La possibilité d’édification d’un parc éolien au sein d’un parc naturel régional

Le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 23 décembre 2024, a rejeté les pourvois formés par l’association Protection de la grande forêt de Taillard, l’association Les sources de Taillard, l’association pour l’amélioration et la défense du patrimoine forestier de Saint-Sauveur-en-Rue ainsi que plusieurs particuliers, tendant à l’annulation de permis de construire en vue de l’édification d’un parc éolien au sein du parc naturel régional du Pilat.

Parmi les arguments développés par les requérantes, on retiendra surtout les suivants :

1/ Les associations dénonçaient d’abord la proximité du projet avec des puits de captage d’eau potable et les atteintes à la sécurité et à la salubrité publiques en découlant.

Or, le Conseil d’Etat a considéré que le risque pour les captages d’eau potable restait limité. Il retient en effet, d’une part que l’étude d’impact était suffisante sur ce point alors même que celle-ci ne mentionnait pas les captages d’eau non déclarés et, d’autre part, qu’elle ne faisait état que de risques résultant d’accidents potentiels en cours de chantier ou d’exploitation, ne différant pas de ceux résultant d’ores et déjà de la circulation d’engins forestiers dans la zone du projet, celui-ci ne portant pas aux puits de captage d’eau potable présents alentour une atteinte contraire aux exigences de l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme.

2/ S’agissant ensuite de l’atteinte au patrimoine montagnard, évoquée par les requérantes sur le fondement de l’article L. 122-9 du Code de l’urbanisme, et notamment de l’impact visuel du projet, le Conseil d’Etat a d’abord relevé qu’aucun site classé n’était situé à proximité du projet et a ensuite retenu  que  l’implantation d’éoliennes choisie ainsi que la présence de forêts étaient en tout état de cause de nature à atténuer la visibilité du projet depuis les sites classés identifiés, situés à plusieurs kilomètres du projet.

3/ Enfin, s’agissant de la compatibilité du projet avec la charte du Parc naturel régional, le Conseil d’Etat a jugé que lorsque l’autorité administrative est saisie d’une demande d’autorisation d’implanter ou d’exploiter une installation classée pour la protection de l’environnement au sein d’un parc naturel régional, elle doit s’assurer de la cohérence de la décision individuelle ainsi sollicitée avec les orientations et mesures fixées dans la charte de ce parc et dans les documents qui y sont annexés.

Cependant, le juge a retenu que la charte du Parc naturel régional du Pilat ne faisait pas obstacle à l’implantation du projet. Même si celle-ci faisait état « de possibilités limitées de développement de l’éolien », elle n’interdisait l’implantation de projets éoliens que sur les secteurs concernés par des études de classement « sites paysagers d’intérêt national », ne correspondant pas à la zone d’implantation du projet.

Risques naturels : précision des modalités de mise en œuvre des expertises sur le retrait-gonflement des argiles

La prise en charge des dommages causés par le phénomène de mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols, ou retrait-gonflement des argiles, est définie par l’ordonnance n° 2023-78 du 8 février 2023 et le décret n° 2024-82 du 5 février 2024 (cf. notre article sur le sujet).

Cette ordonnance prévoyait notamment qu’un décret devait préciser les obligations incombant aux experts désignés par les assureurs lors de la conduite des expertises s’inscrivant dans le régime dit « CatNat » (articles L. 125-1 et suivants du Code des assurances), mais également le contenu du rapport d’expertise ainsi que les modalités et délais d’élaboration de l’expertise.

C’est dans ce contexte qu’a été adopté le décret n° 2024-1101 du 3 décembre 2024, qui introduit au sein d’une nouvelle section du Code des assurances les articles R. 125-8 et suivants, qui fixe les obligations afférentes à la réalisation de ces expertises.

Ainsi, ce décret fixe les conditions permettant d’apprécier l’objectivité et l’impartialité des experts (concernant les liens avec l’entreprise d’assurance, les entreprises de travaux ou l’assuré notamment) ainsi que leurs compétences (niveau d’étude, expérience professionnelle et formation). Le contenu minimum du rapport d’expertise est également défini (et comprend notamment les modalités de réalisation de l’expertise, description de la construction et des désordres, conclusion quant à leur origine et la nature des travaux préconisés), comme les modalités de sa réalisation (délai de principe de quatre mois à compter de la réception de l’ensemble des éléments transmis par l’assuré pouvant être étendu pour mener des investigations géotechniques complémentaires).

Ce décret détermine également les conditions dans lesquelles il est possible de contrôler le respect par les experts de leurs obligations et introduit à cet égard les articles R. 132-9 et suivants du Code de la construction et de l’habitation. Les agents pouvant procéder aux contrôles sont ainsi identifiés comme les fonctionnaires et agents publics commissionnés par le ministre chargé de la Construction et assermentés. Ils peuvent se faire communiquer par l’expert les documents relatifs à ce contrôle, recueillir des renseignements et auditionner l’expert.

Ce décret est applicable aux sinistres résultant des causes reconnues dans les arrêtés de catastrophe naturelle pris à compter du 1er janvier 2025.

Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GeMAPI) : La responsabilité du gemapien peut-elle être engagée en cas d’inondation ?

Le Conseil d’Etat s’est prononcé, par une décision en date du 18 décembre 2024, sur la responsabilité du syndicat exerçant la compétence gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GeMAPI), à qui une carence était reprochée dans la prévention des inondations.

Dans cette espèce, une riveraine d’un cours d’eau, le Réart, dont la propriété avait subi plusieurs fois des inondations, reprochait au Syndicat mixte en charge de l’entretien et l’aménagement du cours d’eau de ne pas avoir procédé à des opérations de curage en méconnaissance de ses missions d’entretien des cours d’eau.

Se fondant sur l’absence de curage du cours d’eau, la Cour administrative d’appel de Toulouse avait conclu à l’existence d’une faute de l’établissement public et engagé sa responsabilité.

Le Conseil d’Etat censure ce raisonnement, et considère que malgré le lien de causalité établi par le rapport d’expertise entre l’absence de curage et les inondations, il ne démontre pas que le syndicat aurait commis une faute en ne réalisant pas ces opérations de curage. Et il résultait en outre que dans cette espèce le contrat de bassin conclu par le Syndicat prévoyait en effet une absence de curage pour « lutter contre la dynamique de comblement de l’étang et de réduire les risques d’inondation des communes riveraines en aménageant des zones d’expansion des crues sur l’aval du cours d’eau ». Le Conseil d’Etat relève donc que ces choix de gestion du risque inondation, impliquant une absence de curage, poursuivent des objectifs conformes à ceux fixés pour la compétence GeMAPI par l’article L. 211-7 du Code de l’environnement.

Comme précisé par les conclusions du rapporteur public M. Pichon de Vendeuil, il découle de cette décision que, pour engager la responsabilité de l’autorité compétente en GeMAPI, il serait nécessaire d’établir l’existence d’une faute fondée :

  • sur une méconnaissance des objectifs de prévention des inondations ;
  • ou sur un choix de gestion assis sur des considérations scientifiques et techniques manifestement erronées.

Redevances des Agences de l’eau : de nouveaux arrêtés publiés

Arrêté du 23 décembre 2024 modifiant l’arrêté du 13 décembre 2007 relatif aux modalités particulières de versement des redevances pour pollution d’origine domestique et pour modernisation des réseaux de collecte définies aux articles L. 213-10-3 et L. 213-10-6 du Code de l’environnement

Arrêté du 24 décembre 2024 modifiant l’arrêté du 21 juillet 2015 relatif aux systèmes d’assainissement collectif et aux installations d’assainissement non collectif, à l’exception des installations d’assainissement non collectif recevant une charge brute de pollution organique inférieure ou égale à 1,2 kg/j de DBO5

La réforme des redevances des Agences de l’eau, qui a notamment créé trois nouvelles redevances sur la performance des réseaux et la consommation d’eau potable (cf. notre article sur le sujet), est entrée en vigueur le 1er janvier 2025. Parus de justesse en décembre 2024, trois arrêtés ont complété cette réforme.

  • Un arrêté du 20 décembre 2024 modifie l’arrêté qui avait été adopté le 5 juillet 2024 pour mettre en œuvre la réforme, afin notamment d’en corriger des coquilles rédactionnelles ;
  • Un arrêté du 23 décembre 2024 tire les conséquences de la refonte des redevances des Agences de l’eau et met ainsi en cohérence avec la réforme l’arrêté du 13 décembre 2007. Celui-ci portait en effet sur les anciennes redevances pour pollution d’origine domestique et pour modernisation des réseaux de collecte et vise désormais la seule redevance sur la consommation d’eau potable ;
  • Un arrêté du 24 décembre 2024 concerne plus particulièrement la redevance sur la performance des réseaux d’assainissement et complète le dispositif d’autosurveillance des réseaux. Il est ainsi notamment prévu que le manuel d’autosurveillance du système d’assainissement fasse également l’objet d’une expertise technique par le service en charge du contrôle, mais aussi que la grille d’expertise à appliquer pour la réalisation du contrôle technique des dispositifs d’autosurveillance est consultable sur le site suivant : https://www.assainissement.developpement-durable.gouv.fr.

Avis de l’Autorité environnementale sur le projet de la 3ème programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE3)

La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) est un document de planification élaboré et adopté par le Gouvernement, fixant à moyen et à long terme des orientations stratégiques pour le secteur de l’énergie, ainsi que les moyens permettant de les concrétiser. Cet outil a été créé par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (art. 176 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte), et est désormais encadré par les articles L. 141-1 à L. 141-4 du Code de l’énergie.

Pour mémoire, la PPE, ainsi que la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) et le Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC) sont des documents de programmation et de planification qui forment, ensemble, la Stratégie française sur l’énergie et le climat (SFEC) visant à atteindre la neutralité carbone en 2050, conformément aux Accords de paris. Cette programmation couvre deux périodes quinquennales successives, et doit être régulièrement révisée tous les cinq ans (les précédentes versions de la PPE sont les suivantes : PPE1 2016-2018 et 2019-2023 ; PPE2 2019-2023 et 2024-2028). Elle comporte une étude d’impact économique et social, ainsi qu’une évaluation environnementale stratégique.

La troisième version de cette programmation (PPE3), pour les périodes 2025-2030 et 2031-2035, a été transmise, en application des dispositions de l’article L. 122-9 du Code de l’environnement, par le ministre en charge de l’Énergie à l’Autorité environnementale qui a rendu son avis le 19 décembre dernier.

Dans son avis ici commenté, l’Autorité environnementale considère de manière générale que les principaux enjeux environnementaux de cette PPE3 sont la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), des consommations d’énergie primaire et finale et de l’utilisation des autres ressources (matériaux, eau, espace) mobilisées directement ou indirectement pour les besoins en énergie.

En outre, l’Autorité environnementale souligne que la nouvelle version de ce projet de programmation intervient dans un « contexte d’atteinte de l’essentiel des objectifs de la précédente PPE […] en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), sauf pour le secteur des transports, mais marqué également par une dégradation des puits naturels de carbone […] et la non-atteinte des cibles en matière de réduction de la consommation énergétique. ».

Au-delà de ces considérations générales, les principaux points ressortant de l’analyse de l’Autorité environnementale sont les suivants.

En premier lieu, en ce qui concerne l’analyse de l’évaluation environnementale de la PPE, l’Autorité environnementale formule plusieurs recommandations visant à permettre une meilleure articulation de la PPE3 avec les autres programmes pertinents, afin notamment, d’apprécier les perspectives d’évolution de la disponibilité de la ressource en eau et les incidences environnementales des importations de combustibles et métaux nécessaires à la production d’énergie.

En second lieu, en ce qui concerne la prise en compte de l’environnement par la PPE, l’Autorité environnementale recommande notamment de :

  • Baisser d’au moins 12 % l’objectif 2030 de consommation énergétique finale pour atteindre les objectifs européens « fit for 55 » ;
  • Renforcer les objectifs et améliorer le suivi relatif à l’efficacité du système énergétique convertissant l’énergie primaire en énergie finale, et expliciter les conséquences des choix réalisés entre sources d’énergie primaire ;
  • Renforcer les objectifs de recyclage des métaux et terres rares ;
  • Reconsidérer la hiérarchie des usages de la biomasse ;
  • Compléter les actions de la PPE3 afin de réduire l’artificialisation des sols et l’érosion de la biodiversité et de restaurer les puits de carbone ;
  • Approfondir les mesures en matière de mobilité pour améliorer la qualité de l’air, réduire les incidences sanitaires et les consommations d’énergie ;
  • Préciser les conséquences d’une éventuelle moindre disponibilité des réacteurs nucléaires.

Il est à noter que plusieurs associations de collectivités locales ont d’ores et déjà exprimé des réserves sur le projet de PPE3 en raison de « la faible considération accordée au rôle des territoires » et en particulier au rôle des autorités organisatrices de la distribution d’électricité, alors que les réseaux de distribution d’électricité sont largement évoqués par la PPE (Communiqué de presse du 19 décembre 2024 de l’AMORCE).

L’Autorité environnementale considère quant à elle que la nouvelle version de la PPE « apporte des avancées réelles et substantielles », en ce qui concerne la territorialisation de l’action dès lors que le principe de la fixation d’objectifs régionaux de développement des énergies renouvelables est désormais prévu par l’article L. 141-5-1 du Code de l’énergie

Toutefois, l’autorité consultative note qu’en pratique la PPE3 ne répond pas à cette nécessité et ne présente pas d’objectifs régionalisés de développement de la production d’énergie à partir de ressources renouvelables, et préconise ainsi de remédier à cette lacune du projet.

Les sites naturels de compensation de restauration et de renaturation : un pas de plus vers le marché de crédits biodiversité ?

La fin de l’année 2024 a été marquée par un certain nombre d’actualités portant sur le développement des crédits biodiversité.

En effet, sur le plan international d’une part, la COP 16 Biodiversité s’est tenue à Cali, en Colombie, du 21 octobre au 1er novembre 2024. Le Comité consultatif international sur les crédits biodiversité (IAPB) a, à cette occasion, présenté sa proposition pour encadrer l’achat et la vente de ces crédits.

Ce Comité a vu le jour en 2023 à la suite de la COP 15 Biodiversité de décembre 2022, sur l’initiative de la France et du Royaume-Uni, cette COP ayant eu pour ambition d’augmenter substantiellement les ressources financières pour mettre en œuvre les stratégies nationales pour la biodiversité. Plus précisément, l’objectif fixé par la COP 15 s’élevait à 200 milliards de dollars par an dont une part croissante devrait venir du monde privé, dont il est attendu une implication massive, selon la Mission Economie de la Biodiversité (MEB) qui a publié son dossier dédié aux crédits biodiversité en juillet 2024[1].

Ce même rapport définit un crédit biodiversité comme étant une « unité standardisée qui quantifie et atteste d’une action positive pour la biodiversité » et qui « permet aux organisations qui veulent agir pour la restauration et/ou la protection de la biodiversité de financer des porteurs de projet ». C’est encore « la combinaison entre la réalisation d’une action positive pour la biodiversité et sa certification par une méthode scientifique et auditée »[2].

Le projet porté par l’IAPB est alors de créer un véritable marché des crédits biodiversité, ce dernier n’étant toutefois, à date, pas structuré ni précisément défini. Selon la MEB, « les marchés d’échange des crédits biodiversité devront à la fois garantir l’intégrité des projets concernés, donc être structurés par des standards et des instances de gouvernance indépendantes et scientifiquement crédibles, mais également assurer un flux de financement suffisamment important pour constater des gains suffisamment nombreux pour contribuer à inverser la tendance actuelle de perte de biodiversité [3]».

Un tel projet est néanmoins vivement critiqué, notamment par les associations de protection de l’environnement et les ONG qui y voient un moyen de mettre « un voile sur le fait qu’on a des impacts difficiles à éviter ou à restaurer et, en face, on finance des actions faciles ; on se soustrait ainsi à l’obligation d’équivalence écologique [4]».

Sur le plan national, d’autre part, c’est l’adoption de deux décrets et d’un arrêté relatifs aux sites naturels de compensation de restauration et de renaturation (SNCRR) qui a marqué l’actualité dans le domaine du crédit biodiversité. En effet, ces sites constituent la mesure phare lancée en France pour décliner cet objectif de développement des crédits biodiversité.

L’ensemble de cette actualité nous conduit donc à présenter le dispositif actuel des SNCRR en vigueur depuis la loi « industrie verte » (I) ainsi que les récentes nouveautés issues des trois textes réglementaires de novembre 2024 (II).

I. Présentation du dispositif des sites naturels de compensation, de restauration et de renaturation

Rappel du dispositif antérieur des sites de compensation

1 – C’est d’abord la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (dite loi Biodiversité) qui a introduit dans le Code de l’environnement un chapitre dédié à la compensation des atteintes à la biodiversité.

Pour rappel, la compensation des atteintes à l’environnement n’est que la troisième étape de la séquence dite « ERC », pour « éviter, réduire, compenser ». Cela signifie dès lors que si un projet est susceptible d’avoir un impact négatif sur l’environnement, le porteur de projet doit, d’abord, chercher à éviter ces impacts, puis à les réduire et, enfin, compenser ceux qui n’ont pu être ni évités ni réduits. Ce principe est posé à l’article L. 110-1 point II, 2° du Code de l’environnement qui énonce que ce dernier doit viser un objectif d’absence de perte nette de biodiversité, voire tendre vers un gain de biodiversité.

2 – La loi Biodiversité est alors venue encadrer la compensation afin, notamment, d’en garantir l’efficacité. Elle a ainsi posé à l’article L. 163-1 du Code de l’environnement, les règles selon lesquelles :

  • les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité visent un objectif d’absence de perte nette, voire de gain de biodiversité ;
  • elles doivent se traduire par une obligation de résultats et être effectives pendant toute la durée des atteintes ;
  • elles ne peuvent pas se substituer aux mesures d’évitement et de réduction, et si les atteintes liées au projet ne peuvent être ni évitées, ni réduites, ni compensées de façon satisfaisante, celui-ci n’est pas autorisé en l’état.

Par ailleurs, la loi a introduit la notion de « sites naturels de compensation » à l’article L. 163-3 du code. La disposition alors en vigueur était assez brève puisqu’elle se bornait à prévoir la possibilité par des personnes publiques ou privées d’avoir recours à de tels sites afin de mettre en œuvre les mesures de compensation, ce recours devant toutefois être fait de manière à la fois anticipée et mutualisée.

Evolutions apportées par la loi Industrie Verte

3 – Plus récemment, sans revenir sur les règles énoncées précédemment introduites par la loi Biodiversité, le dispositif des sites naturels de compensation a été revu et renforcé par la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte (dite loi Industrie Verte). Il est désormais prévu par l’article L. 163-1 A du Code de l’environnement.

Dans le cadre des débats sur le projet de loi Industrie Verte, des critiques concernant le dispositif précédent faisaient apparaître que :

  • la démarche d’agrément était complexe car elle impliquait d’anticiper précisément les gains écologiques théoriques qui devaient être obtenus à l’issue des opérations de restauration[5];
  • l’outil répondait uniquement aux obligations légales et réglementaires de compensation mais n’était pas conçu pour s’articuler avec d’autres projets de restauration de la biodiversité dans les territoires en permettant par exemple aux opérateurs de sites naturels de compensation de vendre des unités de compensation à des personnes qui souhaiteraient s’engager de façon volontaire en faveur de la biodiversité[6];
  • la réglementation n’autorisait que la mise en place de sites naturels de compensation mutualisés entre plusieurs projets[7].

Ainsi, entre 2016 et 2023, seul un site naturel de compensation avait fait l’objet d’un agrément ministériel (le SNC Cossure dans les Bouches-du-Rhône) et deux autres projets avaient été soumis à l’instruction mais n’avaient pas obtenu l’agrément.

4 – L’article L. 163-1 A du Code de l’environnement a alors été imaginé par le législateur pour poursuivre plusieurs objectifs [8]:

  • faire émerger une véritable offre d’écosystèmes restaurés ;
  • permettre aux porteurs de projet de réaliser des opérations de compensation par anticipation, y compris pour des projets isolés, par exemple pour des sites « clés-en-main » ;
  • créer un cadre législatif adapté pour le développement des opérations de restauration de la biodiversité conduites pour des engagements volontaires d’entreprises et collectivités, et faciliter la procédure d’agrément des sites.

Aux termes de cet article, les opérations de restauration ou de développement d’éléments de biodiversité peuvent être mises en place par des personnes publiques ou privées sur des sites dénommés « sites naturels de compensation, de restauration et de renaturation » (SNCRR). Le gain écologique de ces opérations doit être identifié par des « unités de compensation, de restauration et de renaturation » (UCRR) qui peuvent être vendues, par les personnes qui les réalisent, à toute personne publique ou privée. Les SNCRR font l’objet d’un agrément préalable qui doit prendre en compte le gain écologique attendu, l’intégration du site dans les continuités écologiques, sa superficie et les pressions anthropiques s’exerçant sur ce site.

De plus, la loi autorise désormais les personnes soumises à une obligation de mettre en œuvre des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité à y satisfaire de manière anticipée par l’utilisation ou l’acquisition d’UCRR. Cette possibilité est expressément prévue par l’article L. 163-1 A du Code de l’environnement mais elle est également intégrée à l’article L. 163-1 du même code qui prévoit désormais non seulement que les personnes concernées peuvent réaliser les mesures de compensations obligatoires soit directement soit par le biais d’un opérateur de compensation mais également par l’acquisition des UCRR.

Selon la ministre de la Transition écologique, « Les SNCRR offrent aux acteurs privés une nouvelle manière de contribuer activement à la restauration écologique (soutenir financièrement l’émergence des SNCRR, créer une entreprise de crédits biodiversité, acheter des crédits pour compenser ses impacts ou sécuriser sa chaîne de valeur, etc.) »[9].

Il est également prévu que les SNCRR puissent donner lieu à l’attribution de crédits carbone au titre du label « bas-carbone ».

On relèvera enfin que la loi Industrie Verte a également été modifiée pour réaffirmer le principe selon lequel les mesures de compensation obligatoires doivent être en priorité réalisées sur le site endommagé mais il introduit également la notion de « proximité fonctionnelle », qui s’impose lorsque les mesures ne peuvent être mises en œuvre sur le site, en lieu et place de la notion de « proximité » qui peut alors sembler plus contraignante.

Les deux décrets et l’arrêté adoptés en novembre 2024 sont alors venus préciser la mise en œuvre de ce niveau dispositif.

 

II. Les précisions relatives à la mise en œuvre du dispositif issues des textes d’application de novembre 2024

1 – D’abord, le décret n° 2024-1052 du 21 novembre 2024 relatif à la restauration de la biodiversité, à la renaturation et à la compensation des atteintes à la biodiversité fixe les modalités de délivrance de l’agrément des SNCRR.

Règles relatives à l’implantation aux mesures de compensation

A cette fin, il modifie l’article R. 163-1-A de Code de l’environnement qui reprend le principe selon lequel les mesures doivent être prioritairement réalisées sur le site endommagé ainsi que le respect du principe de proximité fonctionnelle. L’article prévoit par ailleurs que, en cas d’impossibilité de mettre en œuvre les mesures de compensation sur le site, elles sont réalisées prioritairement dans les zones de renaturation préférentielle mentionnées au cinquième alinéa du II de l’article L. 163-1, dès lors qu’elles sont compatibles avec les orientations de renaturation de ces zones et que leurs conditions de réalisation sont techniquement et économiquement acceptables.

Personne compétente pour délivrer l’agrément des SNCRR

2 – Le décret modifie également l’article R. 163-2 du Code de l’environnement qui prévoit désormais que les décisions relatives à l’agrément des SNCRR sont prises par le préfet de région territorialement compétent après avis du Conseil scientifique régional du patrimoine naturel ou, lorsqu’elles sont susceptibles d’affecter des espèces animales ou végétales figurant sur la liste prévue par l’article R. 411-13-1, après avis du Conseil national de protection de la nature (rendu dans un délai de deux mois à compter de la saisine de l’organisme consulté). Le principe est par ailleurs posé selon lequel le silence gardé par l’administration pendant un délai de six mois à compter de la réception d’une demande d’agrément ou de modification d’agrément vaut décision d’acceptation.

Conditions relatives aux caractéristiques du SNCRR et à la personne sollicitant l’agrément

3 – Les conditions de délivrance de l’agrément sont également définies par le n° 2024-1053 du 21 novembre 2024.

Il faut alors d’abord se référer à l’article D. 163-1 du Code de l’environnement.

Selon cet article l’agrément doit attester de la pertinence des opérations de restauration écologique, de renaturation ou de développement d’éléments de biodiversité entreprises sur le SNCRR concernés. Ces opérations peuvent être conduites sur un site unique ou sur plusieurs et contribuent à l’amélioration de l’état écologique du territoire dans lequel le site s’insère.

L’article fixe par ailleurs le principe selon lequel le gain écologique attendu des opérations de restauration écologique, de renaturation ou de développement d’éléments de biodiversité est additionnel à celui obtenu par la mise en œuvre, directement sur le site considéré, d’opérations obligatoires ou qui sont déjà soutenues par des aides publiques destinées à la restauration, la renaturation ou le développement d’éléments de biodiversité. Il ne doit alors pas prendre en compte la part de gain écologique provenant de ces opérations obligatoires.

L’article D. 163-1 impose en outre que les SNCRR soient définis en priorité sur les zones de renaturation préférentielle mentionnées à l’article L. 163-1 et dans les zones propices à l’accueil de tels sites.

Les personnes présentant une demande d’agrément doivent par ailleurs :

  • disposer des capacités techniques et financières nécessaires à la mise en œuvre de ces opérations ;
  • justifier des droits permettant la mise en œuvre des obligations sur les terrains d’assiette du SNCRR.

Modalités de vente des UCRR

4 – S’agissant des modalités de vente des UCRR, elles sont également définies par l’article
D. 163-1 du Code de l’environnement qui les définit comme « l’ensemble des gains écologiques attendus d’une ou plusieurs opérations de restauration écologique, de renaturation ou de développement d’éléments de biodiversité, lesquels sont maintenus jusqu’au terme de l’agrément » :

  • elles peuvent être vendues sous forme de prestations de services à des maîtres d’ouvrage tenus de satisfaire à des obligations de compensation des atteintes à la biodiversité mais également à des personnes physiques ou morales souhaitant contribuer pour toute autre raison au rétablissement de la biodiversité.
  • elles peuvent être vendues dès l’octroi de l’agrément mais ne peuvent être revendues.
  • elle ne peut être vendue de manière fractionnée dans le temps ou en fonction des différents éléments de biodiversité qu’elle restaure, qu’elle renature ou qu’elle développe.

L’article précise encore que l’acquisition de ces unités ne préjuge pas de l’appréciation de leur suffisance par l’autorité administrative compétente au titre de la compensation des atteintes à la biodiversité. Par ailleurs, il est indiqué que le bénéficiaire de l’agrément d’un SNCRR peut recourir aux UCRR créées sur ce site et disponibles pour satisfaire ses propres obligations de compensation ou pour contribuer pour toute autre raison au rétablissement de la biodiversité.

L’article indique également les modalités selon lesquelles les unités peuvent donner lieu à l’attribution de crédits carbone au titre du label « bas-carbone ».

Autres précisions

5 – Le décret donne encore d’autres précisions relatives, notamment :

  • au contenu l’agrément (article D. 163-4 du Code de l’environnement) ;
  • aux objectifs assignés aux SNCRR agréés et à leur fonctionnement (article D. 163-6 du Code de l’environnement) :
    • ils mettent en œuvre un projet de restauration écologique, de renaturation ou de développement d’éléments de biodiversité et garantissent la création des gains écologiques pour lesquels l’agrément a été sollicité puis leur maintien jusqu’au terme de la période d’agrément ;
    • le cas échéant, ils permettent la mise en œuvre des opérations de restauration écologique, de renaturation ou de développement d’éléments de biodiversité, pour lesquelles l’agrément a été sollicité, avant l’utilisation des unités de compensation, de restauration et de renaturation correspondantes au titre de la compensation des atteintes à la biodiversité ;
    • Ils font l’objet d’un suivi et d’une évaluation des opérations de restauration, de renaturation ou de développement d’éléments de biodiversité mises en œuvre et de leur efficacité à créer et maintenir un gain écologique.
  • aux modalités de modification ou d’abrogation de l’agrément (article D. 163-7 et D. 163-11 du Code de l’environnement) ;
  • aux modalités de transfert de l’agrément (article D. 163-9 du Code de l’environnement) ;
  • aux modalités de calcul du gain écologique du SNCRR (article D. 163-14 du Code de l’environnement).

4 – Enfin, l’arrêté du 21 novembre 2024 détermine la composition du dossier de demande d’agrément et, à cet égard, les critères de pertinence écologique d’un SNCRR.

 

En conclusion, le nouveau dispositif des SNCRR et des UCRR qui en découle va donc dans le sens de la création d’un véritable marché de crédits biodiversité. Les textes tentent d’encadrer au mieux la création de tels sites afin de garantir notamment l’objectif non pas de perte nette de biodiversité mais de gain de biodiversité. Depuis octobre 2023 deux SNCRR ont déjà été agréés : le site de Cros du Mouton, à Sainte-Maxime (Var) et celui de l’abbaye de Valmagne,  les communes de Villeveyrac et Montagnac (Hérault). Les nouvelles modalités de mise en œuvre de ces sites semblent donc effectivement plus attractives que le dispositif précédent, mais il reste à savoir si les nouvelles règles qui s’appliquent permettront le développement du marché des crédits biodiversité sans présenter les écueils soulevés par les détracteurs de tels projets, notamment en ce qui concerne la nécessité de toujours favoriser l’évitement et la réduction des impacts sur l’environnement. Ce raisonnement prévalant dans le système législatif français et n’étant pas remis en cause par le nouveau dispositif des SNCRR, le risque est sans doute moindre.

 

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[1] Crédits Biodiversité : vers un nouveau marché de la nature en Europe ? Dossier de la MEB n° 54 juillet 2024

[2] Crédits Biodiversité : vers un nouveau marché de la nature en Europe ?, précité

[3] Crédits Biodiversité : vers un nouveau marché de la nature en Europe ?, précité

[4] Fabien Quétier cité in Les crédits biodiversité, un nouvel outil de financement en émergence, L. Radisson, Actu-Environnement, 18 octobre 2024

[5] Rapport sur le projet de loi, adopté par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, relatif à l’industrie verte (n° 1443 rectifié), n° 1512, déposé le vendredi 7 juillet 2023.

[6] Rapport n° 1512, précité

[7] Exposé des motifs sur le texte Texte n° 607 (2022-2023) de MM. Bruno LE MAIRE, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté Industrielle et Numérique, Christophe BÉCHU, ministre de la Transition Écologique et de la Cohésion des Territoires et Roland LESCURE, ministre délégué chargé de l’Industrie, déposé au Sénat le 16 mai 2023

[8] Exposé des motifs sur le texte Texte n° 607, précité

[9] Mme Agnès Pannier-Runacher, Ministre de la Transition écologique, citée in Crédits biodiversité : le dispositif lancé en France à travers les SNCRR, L. Radisson, Actu-Environnement, 15 novembre 2024

Admission du vote par correspondance et extension du domaine de la consultation écrite lors des réunions du conseil d’administration des sociétés anonymes

Décret n° 2024-904 du 8 octobre 2024 relatif à la mise en œuvre des mesures de modernisation des modalités de réunion et de consultation des organes de décision de certaines formes de sociétés commerciales

La loi n° 2024-537 du 13 juin 2024 visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France dite « loi Attractivité » a élargi le domaine d’intervention de la consultation écrite et a introduit le vote par correspondance des administrateurs dans le cadre des réunions du conseil d’administration dès lors que ces modalités ont été expressément prévues dans les statuts de la société anonyme.

L’article L. 225-37 du Code de commerce, dans sa nouvelle version applicable depuis le 14 septembre 2024, a ainsi été modifié afin de permettre la possibilité pour les statuts de prévoir « que les décisions du conseil d’administration ou certaines d’entre elles peuvent être prises par consultation écrite des administrateurs, y compris par voie électronique, selon les délais et les modalités qu’ils définissent. Les statuts peuvent admettre le vote par correspondance au moyen d’un formulaire dont les mentions sont déterminées par décret en Conseil d’Etat ».

Par conséquent, les statuts des sociétés anonymes pourront être modifiés afin de préciser les modalités de mise en œuvre de ces nouveaux moyens de délibération du conseil d’administration par consultation écrite ou de participation au vote des délibérations du conseil d’administration par correspondance.

Les statuts autorisant la consultation écrite des administrateurs devront également prévoir un droit d’opposition au recours à cette modalité au bénéfice de tout membre du conseil d’administration. Il appartiendra de déterminer dans les statuts les conditions d’exercice de ce droit d’opposition.

Par ailleurs, le contenu du formulaire de vote par correspondance visé à l’article L. 225-37 du Code de commerce a été précisé par le décret d’application de la loi Attractivité du 8 octobre 2024 avec l’ajout de cinq alinéas à l’article R. 225-21 du Code de commerce précisant que le formulaire de vote :

  • doit permettre à l’administrateur de s’exprimer sur chacune des décisions soumises au conseil d’administration par un vote favorable ou défavorable ou d’exprimer sa volonté de s’abstenir de voter, avec un espace lui permettant d’expliquer sa position ;
  • doit comporter en annexe le texte des décisions soumises au conseil d’administration ainsi que les documents nécessaires à l’information des administrateurs ;
  • doit indiquer la date avant laquelle le formulaire doit être retourné au conseil d’administration pour qu’il soit valablement pris en compte ;
  • reçu par la société doit comporter les nom et prénom de l’administrateur ainsi que sa signature ;
  • peut être transmis par la société et renvoyé par l’administrateur par voie électronique.

Ainsi, il pourrait être opportun de vérifier les stipulations prévues dans les statuts ainsi que dans le règlement intérieur afin de les mettre en conformité avec ces nouvelles dispositions législatives et réglementaires.

Fusion / statut collectif : l’accord prolongeant provisoirement un statut collectif ne vaut pas accord de transition

La Cour de cassation a jugé que ne constitue pas un accord de substitution dit « de transition », l’accord collectif se limitant à prolonger temporairement le statut collectif applicable au personnel transféré.

Dans le cadre d’une fusion, l’employeur qui absorbe une entité reçoit le personnel transféré en leur garantissant la reprise de leur contrat de travail avec le maintien de la rémunération contractuelle et de l’ancienneté conformément à l’article L. 1224-1 du Code du travail.

S’agissant du statut collectif dont le personnel bénéficiait chez le précédent employeur, il n’est transféré que temporairement pendant un délai dit de survie limité à un maximum 12 mois à l’expiration d’un préavis, généralement de 3 mois (C. trav. art. L. 2261-14). Ce délai de 15 mois permet au nouvel employeur de négocier un accord de substitution.

A défaut d’un tel accord de substitution dans ce délai de survie, les salariés transférés bénéficient d’une garantie de rémunération dont le montant annuel ne peut être inférieur à la rémunération versée lors des 12 derniers mois.

Pour favoriser la négociation d’un tel statut collectif, le législateur permet aux parties d’engager la négociation et de conclure un accord de substitution avant la fusion. Ainsi au jour du transfert le nouveau statut collectif entre en vigueur. Ce mécanisme permet d’éviter à l’employeur la contrainte d’appliquer deux statuts collectifs pendant le délai de survie.

Dans ce cadre, le législateur a prévu deux modes de négociation anticipée :

  • Les accords dits « de transition » qui visent les seuls salariés transférés dont l’accord est mis en cause et dont la durée est limitée à 3 ans ;
  • Les accords dits « d’adaptation » applicables aux salariés transférés et ceux de l’entité d’accueil.

Dans l’arrêt du 27 novembre 2024, la Cour de cassation vient préciser la qualification de l’accord collectif de transition ».

1. Les faits

Il s’agissait d’un Groupe industriel qui a procédé à la fusion de treize entités en trois sociétés. Afin d’organiser les négociations futures, un accord de groupe avait été conclu pour définir le cadre des discussions visant l’élaboration de nouveaux accords applicables au périmètre restructuré. Le 28 janvier 2021, un nouvel accord collectif a été signé assurant la prolongation jusqu’au 31 décembre 2022 des dispositions conventionnelles antérieures à la fusion. La CFDT, contestant cette démarche, voyait dans cet accord un « accord de transition » soumis à la limite de trois ans prévue par l’article L. 2261-14-2 du Code du travail.

 

2. La question de droit

La Cour de cassation devait déterminer si cet accord dont l’objet est de limiter après une fusion la prolongation temporaire du statut collectif antérieur pouvait être considéré comme un accord de substitution dit « de transition », soumis à une durée maximale de trois ans.

 

3.La décision de la Cour de cassation

La Haute juridiction a confirmé que l’accord en question ne constituait pas un tel accord de transition.

Elle a relevé que cet accord prolongeait les dispositions antérieures à la fusion pour l’ensemble des salariés (y compris ceux embauchés postérieurement à la fusion) sans prévoir de mesures transitoires spécifiques aux seuls salariés transférés.

En conséquence, cet accord relevait d’un accord de droit commun et n’était pas soumis à la limitation de trois ans applicable aux accords de transition. La Cour de cassation a ainsi refusé de considérer l’accord litigieux comme un accord de substitution « de transition » au sens de l’article L. 2261-14-2 du Code du travail.

 

4. Portée et point de vigilance

Cette décision clarifie la frontière entre accord de transition et la prolongation du statut antérieur formalisée par un accord collectif.

Désormais, un accord n’ayant pas pour objet de traiter spécifiquement le cas des salariés transférés ne saurait être qualifié d’accord de transition.

Pour les employeurs, cela signifie qu’ils peuvent, sous réserve de l’accord des syndicats représentatif, prolonger les dispositions antérieures au-delà de la durée légale prévue pour les accords de transition, tant que l’accord ne cible pas exclusivement les salariés transférés.

Cependant, il apparait un point de vigilance sur la portée de cet arrêt car si un tel accord ne peut être qualifié d’accord de transition, mais d’un simple « accord de droit commun », il ne semble pas relever de la qualification d’accord de substitution s’il est uniquement signé par les syndicats de l’entité absorbé avant le transfert.

Le cas échéant, l’employeur n’ayant pas formalisé un accord de substitution dans le délai de survie, il se verra contraint de garantir aux salariés transférés la garantie de rémunération versée lors des 12 derniers mois.

Il est donc essentiel d’assurer une négociation et qualification rigoureuse des accords organisant le statut collectif des salariés transférés.

Reprise des actes conclus au nom ou pour le compte de la société en formation.

Cass. Civ., 3ème, 17 octobre 2024, n° 22-21.616

Dans deux arrêts récents, rendus les 9 et 17 octobre 2024, la Cour de cassation s’intéresse aux modalités de reprise des actes passés pour le compte de la société en formation, tout en faisant pour la première fois application de son revirement jurisprudentiel effectué dans la décision rendue le 29 novembre 2023 (Cass. Com., 29.11.2023, n° 22-12.865).

En l’espèce, les faits portent sur la signature d’une lettre de mission par les associés personnes physiques d’une société en formation pour le premier arrêt et la conclusion d’un acte de vente par la société en formation elle-même pour le second. Dans les deux cas, la conclusion du contrat était intervenue préalablement à l’immatriculation de la société, sans mentionner expressément que l’acte était conclu au nom ou pour le compte de cette dernière.

La Cour de cassation, statuant au visa des articles 1843 du Code civil et L. 210-6 du Code de commerce, rappelle que « la société régulièrement immatriculée peut reprendre les engagements souscrits en son nom lors de sa formation avant son immatriculation, lesquels sont alors réputés avoir été souscrits dès l’origine par elle ». La Cour fait ensuite application de son revirement jurisprudentiel et juge « qu’en présence d’un acte ne mentionnant pas qu’il a été souscrit au nom ou pour le compte de la société en formation, il appartient au juge d’apprécier souverainement, par un examen de l’ensemble des circonstances, tant intrinsèques à cet acte qu’extrinsèques, si la commune intention des parties n’était pas qu’il fut conclu au nom ou pour le compte de cette société, celle-ci pouvant, ensuite, après avoir acquis la personnalité juridique, décider de reprendre les engagements souscrits ». Dans les deux arrêts, la Cour de cassation a censuré les décisions des juges du fond pour ne pas avoir recherché cette intention commune.

S’il a longtemps été jugé que l’acte litigieux devait expressément faire apparaitre qu’il avait été conclu au nom ou pour le compte de la société en formation pour être repris par cette-dernière, cette mention n’est désormais plus exigée. L’acte pourra être valablement repris par la société immatriculée à condition que l’intention commune des parties de conclure l’acte au nom ou pour le compte de la société soit caractérisée.

Adoption des décisions collectives au sein d’une Société par action simplifiée (SAS)

L’Assemblée plénière de la Cour de cassation a rendu le 15 novembre 2024 un arrêt très attendu relatif aux règles de vote pouvant être fixées dans les statuts des sociétés par actions simplifiées (SAS) pour adopter une décision collective.

En l’espèce, il était prévu aux termes des statuts d’une SAS que « les décisions collectives des associés sont adoptées à la majorité du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré ». Lors d’une assemblée générale extraordinaire tenue en 2015, les associés ont décidé avec 46 % des voix pour de procéder à une augmentation de capital de la société en supprimant le droit préférentiel de souscription des associés au profit de l’un d’eux.

Certains associés ont assigné la société et les autres associés en annulation de la délibération de l’assemblée générale extraordinaire relative à l’augmentation de capital social. Les juges du fond avaient dans un premier temps rejeté cette demande avant que la chambre commerciale de la Cour de cassation censure cette décision par un arrêt rendu le 19 janvier 2022 (n° 19-12.696) en posant le principe selon lequel « les résolutions d’une SAS ne peuvent être adoptées par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des votes exprimés » soit à un nombre inférieur à 50 % des voix.

Lors du renvoi, la Cour d’appel de Paris a rendu le 4 avril 2023 (n° 22/0532) un arrêt ne reprenant pas le principe posé par la chambre commerciale. En effet, la cour d’appel indique dans son arrêt qu’il « résulte de l’article L. 227-9 du Code de commerce que les associés d’une SAS sont libres de déterminer, dans les statuts, non pas – en l’absence de dispositions expresses – une règle de majorité exigée pour adopter des résolutions dans les matières qu’il énumère, mais les conditions dans lesquelles sont prises les décisions qui doivent l’être collectivement, que ce soit dans les matières définies par les statuts ou visées par son alinéa 2. ».

Saisie d’un nouveau pourvoi par certains associés, la Cour de cassation a dû se prononcer sur la question de savoir si les statuts d’une SAS pouvaient valablement autoriser qu’une décision collective soit validée à la majorité du tiers des droits de vote.

Au cours des débats, deux visions relatives au fonctionnement de la SAS étaient opposées. D’une part, la « thèse libérale » du régime juridique de la SAS qui, en application du premier alinéa de l’article L. 227-9 du Code de commerce disposant que « [l]es statuts déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu’ils prévoient », permettrait d’octroyer aux associés toute liberté pour fixer les règles de majorité dans les statuts[1].

D’autre part, la « thèse restrictive » selon laquelle « retenir un seuil d’approbation inférieur à la majorité des voix serait susceptible d’aboutir à des décisions qui pourraient être contradictoires »[2] de telle sorte qu’elle aurait vocation à fixer des limites quant aux règles de majorité fixées dans les statuts.

L’Assemblée plénière a finalement opté pour la « thèse restrictive » dans son arrêt rendu le 15 novembre 2024 en retenant les éléments suivants :

« […] 10. Une décision collective d’associés ne peut être tenue pour adoptée que si elle rassemble en sa faveur le plus grand nombre de voix.

  1. Toute autre règle conduirait à considérer que la collectivité des associés peut adopter, lors d’un même scrutin, deux décisions contraires.
  2. La liberté contractuelle qui régit la société par actions simplifiée ne peut s’exercer que dans le respect de la règle énoncée au paragraphe 10.
  3. Il s’en déduit que la décision collective d’associés d’une société par actions simplifiée, prévue par les statuts ou imposée par la loi, ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées, toute clause statutaire contraire étant réputée non écrite».

Par conséquent, toute décision collective d’associés d’une SAS ne pourra être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées, toute clause statutaire contraire étant réputée non écrite.

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[1] Avis de M. Lecaroz, Avocat général, p.5.

[2] Avis de M. Lecaroz, Avocat général, p.5.

Fusion entre associations : une décision récente en droit des sociétés semble confirmer un transfert de responsabilité pénale à la charge de l’association absorbante

L’article 121-1 du Code pénal disposant que « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait », a fait l’objet d’une interprétation stricte jusqu’en 2020.

Dans sa décision en date du 25 novembre 2020[1], la chambre criminelle de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence, reconnaissant la responsabilité de la société absorbante pour des faits constitutifs d’une infraction commise par l’absorbée avant l’opération de fusion-absorption. Ce raisonnement appliqué par la Cour, concernait (i) les sociétés de capitaux (ii) dans le cadre d’opérations postérieures à la décision de 2020.

C’est dans la continuité de cette décision que la chambre criminelle de la Cour de cassation a récemment, dans un arrêt du 22 mai 2024, appliqué ce raisonnement à une SARL.

En effet, l’activité économique exercée par la société absorbée se poursuivant par l’absorbante, cette continuité économique et fonctionnelle [par la transmission universelle de patrimoine, la société absorbée étant dissoute mais pas liquidée] permet de considérer qu’il n’y a qu’une seule et même entité permettant de retenir la condamnation de l’absorbante en raison d’infractions commises par l’absorbée. Dès lors, le principe de personnalité des peines ne peut s’appliquer en l’espèce.

A l’inverse de sa décision de 2020, la Cour retient une application rétroactive, pour les fusions-absorptions conclues postérieurement au 25 novembre 2020 et non pas une application à compter de sa décision en date du 22 mai 2024. En effet, elle considère que « sa doctrine était raisonnablement prévisible depuis l’arrêt [du 25 novembre 2020] ayant appliqué pour la première fois aux sociétés anonymes ».

Cette ouverture à d’autres sociétés que les sociétés de capitaux laisse entendre que cette position de Cour de cassation pourrait également s’appliquer aux fusions entre associations. La vigilance est donc de mise.

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[1] Crim. 25 nov. 2020, pourvoi n° 18-86.955

Droit d’auteur et photographie électorale : la difficulté de prouver l’originalité en matière de portrait

Un photographe a réalisé le portrait d’un candidat qui conduisait à l’époque la liste Front National (FN) pour l’Ile-de-France, afin d’illustrer sa campagne.

Un contrat de cession de droits accompagnant le règlement des prestations du photographe a été conclu, prévoyant l’exploitation du portait (plus précisément, de 5 photographies) sous forme d’affiches et de tracts.

En 2020, le photographe s’est aperçu que lesdites photographies été réutilisées par le candidat en vue des élections municipales du mois de mars.

La SAIF[1], organisme de gestion collective à qui le photographie a confié la gestion de ses droits de photographe pour toute exploitation audiovisuelle et numérique, après une mise en demeure de l’association du parti politique de s’acquitter d’une facture complémentaire pour cette nouvelle exploitation demeurée infructueuse, l’a assignée devant le Tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de ses droits d’auteur.

Les juges du fond ont d’abord examiné l’originalité des photographies litigieuses rappelant « L’originalité de l’œuvre, qu’il appartient à celui invoquant la protection de caractériser, suppose qu’elle soit issue d’un travail libre et créatif et résulte de choix arbitraires révélant la personnalité de son auteur » afin d’appliquer le régime de protection légale posé par le Code de la propriété intellectuelle.

Alors que la SAIF a argumenté sur le travail du photographe en invoquant les choix opérés par ce dernier lors de la phase préparatoire et lors de sa prise de vue, les juges de la 3e chambre ont pour leur part retenu que « ces choix sont ceux opérés dans le cadre de la réalisation d’un portrait classique ». Plus spécifiquement, ils ont relevé que la mise en scène adoptée était « minimale » et relevait du « fonds commun de la photographie », que « le cadrage (dans les normes du portrait institutionnel), l’angle de vue (légère plongée) ou la lumière (éclairage naturel) » ne présentaient pas « dans le cas d’espèce, de caractère original ». Les juges en ont déduit à l’absence de protection par le droit d’auteur et, par voie de conséquence, l’absence de contrefaçon.

Cette décision rappelle la difficulté des photographes à prouver l’originalité de leur travail, d’autant plus en matière de portraits réalisés dans le cadre professionnel, ou électoral. En effet, si un photographe de portrait peut théoriquement faire valoir un droit d’auteur sur son travail, la preuve de choix libres et créatifs fait en pratique souvent défaut[2]. La jurisprudence reste donc particulièrement stricte en ce qui concerne les portraits.

En outre, sur le terrain de la faute contractuelle, le tribunal a rappelé que la cession de droits de 2015 prévoyant une cession « pour utilisation sur le matériel de campagne électorale », sans aucune précision quant à une campagne en particulier, le parti n’avait pas commis de faute en réutilisant la photographie pour une autre campagne.

Notons ici que l’association du FN n’a même pas pris la peine de se constituer.

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[1] La société des auteurs des arts visuels et de l’image fixe organisme de gestion collectif compétent dans le domaine des arts visuels

[2] A titre d’exemple, voir aussi une décision rendue par le Cour d’appel de Versailles du 25 octobre 2022 (n° 21/01681) dans laquelle il a été confirmé que des photographies de portrait d’un acteur n’étaient pas protégeables par le droit d’auteur, rappelant ainsi que « le critère des choix, pour libres ou arbitraires qu’ils soient, ne suffit pas à octroyer la protection du droit d’auteur. Ces choix doivent en outre révéler l’empreinte de la personnalité de l’auteur. »

Airbnb, c’est fini ?

La loi n° 2024-1039 du 19 novembre 2024 visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l’échelle locale dite loi Le Meur a été publiée au Journal Officiel du 20 novembre 2024 et instaure une série de mesures, dont certaines sont entrées en vigueur dès le 21 novembre, afin de restreindre la location de type Airbnb au profit de locations de longue durée.

Présentation des principales mesures, lesquelles sont de trois ordres : règlementaire (I), matériel (II) et fiscal (III).

 

I. Sur le plan règlementaire d’abord, rappelons en premier lieu qu’il existe deux régimes distincts :

  • Celui de la déclaration préalable des meublés de tourisme prévu aux articles L. 324-1 et suivants du Code du tourisme (A),
  • Celui de l’autorisation préalable au changement d’usage prévu aux articles L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation (B).

A. S’agissant de la déclaration des meublés de tourisme, la procédure avec enregistrement préalable par le biais du téléservice national dédié – en cours de mise en place – s’appliquera à toutes les locations de meublés touristiques, y compris des résidences principales, au plus tard au 20 mai 2026 (article L. 324-1-1 du Code du tourisme).

En outre, à compter du 1er janvier 2025, le nombre maximal de jours de location pourra, sur délibération motivée de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI), être réduit à 90 jours (article L. 324-1-1 V du Code du tourisme).

Enfin, le nouvel article L. 324-1-1 III bis du Code du tourisme offre la possibilité au maire de suspendre la validité d’un numéro de déclaration et émettre une injonction aux plateformes numériques de location de courte durée de retirer le logement de la location si les pièces justificatives ou informations fournies dans le cadre de l’enregistrement sont erronées ou incomplètes ou lorsque le logement est visé par un arrêté de mise en sécurité ou de traitement de l’insalubrité pris en application des articles L. 511-11 ou L. 511-19 du Code de la construction et de l’habitation (CCH), étant précisé que dans ces derniers cas il pourra désactiver l’accès au référencement d’une annonce. Des sanctions financières pouvant aller jusqu’à 50.000 € sont également prévues à l’article L. 324-1-1 V du Code du tourisme.

Les sanctions existantes sont, elles, durcies :

  • L’amende sanctionnant le non-respect de la procédure de déclaration préalable soumise à enregistrement, jusqu’à présent de 5.000 €, sera de 10.000 €, et ce à compter au plus tard du 20 mai 2026 (article L. 324-1-1, V du Code du tourisme).
  • L’amende sanctionnant la fausse déclaration ou l’utilisation d’un faux numéro de déclaration sera de 20.000 €, et ce à compter au plus tard du 20 mai 2026 (article L. 324-1-1, V du Code du tourisme).

B. S’agissant de l’autorisation préalable pour changer l’usage d’habitation, des modifications ont été apportées au dispositif de l’autorisation permanente (1) et temporaire (2).

  1. Modifications apportées au dispositif de l’autorisation permanente du changement d’usage

Le dispositif de l’autorisation permanente du changement d’usage est adopté par délibération du conseil municipal ou de l’organe délibérant de l’EPCI compétent en matière de plan local d’urbanisme.

L’article L. 631-9 du CCH dispose désormais qu’une telle délibération doit être motivée par « un déséquilibre entre l’offre et la demande de logements entraînant des difficultés sérieuses d’accès au logement sur l’ensemble du parc résidentiel existant. »

L’article L. 631-7 du CCH relatif au changement d’usage « permanent » précise désormais que ce dispositif peut être mis en place, non plus dans les communes de plus de 200.000 habitants et à celles des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, mais dans les communes « dont la liste est fixée par le décret mentionné au I de l’article 232 du Code général des impôts ». Une telle liste est relative aux zones tendues.

Rappelons que précédemment, l’extension du dispositif du changement d’usage aux zones tendues autres que l’Ile-de-France supposait une décision du préfet (article L. 631-9 du CCH dans son ancienne version).

En outre, la dualité des régimes de déclaration préalable d’un meublé de tourisme et autorisation préalable au changement d’usage pouvait être source de confusion. Il convient à cet égard de rappeler l’arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation a très récemment eu l’occasion de préciser que la décision de classement en meublé de tourisme prévue par l’article L. 324-1 du Code du tourisme ne pouvait se substituer à l’autorisation de changement d’usage prévue par l’article L. 631-7 du CCH (Cass. Civ. 3ème, 27 juin 2024 (n° 23-13.131).

La loi Le Meur harmonise toutefois la notion de logement touristique meublé de ces deux régimes, puisqu’est abandonnée la définition propre que donnait le dernier alinéa de l’article L. 631-7 du CCH du changement d’usage propre au régime de l’autorisation préalable – « la location d’un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile » au profit de la « location d’un local meublé à usage d’habitation en tant que meublé de tourisme au sens de l’article L. 324-1-1 I du Code du tourisme. », cet article définissant le meublé de tourisme comme « des villas, appartements ou studios meublés, à l’usage exclusif du locataire, offerts à la location à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile et qui y effectue un séjour caractérisé par une location à la journée, à la semaine ou au mois. »

Ce faisant, est abandonné l’exigence de répétition de la location. Certes, la jurisprudence considérait que la répétition était caractérisée dès deux locations de ce type.

Toutefois, avec la nouvelle définition du changement d’usage, ce changement sera constitué dès la première location.

Notons enfin que la notion de location « pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile » est maintenue à l’article L. 631-7-1 A du CCH relatif à l’autorisation temporaire de changement d’usage.

La définition de locaux à usage d’habitation contenue à l’alinéa 2 de l’article L. 631-7 du CCH n’est pas modifiée mais un nouvel alinéa précise désormais que « l’usage d’habitation s’entend de tout local habité ou ayant vocation à l’être même s’il n’est pas occupé effectivement, notamment en cas de vacance ou lorsqu’il a fait l’objet d’un arrêté pris sur le fondement du livre V du présent code ».

Compte-tenu de la difficulté pratique de rapporter de l’usage d’habitation des locaux au 1er janvier comme l’exigeait l’article L. 631-7 du CCH dans sa précédent rédaction, la loi Le Meur assouplit la démonstration d’un tel usage en ces termes en élargissant la temporalité de la preuve : la période de cet usage doit désormais être soit comprise entre le 1er janvier 1970 et le 31 décembre 1976 inclus, soit à n’importe quel moment au cours des trente dernières années précédant la demande d’autorisation préalable au changement d’usage ou la contestation de l’usage dans le cadre des procédures prévues au présent livre, et sauf autorisation ultérieure mentionnée au quatrième alinéa du présent article.

Un tel assouplissement rendra assurément plus efficaces les actions engagées par les communes, ou désormais par les établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière d’urbanisme (article L. 651-2 alinéa 2 du CCH) pour voir sanctionner le changement d’usage irrégulier.

Et ce d’autant plus que l’amende civile prévue dans un tel cas à l’article L. 651-2 du CCH est portée à 100.000 € contre 50.000 € précédemment.

Cette sanction qui s’applique également désormais à toute personne qui se livre ou prête son concours à la commission de l’infraction prévue à l’article L. 651-2, contre rémunération ou à titre gratuit, par une activité d’entremise ou de négociation ou par la mise à disposition de services (article L. 651-2-1 du CCH), est en outre étendue au non-respect du dispositif de l’autorisation préalable temporaire de changement d’usage (article L. 651-2 du CCH).

  1. Modifications apportées au dispositif de l’autorisation temporaire de changement d’usage

S’agissant de l’autorisation temporaire du changement d’usage, qui était jusqu’à présent limitée aux seules personnes physiques, s’étend désormais aux personnes morales.

Cette autorisation temporaire doit par ailleurs être conforme le cas échéant au règlement de copropriété, ce dont le demandeur doit justifier par une attestation sur l’honneur.

L’article L. 631-7-1 A CCH ainsi modifié encadre également les conditions d’octroi de l’autorisation temporaire :

  • La délibération instaurant le dispositif de l’autorisation temporaire peut, sur tout ou partie du territoire de la commune, dans une ou plusieurs zones géographiques qu’elle délimite, fixer le nombre maximal d’autorisations temporaires qui peuvent être délivrées ou la part maximale de locaux à usage d’habitation pouvant faire l’objet d’une autorisation temporaire de changement d’usage ;
  • La délibération fixe la procédure de sélection des candidats, en prévoyant des garanties de publicité et de transparence, qu’il s’agisse de l’autorisation initiale ou de celle renouvelée ;
  • Toutes les autorisations temporaires accordées le sont pour une durée identique, inférieure à 5 ans.

Les copropriétés ne sont pas en reste puisqu’elles peuvent, pour celles comportant dans leur règlement une clause d’habitation bourgeoise, interdire la location en meublé de tourisme par décision de l’assemblée des copropriétaires adoptée à la majorité simple (2/3) et non plus à l’unanimité (article 26 d) de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965).

En outre, tout nouveau règlement de copropriété établi à partir du 21 novembre 2024 doit préciser si la location de meublés de tourisme est autorisée ou interdite (article 98-1-1 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965).

Enfin, le syndic doit être informé de la transformation du logement en meublé de tourisme par le copropriétaire ou le locataire (article 9-2 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965).

 

II. Sur le plan matériel ensuite, l’article 3 de la loi Le Meur rétablit l’article L. 631-10 du CCH lequel prévoit que la location touristique meublée, soumise à autorisation permanente (article L. 631-7 du CCH) ou temporaire (article L. 631-7-1 A du CCH) requiert un classement énergétique du logement concerné, lorsqu’il est situé en France métropolitaine, entre les classes A et E.

A compter du 1er janvier 2034, le diagnostic de performance énergétique devra être classé entre A et D.

S’agissant des meublés de tourisme, ils doivent, s’ils ne constituent pas la résidence principale du loueur, respecter les niveaux de performance énergétique d’un logement décent au sens de l’article 6 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 (article L. 324-2-2 du Code de tourisme alinéa 1er).

A cet effet, les propriétaires doivent transmettre dans un délai de 2 mois au maire qui en fait la demande, un DPE en cours de validité, sous peine d’astreinte administrative de 100 € par jour (article L. 324-2-2 du Code de tourisme alinéa 2).

Enfin, les propriétaires qui louent ou maintiennent en location un meublé de tourisme ne respectant les niveaux de performance énergétiques exigés sont passibles d’une amende ne pouvant excéder 5.000 € (article L. 324-2-2 du Code de tourisme alinéa 3).

 

III. Sur le plan fiscal enfin, la location de meublés de tourisme est imposée au titre des micro-BIC (bénéfices industriels et commerciaux).

L’abattement fiscal forfaitaire pour tenir compte de toutes les charges est réduit sur les revenus locatifs perçus à compter du 1er janvier 2025 comme suit :

  • De 71 % (dans la limite de 188.700 euros) à 50 % pour les meublés classés et chambres d’hôtes dans la limite de 77.700 euros de revenus locatifs annuels ;
  • De 50 % (dans la limite de 77.700 euros) à 30 % pour les meublés non classés dans la limite de 15.000 euros de revenus locatifs annuels.

Ces nouvelles mesures visant à réguler les locations meublées touristiques permettront sans doute de remettre de nombreux logements dans le giron de la location de longue durée.

Le très attendu rapport de la mission du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) sur la mise en œuvre du règlement l’IA

Le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), instance chargée de conseiller la ministre de la Culture en matière de propriété littéraire et artistique, a lancé une mission relative à la mise en œuvre du règlement européen établissement des règles harmonisées sur l’intelligence artificielle[1] (« règlement IA »)[2].

Il a été annoncé que la mission, présidée par Madame Alexandra Bensamoun, devait soumettre à l’approbation du CSPLA (en plénière) son projet de rapport provisoire le 9 décembre.

Très attendu, ce rapport, pour l’heure à l’état de projet, doit délivrer un état des lieux sur la question épineuse de l’entrainement des systèmes d’IA (« SIA ») à usage général[3], qui comprennent notamment les SIA génératifs tels que Chat GPT, à partir de données protégées par le droit d’auteur. Il doit se positionner sur l’établissement d’un premier modèle du « résumé », l’outil prévu dans le règlement IA pour contrôler le respect de la législation en matière de droit d’auteur par les fournisseurs de SIA.

Le règlement IA (article 53) a créé une obligation de transparence pour les fournisseurs de SIA à usage général qui leur impose de mettre en place une politique visant à se conformer à la législation de l’Union européenne en matière de droit d’auteur et de droit voisin[4], et notamment de la DAMUN (la directive du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique[5]) qui prévoit notamment le mécanisme de l’opt-out[6], très discuté en matière d’intelligence artificielle[7].

Concrètement, cette obligation se concrétise par la mise à disposition du public d’un « résumé suffisamment détaillé du contenu utilisé pour entrainer le modèle d’IA à usage général »[8], dont un modèle devra être fourni par le Bureau de l’IA (instance de régulation de la Commission européenne créée par le règlement IA).

Le rapport de la mission du CSPLA est donc très attendu car il fera état de la position de la France, dans la perspective des prochains débats européens, sur le contenu du résumé à établir.

On retrouve donc dans ce document des recommandations sur la mise en place de cet outil de transparence inédit, outil déterminant dans l’établissement de la preuve en cas de contentieux entre les titulaires de droits et les fournisseurs d’IA.

A ce stade du projet de rapport, la mission du CSPLA propose de retenir un type de résumé se fondant sur une approche par type de contenus récupérés pour l’entrainement des IA, avec « un degré de détail croissant en fonction de leur sensibilité au droit »[9] : les contenus libres de droit pourraient se contenter d’informations génériques, du fait du faible enjeux en matière contentieuse ; en revanche pour les autres données protégées, le rapport énonce comme essentielles certaines précisions telles que les URLs des sites internet dans lesquels les données ont été récupérées ainsi que la date de ces opérations de récupération. Les bases d’entrainements devraient aussi être suffisamment documentées (notamment sur les identifiants uniques) et le résumé contenir des informations pratiques telles que le contact de référence ou l’existence d’accord commerciaux le cas échéant.

Certaines informations plus poussées seraient en revanche couvertes par le secret des affaires, mais le rapport provisoire insiste sur la nécessité de rendre ces informations protégées accessibles « en cas de réclamation ou d’action judiciaire pour rendre au droit son effectivité »[10].

En outre, le rapport provisoire encourage de manière plus générale un dialogue direct entre les titulaires de droits et les fournisseurs de SIA et propose de déléguer à une autorité nationale la mission de traiter les réclamations qui découleront de ce mécanisme (qui pour l’instant revient au Bureau de l’IA[11]).

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[1] Règlement (UE) 2024/1689 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024 établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle

[2] La ministre de la Culture Rachida Dati souhaite que le CSPLA expertise la portée de l’obligation de transparence prévue par le règlement européen et établisse la liste des informations paraissant devoir nécessairement être communiquées, selon les secteurs culturels concernés, pour permettre aux auteurs et aux titulaires de droits voisins d’exercer leurs droits.

[3] Selon la CNIL, un SIA à usage général est un SIA qui peut être utilisé et adapté à un large éventail d’applications pour lesquelles il n’a pas été conçu intentionnellement et spécifiquement ; il est destiné à exécuter des fonctions génériques telles que la reconnaissance d’images et de paroles, la génération d’images audio et vidéo, la détection de formes, la réponse à des questions, la traduction, etc, ce qui comprends les IA génératives.

[4] Article 53,1,d du règlement IA

[5] Directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique

[6] La DAMUN a introduit deux exceptions au droit d’auteur : l’article 3 permet la reproduction et l’extraction de données sur des œuvres protégées par le droit d’auteur, accessibles de manière licite par des organismes de recherches et des institutions du patrimoine culturel, dans un but circonscrit à la recherche scientifique; l’article 4 permet quant à lui une telle reproduction pour tout bénéficiaire, sans restriction concernant l’objet des activités réalisées, mais en introduisant une limite par la possibilité donnée aux titulaires de droits de s’y opposer (mécanisme d’ opt-out).

[7] Article 3 et 4 de la DAMUN : sur ce point, voir notre dernière brève dans la LAJ du 14 novembre 2024 n° 162  « Intelligence artificielle et exception de fouille de textes et de données : une première décision rendue en Europe »

[8] Article 53,1,c du règlement IA

[9] Page 6 du rapport provisoire commenté

[10] Page 27 du rapport provisoire commenté

[11] Voir notre dernière brève dans la LAJ du 29 août 2024 n° 159  « Les codes de bonnes pratiques pour les intelligences artificielles à usage général, un outil nécessaire à la mise en œuvre du récent règlement européen sur l’intelligence artificielle »

Les Présidents de syndicats toujours privés du remboursement des frais de représentation

Pour rappel, l’article L. 2123-19 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) prévoit que « le conseil municipal peut voter, sur les ressources ordinaires, des indemnités au maire pour frais de représentation. ». Ces frais correspondent à une allocation destinée à couvrir les dépenses engagées par le maire, à l’occasion de l’exercice de ses fonctions dans l’intérêt des affaires de la commune (Rep min, Question écrite n° 22023, publiée dans le JO Sénat du 2 mars 2017, page 897).

Et cette disposition est, conformément, aux articles L. 5216-4, L. 5215-16 et L. 5217-7 du CGCT, applicable aux communautés d’agglomération, aux communautés urbaines et aux métropoles.

Dit autrement les Présidents des communautés de communes et des EPCI dépourvus de fiscalité propre, soit les syndicats de communes et les syndicats mixtes, ne peuvent se voir rembourser des frais de représentation. Et il semble que cette situation n’émeuve pas le législateur qui, s’il envisage, dans le cadre de la proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local, de permettre la prise en charge des frais de représentation des présidents des conseils départementaux, des conseils régionaux, de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon, de la collectivité territoriale de Guyane et de la collectivité territoriale Martinique, laisse les exécutifs des communautés de communes et des EPCI sans fiscalité propre de côté .

Le projet de texte a été transmis à l’Assemblée nationale le 23 juillet 2024 pour une première lecture de sorte qu’une mobilisation des associations d’élus pourraient permettre de l’amender utilement en étendant le remboursement des frais de représentation aux Présidents des communautés de communes et des syndicats de communes et des syndicats mixtes.

Responsabilité pour faute de l’administration fiscale à l’égard des collectivités

Par une décision en date du 18 octobre 2024, le Conseil d’Etat a été amené à se positionner encore une fois sur des erreurs commises par l’administration fiscale envers une collectivité.

Au cas présent, il s’agissait de la Communauté de communes Ardenne Rives de Meuse (CCARM), établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, qui percevait jusqu’en 2009 le produit de la taxe professionnelle.

Pour mémoire, la taxe professionnelle a été supprimée par l’article 2 de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 pour être remplacée par la contribution économique territoriale, qui est composée, d’une part, de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et, d’autre part, de la cotisation foncière des entreprises (CFE).

Afin de compenser les pertes de recettes subies par les collectivités territoriales et leurs EPCI à la suite de cette réforme, un nouveau schéma de financement a été mis en place à partir de 2011, assorti d’un dispositif transitoire pour l’année 2010.

Ainsi, l’article 2 de la loi de finances pour 2010 a introduit un article 1640 B dans le Code général des impôts (CGI) instituant une « compensation-relais » devant être perçue par les collectivités territoriales et leurs EPCI au titre de l’année 2010, dont le montant devait être au moins équivalent au montant du produit de la taxe professionnelle perçu au titre de l’année 2009.

Par ailleurs, l’article 78 de la même loi avait prévu un système complexe destiné à compenser intégralement les pertes de recettes des collectivités territoriales et de leurs EPCI, induites par la suppression de la taxe professionnelle, pour 2011 et les années postérieures.

Ce système repose sur deux dispositifs distincts, destinés à maintenir un plancher de ressources pour chaque collectivité ou EPCI et à compenser intégralement leurs éventuelles pertes de recettes :

  • d’une part, les fonds nationaux de garantie individuelle des ressources (FNGIR) ;
  • d’autre part, la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP).

Ainsi, depuis 2011, les ressources fiscales des communes et de leurs EPCI sont augmentées d’un reversement ou diminuées d’un prélèvement au profit du fonds concerné.

La CCARM ne fait pas partie des EPCI dits « bénéficiaires » de la réforme, de sorte qu’elle reçoit un reversement depuis l’année 2011, provenant du FNGIR, puisque ses recettes perçues avant réforme étaient supérieures à celles perçues après réforme.

Ces montants sont déterminés en tenant compte notamment du montant de la « compensation-relais ».

Or, au cas présent, des erreurs ont été commises par l’administration fiscale dans le cadre du calcul de la taxe professionnelle. Plus précisément, le Conseil d’Etat a annulé les états de la participation de la Communauté de communes, au titre des années 2007 à 2010, au financement des dégrèvements consécutifs au plafonnement de la taxe professionnelle en fonction de la valeur ajoutée et a enjoint l’administration fiscale à procéder à un nouveau calcul de cette participation (CE, 22 décembre 2017, n° 396157).

Ces erreurs ont conduit à une sous-estimation du montant de sa « compensation-relais » pour l’année 2010 ainsi que de la DCRTP et du versement du FNGIR pour les années suivantes.

Et à la suite de la notification de l’arrêt du 22 décembre 217, la Communauté de communes a donc contesté le montant de ce versement et a assorti sa demande de conclusions indemnitaires.

Si le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a pour partie fait droit à ses demandes, par un jugement du 6 octobre 2020, la Cour administrative d’appel de Nancy a, quant à elle, annulé ce jugement et considéré que la Communauté de communes devait être déboutée de ses demandes dès lors notamment qu’elle n’avait pas fait connaitre à l’administration fiscale avant le 30 juin 2012 les erreurs qui entachaient le calcul du montant de la DCRTP et du versement FNGIR en application des dispositions de l’article 78 de la loi du 30 décembre 2009 précitée.

Le Conseil d’Etat, dans sa décision en date du 18 octobre dernier, s’il a confirmé que la Communauté de communes ne pouvait pas obtenir l’annulation des états de versement qui lui avaient été adressé dès lors qu’elle n’a pas fait connaitre à l’administration fiscale les erreurs entachant le calcul du montant de la DCRTP et du versement FNGIR avant le 30 juin 2012, il a, néanmoins, annulé l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nancy du 9 juin 2022 en tant qu’il a rejeté les conclusions indemnitaires présentées par la Communauté de communes au titre des années 2011 à 2019.

En effet, il a considéré qu’en jugeant que les conclusions indemnitaires de la Communauté de communes n’avaient d’autre fondement que la prétendue illégalité des états de versement des sommes dues au titre de la DCRTP et du FNGIR pour les années 2011 à 2019, la Cour a méconnu la portée des écritures de la CCARM et commis une erreur de droit.

Il convenait, ainsi, de distinguer l’action aux fins d’annulation des états de versement erronés et l’action aux fins de réparation de la perte subie à raison de ces erreurs. L’action en responsabilité n’était donc pas fondée pour le Conseil d’Etat sur l’illégalité des états financiers adressés à la Communauté de communes mais sur les fautes commises par l’administration dans le calcul de la taxe professionnelle de la Communauté de communes et qui a conduit à une minoration de ses bases en matière de DCRTP et de FNGIR.

Données chiffrées de la lutte contre les violences faites aux femmes : un phénomène d’ampleur face au faible taux de poursuites pénales

À l’occasion de la 25ème journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, un rapport ministériel a permis de mesurer l’ampleur de ce phénomène () qui doit être confronté au faible taux de poursuites pénales (II°).

1. Le constat d’une violence structurelle et d’ampleur …

Depuis plusieurs années, le rapport d’enquête dite de « victimisation » nommé « Vécu et ressenti en matière de sécurité » établi par le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) permet d’appréhender, à partir d’un échantillon de plus de 100.000 personnes, les infractions dont celles-ci ont été victimes au cours de leur vie.

Concernant les violences faites aux personnes, il est à souligner une forte sous-judiciarisation des violences sexistes et sexuelles, et, dans une moindre mesure, des violences conjugales, dont l’écrasante majorité des victimes est constituée de femmes[1].

Ainsi, dans le dernier rapport publié le 14 novembre dernier, il est mis en évidence qu’en 2022, 3 % des personnes âgées de 18 ans et plus déclarent avoir été victimes de violences sexuelles, dont 85 % sont des femmes[2].

Plus précisément, il ressort de cette étude que la population âgée de 18 à 24 ans a une probabilité 3 fois supérieure de déclarer avoir subi une violence sexuelle non physique[3], voire 5 fois supérieure concernant les violences sexuelles physiques[4], que le reste de la population.

Or, parmi ces victimes, seules 3 % ont déposé plainte auprès de la police ou de la gendarmerie.

Les principales raisons évoquées pour expliquer l’absence de dépôt de plainte sont les suivantes :

  • les victimes ne voient pas l’utilité d’une telle démarche (23 %) ;
  • elles considèrent que l’atteinte subie n’était pas assez grave (23 %) ;
  • elles pensent que leurs déclarations n’auraient pas été prises au sérieux par les forces de sécurité intérieure (15 %).

Le SSMSI a estimé, dans la population française métropolitaine, que :

  • 242.000 et 298.000 personnes ont été victime de violences sexuelles physiques [5];
  • 364.000 et 1.482.000 personnes ont été victime de violences sexuelles non physiques [6];
  • 445.000 et 524.000 personnes ont été victime de violences conjugales [7].

2. … face aux chiffres extrêmement bas des poursuites

En avril dernier, une note de l’Institut des Politiques Publiques (IPP) avait mis en lumière le sort des plaintes déposées à la suite de violences conjugales ou de violences sexuelles[8].

Cette note avait été rédigée à partir des données issues du logiciel Cassiopée, logiciel utilisé par les magistrats permettant le recensement des procédures pénales.

Concernant les violences sexuelles, 86 % des affaires traitées entre 2012 et 2021 ont donné lieu à un classement sans suite contre 14 % qui ont entraîné des poursuites.

S’agissant des violences conjugales, 72 % des affaires ont été classées sans suite ; pour 28 % de poursuites.

Dans les deux cas, un des principaux obstacles aux poursuites est le manque de preuve pour caractériser l’infraction poursuivie, en particulier s’agissant des violences sexuelles.

En complément de ces éléments chiffrés, il est nécessaire d’indiquer que le Service statistique ministériel de la justice avait souligné, dans une note de novembre 2023, qu’entre 2017 et 2022, 6.300 condamnations en moyenne par an ont été prononcées concernant des violences sexuelles, principalement pour agression sexuelle (76 %). 

Les condamnés sont quasi-exclusivement des hommes, puisqu’ils représentent 99 % de l’échantillon.

Les difficultés recensées au niveau du signalement, comme du traitement judiciaire réservé aux violences faites aux femmes, ont alimenté les récentes réformes ayant contribué à la mise en place des pôles spécialisés dans la lutte contre les violences intrafamiliales, depuis le 1er janvier 2024, ainsi que la reconnaissance de la notion de contrôle coercitif dans plusieurs arrêts rendus par la Cour d’appel de Poitiers[9].

Certaines problématiques demeurent d’actualité et constituent d’ailleurs l’un des points de départ de la réflexion en cours concernant l’introduction de la notion de consentement dans la définition du viol en droit français, thème d’un colloque récent au Sénat [10].

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[1] Respectivement 85 % des victimes de violences sexuelles physiques, 86 % des victimes de violences sexuelles non physiques et 77 % des victimes de violences conjugales

[2] https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Rapport-d-enquete-Vecu-et-ressenti-en-matiere-de-securite-2023-victimation-delinquance-et-sentiment-d-insecurite (p.13/37)

[3] Harcèlement sexuel, exhibition sexuelle ou envoi d’images à caractère sexuel et non sollicitées

[4] Viol, tentative de viol et agression sexuelle

[5] https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Rapport-d-enquete-Vecu-et-ressenti-en-matiere-de-securite-2023-victimation-delinquance-et-sentiment-d-insecurite (p.31/37)

[6] Ibid. p.31

[7] Ibid. p.31

[8] https://www.ipp.eu/publication/le-traitement-judiciaire-des-violences-sexuelles-et-conjugales-en-france/

[9] CA Poitiers, 31 janvier 2024, 28 août 2024 et 6 novembre 2024 : Concept de science sociale qui a été repris à son compte par la Cour d’appel pour motiver des décisions de condamnation en matière de violence intra-familiale : il s’agit de l’ensemble des techniques qui « visent à contraindre, minorer, isoler, dévaloriser, capter, fatiguer, dénigrer (…) elles relèvent d’une stratégie de l’agresseur, fondée sur la micro-régulation du quotidien ».
https://www.seban-associes.avocat.fr/wp-content/uploads/2024/12/CA-Poitiers-6-novembre-2024.pdf
https://www.seban-associes.avocat.fr/wp-content/uploads/2024/12/CA-Poitiers-28-aout-2024.pdf

[10]https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/office-et-delegations/delegation-aux-droits-des-femmes-et-a-legalite-des-chances/colloque-le-consentement-et-la-definition-penale-du-viol.html

Validation du critère de la proximité géographique des candidats dans une concession de dépannage, remorquage de véhicules justifié par des impératifs de sécurité et de rapidité

Par principe, le contrat de concession est attribué au soumissionnaire qui a présenté la meilleure offre au regard de l’avantage économique global pour l’autorité concédante sur la base de plusieurs critères objectifs, précis et liés à l’objet du contrat de concession ou à ses conditions d’exécution[1]. Ainsi, pour attribuer le contrat de concession, l’autorité concédante doit se fonder sur une pluralité de critères non discriminatoires[2].

Dans ce cadre, l’acheteur ne peut pas utiliser un critère de proximité géographique si ce dernier porte atteinte aux principes fondamentaux applicables à la commande publique. Et le juge administratif contrôle, à l’occasion de l’analyse des critères d’attribution, que ces derniers ne comportent aucun critère géographique interdit[3].

Dans la présente affaire, le préfet de l’Essonne avait lancé, en 2019, un appel à candidature en vue de l’attribution de concessions pour confier des missions de dépannage, remorquage et mise en fourrière de véhicules sur les routes et autoroutes du département. La société Eurautos, qui ne s’est pas vue attribuée de concession, en demandait l’annulation en estimant, notamment, que la mise en œuvre du critère géographique était illégale.

En l’occurrence, le Préfet s’était fondé sur quatre critères dont celui de la « localisation géographique du ou des installations du candidat au regard de la nécessité d’une intervention rapide en tous points du secteur » pour apprécier les offres.

La société requérante estimait que ce critère, apprécié en tenant compte de la distance entre cinq points de référence avait été choisis discrétionnairement par l’administration et que, ce faisant, était discriminatoire et sans lien avec l’objet du contrat ou à ses conditions d’exécution. Selon la requérante, il ne permettait donc pas de juger de la rapidité de l’intervention des concessionnaires qui dépendait des conditions de circulation et de l’organisation mise en œuvre par l’entreprise pour garantir un départ immédiat du véhicule d’enlèvement.

Or, pour la Cour administrative d’appel de Versailles (« la Cour »), ce critère était en lien avec l’objet du marché et les conditions d’exécution du marché en ce qu’il imposait au concessionnaire « pour des raisons de sécurité, des interventions rapides limitées à trente minutes pour l’enlèvement des véhicules légers en panne ou accidentés sur des axes très fréquentés que sont notamment l’autoroute A6 ou les routes nationales n° 6 et 14. Les points de référence ont par ailleurs été définis par le pouvoir adjudicateur lors de réunions préparatoires en présence des forces de l’ordre, du gestionnaire de voirie et des organisations professionnelles de dépanneurs et fouriéristes et couvrent l’ensemble du secteur concerné de façon homogène ».

Ainsi, pour la Cour, ces points ont certes été choisis de manière discrétionnaire, mais pas arbitraire pour autant.

Elle ajoute que « si un tel critère ne tient pas compte des conditions de circulation, celles-ci dépendent toutefois de facteurs multiples indépendants des candidats et ne pouvaient qu’être difficilement appréhendées par des mesures objectives au stade de la passation du contrat ».

Là encore, la Cour fait preuve de pragmatisme en estimant que l’acheteur a essayé d’être le plus objectif possible en appliquant la méthode de notation la moins subjective[4].

Enfin, la société critiquait le fait qu’en cas de pluralité de sites d’intervention des candidats, seule la moyenne des distances d’éloignement de tous les sites du candidat était prise en compte.

Or pour la Cour, « cette méthodologie a conduit à tenir compte, pour l’analyse des offres, de distances supérieures à celles constatées en cas de départ du dépôt le plus proche. Par suite, celle-ci n’a pas pu conduire à favoriser les sociétés attributaires, disposant toutes de deux sites, contrairement à la société requérante. Par ailleurs, la multiplicité des sites d’exploitation est de nature à favoriser une plus grande rapidité d’intervention en tout point du secteur ».

En conclusion, la Cour valide donc ici le critère de proximité géographique, estimant qu’il est justifié par les impératifs de sécurité et de rapidité exigés par le marché[5].

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[1] Article L. 3124-5 du code de la commande publique

[2] Article R. 3124-4 du code de la commande publique

[3] Julie Oger, « Le verdissement de la commande publique au secours du critère géographique », La Gazette de l’IDPA, n° 55, avril 2024

[4] Justine Lauer, « Feu vert pour le critère géographique ? », Achat Solutions, octobre 2024

[5] Etienne Ducluseau, « Quand le juge administratif valide un critère géographique », Achatpublic, décembre 2024

 

Harcèlement moral institutionnel : une consolidation jurisprudentielle pour les managers publics

Une pratique managériale génératrice de souffrance au travail ne saurait à elle seule, caractériser le délit de harcèlement moral. ; tel est l’apport principal de l’arrêt du 25 juin 2024 aux termes duquel la Cour de cassation confirme sa jurisprudence en matière de harcèlement moral institutionnel et apporte des précisions sur l’action civile.

Par arrêt du 3 mai 2023, une directrice d’un centre public hospitalier avait été déclarée coupable du chef de harcèlement moral, les juges du fond ayant retenu une dureté de son management ayant généré une souffrance au travail au préjudice de quatre agents de son service ; sur l’action civile, la cour d’appel s’était déclarée matériellement compétente.

La directrice évoquait plusieurs moyens au soutien de son pourvoi :

  • L’évocation d’un exercice normal de son pouvoir de direction justifié par l’intérêt du service– cause exclusive de responsabilité :

La chambre criminelle a rejeté ce moyen validant le raisonnement de la Cour d’appel qui avait considéré : « si le délit de harcèlement moral doit être distingué d’un management qui crée de la souffrance au travail, pour autant, les éléments de contexte ne peuvent être ignorés dans l’appréciation de la culpabilité de [la prévenue] à l’endroit de chacun des agents concernés, s’agissant notamment du caractère intentionnel des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale ».

Cette motivation s’inscrit dans la lignée de celle retenue dans le secteur privé et notamment rappelé dans un arrêt du 19 octobre 2021.

  • Le défaut d’élément intentionnel: La Chambre criminelle a rappelé que la seule conscience de la dégradation des conditions de travail engendrée par des méthodes de management suffit à caractériser l’élément moral.

En l’espèce, cet élément moral a été déduit de la connaissance par la directrice des souffrances générées sur les agents par son management, celle-ci ayant notamment été alertée par l’Inspection du travail.

  • L’incompétence du juge judiciaire sur l’action civile: la cassation est intervenue sur ce moyen, la Chambre criminelle ayant considéré que les juges du fond ne pouvaient se déclarer compétents sans avoir recherché si les fautes imputées présentaient un caractère personnel détachable du service.

Sur le fond, cet arrêt s’inscrit dans la jurisprudence constante de la Cour de cassation qui rappelle la nécessité de caractériser, pour chaque agent, les agissements susceptibles de relever du harcèlement moral, et non de procéder à une approche globale en confondant le management ferme et le harcèlement moral.

Elle semble toutefois évoluer vers une plus grande considération du contexte managérial défaillant à l’origine des faits constitutifs du délit de harcèlement moral.

Saisies pénales et travail dissimulé : la Cour de cassation élargit sa définition du produit de l’infraction

Par une décision en date du 16 octobre 2024, la chambre criminelle a précisé sa définition du produit de l’infraction de travail dissimulé en revenant sur ce qu’inclut la notion d’ « économie réalisée par la fraude ».

En l’espèce, plusieurs sociétés étaient mises en causes du chef de travail dissimulé. Parmi elles, il était reproché à une société de droit roumain de ne déclarer ni établissement ni salariés en France alors même que son activité de transport se déroulait exclusivement sur l’hexagone. En outre, la totalité de l’activité était gérée à partir de comptes bancaires français, ceux-ci alimentant un compte roumain pour payer les salaires et les charges fiscales et sociales.

Une enquête pénale était diligentée à la suite d’un signalement par la DREAL au procureur de la République. Dans ce cadre, deux saisies pénales étaient ordonnées sur le fondement des articles 706-153 et 706-154 du Code de procédure pénale, correspondant à deux régimes de saisie distincts.

Plus précisément, l’ordonnance contestée par les prévenus avait été rendue par le juge des libertés et de la détention et portait sur la saisie pénale d’une somme détenue en fonds de garantie d’un compte d’affacturage, pour un montant communiqué lors de l’échéance du terme.

A l’issue de l’appel interjeté par les sociétés et leur gérant, la chambre de l’instruction avait confirmé l’ordonnance, rappelant d’abord que l’article L. 8224-5 du Code du travail prévoit la peine de confiscation à l’endroit des personnes morales en matière de travail dissimulé. Par ailleurs, les juges du fond estimaient que le produit de l’infraction résultait du gain tiré de la différence de salaire entre les salariés roumains et français et de la durée de travail supérieure du salarié roumain sur le salarié français hors charge.

La chambre criminelle a rejeté le pourvoi formé par le gérant et les sociétés et confirmé l’ordonnance de saisie pénale, indiquant que « le produit de l’infraction est également constitué par le gain tiré de la différence de salaire entre salariés français et roumains établie sur le salaire moyen mensuel français des chauffeurs routiers et le salaire moyen versé aux chauffeurs roumains, et le gain tiré de la durée de travail supérieure du salarié roumain sur le salarié français hors charge ».

La Cour de cassation a, à cette occasion, élargit la notion « d’économie réalisée par la fraude », estimant que celle-ci comprend, outre le montant des cotisations sociales ou des droits éludés, le gain obtenu en rémunérant des salariés à un salaire inférieur au salaire français et en les faisant travailler selon une durée de travail supérieure à la durée légale du travail en France.

Cette décision, qui revient sur l’appréhension du produit de l’infraction de travail dissimulé, s’inscrit dans une construction jurisprudentielle prenant son point de départ en 2016 lorsque l’expression d’ « économie réalisée par la fraude » a été employée par les magistrats de la Cour de cassation pour la première fois[1]. Depuis, la chambre criminelle a régulièrement confirmé cette solution.

In fine, l’extension de la notion de produit de l’infraction de travail dissimulé conduit de manière concomitante à l’élargissement de l’assiette des saisies et confiscations pénales pouvant être autorisées.

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[1] Cass. Crim., 29 juin 2016, n° 15-81.426