rebours de ce jugement, la Cour administrative d’appel de Paris estime dans l’arrêt ici commenté qu’une décision de sursis à statuer, « doit être assimilée à un refus, pour application de l’article R. 811-1-1 du Code de justice administrative, dès lors qu’elle fait obstacle, au moins temporairement, à la construction [de] logements ». Elle en conclut que « le jugement attaqué doit être regardé comme ayant été rendu en premier et dernier ressort » et transmet la requête, requalifiée en pourvoi en cassation, au Conseil d’Etat.

Si, de prime abord, ces positions peuvent sembler contradictoires, soulignons que la question de l’assimilation du sursis à statuer à un refus d’autorisation s’est posée de façon totalement différente.

Là où le Tribunal administratif de Grenoble s’est davantage fondé sur la nature juridique distincte du sursis à statuer et du refus d’autorisation d’urbanisme pour refuser que l’une soit transformée en l’autre en cours d’instance, la Cour administrative d’appel de Paris prend la précaution de cantonner la portée de son analyse à la stricte application de l’article R. 811-1-1 du Code de justice administrative, assimilant ces deux décisions seulement au regard de l’effet semblable qu’elles produisent, à savoir le blocage du projet.

Favorable aux porteurs de projets, la solution de la Cour s’avère donc parfaitement fidèle à la tendance à l’œuvre depuis une décennie consistant à accélérer le contentieux de l’urbanisme dans les zones tendues, afin de ne pas retarder considérablement des projets de construction dans des communes confrontées à une tension marquée entre l’offre et la demande de logements.

Reste à savoir si le Conseil d’Etat, désormais saisi, suivra l’analyse de la Cour administrative d’appel de Paris.

_________

[1] https://www.seban-associes.avocat.fr/refus-de-permis-de-construire-le-sursis-a-statuer-est-exclu-du-mecanisme-de-la-substitution-de-motifs/

Validation par le Conseil d’Etat de l’interdiction de l’abaya dans les établissements scolaires

Le 31 août 2023, le ministre de l’Education Nationale et de la jeunesse a adressé aux chefs d’établissements, inspectrices et inspecteurs et de l’Education nationale et aux directrices et directeurs d’établissements une note de service intitulée « Principe de laïcité à l’Ecole – Respect des valeurs de la République ».

Le préambule de cette note de service revient sur la montée en puissance du port de l’abaya ou qamis dans les établissements scolaires, qu’il qualifie de manifestation ostensible d’une appartenance religieuse en milieu scolaire.

A cet égard, rappelons qu’une abaya est un vêtement féminin ample couvrant l’ensemble du corps à l’exception du visage et des mains et est porté par des femmes ou jeunes filles de confession musulmane.

Le port de cette tenue, utilisée dans une logique d’affirmation religieuse, avait fait l’objet de très nombreux signalements des rectorats, de sorte que, dans la note de service susmentionnée, le Ministre y préconisait d’interdire ces tenues et, en cas de refus d’un élève d’y renoncer au sein de l’établissement scolaire ou durant les activités scolaires, d’engager une procédure disciplinaire.

Plusieurs recours ont été introduits contre cette note de service, dont deux en référé liberté et suspension.

Le Conseil d’Etat avait déjà rejeté les requêtes en référé (ordonnances n° 487891 du 7 septembre 2023 et n° 487896 du 25 septembre 2023).

Par une décision en date du 27 septembre 2024, il a confirmé, au fond, la validité de l’interdiction de l’abaya dans les établissements scolaires, au motif que « le port de tenues de type abaya par les élèves dans les établissements d’enseignement publics pouvait être regardé, à la date d’édiction de la note de service contestée, comme manifestant ostensiblement, par lui-même, une appartenance religieuse ».

A cet égard, il convient de rappeler que la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics a introduit un article L. 141-5-1 au sien du Code de l’éducation, aux termes duquel « le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ».

Le Conseil d’Etat juge qu’il résulte de ces dispositions que, si les élèves des écoles, collèges et lycées publics peuvent porter des signes religieux discrets, sont en revanche interdits, d’une part, les signes ou tenues, tels notamment un voile ou un foulard islamique, une kippa ou une grande croix, dont le port, par lui-même, manifeste ostensiblement une appartenance religieuse, d’autre part, ceux dont le port ne manifeste ostensiblement une appartenance religieuse qu’en raison du comportement de l’élève (CE, 5 décembre 2007, n° 295671).

En intégrant l’abaya au sein de la première catégorie des tenues interdites, le Conseil d’Etat en a rendu légale son interdiction de principe.

En effet, il n’y a ainsi pas lieu d’apprécier, au cas par cas, si la tenue manifeste ostensiblement une appartenance religieuse en raison du comportement de l’élève.

Le Conseil d’Etat a également écarté les moyens tirés de l’atteinte à la vie privée et familiale et du droit à l’instruction dès lors que, pour les élèves refusant de cesser de porter l’abaya, d’autres voies de scolarisation sont possibles (établissements privés, scolarisation à domicile notamment).

Enfin, dans la mesure où l’objectif poursuivi était d’assurer le respect du principe de laïcité, la Haute juridiction a également écarté les moyens pris de la méconnaissance du principe d’égalité et de l’interdiction des discriminations.

Actualités du droit du numérique et des nouvelles technologies : bilan annuel des dernières actualités et décisions

Intelligence artificielle, plateformes, logiciels, cybersécurité, contrats informatiques, signature électronique : l’actualité juridique du numérique et des nouvelles technologies a de nouveau été foisonnante au cours de l’année passée. L’intelligence artificielle a vu son cadre juridique se préciser, notamment avec l’IA Act entré en vigueur le 1er août dernier et plusieurs décisions internationales notables rendues en matière de droit d’auteur. De même, le droit des plateformes numériques a évolué avec l’entrée en vigueur dès le 17 février dernier du Digital Service Act (« DSA »), applicable aux personnes publiques qui peuvent être concernées dans le cadre de la réutilisation des données publiques ou en tant que signaleurs de confiance. Sans oublier le désormais traditionnel bilan des dernières décisions rendues en droit des logiciels et en droit des contrats informatiques à l’instar de  nos focus des années précédentes : LAJ de septembre 2023 (numéro #149) LAJ septembre 2022 (numéro #136), LAJ de septembre 2021 (numéro #124), LAJ de septembre 2020 (numéro #112) et LAJ d’octobre 2019 (numéro #101). Bonne lecture !

 

Audrey LEFEVRE, Lucile MARTIN et Gabrielle LAMBERT

1. Actualités en intelligence artificielle

Nouveau cadre juridique de l’intelligence artificielle par les textes européens (IA Act, convention-cadre)

Règlement (UE) 2024/1689 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024 établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle

La récente adoption du règlement européen sur l’intelligence artificielle (« IA ») pose les principes tendant à encadrer le développement et la fourniture de systèmes d’IA « sûrs, transparents, traçables, non discriminatoires et respectueux de l’environnement », et d’en garantir la sécurité juridique, afin d’encourager les investissements et l’innovation au sein de l’UE, tant pour les personnes privées que pour les personnes publiques (par exemple, dans la relation usagers au travers de chatbot, utilisé dans la gestion des services liés à la consommation, à l’octroi des aides ou encore pour des outils de l’open data dans l’administration).

Le règlement met en place un système de classification selon l’usage qui sera fait de l’IA et non selon le système d’IA en lui-même, à l’exception des IA génératives. Il classe les IA en fonction de leur niveau de risque en distinguant :

  • les IA à risque inacceptable (qui sont interdites),
  • les IA à haut risque (soumises à un régime d’autorisation avec des obligations renforcées), et
  • les IA à risque limité ou “faible” (soumises au respect d’obligations relatives à la transparence).

Il impose de nombreuses obligations relatives à la transparence visant à informer l’utilisateur qu’il est en présence d’une IA.

 

Convention-cadre du Conseil de l’Europe sur l’Intelligence Artificielle et les droits de l’homme, la démocratie et l’Etat de droit, 5 septembre 2024

En parallèle, le 17 mai 2024, le Conseil de l’Europe a adopté la convention-cadre sur l’IA, les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit. Juridiquement contraignant, ce traité international a été adopté par les ministres des Affaires Etrangères des 46 pays membres du Conseil de l’Europe. Traité international contraignant, il permet de rassembler des acteurs incontournables de cette nouvelle technologie comme les États-Unis, le Japon et le Canada, autour des valeurs portées par l’Europe. De plus, il est compatible avec le règlement IA. Ce texte couvre ainsi l’ensemble du cycle de vie des systèmes d’IA et permet de promouvoir une innovation responsable au niveau international.

 

Dernières décisions en matière d’intelligence artificielle à l’échelle internationale

A défaut de pouvoir pour le moment analyser des décisions émanant de juridictions françaises, il convient de s’intéresser, comme l’année dernière (Cf. LAJ#149), aux décisions rendues par les juridictions étrangères en matière d’IA.

Tribunal de Hambourg, 27 septembre 2024, n° 310 O 227/23

Le 24 septembre dernier, le Tribunal régional de Hambourg a rendu la première décision concernant les exceptions de fouille de textes et de données (ou « TDM » pour text and data mining) consacrées par la DAMUN (la directive du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique). C’est une décision historique dans le contexte de l’intelligence artificielle dans la mesure où ces exceptions sont souvent évoquées pour justifier la phase d’entrainement de modèles d’intelligence artificielle[1].

Dans cette affaire, l’organisation à but non lucratif allemande LAION, connue notamment pour créer et mettre à disposition des sets de données d’entraînement, a publié gratuitement un set de données d’entraînement (le LAION-5B dataset) utilisé notamment pour entraîner certains modèles très connus tel que Stable Diffusion. Ce set de données (ou « dataset ») comprenait un lien hypertexte conduisant vers une image mise en ligne sur le site internet Bigstockphoto du photographe Robert Kneschke. Ce dernier a reproché à LAION d’avoir téléchargé une copie d’une de ses photos en basse qualité et contenant un tatouage numérique alors que les conditions d’utilisation de son site internet interdisaient l’utilisation des images par des « programme automatisés ». LAION a invoqué pour sa part l’exception TDM à des fins de recherches scientifiques.

Le Tribunal a considéré que les reproductions opérées par LAION avaient bien été effectuées à des fins scientifiques, et étaient donc couvertes par l’exception de fouille de textes et de données à des fins scientifiques (issue de l’article 4 de la DAMUN). Il en a conclu qu’il n’y avait pas eu de violation du droit d’auteur du fait de la reproduction non autorisée de la photographie.

C’est une décision importante pour l’exception TDM à des fins de recherches scientifiques car le Tribunal précise que la notion de recherche scientifique ne doit pas être appréhendée trop étroitement. Si la création de set de données n’est pas, en tant que telle, encore associée à un gain de connaissances, cette étape constitue toutefois une étape essentielle pour un futur gain de connaissances. Dès lors que le set de données est publié gratuitement, il permet à des chercheurs d’en bénéficier et donc de créer un gain de connaissance potentiellement via de l’IA générative.

D’autres décisions ont été rendues au cours de l’année passée.

Tribunal municipal de Prague, 11 octobre 2023, 10 C 13/2023

US District court for the District of Columbia, 18 août 2023, Stephen Thaler c/ Shira Perlmutter, n° 22-1564

Beijing Internet Court, civil Judgement, 2023, Beijing 0491 Republic of China n° 11279

UK Supreme Court, 20 décembre 2023, Thaler v. Comptroller-General of Patents, Designs and Trade Marks

Le 11 octobre 2023, le Tribunal municipal de Prague a rendu une décision concernant la qualification des contenus générés par IA au titre du droit d’auteur et, en conséquence, la protection particulière qui pourrait y être accordée. Il a ainsi été jugé qu’une image générée par IA ne constituait pas une œuvre de l’esprit protégeable au titre du droit d’auteur. Le cas d’espèce concernait une image générée par l’IA DALL-E, sur laquelle le « créateur » en qualité de personne physique n’a pu rapporter la preuve suffisante de sa contribution personnelle. Les juges ont ici particulièrement insisté sur la nécessité de démontrer une intervention humaine suffisante dans l’activité créatrice.

Cette décision s’inscrit dans la lignée des décisions rendues en 2023 par la Cour du district de Colombia et l’Internet Court de Beijing en Chine qui ont insisté sur l’importance de la démonstration d’un rôle actif et prépondérant de l’auteur dans la création d’une image, ou de toute « œuvre », assisté de l’IA. A ce titre, il convient de relever que l’Internet Court de Beijing dans sa décision précitée, a quant à elle retenu la protection par le droit d’auteur.

C’est en suivant ce raisonnement que la Cour Suprême du Royaume-Uni a considéré, pour sa part, que les systèmes d’IA ne pouvaient pas être titulaires d’un brevet d’invention. La haute juridiction britannique s’est rapportée à sa loi sur les brevets, qui limite la catégorie des déposants à des personnes physiques, et qui a en conséquence exclue « toute machine ».

2. Actualités en droit des logiciels

 Code source non communiqué, originalité du logiciel non prouvée

 Tribunal Judiciaire de Paris, 27 juin 2024, n° 20/02476

Une société spécialisée dans les services d’e-santé destinés aux pharmaciens a conclu un contrat de prestation informatique avec une société éditrice de logiciels, pour un logiciel de gestion informatique de la vente et de la délivrance de médicaments et produits de pharmacie.

Considérant que les conditions d’utilisation du logiciel par la société d’e-santé licenciée n’étaient pas respectées, la société titulaire a été assignée notamment en contrefaçon de logiciel par la société éditrice.

Dans sa décision en date du 27 juin 2024, le Tribunal a rappelé que l’originalité du logiciel devait être démontrée par un effort personnalisé [qui se matérialise par un apport intellectuel propre à l’auteur et à l’existence de choix opérés par ce dernier]. Elle a, par ailleurs ajouté, que si cette démonstration ne suffisait pas à démontrer l’originalité d’un logiciel, il était nécessaire de communiquer à la procédure le code source du logiciel, car seul ce dernier permettait d’identifier l’apport intellectuel et les choix précis de l’auteur.

Or en l’espèce, le code source n’a pas été fourni par la société demanderesse et l’expert n’a pu établir son rapport que sur la base d’extraits de code sources. Ainsi, le Tribunal n’a pas retenu la contrefaçon, considérant qu’il n’était pas « en mesure d’apprécier l’originalité du logiciel et l’effort personnalisé de l’auteur matérialisé dans une structure individualisée et l’éventuelle logique automatique et contraignante ».

 

Licence d’utilisation d’un logiciel et clause de réserve de propriété

Cass. Com., 6 mars 2024, n° 22-23.657

Une société a fourni des logiciels à une société intermédiaire, pour le compte d’une troisième société utilisatrice (client final). Ayant été placée en liquidation judiciaire, la société intermédiaire n’a pas réglé les factures dues. La société fournisseur des logiciels a donc assigné la société intermédiaire, se prévalant de la clause de réserve de propriété contenue dans ses CGV auprès de l’administrateur judiciaire.

L’affactureur de la société intermédiaire, intervenu volontairement à ses côtés, a argué que la clause de réserve de propriété dont se prévalait le fournisseur ne pouvait être appliquée dès lors qu’elle était limitée à “la propriété des matériels et des supports de logiciels”.

Ce n’est cependant pas l’interprétation qu’a retenu la Cour de cassation qui a rejeté le pourvoi initié par l’affactureur, en considérant, au regard des articles L. 122-6, 3° du Code de la propriété intellectuelle et de l’article 4 de la directive 2009/24/CE sur la protection juridique des programmes d’ordinateur, que “la mise à disposition d’une copie d’un logiciel par téléchargement et la conclusion d’un contrat de licence d’utilisation y afférente visant à rendre ladite copie utilisable par le client de manière permanente moyennant le paiement d’un prix implique le transfert du droit de propriété de cette copie”.

Ainsi, la Cour de cassation ne fait pas une interprétation littérale de la clause de réserve de propriété, mais opte pour une interprétation large, qui inclut aussi un transfert de propriété immatérielle.

 

Contrefaçon du logiciel d’une SCOP, distribué sous licence libre

CA Paris, 14 février 2024, n° 22/18071

Une société coopérative de production (SCOP) est titulaire d’un logiciel de mise en place d’un système d’authentification unique, qu’elle diffuse soit sous licence libre GNU GPL version 2, soit sous licence commerciale si l’utilisation n’est pas compatible avec la licence libre précitée.

Les sociétés Orange et Orange Business Services ont incorporé le logiciel de la SCOP dans sa version sous licence libre dans un nouveau logiciel qu’elles ont commercialisé seules auprès de l’État, dans le cadre de la réalisation du portail « mon service Public ».

Considérant que cette utilisation violait les clauses de la licence libre, la SCOP a assigné en contrefaçon les sociétés Orange.

Par une décision rendue le 14 février 2024, la Cour a retenu la contrefaçon en raison de manquements aux stipulations de la licence libre. Pour se faire, elle a considéré que les sociétés Orange ont procédé à des modifications du premier logiciel sur lequel était fondé celui des sociétés Orange, sans le concéder comme un tout gratuit auprès de l’Etat. De même qu’elles n’ont pas sollicité l’autorisation de la SCOP pour incorporer leur logiciel au nouveau.

Enfin, il est intéressant de relever que la Cour a pris en compte le comportement des sociétés Orange en relevant qu’elles ne s’étaient pas rapprochées de la SCOP pour clarifier le contenu de certaines stipulations de la licence.

Tenant compte de l’ampleur du projet du fait notamment de la durée d’exploitation du portail « mon service Public », du nombre de visiteurs de la plateforme, du budget de fonctionnement et d’investissement), la Cour a condamné les sociétés Orange à des dommages et intérêts particulièrement importants : 500.000 euros au titre des conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits d’auteur, 150.000 euros au titre des bénéfices qu’elles ont réalisé, et 150.000 € au titre du préjudice moral.

 

Violation de licence de logiciel : la Cour d’appel de Paris se prononce à nouveau sur le fondement de responsabilité applicable

CA Paris, 8 décembre 2023, n° 21/19696

Par cet arrêt, la Cour d’appel de Paris s’inscrit dans le courant de la saga judiciaire en matière de violation des termes de licence de logiciel ayant opposé la société Entr’Ouvert à la société Orange.

Pour rappel, dans cette affaire, la Cour d’appel de Paris avait saisi, en 2019, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) d’une question préjudicielle sur ce sujet afin de déterminer si la violation des termes contractuels d’une licence de logiciel relevait d’une responsabilité contractuelle ou de l’action en contrefaçon qui est de nature extracontractuelle (voir notre brève du 19/09/2019). Par sa décision en date du 18 décembre 2019, la CJUE a rappelé que le choix de l’application du régime de responsabilité délictuelle ou contractuelle importait peu du moment que les garanties prévues par la directive 2004/48 étaient respectées, notamment en matière de calcul des dommages intérêts (voir notre brève du 23/01/2020).

A la suite de cette décision, qui laissait en apparence un choix entre le fondement contractuel et la contrefaçon, la Cour d’appel de Paris a estimé, dans un arrêt du 19 mars 2021, que toute action en responsabilité fondée sur la violation d’un contrat de licence ne pouvait être formée que sur le fondement d’une responsabilité contractuelle (voir notre brève du 16/09/2021). Cette décision a cependant été cassée par l’arrêt de la Cour de cassation du 5 octobre 2022, au motif que le fondement de la responsabilité contractuelle ne permettait pas le respect des garanties posées par la directive 2004/48 (seule exigence rappelée par la CJUE).

La présente affaire présentait des faits similaires, à savoir le non-respect des termes d’une licence de logiciel. Plus précisément, la société Lundi Matin, éditrice de logiciels et applications mobiles de gestion, a concédé des licences sur deux de ses logiciels à La Poste pour le développement de son application « Genius ». La Poste a, par la suite, décidé de rendre disponible cette application au téléchargement sur smartphone dès 2017. La société Lundi Matin a alors assigné La Poste en contrefaçon de ses droits d’auteur, estimant que cette dernière, en rendant accessible au public son application « Genius », avait fait une utilisation irrégulière de ses logiciels concédés au regard des contrats de licence.

Par sa décision en date du 8 décembre 2023, la Cour d’appel de Paris a ainsi fait siens les arguments exposés par l’arrêt de la Cour de cassation en octobre 2022, en considérant que seul le fondement de la contrefaçon permet au titulaire de droits de bénéficier des garanties de la directive 2004/48. Cette décision vient ainsi entériner la position de la Cour de cassation. Il est désormais clair que l’action en contrefaçon est le seul fondement envisageable en matière de violation de licence.

3. Actualités en droit des plateformes

Accès aux données : compatibilité des traitements de données d’identité civile pour la lutte anti-contrefaçon de droit d’auteur en ligne

 CJUE, 30 avril 2024, n° C-470/21

Dans le cadre d’une saisine du Conseil d’Etat visant à l’annulation du décret n° 2010-236 du 5 mars 2010, relatif au traitement automatisé de données à caractère personnel, la CJUE a été interrogée sur la compatibilité des traitements de données d’identité civile prévus dans le décret précité [à savoir : les données d’identité liées à l’adresse IP des utilisateurs par l’autorité publique], avec les dispositions de la directive 2002/58 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques.

La CJUE a considéré que la directive précitée ne s’opposait pas à ce qu’un Etat membre « impose une obligation de conservation généralisée et indifférenciée des adresses IP aux fins d’un objectif de lutte contre les infractions pénales en général », dès lors qu’existe un encadrement certain, à savoir notamment :

  • une conservation exclusivement limitée à identifier la personne concernée et dont la durée est limitée au strict nécessaire ;
  • une conservation dans des conditions garantissant qu’il n’est pas possible de tirer des conclusions sur la vie privée de la personne concernée ;
  • une conservation via un système de traitement de données qui fasse l’objet d’un contrôle régulier par un organisme indépendant.

Dans ces conditions, une autorité publique chargée de la lutte anti-contrefaçon en matière de droit d’auteur et de droits voisins est autorisée, dans ce cadre-là, à accéder à ces données d’identité conservées par les fournisseurs de services de communications électroniques.

 

Le Digital Service Act (DSA) relatif aux plateformes en ligne, applicable aux personnes publiques, est entré en vigueur le 17 février 2024

 Règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relatif à un marché́ unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE (règlement sur les services numériques).

Le Digital Service Act (dit « DSA ») est entré en vigueur le 17 février 2024. Ce règlement européen encadre les services numériques et a souvent été mentionné comme un nouveau cadre applicable aux GAFAM (pour « Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft », plateformes qualifiées, aux termes de ce règlement, de « très grandes plateformes en lignes »).

Le DSA a cependant un champ d’application beaucoup plus large que les seules GAFAM puisque, depuis son entrée en vigueur le 17 février dernier, il s’applique à toutes les plateformes en ligne, y compris celles gérées par les personnes publiques. En effet, l’objectif du texte est de rendre l’environnement en ligne plus sûr, plus équitable et plus transparent. A ce titre, son champ d’application est défini par référence aux types de services proposés et non par référence aux catégories de personnes qui fournissent ces services.

En conséquence, une personne publique qui édite une plateforme en ligne permettant de réserver des services, ou de mettre en lien un administré avec un prestataire particulier, sera en principe soumis au respect du DSA. Cela implique notamment la mise en place d’un système de traitement des réclamations contre les décisions prises après le signalement d’un contenu illicite, l’information des utilisateurs sur les publicités ou la mise à disposition de rapports de transparence.

 

Action d’Association Addictions France contre la plateforme Meta (Facebook) : condamnation à communiquer des données d’identification de comptes Instagram publiant des contenus contraires à la loi Evin

 CA Paris, 21 décembre 2023, Meta plateforms Ireland Ltd / ANPAA (Association Addictions France) RG n° 23/06581

En France, la loi visant à sécuriser l’espace numérique a été promulguée le 21 mai 2024 (dite loi « SREN ») et résulte en partie de l’application du DSA au niveau national. Elle a notamment modifié la loi pour la confiance dans l’économie numérique de 2004 (dite « LCEN »), mettant à jour l’article 6 relatif au retrait des contenus illicites des plateformes numériques. Celui-ci pose le régime de la responsabilité des plateformes qui sont tenues de retirer tout contenu illicite après en avoir été dument notifiées, à défaut le juge compétent pouvant être saisi. La loi SREN est ici venue ajouter que le juge sera alors saisi selon la procédure accélérée au fond.

Sur le fondement de ce mécanisme, l’ANPAA, aujourd’hui Association Addictions France, a assigné le géant Meta, après lui avoir demandé par LRAR de lui communiquer les coordonnées des éditeurs de certains comptes Instagram d’influenceurs qui faisaient de la publicité pour des boissons alcoolisés sans respecter les règles de la loi Evin.

Condamné à communiquer les informations demandées en première instance, Meta a fait appel de cette décision. La Cour d’appel de Paris, par une décision en date du 21 décembre 2023, a confirmé la décision de première instance portant injonction de communiquer les informations des comptes visés, sans toutefois statuer sur le retrait des publications litigieuses car la société Meta les avait déjà rendues inaccessibles.

4. Actualités en droit des contrats informatiques

Opposabilité de la clause limitative de responsabilité qui doit prendre en compte le montant total des contrats interdépendants puisque liés à une même prestation informatique

CA Paris, 22 mars 2024, n° 21/16505

Une société a contracté, via quatre contrats différents avec un prestataire, l’intégration d’un nouvel ERP (un progiciel de gestion intégré) ainsi que la migration de ses données sur ce nouvel outil. Lors de la livraison des prestations, la société cliente a relevé de nombreuses anomalies qu’elle jugeait bloquante. Ces anomalies n’ayant jamais été corrigées par la suite, la société a été dans l’obligation de faire appel à un tiers pour mettre en œuvre son projet. Elle a ainsi reproché à son prestataire de ne pas avoir rempli son obligation de délivrance conforme et l’a assigné sur le fondement de sa responsabilité contractuelle.

En appel, la question s’est posée de la validité de la clause limitative de responsabilité du prestataire, reconnu défaillant. La clause limitait le montant de l’indemnisation du client par le prestataire à hauteur de la somme totale effectivement perçue par le prestataire au titre du contrat dans l’année où est constaté l’incident. La Cour a jugé que ce montant n’était pas dérisoire mais qu’il était nécessaire de tenir compte de l’ensemble des contrats qui concourraient au même but car ils étaient interdépendants, et qu’il fallait de ce fait prendre en compte le montant perçu par le prestataire au titre des quatre contrats conclus (et non uniquement au titre du contrat qui contenait cette clause).

Il est ainsi rappelé dans cette décision l’interdépendance des contrats informatiques conclus pour des prestataires associés qui doivent être pris dans leur ensemble pour calculer les indemnités qu’un prestataire défaillant se doit de verser à son client.

 

Rappel du point de départ du délai de prescription d’une action à l’encontre d’un prestataire informatique

CA Paris, 18 mars 2024, n° 22/06676

Une société a conclu un contrat avec un prestataire en janvier 2014 afin de mettre en œuvre un logiciel de gestion électronique de ses documents pour ses clients. Le logiciel était édité par une société tierce avec laquelle le prestataire avait conclu un contrat de partenariat. Dès le mois de mai de la même année, la société cliente a fait part au prestataire de nombreux dysfonctionnements qui empêchaient l’utilisation du logiciel fourni, dysfonctionnements qui n’ont pas été résolus par la suite.

La société n’a assigné en justice son prestataire qu’en mars 2020, aux fins d’obtenir la résolution judiciaire du contrat de prestation de services et la restitution des sommes payées. Le prestataire a alors tenté de faire valoir la prescription de l’action.

La Cour rappelle ici que le délai de prescription de droit commun est de 5 ans et qu’en présence d’un dysfonctionnement persistant, « le point de départ se situe au moment où l’intéressé en a eu connaissance. » En conséquence, il importait peu que les dysfonctionnements aient été étalés dans le temps et accumulés dès lors qu’ils avaient été découverts en janvier 2014. En l’espèce, l’action était donc prescrite.

 

L’obligation de collaboration du client face à l’obligation de délivrance conforme et de conseil du professionnel

CA Toulouse, 27 février 2024, n° 21/01022

Une société a développé une application pour tablettes. Cherchant à la développer sur le web, elle a fait appel à un prestataire et conclu un contrat en vue du développement et de l’hébergement de ladite application. Un cahier des charges spécifique a été remis au prestataire. Une première partie de la mission réalisée, ce dernier a cédé ses droits à son client, sans qu’aucun procès-verbal de recette n’ait été signé pour attester de la réception de cette étape intermédiaire. Une fois terminée, les codes sources ont été remis à la société.

Par la suite, cette société a rapidement contesté la qualité des livrables, avançant le non-respect par le prestataire du cahier des charges, et a refusé de signer le procès-verbal de recette final. Elle a ainsi mis en demeure le prestataire de lui rembourser les sommes avancées et résilié le contrat.

Refusant cette résiliation, le prestataire a été assigné par la société pour voir sa responsabilité contractuelle engagée. Déboutée en première instance, elle a fait appel de la décision en arguant que le prestataire avait failli à son obligation de délivrance conforme. Pour sa défense, le prestataire a rétorqué l’absence de collaboration du client.

La Cour d’appel a rappelé alors que « Si l’exécution de cette prestation imposait […] la collaboration du client, débiteur des informations nécessaires à l’avancée du processus, c’est bien au prestataire, en sa qualité de professionnel de démontrer qu’il a effectivement sollicité son client en ce sens, en l’informant des conséquences de son refus de collaboration notamment en termes de devenir de leurs relations contractuelles, et que malgré cela, il n’a pu obtenir satisfaction dans ses demandes. ».

La Cour d’appel a également rappelé que si aucune recette intermédiaire n’avait été contractuellement prévue, cela ne dispensait pas pour autant la société cliente, au titre de son devoir de collaboration, de procéder à des tests réguliers afin de permettre au prestataire de pouvoir, si besoin, modifier les travaux en cours. Toutefois, en l’espèce, la Cour a relevé que le prestataire n’avait pas tenu compte du comportement obstructif de son client et avait lui-même manqué à ses obligations de conseil et de délivrance conforme. La Cour en a déduit que les manquements de la société cliente n’étaient pas de nature à exonérer le prestataire de sa responsabilité. Ainsi, la résolution judiciaire du contrat a été prononcée et le prestataire a été condamné au remboursement des sommes avancées par son client, contre restitution par celui-ci de l’ensemble des éléments livrés.

La responsabilité professionnelle du prestataire a donc ici primé sur celle du client. Toutefois, l’obligation de collaboration du prestataire a aussi été examinée et ne doit donc pas être négligée.

 

Cybersécurité : absence de responsabilité du prestataire informatique en cas de perte de données à la suite d’une demande de rançon (type ransomware)

CA Lyon, 14 déc. 2023, n° 20/02356

Une société a conclu deux contrats avec un prestataire informatique, l’un pour la maintenance de son système informatique et l’autre pour la sauvegarde en ligne de ses données. Les serveurs de la société cliente ont ensuite fait l’objet d’une attaque de type rançongiciel (ou « ransomware »). Refusant de payer la rançon, la société a alors demandé à son prestataire de rétablir l’intégralité de ses données. Cependant, la dernière sauvegarde en date réalisée par le prestataire datait de 6 mois. La société a donc assigné son prestataire aux fins notamment d’engager sa responsabilité contractuelle et d’obtenir des dommages et intérêts. Déboutée en première instance, la société a interjeté appel de la décision.

La Cour d’appel a rappelé que « l’obligation de maintenance [du prestataire] s’analyse en une obligation de moyen dans la mesure où le fonctionnement du système implique la participation active du client et sa vigilance. ». Elle a relevé en l’espèce que la rançongiciel est intervenue via un virus un samedi, journée sans maintenance tel que décrit dans le contrat, depuis l’ordinateur portable de son gérant, non inclus dans le contrat de maintenance et dépourvu de solution anti-virus. De plus, concernant la sauvegarde des données, aucune faute n’avait pu être signalée par le client et ce pendant les 5 années d’exécution du contrat précédent les faits litigieux. La Cour a ainsi jugé que les éléments rapportés par le client, à savoir un rapport émis par un prestataire concurrent, ne suffisait pas à établir la faute du prestataire. Les demandes en résiliation du contrat et en indemnisation ont donc été rejetées.

 

Rappel des composantes de l’obligation de conseil d’un prestataire professionnel envers son client

CA Lyon, 7 décembre 2023, n° 20/03688

Une société a conclu un contrat avec un prestataire informatique afin de réaliser la migration de données de deux de ses sites internet. Des difficultés sont apparues dans l’exécution du contrat. La société cliente a alors assigné le prestataire aux fins de voir résilier le contrat et obtenir réparation de son préjudice. A ce titre, la société s’est également prévalue d’un manquement à l’obligation de conseil du prestataire.

La Cour a rappelé alors que le prestataire professionnel de l’informatique était débiteur d’une obligation de renseignements et de conseil, et d’une obligation de délivrance conforme. Elle a par ailleurs rappelé que le prestataire devait donc étudier les besoins de son client et faire un état des lieux de ses supports informatiques, et si besoin réaliser un audit technique, avant de proposer ses prestations et mettre en garde sur les difficultés potentielles dans une phase précontractuelle. La Cour en a déduit que c’est « à tort que la société intimée incrimine a posteriori le sous-dimensionnement de l’installation pour expliquer retards et dysfonctionnements alors qu’il lui appartenait, avant d’accepter l’architecture informatique déjà en place, d’en faire l’étude pour s’assurer de sa compatibilité avec la solution proposée et d’informer sa cliente des contraintes techniques et des dépenses supplémentaires d’adaptation ».

En conséquence, il a été jugé que le prestataire avait manqué à son obligation de conseil en raison de son évaluation de départ erronée et des prestations qui s’en sont suivies « ayant conduit à une exécution tardive, partielle et déficiente de ses obligations contractuelles ».

Dans cette décision, il est rappelé l’importance de bien encadrer la phase précontractuelle en matière de prestations informatiques qui peut se traduire par la relecture du cahier des charges pour les exigences fonctionnelles, la revue de l’architecture technique (celle-ci pouvant se faire au besoin via un audit), ainsi que par la mise en place d’un planning adapté, afin d’éviter toute déconvenue lors de la réalisation des prestations.

5. Actualités en matière de signature électronique

Absence de signature d’un acte administratif transmis numériquement

CE, 5 mars 2024, n° 48189

Le Conseil d’Etat a été saisi aux fins de savoir si une décision générée automatiquement adressée au nom du service instructeur d’une plateforme interrégionale de la main-d’œuvre étrangère et clôturant comme étant sans objet une demande d’autorisation de travail, pouvait être dispensée de signature au sens de l’article L. 212-2 du Code des relations entre le public et l’administration.

Le Conseil d’Etat a conclu qu’en l’absence de texte législatif contraire, une telle décision entrait dans le champ d’application des articles L. 212-1 et L.212-2 du Code des relations entre le public et l’administration relatifs à la signature des actes administratifs, et que la notification d’une telle décision par l’intermédiaire d’un téléservice permettait de déroger à l’obligation d’y faire figurer la signature de son auteur, dès lors qu’elle comportait la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et du service auquel il appartient.

 

Signature scannée

Cass. Com, 13 mars 2024, n° 22-16.487

Dans un arrêt du 13 mars 2024, la Cour de cassation a eu l’occasion de confirmer l’analyse de la Cour d’appel sur la valeur juridique d’une signature scannée apposée sur une promesse unilatérale de vente.

En l’espèce, la société se prévalant de ce contrat, avançait qu’une signature scannée bénéficiait de la même présomption de fiabilité qu’une signature électronique. La Cour de cassation n’a pas suivi ce raisonnement, considérant que la preuve du consentement des signataires ne pouvait être déduite d’une simple signature scannée. Elle a ainsi rappelé deux points importants :

  • Le procédé de scan de signature est valable, dès lors qu’elle permet d’identifier son auteur et de manifester son consentement conformément à l’article 1367, alinéa 1er du Code civil. Une signature scannée peut être valable lorsqu’elle est corroborée par des éléments de preuves de consentement complémentaires.
  • Cependant, ce procédé ne peut bénéficier d’une présomption de fiabilité au même titre que celui de la signature électronique, tel qu’explicité dans l’article 1367, alinéa 2 du Code civil.

 

Force probante de la signature électronique

CJUE, 10e ch., 29 févr. 2024, aff. C-466/22

La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) s’est à nouveau prononcée sur l’interprétation de l’article 25 du règlement (UE) no 910/2014 sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur[2] et plus particulièrement sur la notion de « signature électronique qualifiée ».

Dans le cadre d’un redressement fiscal, un requérant bulgare a contesté la validité de documents électroniques, considérant que l’authenticité desdits documents dépendait de différents aspects techniques qui déterminent la qualité d’une signature électronique en tant que « signature électronique qualifiée ». La juridiction saisie a posé une question préjudicielle à la CJUE afin de voir cette notion explicitée et sa valeur, face à une signature manuscrite précisée.

A cette occasion, la CJUE a rappelé que lorsque les conditions de l’article 3.12 dudit règlement sont réunies, à savoir la définition de «signature électronique qualifiée» comme « une signature électronique avancée qui est créée à l’aide d’un dispositif de création de signature électronique qualifié, et qui repose sur un certificat qualifié de signature électronique; …»,  les juridictions des Etats membres sont tenues de reconnaitre à la signature électronique qualifiée une force probante équivalente à celle d’une signature

________

[1] « Première décision en Europe sur l’exception de fouille de textes et de données : l’affaire LAION c/ Robert Kneschke » par Elodie Migliore, Doctorante au CEIPI, Université de Strasbourg, Dalloz Actualités du 15/10/2024

[2] Règlement (UE) no 910/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 23 juillet 2014, sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur et abrogeant la directive 1999/93/CE (JO 2014, L 257, p. 73), dit règlement « iDAS »

Condamnation de la France pour manquement à la directive 91/271/CEE sur le traitement des eaux urbaines résiduaires

Par un arrêt du 4 octobre 2024, la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « CJUE ») a condamné la France pour avoir méconnu les obligations découlant de la directive 91/271/CEE du sur le traitement des eaux urbaines résiduaires, à la suite d’une procédure introduite par la Commission européenne à partir d’octobre 2017.

Cette directive, qui concerne les « eaux urbaines résiduaires », c’est-à-dire les « eaux ménagères usées ou le mélange des eaux ménagères usées avec des eaux industrielles usées et/ou des eaux de ruissellement », instaure une obligation de traitement secondaire de ces eaux avant leur rejet.

Or selon la Commission, en 2017, 373 agglomérations françaises soumises à l’obligation de traitement secondaire pour leurs eaux urbaines résiduaires ne respectaient pas cette obligation.

La CJUE a reconnu la méconnaissance de la directive pour 78 agglomérations à date de l’arrêt commenté. En effet, « la République française aurait dû s’assurer […] que les stations d’épuration desservant les agglomérations concernées […] soient conçues, construites, exploitées et entretenues de manière à avoir un rendement suffisant dans toutes les conditions climatiques normales du lieu où elles sont situées et, d’autre part, que leurs rejets soient conformes aux prescriptions […] » fixées par la directive.

Augmentation en vue du fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM)

Créé par la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement par Michel Barnier, alors ministre de l’Environnement, le fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM) est destiné à soutenir le financement les mesures de protection et de prévention des biens et personnes exposées aux risques naturels, pour les collectivités, les entreprises et les particuliers.

Dans le cadre de son discours de politique générale, prononcé devant l’Assemblée Nationale le 1er octobre 2024, Michel Barnier – cette fois en tant que Premier ministre – a annoncé vouloir « […] augmenter les moyens dont il est doté » dans le cadre du prochain projet de loi de finances, le fond étant rattaché au budget de l’État depuis 2021. Il poursuit en indiquant « […] que la prévention coûte toujours moins cher que la réparation… ».

Cette potentielle augmentation intervient à la suite d’une transformation de son fonctionnement et de son étendue intervenue en 2021 ainsi qu’une évolution de ses modalités de financement en 2023.

Projet d’arasement de barrage : le changement d’affectation d’un bien à l’origine de la perte du droit d’eau fondé en titre

La question des droits d’eau fondés en titre a été largement précisée par la jurisprudence administrative mais reste source de nombreuses incertitudes. Dans une décision en date du 17 septembre 2024, le Conseil d’État annule une ordonnance de référé du Tribunal administratif de Besançon, en précisant en quoi un droit d’eau fondé en titre peut se perdre par changement de destination de l’immeuble y étant rattaché.

Pour mémoire, les droits ou prises d’eau fondés en titre sont des droits réels immobiliers, correspondant alternativement aux « […] prises d’eau sur des cours d’eaux non domaniaux qui sont établies en vertu d’un acte antérieur à l’abolition des droits féodaux […] », aux « […] prises d’eau sur des cours d’eau domaniaux fondées sur des droits acquis antérieurement à l’édit de Moulins […] » ainsi qu’aux « […] prises d’eau exploitées en vertu de droits acquis dans le cadre de la vente de biens nationaux […] » (T. conflits, 8 juin 2020, n° C4190).

En l’espèce, le contentieux portait sur un arrêté préfectoral du 30 avril 2024 accordant une autorisation environnementale à l’EPAGE Doubs Dessoubre, pour la réalisation de travaux d’arasement sur un barrage en vue de restaurer la continuité piscicole et morphologique du cours d’eau.

Des particuliers, revendiquant la propriété d’une moitié dudit barrage, ont exercé un référé liberté auprès du Tribunal administratif de Besançon en invoquant une atteinte à « […] leur droit d’usage de l’eau fondé en titre, mais aussi à leur droit de propriété sur cet ouvrage […] ». Ils demandaient ainsi la suspension des travaux d’arasement. Le tribunal a fait droit à leur demande par une ordonnance de référé du 23 août 2024 (Tribunal administratif de Besançon, n° 2401559).

Le Conseil d’État a annulé cette ordonnance. Il rappelle que le droit d’eau, en tant que droit réel immobilier, est distinct du droit de propriété. Il poursuit son raisonnement en jugeant que le droit d’eau fondé en titre avait disparu, « […] ayant été perdu à raison du changement d’affectation de ce bâtiment [devenu immeuble d’habitation] et de la disparition définitive de l’ensemble de ses installations destinées à utiliser la pente et le volume de l’eau qui en est résulté […] ». Les requérants « ne peuvent dès lors se prévaloir d’un tel droit », quel que soit l’état du cours d’eau et du bief d’alimentation.

Par ailleurs, l’atteinte au droit de propriété invoqué par les requérants au titre de l’article L. 215-2 du Code de l’environnement ne pouvait être établi pour le juge administratif, la berge constituant la rive droite du cours d’eau n’appartenant pas à la propriété des requérants.

Cette décision précise encore le régime des droits d’eau fondés en titre, dans la lignée d’une décision antérieure du Conseil d’État, rendue le 24 avril 2019 (CE, ministre de la Transition Ecologique, n° 420764) laquelle avait apporté des précisions quant à la notion de ruine de l’ouvrage, autre facteur susceptible d’anéantir le droit d’eau fondé en titre.

Un projet éolien se heurte aux mégalithes bretons

Plusieurs centaines de sites mégalithiques grêlent les paysages de Bretagne. Leur préservation, ainsi que celle de leur environnement, impactent nécessairement la mise en place de certains projets, comme en témoigne la décision en date du 1er octobre 2024, par laquelle la Cour administrative d’appel de Nantes a annulé l’autorisation environnementale relative à un projet d’implantation de trois d’éoliennes d’une hauteur de 120 mètres, à raison des incidences qu’elles occasionneraient sur le paysage et le patrimoine archéologique du site retenu.

Le Préfet du Finistère avait accordé, par arrêté du 28 juillet 2022, une autorisation environnementale à une société pour l’installation et l’exploitation de trois éoliennes. Deux associations ont alors saisi la Cour administrative d’appel de Nantes, au regard notamment de l’insuffisance de l’étude d’impact et des risques d’atteinte à la protection des paysages et des éléments du patrimoine archéologique environnant. Pour rappel, les Cours administratives d’appel sont compétentes en matière de contentieux des éoliennes terrestres en premier et dernier ressort (article R. 311-5 du Code de justice administrative).

La Cour s’est fondée sur deux points pour annuler l’arrêté portant autorisation environnementale délivré par le Préfet du Finistère.

D’une part, elle se fonde sur une « atteinte excessive au paysage particulièrement préservé de l’Aber Ildut », à l’aplomb du lieu d’implantation du projet. En effet, la zone envisagée est un espace à proximité de la côte, laquelle donne sur le Parc marin naturel d’Iroise. C’est par ailleurs, « un paysage très ouvert et dégagé dans lequel chaque élément vertical se détache à l’horizon et devient un point de repère important ».

D’autre part, c’est au regard de la proximité avec plusieurs sites mégalithiques que la Cour assoit sa décision, notamment à raison de la visibilité et de la co-visibilité des éoliennes depuis les sites mentionnés. L’architecte des bâtiments de France, deux communes avoisinantes ainsi que la commissaire-enquêtrice avaient d’ailleurs émis plusieurs avis défavorables à ce titre. L’abaissement de la hauteur des éoliennes de 138 à 120 mètres n’a pas suffi à convaincre le juge administratif, lequel conclut que « le projet porte une atteinte excessive tant au paysage environnant qu’au patrimoine archéologique ».

La Cour rappelle ainsi la nécessaire prise en compte de l’environnement patrimonial et archéologique dans le choix du lieu d’implantation des projets éoliens.

Installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) : appréciation de la nécessité de soumettre un projet à autorisation au regard de la sensibilité des milieux

Un récent arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes du 1er octobre 2024 illustre la mise en œuvre de l’article L. 512-7-2 du Code de l’environnement dans le cadre d’un projet d’installation de méthanisation. Il témoigne également de la conciliation délicate entre production d’énergies renouvelables et protection de la biodiversité et des milieux.

Le projet litigieux a la capacité de traiter une « quantité de matières d’origine agricole et agro-industrielle de 90 tonnes par jour en moyenne ». En principe, ce type d’installation est soumis au régime de l’enregistrement au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l’environnement (ci-après « ICPE »).

L’article L. 512-7-2 du Code de l’environnement offre la possibilité au préfet de faire basculer un projet – soumis à enregistrement – vers la procédure de l’autorisation, impliquant la mise en œuvre d’une évaluation environnementale, soit « […] au regard de la localisation du projet […] la sensibilité environnementale du milieu le justifie », soit si « […] le cumul des incidences du projet avec celles d’autres projets d’installations, ouvrages ou travaux situés dans cette zone le justifie […] ». L’appréciation de la sensibilité environnementale du milieu – retenue en l’espèce par le juge – est appréciée à l’aune des informations visées à l’annexe III de la directive 85/337/CEE du 27 juin 1985 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, incluant par exemple une description du projet et des « effets importants que le projet proposé est susceptible d’avoir sur l’environnement ».

En l’espèce la quantité journalière moyenne de matière traitée se révèle « […] très proche de celle soumise à un régime d’autorisation de 100 tonnes par jour […] ». Au titre de la sensibilité environnementale du milieu, le juge souligne la proximité immédiate avec une ZNIEFF de type II et d’une zone humide, l’avis négatif du Conseil scientifique régional du patrimoine naturel, la localisation du projet au sein du bassin versant d’un cours d’eau ou encore l’insuffisance des mesures de compensation prévues pour pallier la destruction d’une haie jouant le rôle de corridor écologique.

La Cour conclut en indiquant que « le préfet ne pouvait légalement estimer, tant au regard de la localisation du projet, de ses caractéristiques, que du type et des caractéristiques de son impact potentiel, que celui-ci ne présentait pas une sensibilité environnementale justifiant la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 512-7-2 du Code de l’environnement ».

Par ailleurs, une régularisation au titre de l’article L. 181-18 du Code de l’environnement n’a pas été admise par le juge administratif qui a considéré que la disposition n’est pas applicable dans l’hypothèse d’une demande d’enregistrement instruite dans le cadre du régime de l’autorisation comme prévu à l’article L. 512-7-2 du Code de l’environnement.

Le CoRDiS rappelle les conditions dans lesquelles il prononce des mesures conservatoires

Par une décision en date du 6 septembre 2024, le Comité de Règlement des Différends et Sanctions CoRDiS rappelle les conditions dans lesquelles il peut être saisi d’une demande de mesures conservatoires.

Celles-ci sont posées par les articles L. 134-22 et R. 134 -18 du Code de l’énergie, aux termes desquels de telles mesures peuvent être sollicitées :

  • Si sur le plan procédural, cette demande est présentée accessoirement à une saisine du CoRDiS au fond, respectant les conditions de formes prévues aux articles R. 134-8 et R. 134-9 du Code de l’énergie ;
  • Si sur le fond, il existe une atteinte grave et immédiate aux règles régissant l’accès et l’utilisation aux réseaux, ouvrages et installations notamment liés au transport, au stockage et à la distribution d’énergies.

A ce deuxième titre, le CoRDiS précise que de cette appréciation doit résulter la constatation d’une situation d’urgence. Urgence suffisante pour justifier que les mesures conservatoires sollicitées soient prises afin de remédier à cette atteinte, et ce sans attendre l’examen au fond de la demande de règlement de différend (lequel intervient en principe dans un délai de deux mois).

Toute proportion gardée, cet examen pourrait sembler comparable à celui réalisé par le juge administratif pour apprécier la recevabilité de certaines procédures de référé dont il est saisi.

Des conditions qui semblent être appréciées tout aussi strictement par le CoRDiS.

En effet, dans cette affaire, celui-ci considère que de telles mesures conservatoires ne seraient pas justifiées malgré les divers refus opposés par la société Enedis et par le maire de la commune concernée à la demande de raccordement formulée par la requérante depuis plus de deux ans. Et ce, dès lors que le maire de la commune en cause a donné son accord pour qu’il soit procédé au raccordement provisoire de la parcelle concernée, bien que celui-ci ne présage en rien de l’instruction de sa demande de raccordement définitif.

Accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) : la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) publie deux délibérations

CRE, Délibération du 25 septembre 2024 portant décision sur les modalités de calcul dans les TRVE 2025 des volumes non attribués du fait de l’écrêtement de l’ARENH

Au mois de septembre 2024, la CRE a publié deux délibérations en matière d’ARENH :

Ces modifications portées au modèle de cahier des charges en vigueur annexé à l’arrêté du 19 décembre 2023 permettent de mettre en cohérence ses stipulations avec les nouvelles dispositions concernant la répartition du complément de prix prévue par l’article 225 de la loi de finance pour 2024 dans le cadre du dispositif AREHN.

Elles permettent, d’autre part, en réintégrant certains paragraphes manquants dans le modèle d’accord-cadre et ces annexes, de corriger les erreurs matérielles que comportait la version adoptée sur la base l’arrêté susvisé.

  • Une deuxième délibération du 25 septembre 2024 apporte des précisions sur les modalités de calcul dans les TRVE 2025 des volumes non attribués du fait de l’écrêtement de l’ARENH :

Ainsi que nous le commentions dans une de nos précédentes Lettres d’Actualités Juridiques (disponible ici), la CRE a par une délibération du 22 septembre 2022 fait évoluer les modalités de prise en compte des coûts d’approvisionnement des volumes d’ARENH non attribués dans le calcul des TRVE de sorte à limiter la volatilité de ces tarifs.

Sur la base de ces évolutions, le calcul dans les TRVE de l’approvisionnement des volumes d’ARENH non attribués du fait de son écrêtement est pour l’année 2025 lissé sur trois mois, soit du 1er octobre 2024 au 23 décembre 2024 inclus.

Mais le taux d’attribution des volumes d’ARNH définitif ne pourra être connu au début de cette période de lissage (dès lors que son approvisionnement débute en amont du guichet ARENH qui se clôt le 21 novembre 2024). Il est donc nécessaire d’établir une hypothèse quant au taux d’attribution prévisionnel de l’ARENH retenu par la CRE pour le calcul du coût d’approvisionnement des volumes d’ARENH non attribués pour 2025 dans le calcul des TRVE.

C’est l’objet de la délibération de la CRE du 25 septembre 2024 qui fixe ce taux à 74,68 % pour l’année 2025.

Ce calcul tient compte des apports de l’arrêté du 27 juillet 2023 commenté ici, modifiant le coefficient de bouclage [taux déterminant la quantité théorique d’ARENH disponible pour les consommateurs français en l’absence d’écrêtement] pour les demandes d’ARENH effectuées sur les périodes de livraison commençant à compter du 1er janvier 2024.

Actualités réglementaires en matière de certificats d’économies d’énergies

Arrêté du 6 septembre 2024 modifiant le Coup de pouce « Rénovation performante de bâtiment résidentiel collectif » du dispositif des certificats d’économies d’énergie

Projet de décret relatif à l’industrie verte modifiant l’article R. 221-7 du Code de l’énergie

Plusieurs arrêtés et un projet de décret ont récemment été publiés par le gouvernement afin de modifier le cadre réglementaire applicable aux certificats d’économies d’énergies.

En premier lieu, le ministre en charge de l’Energie a publié deux arrêtés relatifs à la modification, la suppression et la création de fiches d’opérations standardisées.

De première part, l’arrêté du 22 août 2024 a modifié les annexes 7 et 7-1 de l’arrêté du 4 septembre 2014 fixant la liste des éléments d’une demande de certificats d’économies d’énergie. Ainsi, le demandeur devra notamment indiquer dans cette attestation si le matériel a été installé par un tiers ou non.

L’arrêté du 22 août a par ailleurs :

  • Modifié les référentiels de contrôle relatifs aux fiches d’opérations standardisées BAR-TH-171 « Pompe à chaleur de type air/eau » et BAR-TH-172 « Pompe à chaleur de type eau/eau ou sol/eau » et à la fiche d’opération standardisée RES-EC-104 « Rénovation d’éclairage extérieur »
  • Supprimé la fiche d’opération standardisée BAT-TH-160 « Vannes de régulation étanches à servomoteurs économes (France métropolitaine) »

De seconde part, l’arrêté du 6 septembre 2024 opère également des modifications de fiches d’opérations standardisées donnant lieu à obtention de CEE. L’arrêté du 6 septembre 2024 :

  • supprime la fiche d’opération standardisée BAR-TH-145 « Rénovation globale d’un bâtiment résidentiel collectif (France métropolitaine) »
  • crée la fiche d’opération standardisée BAR-TH-177 « Rénovation globale d’un bâtiment résidentiel collectif (France métropolitaine) » ;
  • modifie le Coup de pouce « Rénovation performante d’un bâtiment résidentiel collectif » associé. Il crée le référentiel de contrôle relatif à la fiche BAR-TH-177.

En deuxième lieu, le ministre en charge de l’Energie a publié un projet de décret portant modification des articles R. 221-17 et R. 221-19 du Code de l’énergie.

Ce projet de décret est pris en application de l’article L. 221-7 du Code de l’énergie, modifié par l’article 24 de la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte.

La modification introduite par l’article 24 de la loi précitée avait pour but de permettre la délivrance de certificats d’économies d’énergie pour les opérations industrielles entraînant une baisse des émissions de gaz à effet de serre, notamment à la suite de relocalisations d’activité.

Le projet de décret modifierait l’article R. 221-17 du Code de l’énergie pour y introduire un alinéa disposant :

« Lorsqu’une opération d’économies d’énergie consiste en la création d’une nouvelle installation industrielle ou l’extension d’une installation industrielle existante, notamment à la suite d’une relocalisation d’activité, l’installation industrielle ou l’ensemble des installations industrielles de l’opération atteint, après travaux, un niveau de performance en termes de consommation d’énergie et d’émissions de gaz à effet de serre supérieur à celui associé à la situation de référence mentionnée à l’article R. 221-16. »

Ainsi, le décret propose de modifier l’article R. 221-17 du Code de l’énergie pour imposer, après création ou extension d’une installation industrielle, un niveau de performance supérieur en matière d’efficacité énergétique et de gaz à effet de serre.

La Commission de Régulation de l’Energie (CRE) refuse de revoir les modalités d’évolution du tarif d’utilisation des réseaux publics d‘électricité pour 2024

Faisant suite à une demande du ministre en charge de l’Energie du 29 aout 2024[1], la Commission de régulation de l’énergie (ci-après, CRE) a, par une délibération du 10 septembre 2024, refusé de modifier ses deux délibérations du 26 juin 2024 portant évolution des grilles tarifaires du tarif d’utilisation des réseaux publics de distribution d’électricité.

Pour rappel, le tarif d’utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité (ci-après, TURPE) est un tarif payé par les utilisateurs des réseaux publics de distribution et de transport d’électricité afin de financer les missions des gestionnaires de ces réseaux[2].

Le montant du TURPE est fixé par délibération de la CRE[3]. Par deux délibérations du 21 janvier 2021[4], la CRE a fixé le cadre tarifaire du TURPE dans le domaine de tension HTB (dit « TURPE 6 HTB ») et dans les domaines de haute tension A (HTA) et basse tension (BT) (dit « TURPE 6 HTA-BT »).

Aux termes du troisième alinéa de l’article L. 341-3 du Code de l’énergie, la CRE est chargée de prendre des décisions relatives à l’évolution tarifaire du TURPE. Le cadre tarifaire des délibérations TURPE 6 précitées prévoit également l’évolution annuelle du montant du TURPE

Par ses délibérations du 26 juin 2024[5], la CRE a fixé l’évolution tarifaire pour l’année 2024, applicable à compter du 1er août 2024.

Au motif que la hausse du TURPE proposée par la CRE « conduirait mécaniquement à une hausse du prix payé par de très nombreux consommateurs, aux TRVE comme en offres de marché » et que « ceux-ci ont déjà connu une augmentation importante et continue depuis 2022 dans le contexte sans précédent de hausse du prix des énergies, malgré les dispositifs de protection mis en place par le Gouvernement », le ministre en charge de l’Energie a refusé de publier les délibérations de la CRE au Journal officiel et demandé à la CRE d’établir un nouveau projet de décision relative à l’évolution des TURPE.

Par sa délibération du 10 septembre 2024 ici commentée, la CRE a rejeté la demande du Ministre en rappelant qu’elle détient une compétence exclusive pour fixer ces tarifs. La CRE a justifié sa décision comme suit :

« S’agissant de la construction du cadre tarifaire du TURPE 6, la CRE estime qu’elle a pleinement tenu compte, dans ses Délibérations TURPE 6 du 21 janvier 2021, des orientations de politique énergétique qui lui avaient été adressées par la Ministre. La CRE s’est en effet assurée que ces tarifs couvraient les coûts d’un gestionnaire de réseaux efficace et a mis en place des mécanismes d’incitation permettant des gains de productivité limitant la hausse des coûts des gestionnaires de réseaux et, par conséquent, de la facture des consommateurs. »

En outre, la CRE a exigé que ses délibérations soient publiées au Journal officiel et a différé leur entrée en vigueur au 1er novembre 2024, du fait de l’absence de publication de celles-ci au 1er août, date habituelle d’entrée en vigueur des révisions.

Un conflit de pouvoirs au grand jour. A suivre…

______

[1] Nous avions commenté cette demande à l’occasion d’un précédent article, consultable au lien suivant : https://www.seban-associes.avocat.fr/le-ministre-de-leconomie-demande-a-la-commission-de-regulation-de-lenergie-de-revoir-les-modalites-devolution-du-turpe-6/

[2] Article L. 341-2 du Code de l’énergie

[3] Article L. 342-3 du Code de l’énergie

[4] Délibération n° 2021-12 de la CRE du 21 janvier 2021 portant décision sur le tarif d’utilisation des réseaux publics de transport d’électricité (TURPE 6 HTB) et Délibération n° 2021-13 de la CRE du 21 janvier 2021 portant décision sur le tarif d’utilisation des réseaux publics de distribution d’électricité (TURPE 6 HTA-BT)

[5] Délibération n° 2024-121 de la CRE du 26 juin 2024 portant décision sur l’évolution au 1er août 2024 de la grille tarifaire des tarifs d’utilisation des réseaux publics d’électricité dans le domaine de tension HTB et sur le montant de la compensation à verser à Strasbourg Electricité Réseaux en application de l’article D. 341-11-1 du Code de l’énergie et Délibération n° 2024-122 de la CRE du 26 juin 2024 portant décision sur l’évolution de la grille tarifaire des tarifs d’utilisation des réseaux publics d’électricité dans les domaines de tension HTA et BT au 1er août 2021 et sur l’évolution du paramètre Rf au 1er août 2024

Actualités en matière de production d’énergie renouvelable en mer

CRE, Délibération du 29 août 2024 portant avis sur deux projets de cahiers des charges relatifs à la procédure de mise en concurrence avec dialogue concurrentiel n° 2/2022 portant sur une installation d’éoliennes en mer posées de production d’électricité en Sud-Atlantique au large de l’île d’Oléron et à la procédure de mise en concurrence avec dialogue concurrentiel n° 3/2022 portant sur un second projet d’installation d’éoliennes en mer posées au large de la Normandie au sein de la zone « Centre Manche »

Par une première délibération n° 2024-167 du 19 septembre 2024, la Commission de Régulation de l’Energie ( CRE) a donné son avis sur un projet d’arrêté fixant les conditions du tarif d’achat de l’électricité produite par les installations flottantes utilisant l’énergie mécanique du vent en mer lauréates de l’appel à projets « Système énergétique – Villes et territoires durables » lancé le 4 mars 2020 par l’ADEME, tel que prévu au 7° de l’article D. 314-15 du Code de l’énergie.

Le projet France Atlantique, porté par la société Eolink, a été désigné lauréat à l’issue de cet appel à projets. Il s’agit d’un projet de démonstrateur d’éolienne flottante d’une puissance installée de 5 MW et composé d’un unique aérogénérateur présentant une structure à quatre mâts qui a pour objectif de démontrer la compétitivité et la faisabilité industrielle d’un concept innovant pour l’éolien flottant.

Le projet d’arrêté prévoit un tarif d’achat initial de 170 €/MWh (applicable à la prise d’effet du contrat d’achat), qui fera l’objet d’une indexation annuelle pendant toute la durée du contrat d’achat, via un coefficient d’indexation. Dans sa délibération, la CRE s’est assurée que le tarif prévu dans l’arrêté ne conduise pas à une surrémunération du porteur de projet et s’est prononcée favorablement sur le principe de la clause de surcompensation prévue par le projet d’arrêté, en proposant néanmoins d’apporter certaines précisions sur ses modalités d’application.

Par une deuxième délibération n° 2024-154 du 29 août 2024, la CRE a formulé un avis sur deux projets de cahiers des charges relatifs, d’une part,  à la procédure de mise en concurrence avec dialogue concurrentiel n° 2/2022 portant sur une installation d’éoliennes en mer posées de production d’électricité en Sud-Atlantique au large de l’île d’Oléron et, d’autre part à la procédure de mise en concurrence avec dialogue concurrentiel n° 3/2022 portant sur un second projet d’installation d’éoliennes en mer posées au large de la Normandie au sein de la zone « Centre Manche ».

Ces deux procédures avaient donné lieu à la publication de deux avis au Journal officiel de l’Union Européenne le 18 novembre 2022. La première procédure a pour but d’attribuer la construction et l’exploitation d’un parc éolien posé d’une puissance installée comprise entre 1 000 et 1 200 MW ; tandis que la deuxième porte sur la construction et l’exploitation d’un second parc éolien posé en zone « Centre Manche » (en plus du parc « Centre Manche 1 » déjà attribué en mars 2023 à l’issue de la procédure concurrentielle « AO4 ») d’une puissance installée comprise entre 1 400 et 1 600 MW.

La CRE a été saisie par le ministre chargé de l’Energie, en application de l’article R. 311-25-13 du Code de l’énergie, des projets de cahier des charges établis à l’issue des deux dialogues concurrentiels menés. Les cahiers des charges définitifs seront ensuite notifiés aux candidats par le ministre chargé de l’Energie. Ces derniers constitueront leurs offres et les déposeront sur la plateforme prévue à cet effet par la CRE. La CRE mènera ensuite l’instruction des offres.

Dans sa délibération du 29 août la CRE formule un certain nombre de préconisations et propositions de modifications sur des thèmes tels que les caractéristiques des installations, les modalités du complément de rémunération qui sera versé aux lauréats, les différents critères de notation prévus, les sanctions en cas de manquement au cahier des charges ou encore le montant des garanties financières.