Méli-mélo des prérogatives des maires et des présidents d’EPCI en matière de stationnement

Lorsque la compétence voirie est transférée à l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, son président peut sous certaines conditions disposer d’un pouvoir de police spéciale en matière de stationnement de sorte qu’il convient d’identifier selon les hypothèses :

  • Qui détermine les zones de stationnement ?
  • Qui détermine la redevance ?
  • Qui fixe les amendes de circulation ?

1. Pour répondre à la première question (qui détermine les zones de stationnement), on rappellera que l’autorité investie du pouvoir de police du stationnement peut déterminer les lieux, les jours et les heures où le stationnement est réglementé. À cet effet, il peut être décidé de réglementer des zones à stationnement limité dans le temps (et donc gratuite pendant le temp imparti), communément appelées « zones bleues », ou de mettre en place des zones de stationnement payant (Rép. min. QE n° 0112S, publiée dans le JO Sénat du 6 décembre 2017, p. 7185).

A ce stade, on indiquera que :

« La décision d’instituer un stationnement payant est un choix de la collectivité, qui peut toujours s’en tenir à la création d’une zone bleue » (Magazine Maires de France, cahier n° 334, « La réforme du stationnement payant », avril 2016).

Ces missions se rattachent, ainsi, au pouvoir de police de circulation et de stationnement du maire.

Pour rappel, les articles L. 2213-1 à L. 2213-6-1 du Code général des collectivités territoriales (ci-après, CGCT) déterminent les pouvoirs de police du maire en matière de circulation et de stationnement.

Il résulte notamment des termes de l’article L. 2213-2 du Code précité que :

« Le maire peut, par arrêté motivé, eu égard aux nécessités de la circulation et de la protection de l’environnement :

1° Interdire à certaines heures l’accès de certaines voies de l’agglomération ou de certaines portions de voie ou réserver cet accès, à certaines heures ou de manière permanente, à diverses catégories d’usagers ou de véhicules ;

2° Réglementer l’arrêt et le stationnement des véhicules ou de certaines catégories d’entre eux, ainsi que la desserte des immeubles riverains ;

3° Réserver sur la voie publique ou dans tout autre lieu de stationnement ouvert au public des emplacements de stationnement aménagés aux véhicules utilisés par les personnes titulaires de la carte “mobilité inclusion” portant la mention “stationnement pour personnes handicapées” mentionnée à l’article L. 241-3 du Code de l’action sociale et des familles, aux véhicules bénéficiant d’un label “auto-partage”, aux véhicules bénéficiant d’un signe distinctif de covoiturage, aux véhicules des usagers des transports publics de personnes ou aux véhicules à très faibles émissions au sens de l’article L. 318-1 du Code de la route ».

Toutefois, le maire peut accepter de transférer certaines de ses prérogatives en matière de police au président de l’EPCI à fiscalité propre dont il est membre et qui s’est vu transférer la compétence voirie.

Il résulte, en effet, des termes de l’article L. 5211-9-2 du CGCT, relatif aux pouvoirs de police pouvant être dévolues au président d’un EPCI à fiscalité propre, que :

« [] Sans préjudice de l’article L. 2212-2 et par dérogation aux articles L. 2213-1 à L. 2213-6-1, lorsqu’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre est compétent en matière de voirie, les maires des communes membres transfèrent au président de cet établissement leurs prérogatives en matière de police de la circulation et du stationnement.

Sans préjudice de l’article L. 2212-2 et par dérogation à l’article L. 2213-33, lorsqu’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre est compétent en matière de voirie, les maires des communes membres transfèrent au président de cet établissement les prérogatives qu’ils détiennent en matière de délivrance des autorisations de stationnement sur la voie publique aux exploitants de taxi. L’autorisation de stationnement peut être limitée à une ou plusieurs communes membres ».

Dit autrement, le président d’un EPCI compétent en matière de voirie peut se voir transférer les prérogatives de police de la circulation et du stationnement des maires des communes membres de l’EPCI dont il est président.

Il s’agit en principe d’un transfert de plein droit. Toutefois, l’article L. 5211-9-2 du CGCT prévoit que les maires peuvent s’opposer à ce transfert sous certaines conditions.

Pour être complet, on ajoutera que ces dispositions sont applicables aux établissements publics territoriaux (VI de l’article L. 5219-5 du CGCT).

Dans les faits, cela implique que dans l’hypothèse où les pouvoirs de police spéciale en matière de voirie n’ont pas été transférés au président de l’EPCI compétent, alors c’est au maire qu’il revient de réglementer le stationnement sur le territoire de sa commune et donc notamment d’instaurer des zones à stationnement limité dans le temps, ou « zones bleues », ou de mettre en place des zones de stationnement payant.

De sorte que le transfert de la compétence voirie à un EPCI ne permet pas ipso facto à ce dernier de réglementer le stationnement sur le territoire de ses communes membres en l’absence du transfert des pouvoirs de police spéciale en la matière par les maires.

2. S’agissant de l’identification de l ’autorité compétente pour déterminer la redevance de stationnement, on précisera d’abord que la redevance de stationnement ne s’applique que sur les zones de stationnement payant.

Cette redevance est composée de deux volets : la redevance de paiement immédiat ainsi que la redevance de post-stationnement, dénommée « forfait de post-stationnement » (FPS), qui remplace l’ancienne amende pénale dont le tarif unique était auparavant fixé par l’Etat.

Elle est réglementée par les dispositions de l’article L. 2333-87 du CGCT.

En vertu de ces dispositions, le tarif de la redevance de stationnement peut être institué par délibération du conseil municipal ou de l’organe délibérant de l’EPCI ou du syndicat mixte compétent pour l’organisation de la mobilité lorsqu’il y est autorisé par ses statuts ou par une délibération prise dans les conditions de majorité prévues au II de l’article L. 5211-5 du CGCT.

Dit autrement, le législateur distingue « le pouvoir de police administrative de la circulation et du stationnement dont l’exercice conduit à déterminer les voies et emplacements de stationnement payant, de la compétence pour élaborer et adopter le barème tarifaire » (JurisClasseur Collectivités territoriales, Fasc. 542 : Redevance de stationnement payant sur voirie : Instauration, contrôle, recouvrement, contentieux, précité).

En Ile-de-France, le législateur a créé un régime juridique spécifique aux termes duquel les EPCI à fiscalité propre et les EPT autorisés par leurs statuts ou par une délibération prise dans les conditions de majorité prévues au II de l’article L. 5211-5 peuvent instituer la redevance après avoir reçu l’accord de l’établissement public, Ile-de-France Mobilités (2ème alinéa du I de l’article L. 2333-87 du CGCT).

Dans les faits, un EPCI à fiscalité propre, compétent pour l’organisation de la mobilité, peut se voir transférer la prérogative relative à la fixation des tarifs de stationnement sur son territoire.

On ajoutera à toutes fins utiles que le produit de la redevance de stationnement est perçu par la collectivité qui a instauré la redevance de stationnement.

Cependant, contrairement au volet de la redevance de paiement immédiat, dont le produit abonde le budget général de la collectivité compétente qui l’instaure, le produit du FPS est affecté pour la réalisation des opérations destinées à « améliorer les transports en commun ou respectueux de l’environnement et la circulation », déduction faite des coûts de mise en œuvre des FPS » (article l’article L. 2333-87 du CGCT).

Dans ces conditions, si la personne publique qui perçoit la FPS est différente de celle qui réalise les « opérations destinées à améliorer les transports en commun ou respectueux de l’environnement et la circulation » alors un reversement de la première à la deuxième doit être opérée (article R. 2333-120-18 du CGCT).

3. Enfin, on s’intéressera à l’autorité compétente pour fixer les amendes de la circulation.

Dans les « zones bleues », le stationnement est, on l’a vu gratuit, il n’est donc pas conditionné au paiement d’une redevance de stationnement, mais il est limité dans le temps et les infractions commises dans ces zones sont ainsi sanctionnées par des amendes de la circulation.

Il ressort d’une note d’information du 8 août 2024 établie par la Direction générale des collectivités locales (DGCL) relative au recensement des amendes liées à la circulation routière par les services de police au cours de l’année 2023 et à destination des préfets[1] que :

« […]

Néanmoins dans les communes qui n’ont pas mis en place le forfait de post-stationnement, les amendes dressées en zone bleue relèvent désormais d’une infraction de 2ème classe et doivent être recensées ».

Il s’agit donc d’appliquer les dispositions de l’article R. 417-6 du Code de la route aux termes desquelles :

« Tout arrêt ou stationnement gratuit contraire à une disposition réglementaire autre que celles prévues au présent chapitre est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe ».

En définitive, les amendes perçues en cas d’infraction constatée en « zone bleue » se distinguent du produit des redevances que peuvent percevoir les collectivités ayant institué le stationnement payant sur leur territoire.

Et la répartition du produit issue des amendes de circulation n’obéit pas au même régime juridique que celui du produit des redevances. En effet, celle-ci est fixée par les dispositions prévues aux articles L. 2334-24 et suivants et R. 2334-10 et suivants du CGCT.

L’article L. 2334-24 du CGCT dispose, ainsi, que :

« Le produit des amendes de police relatives à la circulation routière destiné aux collectivités territoriales visé au b du 2° du B du I de l’article 49 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006 est réparti par le comité des finances locales en vue de financer des opérations destinées à améliorer les transports en commun et la circulation. ».

L’article R. 2334-10 du CGCT dispose, quant à lui, que :

« I. – Le produit des amendes de police relatives à la circulation routière est partagé, proportionnellement au nombre des contraventions à la police de la circulation dressées sur leur territoire respectif au cours de l’année précédant celle au titre de laquelle est faite la répartition, entre :

1° Les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre comptant au moins 10 000 habitants, auxquels les communes ont transféré la totalité de leurs compétences en matière de voies communales, de transports en commun et de parcs de stationnement et les communes de 10 000 habitants et plus ne faisant pas partie de ces groupements ;

Les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de moins de 10 000 habitants exerçant la totalité des compétences précitées et les communes de moins de 10 000 habitants ne faisant pas partie de ces groupements

[…] ».

De nombreuses précisions sont apportées par les services de l’Etat dans la note d’information de la DGCL du 8 août 2024 précitée.

A grand trait, les EPCI de plus ou de moins de 10 000 habitants peuvent être bénéficiaires du produit des amendes de circulation à condition d’être compétents en matière de voies communales (la compétence en matière de voies communales est considérée comme étant totalement transférée au groupement lorsque celui-ci assure la compétence sur l’ensemble de la voirie anciennement communale), de transports en commun (soit la compétence « organisation des transports urbains ou de la mobilité au sens du chapitre II du titre II de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs, sous réserve des dispositions de l’article 46 de cette loi ») et de parcs de stationnement. Dans le cas contraire, les communes de plus ou de moins de 10 000 habitants en seront bénéficiaires.

Toutefois, les communes et les EPCI peuvent conventionner pour se répartir entre eux le produit des amendes (article R. 2334-11 du CGCT).

Pour être complet, on précisera, que pour les communes et les groupements de la région d’Ile-de-France, un prélèvement est réalisé sur ce produit à destination d’Ile-de-France Mobilités et de la Région Ile-de-France (article L. 2334-25-1 du CGCT).

______

[1] https://www.collectivites-locales.gouv.fr/files/Accueil/Notes%20de%20la%20DGCL/2024/24-010801-D%20Note%20du%2008%20ao%C3%BBt%202024.pdf 

Recours administratif : il conviendra désormais de conserver les enveloppes !

Par une décision du 30 juin 2025, à publier au Recueil, le Conseil d’Etat a opéré un revirement de jurisprudence en jugeant que, pour apprécier si un recours administratif (gracieux ou hiérarchique) interrompt valablement le délai de recours contentieux, c’est désormais la date d’envoi du recours qui doit être prise en compte (n° 494573).

C’est donc à une jurisprudence ancienne et établie (par exemple : CE, 27 mars 1991, Préfet de la Haute-Garonne, n° 114854), en vertu de laquelle il convenait de tenir compte de la date de réception du recours administratif par l’administration, que la Haute juridiction a mis fin.

Cette nouvelle solution s’inscrit dans la continuité d’un précédent revirement de jurisprudence, intervenu le 13 mai 2024. Plus précisément, par cette décision de section, il a été jugé que, sauf exceptions législatives ou réglementaires, la date d’expédition – établie par le cachet de la poste – fait foi pour juger de la recevabilité d’un recours contentieux envoyé par voie postale (CE, 13 mai 2024, n° 466541).

Là encore, il s’est agi de revenir sur une jurisprudence séculaire, en application de laquelle était prise en compte la date de réception au greffe de la juridiction, sauf délai postal d’acheminement anormal (par exemple : CE, 14 janvier 1910, Levallois, p. 24).

Trois raisons principales ont justifié ce revirement de 2024 :

  • L’allongement du délai standard d’acheminement du courrier par la Poste, porté à trois jours et non plus à deux en 2022 ;
  • Le caractère imprévisible en jurisprudence et variable selon les zones géographiques et donc source d’insécurité juridique du critère de l’acheminement normal du recours ;
  • La circonstance que le critère de la date de réception n’était plus appliqué que par la seule juridiction administrative et souffrait, en outre, en son sein, déjà de plusieurs exceptions, à l’image de la demande d’aide juridictionnelle ou des recours préalables obligatoires (article 37 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ; CE, 25 juillet 2005, n° 271916).

Pour le second revirement évoqué ici, il s’est agi d’harmoniser les règles applicables aux recours administratifs et aux recours contentieux, dans un contexte où la règle de la date de réception faisait figure d’exception parmi les règles de computation des délais.

Au demeurant, cette règle de la date de réception des recours administratifs présentait les mêmes inconvénients liés au délai normal d’acheminement du courrier évoqués supra s’agissant des recours contentieux.

Ce revirement de jurisprudence impacte directement les administrations qui souhaiteraient soulever l’irrecevabilité d’un recours contentieux introduit à la suite d’un recours administratif tardif.

En effet, en cas d’envoi du recours administratif par lettre simple, il leur faudra produire au contentieux l’enveloppe affranchie, afin d’attester de la date d’envoi.

Ainsi, la seule production du recours administratif portant un tampon de réception ne suffira plus.

En revanche, en cas d’envoi du recours administratif en LRAR, le bordereau remis à l’expéditeur pourra faire foi.

Pour être complet, on relèvera, comme l’indique Thomas Janicot, rapporteur public, dans ses conclusions sous la décision commentée du 30 juin 2025, que le revirement de jurisprudence auquel a procédé le Conseil d’Etat n’est pas fondé sur l’actuel article L. 112-1 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA), qui prévoit que le cachet de la poste fait foi pour démontrer le respect d’un délai de dépôt d’une demande. En effet, le Conseil d’État en a exclu l’application aux recours administratifs (CE, 21 mars 2003, n° 240511), ceux-ci ne constituant pas une demande encadrée par un délai au sens de cette disposition, mais une faculté dont l’exercice n’est encadré que pour interrompre le délai de recours contentieux.

Une simple réponse à un courrier du maître d’ouvrage peut-elle faire naître un décompte général et définitif tacite ?

Dans une décision rendue le 12 mai 2025, le Conseil d’État rappelle avec les conditions strictes dans lesquelles un décompte général et définitif tacite peut naître dans le cadre d’un marché public de travaux.

Il annule l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Toulouse en date du 19 mars 2024 dans lequel cette dernière a considéré à tort qu’un projet de décompte général avait été valablement notifié par l’entreprise titulaire du marché.

Dans cette affaire, l’INRAE (Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) avait conclu un marché portant sur la construction d’un bâtiment dédié à la conservation des ressources génétiques des plantes. Le lot n° 5 concernant les « menuiseries extérieures et façades » avait été confié à un groupement composé des sociétés Entreprise Carré et SMAC.

Un litige est né quant au solde du marché. La Cour administrative d’appel de Toulouse a alors retenu qu’un projet de décompte général avait été notifié par l’entreprise Carré le 17 mars 2020. Cette notification déclenchait ainsi le mécanisme de tacite acceptation, prévu à l’article 13.4.4 du CCAG Travaux 2014, en l’absence de réponse de l’INRAE dans les 30 jours suivant cette même notification (délai par le CCAP par dérogation au CCAG). La Cour avait par conséquent accordé 68 000 euros au groupement au titre du solde.

Le Conseil d’État annule cet arrêt. Il juge en effet que la Cour a dénaturé les pièces du dossier : le courrier du 17 mars 2020 ne constituait ni en forme ni en contenu un véritable projet de décompte général. Il s’agissait, en effet, d’une réponse de l’entreprise à un document de l’INRAE daté du 11 mars 2020, intitulé « décompte général » mais ne concernant en réalité que la tranche optionnelle n° 1. Par ailleurs, l’annexe du courrier de l’entreprise, bien qu’intitulée « projet de décompte général définitif », était une copie d’un précédent décompte final envoyé en novembre 2019.

Le rapporteur public a souligné que la Cour avait conféré à ce courrier « un sens grossièrement erroné tant par rapport à son contenu qu’à son contexte », et que le caractère non équivoque d’une notification de projet de décompte général était une condition impérative pour faire naître un décompte tacite.

Pour rappel, le CCAG Travaux 2014, applicable en l’espèce, distingue :

  • Le projet de décompte final transmis par l’entreprise (art. 13.3.2 et 13.3.3)
  • Le projet de décompte général, établi par le maître d’œuvre (art. 13.3.4 et 13.4)
  • Et la possibilité, en l’absence de ce dernier, pour l’entreprise de transmettre elle-même un projet de décompte général (art. 13.4.4), déclenchant un décompte général définitif tacite à défaut de réponse (dans un délai de 10 jours selon le CCAG, et dans un délai de 30 jours selon le CCAP en l’espèce)

Encore faut-il, comme le souligne le Conseil d’État, que la notification soit explicite et régulière, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

Cette exigence de notification formelle, qui faisait défaut en l’espèce, s’inscrit dans une jurisprudence plutôt rigoureuse en matière de formalisme contractuel et de preuve dans les marchés publics.

Parmi ces décisions figure notamment la décision du 29 décembre 2023 Commune de Saint-Thibéry[1], dans lequel le Conseil d’État avait censuré un arrêt de la Cour administrative d’appel de Toulouse. Celle-ci avait déduit la notification d’un décompte général à partir d’éléments ambigus.

Le Conseil d’État annule l’arrêt. Il constate que la preuve de cette notification n’est pas rapportée dans le dossier, alors même que la commune contestait expressément le caractère définitif du décompte. L’absence de preuve de la notification rendait ainsi la créance incertaine et inopposable à la personne publique.

Ainsi, à l’instar de l’arrêt rendu le 29 décembre 2023, le Conseil d’Etat affirme le 12 mai 2025 que le caractère définitif d’un décompte général, conditionnant l’existence d’une créance exigible, suppose une notification à la fois régulière, certaine et non équivoque.

Dans cette décision, la jurisprudence rappelle qu’elle s’en tient au contenu objectif des décision contractuelles notifiées.

_______

[1] CE, 29 décembre 2023, n° 470274.

Mise en œuvre de la réforme SAD : les dernières précisions gouvernementales

La réforme des services autonomie à domicile (SAD) bat son plein ! En effet, la date du 31 décembre 2025 qu’elle fixe pour la transformation des services, et notamment des services de soins infirmiers à domicile (SSIAD), en SAD dits « mixtes », qui dispensent de l’aide et du soin, approche à grand pas.

Pour aider les services dans cette démarche de transformation, la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) a publié, le 27 juin dernier, une foire aux questions (FAQ). Cette FAQ est alimentée par les questions des agences régionales de santé (ARS), des conseils départementaux et des fédérations du secteur du domicile. Elle vient compléter les différentes notices explicatives ou autres FAQ déjà publiées par la DGCS à propos de la réforme. La multiplication des notices et FAQ en dit long sur la complexité de la réforme et sa bonne compréhension par les services…

Ces documents sont donc précieux pour les gestionnaires amenées à organiser leur transformation en SAD mixtes.

Cette nouvelle FAQ aborde notamment la question de la rupture de la relation entre les parties à une convention transitoire ou membres d’un groupement de coopération sociale et médico-sociale (GCSMS) « exploitant » (c’est-à-dire non-titulaire de l’autorisation de SAD mixte). En effet, dans ces deux options transitoires permises par la réforme afin de créer un SAD mixte, l’autorisation est attribuée conjointement aux deux services pour une durée maximale de 5 ans.

Si ces options transitoires sont séduisantes car elles permettent de créer un SAD mixte sans disposer encore d’une entité juridique unique porteuse de l’autorisation, elles peuvent devenir insécurisantes en cas de conflit, volonté d’un des deux services de mettre fin à la collaboration prévue ou tout simplement de fermeture… Cette question se pose d’autant plus pour les gestionnaires de SSIAD dans la mesure où, à défaut d’autorisation de SAD mixte, ils ne pourront plus exercer des prestations de soins à domicile.

S’agissant du GCSMS, la FAQ aborde la question des SAAD anciennement autorisés qui viendraient à se retirer d’un GCSMS pendant la période transitoire de 5 ans : dans ce cas, l’autorisation de SAD mixte délivrée aux membres sera caduque et le SAD aide sera considéré comme autorisé pour l’activité d’aide et d’accompagnement pour laquelle il était autorisé avant la constitution du groupement. Etrangement, la FAQ ne précise pas le sort du SSIAD, bien que la situation soit plus problématique pour lui. Il nous semble qu’il devrait pouvoir demander une nouvelle autorisation de SAD mixte et proposer un nouveau projet de SAD mixte avec un autre service dispensant de l’aide.

S’agissant de l’option de la convention transitoire, la FAQ traite de l’hypothèse où une telle convention serait passée entre un SSIAD et 2 SAD aides et où un des 2 SAD aides venait à fermer pour des raisons financières. Il est précisé que cette situation n’entraîne pas forcément la caducité de la convention et donc de l’autorisation de SAD mixte et que cela dépend de l’impact de cette fermeture sur la zone d’intervention du SAD mixte autorisé à titre temporaire. Dans l’hypothèse où la zone d’intervention n’est plus identique entre le SSIAD et le SAD aide (entraînant la caducité de l’autorisation temporaire), la FAQ précise que les deux parties restantes peuvent signer une nouvelle convention en modifiant leur zone d’intervention avec l’autorisation des autorités. Cette situation n’est pas sans poser des questions sur la temporalité de sa mise en œuvre. Par ailleurs, la FAQ évoque l’hypothèse où les relations des parties à la convention venaient à être rompues, précisant à ce sujet que « chaque personne morale se retrouve soumis aux règles applicables au SAD aide et aux SSIAD » sans toutefois préciser concrètement les impacts de cette rupture sur le calendrier pour les SSIAD.

Cette FAQ aborde également la question de calendrier applicable à un SAD aide (ancien-SAAD) qui serait dans une démarche de rapprochement avec un SSIAD pour la constitution d’un SAD mixte.

En effet, si on s’en tient aux textes de la réforme et aux échéances qu’elle prévoit, les SAD aides devaient se conformer au cahier des charges d’ici le 30 juin 2025. Cela implique de modifier leur fonctionnement et les documents du service l’encadrant. Par ailleurs, dans l’hypothèse où un SAD aide envisage de se rapprocher d’un SSIAD pour créer un SAD mixte en déposant d’ici le 31 décembre 2025 une demande d’autorisation, il devra repenser à nouveau tout son fonctionnement pour parvenir à un fonctionnement intégré entre les prestations d’aide et de soin avec notamment la remise à zéro de tous les documents du service (projet de service, outils de la loi 2002-2, etc.). Ceci alors que le SAD aide aura déjà dû se conformer au cahier des charges des SAD aide pour le 30 juin 2025. De quoi démotiver les SAD aides…et pourtant les SSIAD ont besoin de SAD aides prêts à créer des SAD mixtes. N’oublions pas que les SSIAD, eux, sont dans l’obligation que de se rapprocher d’un service dispensant de l’accompagnement (SAD aide ou mixte). Ils sont donc entièrement dépendant de leur capacité à mobilier des SAD aide pour se transformer en SAD mixte.

Bien heureusement, la FAQ prévoit bien que « les autorités de tarification pourront laisser une certaine souplesse aux services ayant démontré qu’ils sont en processus de rapprochements avec un SSIAD (par exemple, via une lettre d’engagement) pour constituer un SAD mixte […] ».

Cela permet aux SAD aides, qui se questionnaient, de les « sécuriser » face aux sanctions qu’ils encourent en cas de non-respect du cahier des charges (injonctions, astreinte, sanctions financières, etc. cf. articles L. 313-13 et suivants du Code de l’action sociale et des familles).

Cette FAQ apporte ainsi un peu de souplesse et de clarification aux services qui peuvent se sentir un peu dépassés par la mise en œuvre de cette complexe réforme.

Disproportion du périmètre de la DUP réserve foncière censurée par le juge administratif

CAA Toulouse, 3 juin 2025, n° 23TL01867

Dans cette affaire, une déclaration d’utilité publique (DUP) réserve foncière a été prise par arrêté préfectoral du 25 juin 2020, au profit d’une zone d’activités économiques.

Plusieurs requérants, dont des associations, ont sollicité l’annulation de cet arrêté de DUP devant le Tribunal administratif de Nîmes, lequel a rejeté leurs demandes.

Un appel a été interjeté devant la Cour administrative d’appel de Toulouse.

La Cour a d’abord rappelé les trois critères d’appréciation de l’utilité publique, à savoir que :

  • Le projet doit répondre à une finalité d’intérêt général ;
  • L’expropriant ne doit pas être en mesure de réaliser l’opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l’expropriation ;
  • Le bilan coûts/avantages plus favorable de l’expropriation.

Au présent cas, la DUP réserve foncière concernait 86 hectares en vue de permettre la création de 65 à 70 hectares de surface cessibles pour l’implantation future d’activités économiques, les autres hectares étaient nécessaires aux infrastructures et équipements nécessaires à l’aménagement de la zone.

La Cour a ensuite relevé que les documents justifiant la DUP faisaient état en réalité d’un besoin à l’horizon 2030 entre 25 et 30 hectares, voire 37 hectares selon le document d’orientation et d’objectifs (DOO) du Schéma de cohérence territoriale (SCoT), bien loin de 65-70 hectares prévus pour l’activité économique, et les 86 hectares objet de la DUP réserve foncière.

La Cour a donc considéré que le périmètre retenu par la DUP réserve foncière était disproportionné.

Enfin, la Cour a relevé que ces 86 hectares étaient majoritairement des terrains agricoles exploités, et qu’il s’agissait également de parcelles bâties par de habitations ou des locaux d’activités.

Selon la Cour, les inconvénients du projet objet de la DUP réserve foncière étaient donc excessifs par rapport à l’objectif d’intérêt général poursuivi par cette même DUP. Au titre d’un bilan coûts/avantages négatif, la Cour relève alors que le projet est dépourvu d’utilité publique.

La Cour administrative d’appel de Toulouse a donc annulé cet arrêté de DUP réserve foncière.

Cet arrêt a l’intérêt de rappeler l’importance que tout expropriant doit apporter à la délimitation et à la justification du périmètre de sa DUP.

Éléments manquants et irrégularité de l’offre : Précisions du Conseil d’Etat

L’offre dont certains éléments d’information manqueraient ne peut être déclarée irrégulière que dans l’hypothèse où ces éléments seraient exigés comme condition de sa recevabilité, mais s’ils sont simplement mentionnés comme des éléments sur lesquels le pouvoir adjudicateur entend fonder son appréciation de l’offre.

Cette précision est apportée par le Conseil d’État à l’occasion d’un référé précontractuel dirigé contre un accord-cadre à bons de commande portant sur l’entretien préventif du réseau routier national de Mayotte pour la période 2024-2028.

Une candidate évincée qui avait été classée seconde à l’issue de la procédure de passation, a saisi le juge des référés du Tribunal administratif de Mayotte d’un référé précontractuel afin d’obtenir l’annulation de la procédure de passation. Demande à laquelle le Tribunal avait fait droit par une ordonnance en date du 11 février 2025.

La société attributaire s’est donc pourvue en cassation devant le Conseil d’État contre cette ordonnance.

Le Conseil d’État annule l’ordonnance du Tribunal et, réglant l’affaire, rejette la demande de la société évincée.

Pour ce faire, le Conseil d’État constate que, pour ordonner l’annulation de la procédure de passation, le juge du référé du Tribunal administratif de Mayotte a considéré que l’offre de la société attributaire était incomplète et donc irrégulière, car la note technique présentée par cette société n’indiquait pas les méthodes d’intervention sur le chantier.

Après avoir rappelé que le pouvoir adjudicateur est tenu d’éliminer, sans en apprécier la valeur, les offres incomplètes. Le Conseil d’État précise que « cette obligation ne fait pas obstacle à ce que ces documents prévoient en outre la communication, par les soumissionnaires, d’éléments d’information qui, sans être nécessaires pour la définition ou l’appréciation des offres et sans que leur communication doive donc être prescrite à peine d’irrégularité de l’offre, sont utiles au pouvoir adjudicateur pour lui permettre d’apprécier la valeur des offres au regard d’un critère ou d’un sous-critère et précisent qu’en l’absence de ces informations, l’offre sera notée zéro au regard du critère ou du sous-critère en cause ».

Le Conseil d’État fait donc une différence entre

  • Les informations nécessaires pour la définition ou l’appréciation de l’offre
  • Dont l’absence entraîne nécessairement l’irrégularité de l’offre.
  • Les informations utiles pour permettre d’apprécier la valeur des offres au regard d’un critère ou sous critère
  • Dont l’absence n’entraîne pas l’irrégularité de l’offre, mais peut amener à ce qu’il lui soit attribué la note de zéro sur ce critère ou sous-critère.

Or dans le cas d’espèce, la note technique sollicitée figurait dans la partie du règlement de la consultation consacrée au jugement et classement des offres, et non celle consacrée à la présentation des offres qui énumérait les pièces dont la communication était requise.

Le Conseil d’État considère donc que cette information n’était pas nécessaire pour la définition ou l’appréciation de l’offre, mais plutôt utile pour permettre d’apprécier la valeur des offres et annule l’ordonnance attaquée pour ce motif.

Le Conseil d’État écarte en outre tous les autres moyens soulevés et rejette donc la demande de la société requérante.

Harcèlement – insuffisance d’un rapport d’enquête interne : le doute profite au salarié

Lorsque le licenciement d’un salarié se fonde sur la commission de faits de harcèlement moral, de harcèlement sexuel, ou d’agissements sexistes ou à connotation sexuelle, il appartient aux juges du fond d’apprécier la force probante de l’enquête interne réalisée par l’employeur, au regard, le cas échéant, des autres éléments de preuve versés aux débats par les parties. 

Dans la continuité d’une jurisprudence foisonnante concernant les faits de harcèlement sexuel et moral, et plus précisément les enquêtes internes menées, cet arrêt vient mettre en exergue l’importance du pouvoir d’appréciation du juge concernant la valeur probante d’une enquête interne menée.

Remise en contexte. Un salarié, occupant un poste de directeur de développement puis de directeur associé, a fait l’objet d’une mise à pied conservatoire et a été licencié pour faute à la suite de plaintes de collaboratrices pour des propos et comportements sexistes. A la suite de ces signalements la direction RH a pris les devants, avec le CHSCT, en menant une enquête interne.

L’enquête a abouti à la conclusion suivante : les propos et agissements, à connotation sexuelle et sexiste de la part du salarié et la nuisance à l’ambiance provoquée par ces agissements sont fréquents et inacceptables.

Les arguments des parties. Le salarié conteste son licenciement en arguant notamment la partialité de l’enquête. Ce dernier souligne entre autres que cette enquête était uniquement à charge du fait que plusieurs membres du CHSCT ayant participé à l’enquête sont des amis des collaboratrices plaignantes. Il pointe également le caractère tronqué de l’enquête, notamment par un versement partiel et caviardé des comptes-rendus d’entretiens qui ne reflètent pas la réalité des propos tenus.

En réplique, la société défend l’impartialité de la commission et justifie l’absence de certains documents par la volonté de salariés de rester anonymes, tout en rappelant que le juge peut tenir compte de témoignages anonymisés puisque la preuve est libre en matière prud’homale.

Si la juridiction prud’homale avait donné raison à la société, c’est une tout autre position qu’a adopté la Cour d’appel, qui sera confirmée par la Cour de cassation.

Décision : une enquête interne jugée insuffisante. L’enquête produite a été considérée comme très incomplète et pas suffisamment probante. A ce titre, les faits reprochés au salarié ne sont pas établis avec certitude, le doute subsistant doit donc lui profiter.

Penchons-nous sur l’argumentation développée par la Cour d’appel, confirmée par la Cour de cassation. Les juges ont reproché à la société le versement partiel de l’enquête aux débats (5 comptes-rendus versés sur 14 entretiens réalisés).

Les juges du fond considèrent, concernant le non-versement de témoignages par la volonté de salariés de conserver l’anonymat avancée par la société, que cet argument ne tient pas. Et pour cause, la société n’explique pas en quoi elle n’aurait pas pu anonymiser ces éléments et ne verse pas aux débats de courriels adressés à ces derniers pour leur demander leur accord, ni de réponse de refus de leur part (alors qu’elle produit ces échanges de mails pour ceux y ayant consenti).

La Cour estime que rien ne justifie le non-versement de ces pièces. Elle va même plus loin et en déduit une abstention fautive de la part de la société portant préjudice au salarié.

En outre, elle indique que certains comptes-rendus d’entretien étaient tronqués et que certains faits décrits ne permettaient pas de s’assurer que la personne interrogée en avait été personnellement témoin.

Par conséquent, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi établi par la société. En application de l’article L 1235-1 du Code du travail et en raison du caractère incomplet de l’enquête interne et donc son caractère non probant, le doute doit profiter au salarié dont le licenciement a été reconnu sans cause réelle et sérieuse.

Constat. Cet arrêt vient confirmer que le rôle des juges du fond est clé pour apprécier la valeur probante d’une enquête interne. En cas d’enquête incomplète ou tronquée, le doute profitant au salarié concerné par la mesure de licenciement pourrait voir cette dernière remise en cause, à son avantage.

Cet arrêt s’inscrit dans la même lignée qu’un précédent arrêt de la Cour de cassation qui indiquait qu’il appartenait aux juges du fond d’apprécier la valeur probante d’une enquête interne produite par l’employeur (Cass. Soc. 29 juin 2022 no 21-11.437).

Echo à une jurisprudence en mouvement. Cet arrêt est à rapprocher de la position de la Cour d’appel de Paris qui s’était prononcée sur un harcèlement d’ambiance et pour lequel elle avait considéré que l’enquête interne menée par l’employeur était insuffisante (CA Paris, 26 nov. 2024 – n° 21/10408). Était critiqué le manque de rigueur de l’enquête interne, qui ne permettait pas d’écarter la possibilité de harcèlement discriminatoire (voir notre article : Sexisme au travail : Rappel à l’ordre des employeurs face au « harcèlement d’ambiance »).

Rappelons-le, même si la Cour de cassation a récemment considéré que l’absence d’enquête ne caractérisait pas, en soi, un manquement à son obligation de sécurité (Cass. Soc. 12 juin 2024 no 23-13.975) elle reste recommandée.

Concernant l’anonymat, la Cour de cassation s’est récemment positionnée sur le sujet. Si le Juge ne peut se fonder uniquement sur des témoignages anonymes, il peut prendre en considération des témoignages anonymisés (Cass. Soc. 19 mars 2025 n° 23-19.154).

Dans le présent arrêt de la Cour de cassation du 18 juin 2025, la société aurait pu anonymiser les comptes-rendus d’entretien ce qui aurait garanti l’anonymat des témoins dans l’enquête, plutôt que de s’abstenir de les verser.

En outre, les enquêtes devenant un sujet majeur et délicat pour les entreprises, le Défenseur des droits s’en est fait l’écho et a récemment publié une méthodologie détaillée pour tout employeur qui souhaiterait mener une enquête interne à la suite d’un signalement pour des faits de discrimination et d’harcèlement (Décision-cadre du Défenseur des droits 2025-19 du 5 fév. 2025).

Impossibilité d’être candidat sur deux listes, y compris d’adjoints

Par un intéressant jugement du 23 mai 2025, le Tribunal administratif de Bastia transpose aux élections au scrutin de liste des adjoints au maire, le principe selon lequel « nul ne peut être candidat sur plus d’une liste ».

En effet, en vertu de l’article L. 263 du Code électoral, il était déjà acquis que, pour les élections municipales dans les communes de mille habitants et plus, nul ne peut être candidat sur plus d’une liste.

En décidant d’étendre ce principe aux élections des adjoints au maire, le Tribunal a annulé les opérations électorales du 14 mars 2025 pour l’élection des cinq adjoints au maire de la commune corse de Sartène.

En l’espèce, consécutivement au décès du maire de la commune survenu au début de l’année 2025, les conseillers municipaux étaient appelés à se réunir pour procéder à l’élection du nouveau maire, à la suite de laquelle se sont tenues les élections de ses adjoints.

Saisi sur déféré du préfet de la Corse-du-Sud, le Tribunal a constaté que le nom d’une même candidate figurait sur les deux listes proposées aux suffrages. Il a considéré, comme le soutenait le préfet, qu’il résultait « d’une règle à portée générale inspirée de l’article L. 263 du Code électoral, que nul ne peut être candidat sur plus d’une liste ».

En conséquence, le Tribunal a annulé les opérations électorales du 14 mars 2025 pour l’élection des cinq adjoints au maire de la commune de Sartène ainsi que la délibération du même jour par laquelle le conseil municipal de Sartène a élu et installé ces adjoints.

La réparation du préjudice de la victime après la prescription de l’infraction

Le 7 mars 2024, le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) a publié les chiffres des signalements de violences sexuelles commises hors du cadre familial en 2024 et a mis en évidence une hausse de 6 % de ce nombre par rapport à 2023.

La particularité de ces violences réside dans les séquelles physiques et psychologiques qu’elles laissent aux victimes. A cet égard, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rappelé que le dommage psychologique, même sans atteinte physique et même s’il n’est pas consécutif à des blessures physiques, peut être un dommage corporel (Crim. 21 octobre 2014, n° 13-87.669).

A cet égard, dans un arrêt remarqué du 7 juillet 2022[1] la Cour de cassation a rappelé un principe fort : la prescription de l’action publique n’entraîne pas nécessairement celle de l’action civile en réparation du préjudice corporel subi par la victime, compte tenu du temps de consolidation des préjudices de cette dernière (Civ. 2ème, 7 juillet 2020, n° 20-19.147).

En l’espèce, un homme a été victime de viols et agressions sexuelles lorsqu’il était mineur entre 1972 et 1975, de la part d’un membre de la direction de l’établissement d’enseignement scolaire dans lequel il était inscrit. En octobre 1989, il a entrepris une psychothérapie prenant conscience de l’aggravation de son dommage et de la nécessité d’y remédier. En 2001, il a dénoncé les faits par une plainte adressée au procureur de la République. En 2016, il a assigné l’auteur des faits et l’association diocésaine auquel l’établissement était rattaché en réparation de ses préjudices.

Son action a été déclarée prescrite par les juges du fond. La Cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 19 décembre 2019, a fixé le point de départ de l’action au jour où la victime avait débuté sa psychothérapie et en a déduit que l’action en responsabilité extracontractuelle introduite par le demandeur était prescrite depuis le mois d’octobre 1999.

Déboutée de ses demandes en première instance et en appel, la victime s’est pourvue en cassation et la deuxième chambre civile a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris au motif que les juges auraient dû rechercher si le préjudice corporel du plaignant avait fait l’objet d’une consolidation, qui constitue le point de départ du délai de prescription de l’action en réparation.

En effet, de la différence entre l’action publique et l’action civile (), découle un point de départ spécifique du délai de prescription de l’action en réparation du préjudice corporel (II°).

 

1. Différencier l’action publique et l’action civile

Le droit pénal poursuit deux finalités cardinales : il sanctionne et il répare.

Ainsi, René GARRAUD, avocat et professeur de droit pénal, écrivait dans son Traité d’instruction criminelle et de procédure pénale que :

« L’infraction donne naissance, et au droit de la société de punir le délinquant, et au droit de la personne lésée d’obtenir réparation du dommage que lui a causé le fait illicite. On appelle action pénale ou publique, le recours à l’autorité judiciaire exercé, au nom et dans l’intérêt de la société, pour arriver à la constatation du fait punissable, à la démonstration de la culpabilité de l’auteur et à l’application des peines établies par la loi. […] Mais lorsque, indépendamment du mal social qui en résulte, le fait délictueux a causé un dommage à une personne physique ou morale, celle-ci a le droit de poursuivre en justice la réparation de ce dommage : on appelle action privée ou civile, ce recours à l’autorité judiciaire, qui est exercé par la partie lésée et qui a pour objet de procurer la réparation du préjudice éprouvé. ».

Pour faire simple, « ces deux actions n’ont pas le même objet. L’une tend à l’application d’une peine ; l’autre, à la réparation du préjudice causé ».

Dans son arrêt du 7 juillet 2022, la Cour de cassation a ainsi admis qu’une action civile indemnitaire peut être recevable pour de faits anciens dont l’action publique est prescrite.

 

2. Le point de départ du délai de prescription en matière de préjudice corporel

Concernant le point de départ de la prescription de l’action en réparation du préjudice corporel, la Cour de cassation s’était déjà prononcée à plusieurs reprises.

Pour des faits antérieurs à la loi du 17 juin 2008, qui étaient alors régis par l’article 2270-1, alinéa 1, du Code civil, la Cour avait déjà décidé que le point de départ de la prescription décennale en matière de réparation du préjudice corporel ne pouvait démarrer qu’à la date de consolidation du dommage (Civ. 2ème, 4 mai 2000, n° 01-02.182).

Cette solution a ensuite été consacrée en 2008 à l’article 2226 du Code civil qui dispose que « l’action en responsabilité née à raison d’un évènement ayant entraîné un dommage corporel se prescrit par dix ans à compter de la date de consolidation du dommage initial ou aggravé ».

En l’espèce, en application de ces règles, la Cour de cassation expose que pour savoir si l’action permettant d’en obtenir la réparation était prescrite ou non, les juges du fond auraient dû rechercher si le dommage avait fait l’objet d’une consolidation et, le cas échéant, quelle était la date de cette consolidation.

Plus précisément, la Cour définit la consolidation du dommage comme « la date à partir de laquelle l’état de la victime n’est plus susceptible d’être amélioré de façon appréciable et rapide » (Crim. 21 mars 19991, n° 90-81.380 P[2]).

Notion médico-légale, la consolidation dépend de l’appréciation de constatations factuelles et médicales faites par des experts médicaux et relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.

En conclusion, un hiatus peut donc apparaître entre la prescription de l’action publique et la non-prescription de l’action civile en réparation du préjudice corporel.

__________

[1] https://www.dalloz-actualite.fr/sites/dalloz-actualite.fr/files/resources/2022/09/20-19.147.pdf

[2] https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007067491

E-santé : L’avènement d’un système unitaire européen de données de santé avec l’Espace Européen des Données de Santé

Le règlement relatif à l’Espace Européen de Données de Santé (EEDS) est entré en vigueur le 26 mars 2025. L’adoption de ce texte s’insère dans la stratégie « La décennie numérique de l’Europe » pour la transformation numérique de l’Europe.

Ce règlement vise à créer un Espace Européen de Données de Santé, c’est-à-dire « un environnement dont la fonction est de soutenir le partage des données au sein d’un secteur en apportant des réponses adaptées à ses contraintes et ses spécificités de nature juridique, technique et structurelle »[1], s’étendant à toute la zone européenne.

À l’image de l’espace Schengen ou du territoire européen en lui-même, il s’agit d’une zone de libre circulation des données en commun avec tous les États membres. De même, comme le RGPD, il consacre une régulation des données, à la différence que la régulation est sectorielle (qui plus est, spécifique à la santé).

L’Espace Européen de Données de Santé poursuit l’objectif d’une continuité de la prise en charge des soins des patients au sein de l’Union Européenne, tout en renforçant la gestion de leurs données de santé et des droits rattachés[2]. De façon pragmatique, l’Europe souhaite améliorer les soins de santé et de e-santé (grâce aux données) sans concession sur les droits des personnes (à la protection des données personnelles)[3].

Pour ce faire, l’espace commun est guidé par trois principes directeurs : l’interopérabilité, la sécurité et la protection des données, ainsi que la conformité.

Ainsi, le règlement fixe le cadre commun de partage et d’accès transfrontaliers des données de santé à travers diverses règles, et l’utilisation d’infrastructures dédiées (telles que les dossiers médicaux électroniques et les applications de bien-être).

Le règlement consacre aussi un régime pour les données de santé selon l’utilisation en distinguant l’utilisation dans le cadre des soins apportés à un patient (dite « utilisation primaire ») et – hors prise en charge – l’utilisation pour la recherche et l’innovation (dite « utilisation secondaire »).

Le texte prévoit notamment l’adaptation des droits à la sensibilité des données de santé, à leur utilisation, ainsi qu’au partage transfrontalier. Il rend également obligatoire la participation à l’infrastructure commune MaSanté@UE (MyHealth@EU) pour l’utilisation primaire (en tant que dossier médical électronique) et DonnéesdeSanté@UE (HealthData@EU) pour l’utilisation secondaire (en tant que plateforme d’utilisation des données)[4]. De surcroît, il prévoit un régime particulier d’accès aux données en utilisation secondaire (régime d’autorisation soumis à formalité préalable), accompagné d’un guichet unique national à cet égard.

Le règlement prévoit également un volet certification pour les acteurs souhaitant prendre part à un marché lié à cet espace commun. Par exemple, un éditeur souhaitant intégrer le marché de logiciel de dossier patient informatisé (ou dossier médical électronique) devra respecter la procédure pour être certifié.

Pour garantir son respect, le texte met en place une gouvernance assurée par des structures désignées par chaque Etats membres de type « autorité de santé numérique » (en charge du régime de l’utilisation primaire) et « organisme responsable de l’accès aux données de santé » (pour le régime de l’utilisation secondaire) [5].

Cependant, la doctrine soulève déjà la difficulté de mettre en place une autorité unique de gouvernance, alors que plusieurs autorités intervenaient dans ce même secteur des données de santé. De surcroît, une autorité supplémentaire à l’une d’entre elles constituerait une problématique d’articulation des compétences pouvant donner lieu à un conflit entre autorités.

D’autres difficultés ont d’ores et déjà été pointées. On peut citer notamment le doute sur la qualification de certaines données de bien-être en données de santé protégées par le règlement EDS et le RGPD, ainsi que l’articulation entre les règles du RGPD et celles aménagées au sein du nouveau règlement ESD pour l’utilisation secondaire de ces données.

Il faut donc attendre de voir comment ces obstacles sont dépassés à l’occasion de la mise en application du règlement. D’autant plus qu’il s’agit du premier des onze espaces européens de données prévus (s’attachant notamment au domaine de la finance, des transports, de l’agriculture, de l’énergie et de l’environnement). Toutefois, la situation n’est pas urgente puisque la mise en application du règlement va nécessiter une période de transition d’au moins quatre ans (mars 2029) et de nombreux actes d’exécution (fixant les détails techniques, organisationnels dès 2027) avant d’être pleinement opérationnelle en mars 2031.

_______

[1] Petel, A. (2025, 10 janvier). Nouvel « Espace européen des données de santé » : que faut-il en attendre ? Vie Publique. Consulté le 8 juillet 2025, à l’adresse https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/296786-espace-europeen-des-donnees-de-sante-eeds-que-faut-il-en-attendre

[2] Agence du Numérique en Santé. (s. d.). Espace européen des données de santé (EEDS). Agence du Numérique En Santé. https://esante.gouv.fr/espace-europeen-donnees-sante

[3] Règlement relatif à l’espace européen des données de santé. (s. d.). Public Health. https://health.ec.europa.eu/ehealth-digital-health-and-care/european-health-data-space-regulation-ehds_fr

[4] Agence du Numérique en Santé. (s. d.). Espace européen des données de santé (EEDS). Agence du Numérique En Santé. https://esante.gouv.fr/espace-europeen-donnees-sante

[5] Petel, A. (2025, 10 janvier). Nouvel « Espace européen des données de santé » : que faut-il en attendre ? Vie Publique. Consulté le 8 juillet 2025, à l’adresse https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/296786-espace-europeen-des-donnees-de-sante-eeds-que-faut-il-en-attendre

L’inscription d’informations erronées sur le curriculum vitae justifie le licenciement en cours de période d’essai

Dans une récente décision la Cour administrative d’appel de Paris a eu l’occasion de préciser les risques encourus par un agent public contractuel qui, dans le cadre de son recrutement avait adressé un curriculum vitae (CV) comportant de fausses informations sur son expérience professionnelle.

L’agente avait été recrutée par la Cour nationale du droit d’asile, sur un poste de gestionnaire budgétaire. Le contrat à durée déterminée de recrutement prévoyait une période d’essai de deux mois, renouvelable une fois à l’initiative de l’employeur, permettant aux deux parties de résilier le contrat sans préavis ni indemnité.

Néanmoins, durant la période d’essai son employeur s’était aperçu que l’agente avait falsifié son CV en y inscrivant des informations erronées sur ses expériences professionnelles. Il avait donc décidé de la licencier en cours de période d’essai, au titre de la rupture de confiance et des doutes sur la compétence à occuper le poste, et ce sur le fondement des dispositions de l’article 9 du décret du 17 janvier 1986[1].

La Cour a constaté que le CV de l’agent mentionnait un emploi budgétaire dans les services du Premier ministre sur la période 2019-2021, ce qui suggérait une durée d’emploi continue au cours de cette période. Or l’intéressée n’avait en réalité été recrutée que de manière discontinue du 1er août 2019 au 30 avril 2020 et du 1er octobre 2020 au 30 novembre 2020 (date de son licenciement durant sa période d’essai). En définitive l’agente ne justifiait que d’une expérience de onze mois sur une période annoncée de 3 ans auprès du même employeur et elle n’avait pas travaillé auprès de ce dernier en 2021 contrairement à ce que laissait sous-entendre son CV.

Après avoir retenu que la requérante « ne saurait utilement se prévaloir de ce qu’elle n’a pas été interrogée au moment de son recrutement sur la chronologie de son curriculum vitae », la Haute juridiction a jugé que ces faits, relatifs à la probité et à la loyauté de l’intéressée alors que celle-ci avait été recrutée sur un poste budgétaire la conduisant à connaître de données financières, étaient de nature à justifier son licenciement en cours de période d’essai, et ce sans préavis ni indemnité.

__________

[1] Décret relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l’Etat.

Premières lumières jurisprudentielles sur les sujétions justifiant une réduction de la durée de travail

Depuis la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 29 juillet 2022, qui a confirmé la constitutionnalité de l’obligation faite aux collectivités territoriales de mettre fin aux régimes dérogatoires à la durée annuelle de travail de 1607 heures, de nombreuses collectivités ont engagé un travail d’ampleur destiné à appliquer à certaines catégories d’agents les dispositions de l’article 2 du décret du 12 juillet 2021 (n° 2001-623), qui permet de réduire la durée annuelle de travail pour tenir compte de « sujétions liées à la nature des missions des agents », et notamment à l’égard des agents dont les fonctions impliquent des travaux pénibles et dangereux.

La rédaction était d’une rédaction très sommaire, très peu précise, et n’avait que très peu été mise en œuvre depuis 2001. De ce fait, la jurisprudence était restée particulièrement muette sur la question.

La Cour administrative d’appel de Paris avait apporté un premier éclairage en censurant la délibération du Conseil de Paris qui avait prévu une application uniforme d’une réduction de trois jours de travail à l’ensemble de ses personnels, en considération des caractéristiques de leur lieu de travail, c’est-à-dire de l’intensité particulière de la capitale comme l’environnement de travail. Selon la cour, cette disposition ne peut être appliquée qu’aux « seules hypothèses de sujétions intrinsèquement liées à la nature même des missions ».

Si cette précision était déterminante, elle laissait néanmoins de grandes questions en suspens, et en particulier de la nature exacte des sujétions qui pouvaient justifier une réduction de la durée annuelle de travail. De ce fait, nombre de collectivités territoriales ont mis en place des dispositifs très variés, souvent fondés sur les facteurs de risques professionnels prévus par le Code du travail et déterminant une pénibilité au regard du régime des pensions. Ces dispositifs ont donné lieu à de nombreux déférés préfectoraux en France, depuis 2023 en particulier, mais limités bien souvent à des ordonnances de référé qui, du fait de l’office du juge, ne pouvaient réellement définir une jurisprudence claire et généralisable de l’application de ces textes.

Plus récemment toutefois, le Tribunal administratif de Melun, statuant au fond, a pris la pleine mesure de son office et commencé à préciser les contours de cette notion. Dans un jugement du 14 novembre 2024, il a indiqué, pour la première fois, que ces dispositions n’avaient pas vocation à « permettre la réduction du temps de travail pour tout agent soumis à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels susceptibles d’avoir un impact sur sa santé physique ou psychologique », mais que ces dispositions « vis[aient] seulement à protéger certaines catégories d’agents soumises à des contraintes professionnelles particulières ». Cette interprétation le conduisait alors à valider la réduction de durée annuelle de travail qui était en l’espèce appliquée aux assistants maternels, compte tenu des multiples contraintes physiques, et de l’amplitude horaire de leur travail.

Une nouvelle avancée jurisprudentielle est intervenue récemment, dans un jugement rendu le 26 juin 2025. La juridiction était saisie d’une requête pléthorique qui remettait en question l’ensemble des sujétions qui étaient reconnues à chacun des métiers dont la commune avait décidé de réduire la durée de travail. Cette requête a conduit la juridiction à s’interroger sur la nature du contrôle qu’il lui incombait, dans ce cadre, c’est-à-dire de la question de savoir s’il lui appartenait d’examiner si chacune des sujétions prises en compte correspondait à chacun des métiers considérés, et à trancher en considérant qu’un tel contrôle ne pouvait lui incomber.

En conséquence, la juridiction a alors indiqué les points sur lesquels la juridiction exercerait son contrôle, et la nature du contrôle qu’elle exercerait :

  • La nature des sujétions, qui doit être en lien avec la nature des missions des agents publics ou de leur cycle de travail ;
  • Le lien entre chaque sujétion et métier considéré, le Tribunal indiquant toutefois qu’il n’examinerait que l’existence d’erreur manifeste d’appréciation, en l’absence de tout critère défini par les dispositions réglementaires appliquées ;
  • La parcimonie avec laquelle le dispositif est appliqué, qui ne peut conduire à réduire la durée du travail de l’ensemble des agents de la collectivité, compte tenu du caractère intrinsèquement dérogatoire du dispositif ;

Enfin, la juridiction soulignait que le fait d’appliquer une réduction de durée du travail uniforme à l’ensemble des agents concernés par une sujétion de pénibilité n’impliquait pas, par nature, une erreur manifeste d’appréciation.

C’est donc une heureuse évolution de la jurisprudence, certes encore limitée au premier degré de l’ordre administratif, mais qui permettra, si elle devait être pérennisée, de faciliter et sécuriser la mise en œuvre de ce dispositif, qui aura vocation à rester important, dans un contexte ou la pénibilité du travail est un sujet de premier ordre.

Le Conseil d’État rejette le recours d’usagers contre le décret approuvant la conclusion d’un avenant à une concession autoroutière

À l’heure où les séries ont le vent en poupe, nous serions tentés de dire que la vie des différentes concessions autoroutières s’inscrit dans cette nouvelle tendance puisqu’elle nous offre une longue série de contentieux dont la décision du Conseil d’État en date du 5 juin 2025 est un des derniers épisodes en date.

Pour rappel du contexte, un décret n° 2022-81 du 28 janvier 2022 avait approuvé la conclusion du dix-huitième avenant à la convention liant l’État et la société ASF qui avait pour objet d’acter de la réalisation d’un nouveau tronçon d’autoroutes, d’une longueur de 6,2 km, permettant le contournement par l’ouest de Montpellier et reliant les autoroutes A 750 et A 709. Toutefois, les parties à l’avenant n’avaient pas convenu des modalités de financement de ce tronçon d’autoroutes et avaient renvoyé à nouvel avenant le soin de déterminer ces dernières. C’était précisément l’objet du décret du n° 2023-1313 du 28 décembre 2023 approuvant le vingtième avenant à la convention passée entre l’Etat et la société Autoroutes du Sud de la France (ASF) pour la concession de la construction, de l’entretien et de l’exploitation d’autoroutes et au cahier des charges annexé.

Aux termes de ce décret, la réalisation du nouveau tronçon d’autoroutes est financée par des suppléments de péage acquittés par les usagers de l’autoroute A 709 franchissant les barrières de Baillargues et de Saint-Jean-de-Védas, ainsi que par les usagers empruntant l’autoroute A 9 au droit de Montpellier. Plusieurs usagers de ces segments d’autoroute ont toutefois perçu d’un mauvais œil cette augmentation tarifaire. Ils ont donc décidé, conformément à la jurisprudence constante du Conseil d’État qui juge que les clauses tarifaires sont qualifiables de clauses règlementaires dont les usagers du service public sont fondés à demander devant le juge de l’excès de pouvoir[1], d’introduire un recours en excès de pouvoir pour demander l’annulation du décret n° 2023-1313 du 28 décembre 2023.

Les requérants soutenaient tout d’abord que la Commission nationale du débat public aurait dû être saisie pour avis dès lors que le tronçon d’autoroutes tombait dans le champ des projets d’aménagement ou d’équipement pour laquelle la saisine de cette commission est obligatoire. Cependant, le Conseil d’État rappelle à bon droit que l’objet du décret attaqué n’était pas d’approuver la réalisation du tronçon mais de préciser les modalités de son financement. Partant, ce moyen ne pouvait qu’être rejeté.

Les requérants soutenaient ensuite que cette hausse tarifaire violait l’article L. 122-4 du Code de la voirie routière qui encadre les modalités de modification des péages. Les requérants affirmaient que la hausse tarifaire n’était pas proportionnée au service rendu aux usagers dès lors, d’une part, que 86 % des usagers acquittant ces péages n’emprunteront pas le nouveau tronçon et, d’autre part, que le choix d’amortir intégralement le coût du nouveau tronçon sur la période de douze années restant à courir jusqu’au terme de la concession actuelle plutôt que de prévoir un amortissement plus long avec le versement d’une soulte au concessionnaire en fin de concession, fait peser sur les usagers des douze prochaines années la charge financière d’un ouvrage qui bénéficiera aux usagers au-delà de 2036.

Le Conseil d’État rejette cette argumentation aux motifs qu’il résultait d’un avis de l’Autorité de régulation des transports que la création du nouveau tronçon, dont l’objet même est de réduire la congestion du trafic local, permettra à l’ensemble des usagers de l’A 709 et de l’A 9 de réaliser des gains de temps sur leur trajet, de sorte que les suppléments de péage qu’ils acquittent trouvent leur contrepartie directe dans une prestation rendue. En outre, le Conseil d’État notait « si la mise à contribution des usagers circulant sur l’A 709 et l’A 9 entre 2024 et 2036 n’est pas strictement proportionnelle à la valeur du service qui leur est spécifiquement rendu, la distorsion tarifaire en cause est d’ampleur limitée eu égard au faible montant du supplément de péage, qui est en moyenne de 18 centimes par trajet ». Enfin, le choix de ne pas créer un péage dédié à ce nouveau tronçon trouve sa justification dans un motif d’intérêt général de fluidité du trafic.

Le Conseil d’État en conclut que les requérants n’étaient pas fondés à soutenir que la hausse tarifaire ne respecterait pas « la règle de proportionnalité entre le montant du tarif et la valeur du service rendu résultant de l’article L. 122-4 du Code de la voirie routière et serait contraire au principe d’égalité des usagers devant le service public et, en tout état de cause, au principe d’égalité devant les charges publiques. »

Parmi les autres moyens soulevaient par les requérants figuraient notamment un moyen tenant à une violation de la prohibition des aides d’État puisque ces derniers considéraient que l’augmentation des tarifs constituait un avantage sélectif et caractérisait une aide d’État. Cependant, le Conseil d’État souligne à bon droit qu’une des conditions à la qualification d’aide d’État est l’origine étatique des ressources. Or, en l’espèce, la clause tarifaire litigieuse ne prévoyait aucun dispositif de compensation financière de la société ASF par l’État mais uniquement une hausse des péages autoroutiers lesquels sont acquittés par les usagers du service. Partant, elle ne pouvait pas être regardée comme une aide accordée par l’Etat ou au moyen de ressources d’Etat au sens des stipulations de l’article 107 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et ce moyen ne pouvait donc qu’être rejeté.

Les autres moyens n’appellent pas de commentaires particuliers et n’ont pas davantage prospéré si bien que le Conseil d’État a rejeté les requêtes introduites à l’encontre du décret litigieux.

______

[1] CE Ass., 10 juillet 1996, Cayzeele, n° 138536 ; CE, 9 février 2018, Communauté d’agglomération Val d’Europe agglomération, n° 404982.

Transposition de la directive sur l’efficacité énergétique : le rôle exemplaire des bâtiments des organismes publics confirmé

Pour rappel, par une directive 2023/1791 en date du 13 septembre 2023 relative à l’efficacité énergétique et modifiant le règlement (UE) 2023/955, le Parlement européen et le Conseil ont procédé à une véritable refonte de la directive 2012/27/UE qui a rendu nécessaire l’introduction d’un chapitre V dans le Code de l’énergie intitulé « La performance énergétique des organismes publics » et donnant un rôle moteur au secteur public en matière de réduction de la consommation d’énergie finale.

A ce titre, l’article L. 235-1 du Code de l’énergie indique que sont soumis au dit chapitre :

  • L’Etat, les opérateurs de l’Etat, les collectivités territoriales et leurs groupements ;
  • Les entités, publiques ou privées, répondant à l’ensemble des critères suivants :
  • Elles ont été ou sont créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général n’ayant pas de caractère industriel ou commercial ;
  • Elles sont majoritairement et directement financées par l’Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ;
  • Plus de la moitié des membres de leur organe d’administration, de direction ou de surveillance sont désignés par au moins une par l’Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements, à l’exclusion des opérateurs de l’Etat.

Nous relevons que cette définition des organisme publics soumis à ce chapitre est très similaire à celle des pouvoirs adjudicateurs à l’article L. 1211-1 du Code de la commande publique, de sorte qu’elle est susceptible d’intégrer des entités privées (ex : SEM, SPL, SEMOP) dès lors qu’elles respectent les trois critères cumulatifs. A ce titre, l’étude d’impact du projet de loi a souligné que cette définition, qui transpose fidèlement la directive, exclut notablement les établissements publics de santé du champ des organismes publics car leur financement est majoritairement lié à leur activité.

Conformément à l’article 5 de la directive, l’article L. 235-2 du Code de l’énergie prévoit que la consommation d’énergie finale cumulée des organismes publics susmentionnés doit diminuer d’un volume représentant au moins 1,9 % de leur consommation d’énergie finale cumulée de l’année 2021.

Il convient de préciser cependant que, dans le respect de la directive, cette obligation ne couvre pas, jusqu’au 31 décembre 2026, la consommation d’énergie des collectivités territoriales et de leurs groupements[1] de moins de 50.000 habitants ainsi que de leurs établissements publics. Il en va de même jusqu’au 31 décembre 2029, des collectivités territoriales et de leurs groupements de moins de 5.000 habitants ainsi que de leurs établissements publics.

Est par ailleurs exclue de cette obligation la consommation d’énergie des transports publics et des forces armées.

A ce titre, le législateur a renvoyé à un décret pour définir les règles de la transmission annuelle par chaque organisme public des données relatives à sa consommation annuelle d’énergie, et en particulier le service de l’Etat ou l’organisme désigné pour les recevoir, les modalités de calcul de l’objectif de réduction de leur consommation énergétique, le contenu et les modalités de transmission des données relatives à leur consommation énergétique finale, ainsi que les modalités selon lesquelles l’évaluation et le constat du respect de l’objectif de réduction des consommations d’énergie finale seront établis chaque année.

De même, conformément à l’article 6 de la directive, l’article L. 235-3 du Code de l’énergie confère un rôle exemplaire aux bâtiments des organismes publics en imposant qu’au moins 3 % de la surface cumulée de leurs bâtiments soit rénovée chaque année afin de réduire leur consommation d’énergie et leurs émissions de gaz à effet de serre. A l’issue de cette rénovation, les bâtiments concernés doivent atteindre un haut niveau de performance énergétique qui sera ultérieurement défini par arrêté des ministres chargés de la Construction et de l’Energie.

De manière alternative, cet objectif pourra être réputé atteint si les organismes publics réduisent chaque année leur consommation d’énergie finale, planifient les rénovations de leurs bâtiments et les réalisent.

Cette obligation ne s’impose toutefois pas à certains organismes tels que les logements sociaux faisant l’objet d’une convention au titre de l’aide personnalisée au logement (APL) et appartenant aux organismes d’habitation à loyer modéré (HLM) ou les logements sociaux non conventionnés des organismes d’habitations à loyer modéré.

A l’instar de la transmission des données relatives à sa consommation annuelle d’énergie, le législateur a renvoyé à un décret pour la définition des modalités de calcul de la surface de bâtiments devant faire l’objet de la rénovation, des conditions alternatives permettant de réputer atteint l’objectif de rénovation des bâtiments publics relatives au niveau de performance énergétique, des conditions dans lesquelles un bâtiment peut faire l’objet de dérogations[2], ainsi que des modalités selon lesquelles l’évaluation et le constat du respect de l’objectif de rénovation de bâtiments sont établis.

En outre, l’article L. 235-4 du Code de l’énergie énonce qu’afin de constituer un inventaire national des bâtiments publics, les organismes publics transmettent, tous les deux ans et selon des conditions précisées par décret, à l’Etat ou à un organisme désigné par lui, les données relatives à la performance énergétique de leurs bâtiments.

Le législateur a indiqué que ces dispositions entrent en vigueur le 1er octobre 2025 et a prévu que, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi, puis tous les deux ans, le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur l’estimation de la trajectoire financière, pour les organismes publics, de l’atteinte de l’objectif de réduction de leur consommation d’énergie ainsi que de l’objectif de rénovation de leurs bâtiments et des mesures alternatives, en recensant notamment les difficultés auxquelles ils font face pour atteindre cet objectif.

L’enjeu est effectivement de taille dès lors qu’un groupe de travail piloté par la direction de l’immobilier de l’État a estimé que l’objectif de 3 % de surfaces rénovées porte sur douze millions de mètres carrés par an, soit un investissement annuel de cinq milliards d’euros pour le seul patrimoine de l’État[3] et au moins dix milliards d’euros pour les collectivités locales[4] – étant rappelé que, d’après l’étude d’impact du projet de loi, seulement un peu « plus de 3,8 milliards d’euros ont été investis pour rénover près de 4.000 bâtiments de l’État depuis 2019, dont 2,7 milliards d’euros dans le cadre du plan France Relance ».

Or, le parc immobilier détenu par l’ensemble des organismes publics représente plus de 400.000 bâtiments, pour une surface totale de plus de 500 millions de mètres carrés, soit 47 % du parc immobilier tertiaire. Ainsi, de manière compréhensible au regard de la difficulté de mise en œuvre des dispositions précitées, il peut être relevé que le dispositif institué n’est assorti d’aucune sanction pour les organismes publics en cas de manquement à l’atteinte des objectifs de réduction de consommation d’énergie ou de rénovation énergétique.

Enfin, le Gouvernement a été habilité à prendre par voie d’ordonnance, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi n° 2025-391 du 30 avril 2025, toute mesure relevant du domaine de la loi nécessaire à la transposition notamment de l’article 7 de la directive (UE) 2023/1791 qui prévoyait en particulier que :

  • les pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices ne peuvent acquérir que des produits, services, bâtiments et travaux à haute performance énergétique (sous réserve que cela soit techniquement faisable), conformément aux exigences en matière d’efficacité énergétique énoncées à l’annexe IV de la directive, lorsqu’ils concluent des marchés publics et des contrats de concession d’une valeur égale ou supérieure aux seuils européens de procédure en droit de la commande publique , à moins que cela ne soit pas faisable techniquement ;
  • les pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices doivent faire application du principe de primauté de l’efficacité énergétique;
  • les Etats membres doivent éliminer toute entrave réglementaire ou non réglementaire qui dissuadent d’effectuer des investissements visant à améliorer l’efficacité énergétique et de recourir à des contrats de performance énergétique et à des instruments de financement par des tiers sur une base contractuelle de longue durée.

*

Si ces nouvelles dispositions donnent à juste titre un rôle moteur au secteur public en matière de réduction de la consommation d’énergie finale, en soumettant les organismes publics à des objectifs ambitieux, elles devront être accompagnées d’un soutien accru au regard des efforts budgétaires qu’elles emportent.

______

[1] Au sens de l’article L. 5111-1 du Code général des collectivités territoriales, à savoir « les établissements publics de coopération intercommunale et les syndicats mixtes, mentionnés aux articles L. 5711-1 et L. 5721-8, les pôles métropolitains, les pôles d’équilibre territoriaux et ruraux, les agences départementales, les institutions ou organismes interdépartementaux et les ententes interrégionales ».

[2] En effet, en vertu du paragraphe 2 de l’article 6 de la directive UE 2023/1791 du Parlement européen et du Conseil du 13 septembre 2023 relative à l’efficacité énergétique et modifiant le règlement (UE) 2023/955, les Etats membres peuvent appliquer des exigences moins strictes – qui seront précisées par arrêté des ministres chargés de la Construction et de l’Energie – à certaines catégories de bâtiments en raison de leur valeur historique ou architecturale, de leur appartenance aux forces armées ou s’ils servent de lieu de culte et à la défense nationale.

[3] Rapport sur le projet de loi n° 2025-391 du 30 avril 2025 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes (n° 529), n° 631 déposé le mercredi 27 novembre 2024.

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/opendata/RAPPANR5L17B0631.html

[4] Voir l’étude d’impact, page 395.

Précisions réglementaires sur le dispositif succédant à l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH)

La Commission de régulation de l’énergie (ci-après, CRE) a été saisie d’un projet de décret relatif au partage des revenus de l’exploitation des centrales électronucléaires historiques.

Ainsi que nous l’indiquions dans notre précédent focus (disponible ici), le législateur est récemment intervenu pour définir les contours du dispositif qui prendra la suite de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique.

Si le cadre légal est désormais connu, de nombreuses dispositions doivent faire l’objet de précisions par le pouvoir réglementaire. C’est précisément l’objet du projet de décret qui a été soumis à l’avis de la CRE, ici commenté.

Par une délibération du 11 juin 2025 portant avis sur le projet de décret pris en application de l’article L. 336-16 du Code de l’énergie, la CRE a émis un avis défavorable sur ledit projet de décret.

Pour rappel, aux termes de l’article L. 336-16 du Code de l’énergie, un décret pris en conseil d’Etat doit préciser :

1° Les principes méthodologiques régissant les évaluations mentionnées à l’article L. 336-3 ainsi que les conditions dans lesquelles elles sont régulièrement mises à jour ;

2° Les périodes d’évaluation des revenus de l’exploitation des centrales électronucléaires historiques mentionnées à l’article L. 336-9 ;

3° Les périodes infra-journalières pertinentes d’injection d’électricité dans le système électrique mentionnées à l’article L. 336-11, les produits représentatifs mentionnés au même article L. 336-11 et les conditions dans lesquelles les prix de ces produits sont calculés et constatés ;

4° La régularité, les échéances et les conditions de communication aux ministres chargés de l’Economie et de l’Energie des estimations mentionnées à l’article L. 336-15 et les conditions dans lesquelles le public est informé de ces estimations et du montant de la minoration du prix de fourniture applicable le cas échéant.

En premier lieu, le projet de décret analysé par la CRE précise la période de réalisation des transactions mentionnée à l’article L. 336-9 du Code de l’énergie, qui détermine la granularité temporelle à laquelle la CRE constate les revenus d’EDF en application de la comptabilité appropriée.

Aux termes du projet de décret, la période de réalisation des transactions est égale à une semaine. Par ailleurs, en cas de demande d’EDF, cette période peut être étendue à un mois.

La CRE accueille favorablement cette nouvelle disposition.

En deuxième lieu, l’article L. 336-9 du Code de l’énergie prévoit la définition d’un seuil de quantités d’électricité à partir duquel les transactions font l’objet d’une constatation explicite.

Ce seuil est défini à l’article D. 336-45 du projet de décret comme l’équivalent du produit d’un mégawatt multiplié par la durée de la période d’injection du produit de couverture correspondant. L’article R. 336-2 du projet de décret détermine la période de réalisation des transactions applicable si les quantités d’électricité sont inférieures à ce seuil.

Là encore, la CRE accueille favorablement le projet de décret en soulignant que « le seuil d’un mégawatt en ruban est pertinent pour débuter la constatation des revenus d’EDF ».

En troisième lieu, l’article L. 336-11 du Code de l’énergie prévoit un traitement spécifique dans la comptabilité appropriée des transactions en temps réel ou quasi-réel, c’est-à-dire des transactions très proches de la livraison.

L’article R. 336-3 du projet de décret précise cette disposition en :

  • définissant la période infrajournalière pertinente pour l’injection dans le système électrique, mentionnée à l’article L. 336-11 du Code de l’énergie, comme l’unité de temps du marché organisé français de l’électricité ;
  • précisant les catégories de produits considérées comme des transactions en temps réel ou quasi réel, qui s’entendent comme celles se rapportant à une livraison d’électricité ou à un instrument dérivé portant sur une livraison d’électricité au cours d’une période ne pouvant excéder une semaine ;
  • définissant les prix de marché utilisés comme référence pour la valorisation des transactions en temps réel ou quasi réel comme le prix de la zone de livraison française issu du couplage journalier européen.

Si le traitement différencié des transactions en temps réel ou quasi-réel et la référence de prix utilisée pour ces transactions sont validées par la CRE, elle recommande toutefois de modifier la définition des catégories de produits considérées comme des transactions en temps réel ou quasi-réel.

En quatrième lieu, l’article R. 336-4 du Code de l’énergie introduit par le projet de décret prévoit les modalités de communication des estimations des paramètres permettant de déterminer le versement universel aux ministres chargés de l’Economie et de l’Energie ainsi que les conditions dans lesquels ils sont rendus publics.

Au regard de l’incertitude résultant des prévisions de production d’EDF, la CRE propose un rythme de communication différencié à mesure que l’incertitude sur les revenus totaux estimés diminue, contrairement au projet de décret.

Pour cette raison, la CRE émet un avis défavorable sur le projet de décret, notamment en raison du calendrier de communication et de publication des revenus issus de la comptabilité appropriée ainsi que du tarif unitaire prévisionnel de la minoration.

Conséquence de l’entrée en vigueur du TURPE 7 : proposition d’évolution des tarifs réglementés de vente d’électricité de la Commission de Régulation de l’énergie

CRE, Délibération du 19 juin 2025 portant proposition des tarifs réglementés de vente d’électricité pour les consommateurs souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kVA en France métropolitaine continentale et pour tous les consommateurs en zones non interconnectées

CRE, Délibération du 19 juin 2025 portant proposition des tarifs de cession de l’électricité aux entreprises locales de distribution

La Commission de Régulation de l’énergie (ci-après, CRE) a publié des propositions d’évolution des tarifs réglementés de vente d’électricité (ci-après, TRVE) pour les consommateurs de plus de 36 kVA et de moins de 36 kVA.

Ces propositions font suite à l’évolution du tarif d’utilisation des réseaux publics de distribution d’électricité applicables à compter du 1er août 2025 et pour les quatre prochaines années (dit « TURPE 7 HTA/BT » pour les réseaux publics de distribution) qui a été publié le 13 mars 2025 par la CRE, et que nous avions déjà commenté (retrouvez nos brèves ici et ).

Les TRVE sont en effet construits selon une méthode dite d’empilement des coûts qui consiste à faire la somme de plusieurs variables (articles L. 337-6 et R. 337-19 du Code de l’énergie). Le TURPE influant ces variables, sa modification entraine mécaniquement une modification des TRVE.

Concernant les TRVE pour les consommateurs souscrivant une puissance supérieure à 36 kVA en France métropolitaine continentale (Délibération n° 2025-156), la CRE propose de modifier les composantes suivantes desdits TRVE :

  • Les coûts d’acheminement, évalués à partir des tarifs d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) applicables au 1er août 2025 ;
  • La rémunération normale de l’activité de fourniture définie par la délibération du 16 janvier 2025 comme 2,5 % du tarif hors taxes et hors rattrapages.

Concernant les TRVE pour les consommateurs souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kVA en France métropolitaine continentale et pour tous les consommateurs en zones non interconnectées (Délibération n° 2025-155), la CRE propose les modifications suivantes des composantes de ces TRVE :

  • À partir du 1er août 2025, le taux réduit de TVA de 5,5 % sur l’abonnement des clients dont la puissance souscrite est inférieure ou égale à 36 kVA sera supprimé. Le taux applicable de TVA sera de 20 % pour tous les clients de France métropolitaine continentale.
  • L’accise sur l’électricité baisse au 1er août 2025 pour les clients dont la puissance souscrite est inférieure ou égale à 36 kVA de 33,70 €/MWh à 29,98 €/MWh. Ce montant résulte de l’addition du tarif normal prévu par la loi de finances 2025 et de la nouvelle majoration prévue à l’article L. 312-37-1 du Code des impositions sur les biens et les services au titre du financement des missions de service public dans les zones non interconnectées.

Enfin, du fait de l’évolution des TRVE à venir, la CRE a également publié une délibération portant proposition d’évolution des tarifs de cession de l’électricité aux entreprises locales de distribution (Délibération n° 2025-157).

Les tarifs de cession permettent aux entreprises locales de distribution (ELD) de s’approvisionner en électricité pour la fourniture de leurs clients aux tarifs réglementés de vente d’électricité (TRVE) et, pour celles desservant moins de 100.000 clients, pour la fourniture de leurs pertes réseau.

En application de l’article L. 337-10 du Code de l’énergie, la CRE a pour mission de proposer ces tarifs aux ministres chargés de l’Energie et de l’Economie.

La proposition de la CRE entraîne une évolution moyenne de -0,01 €/MWh HT du tarif de cession par rapport à sa proposition tarifaire du 15 janvier 2025, soit – 0,02 % HT. Cette évolution est la conséquence de la mise à jour de la composante de gestion des clients au tarif de cession par EDF en cohérence des propositions de modification des TRVE de la CRE précitées.

Espèces protégées : Le Conseil constitutionnel retoque des présomptions de non-intentionnalité jugées imprécises

Saisi de la loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture, le Conseil constitutionnel, dans une décision en date du 20 mars 2025, a censuré la version de l’article L. 415-3 du Code de l’environnement qui instituaient des présomptions d’absence d’intention applicables au délit d’atteinte aux espèces protégées, à leurs habitats naturels ou à des sites d’intérêt géologique.

*

Pour mémoire, l’article L. 415-3 du Code de l’environnement, issu de la loi du 26 mars 2025, punit de trois ans d’emprisonnement et de 150.000 € d’amende le fait de porter atteinte à la préservation des espèces protégées, en violation, d’une part, des interdictions ou prescriptions prévues par l’article L. 411-1 du même code, et d’autre part, des règlements ou décisions individuelles de dérogation pris en application de l’article L. 411-2.

La loi susvisée instaurait deux présomptions de non-intentionnalité, rendant beaucoup plus simple l’inapplication de ce délit.

La première présomption de non-intentionnalité résidait dans la commission de faits en exécution d’une obligation légale ou réglementaire, ou de prescriptions prévues par une autorisation administrative.

Le Conseil constitutionnel a considéré cette disposition inconstitutionnelle au motif que le Législateur a institué une présomption simple sans définir clairement la nature de l’obligation permettant au justiciable d’en bénéficier, ni le lien entre cette obligation et les faits reprochés, et a fait dépendre une partie du champ d’application de la loi pénale sur une décision administrative dépourvue de précisions.

La seconde présomption de non-intentionnalité résidait dans la mise en place de mesures pour éviter ou réduire les atteintes, accompagnées de garanties d’effectivité pour diminuer le risque pour les espèces.

Le Conseil constitutionnel a considéré que les activités concernées et leurs conditions d’exercice se bornent à faire référence à des « mesures pour éviter ou pour réduire les atteintes » aux espèces protégées et à des « garanties d’effectivité » sans apporter toutefois de précision.

Par une décision en date du 20 mars 2025, le Conseil Constitutionnel a censuré les présomptions de non-intentionnalité sur le fondement du principe de légalité des délits et des peines, considérant que le Législateur n’en a pas suffisamment défini les contours pour exclure l’arbitraire.

Modification des seuils d’éligibilité et des types d’installations éligibles à l’obligation d’achat et au complément de rémunération

Un décret du 5 juin 2025 a modifié les valeurs de plafond d’éligibilité à l’obligation d’achat et au complément de rémunération pour les technologies d’énergies renouvelables concernées.

Ainsi, d’une part, le décret modifie l’article D. 314-15 du Code de l’énergie relatif à l’obligation d’achat en introduisant les évolutions suivantes :

  • Il ajoute parmi les installations pouvant bénéficier d’un contrat d’obligation d’achat « les installations au sol utilisant l’énergie solaire photovoltaïque équipées soit de modules photovoltaïques fixes, soit d’un dispositif de suivi de la course du soleil, d’une puissance crête inférieure ou égale à 200 kilowatts »
  • En revanche, il abaisse de 500 à 400 kilowatts le plafond d’éligibilité à l’obligation d’achat des installations utilisant l’énergie hydraulique des lacs, des cours d’eau et des eaux captées gravitairement. A compter du 1er janvier 2026, ce seuil sera encore abaissé à 200 kilowatt (art. 2)
  • A compter du 1er janvier 2026, le seuil d’éligibilité des installations utilisant l’énergie solaire photovoltaïque implantées sur bâtiment, hangar ou ombrière passera de 500 kilowatts à 200 kilowatts
  • Il plafonne également à 25 mégawatts les installations de production d’énergie renouvelable en mer, notamment celles de production d’énergie osmotique et marémotrice, désignées lauréates d’un appel à projets de l’Etat ou européen éligibles à l’obligation d’achat ;

D’autre part, s’agissant du complément de rémunération visé par l’article D. 314-23 du Code de l’énergie, le décret du 5 juin 2025 définit deux nouvelles catégories d’installations éligibles :

  • « Les installations au sol utilisant l’énergie solaire photovoltaïque équipées soit de modules photovoltaïques fixes, soit d’un dispositif de suivi de la course du soleil, d’une puissance crête strictement supérieure à 200 kilowatts et inférieure ou égale à 1 mégawatt » (2°)
  • « Et les installations de production d’énergie renouvelable en mer, notamment celles de production d’énergie osmotique et marémotrice, désignées lauréates d’un appel à projets de l’Etat ou européen d’une puissance installée comprise entre 200 kilowatts et 25 mégawatts. » (4°)

Les modifications résultant de ce décret ont pour objet de mettre en conformité avec le droit de l’Union européenne la réglementation française.

Renforcement des obligations et des garanties applicables aux mandataires de perception de fond dans le cadre du dispositif « MaPrimeRénov’ »

Par un décret du 16 juin 2025, le Gouvernement a renforcé le cadre règlementaire applicable aux mandataires de perception de fonds intervenant dans le cadre de la prime de transition énergétique « MaPrimeRénov’ » en modifiant le décret n° 2020-26 du 14 janvier 2020.

Adopté dans un contexte marqué par la suspension temporaire du dépôt de dossier, du 1er juillet à mi-septembre, pour le « parcours accompagné » du dispositif, ce décret introduit de nouvelles obligations et garanties applicables aux mandataires dans l’exercice de leur mission de perception de fonds pour le compte des demandeurs de subvention.

Pour rappel, aux termes de l’article 5 du décret n° 2020-26 du 14 janvier 2020 relatif à la prime de transition énergétique : « Seul le demandeur peut créer son compte lui permettant de s’identifier personnellement. Après création du compte, les demandes de prime de transition énergétique, de versement du solde ainsi que de perception de fonds peuvent être déposées par le demandeur lui-même ou par l’intermédiaire d’une personne de son choix à laquelle il confère un mandat. Dans ce cas, le mandataire s’identifie auprès de l’Agence nationale de l’habitat et lui communique les documents dont la liste est fixée par arrêté conjoint des ministres chargés du Logement, de l’Energie, de l’Economie et du Budget. ».

Par l’introduction d’un article 5 bis au décret initial du 14 janvier 2020, le décret du 16 juin 2025 impose désormais aux mandataires, qui s’identifient auprès de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) de :

  • Justifier ne faire l’objet d’aucune condamnation pénale, ni de sanction civile ou administrative de nature à leur interdire de gérer, d’administrer ou diriger une personne morale et, s’il s’agit d’un commerçant, de nature à lui interdire d’exercer une activité commerciale ;
  • S’engager à reverser à l’ANAH les primes indument perçues pour le compte de leur mandant ;
  • S’engager à exécuter leur mandat conformément à la règlementation applicable à la prime de transition énergétique.

En outre, lorsque le mandataire de perception de fonds est une personne physique non professionnelle ayant reçu plus de trois mandats de perception de fonds, ou une personne physique professionnelle, ou une personne morale, il doit s’engager auprès de l’ANAH à :

  • Mettre en œuvre une politique de contrôle de qualité de son activité de mandataire et à en justifier sans délai et à tout moment sur demande de l’ANAH ;
  • Disposer, à tout moment, de la capacité financière pour exécuter les mandats confiés et à communiquer sans délai sur demande de l’Agence nationale de l’habitat tout document permettant d’attester de celle-ci. Les documents permettant d’attester de la capacité financière sont définis par arrêté conjoint des ministres chargés du Logement, de l’Economie, du Budget et de l’Energie.

A défaut de respect de ces engagements, les mandataires concernés ne pourront plus se voir désignés en cette qualité pour de nouveaux dossiers de demande de subvention, tant que leur situation n’est pas régularisée, dans un délai maximum de 3 mois, prorogeable à titre exceptionnel.

Enfin, ces nouvelles dispositions entreront en vigueur à compter du 1er juillet 2025, et ne s’appliqueront pas aux mandats signés antérieurement à cette date.

Création d’un programme de location sociale de voitures électriques dans le cadre du dispositif des certificats d’économies d’énergie

Par un arrêté du 20 juin 2025, entré en vigueur le 21 juin, le Gouvernement a institué le programme PRO-INNO-85, « Location sociale de voitures électriques », éligible au dispositif des certificats d’économies d’énergie (CEE).

Adopté à la suite d’un avis favorable du Conseil supérieur de l’énergie, et d’une consultation publique, ce texte vise à contribuer à atteindre les objectifs nationaux et européens de réduction des consommations d’énergie et d’émissions de gaz à effet de serre, tout en prenant en compte les enjeux d’équité territoriale et sociale.

Ce programme, porté par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), a pour objectif d’accompagner financièrement la location longue durée de voitures 100 % électriques au bénéfice des ménages modestes.

Il a été adopté conformément à l’article L. 221-7 du Code de l’énergie, qui prévoit que des certificats d’énergie peuvent être délivrés dans le cadre de la contribution à des programmes d’accompagnement, notamment à « des programmes d’information, de formation ou d’innovation favorisant les économies d’énergie ou portant sur la logistique et la mobilité économes en énergies fossiles ».

L’objectif du programme est de soutenir financièrement la location d’au moins 50.000 véhicules particuliers électriques à destination des ménages modestes, dont au moins 5.000 véhicules particuliers électriques pour les personnes résidant ou travaillant dans des zones à enjeu pour la qualité de l’air.

Le programme s’adresse exclusivement à des ménages en situation de précarité énergétique, et repose sur un système de contributions financières des acteurs éligibles au dispositif CEE, en échange de certificats délivrés dans la limite de 41 TWh cumac, sur la période 2025-2030, conformément à l’arrêté du 4 septembre 2014[1].

Les conditions de mise en œuvre du programme, et notamment la liste des communes concernées et les voitures particulières éligibles, seront détaillées dans une convention tripartite signée entre l’Etat, l’ADEME, et des financeurs sélectionnés à l’issue d’un appel à projet.

Par ailleurs, le soutien accordé dans le cadre de ce programme n’est pas cumulable avec d’autres dispositifs, notamment le bonus écologique[2], ou les incitations prévues par les fiches d’opération standardisées TRA-EQ-114 (acquisition de véhicules particuliers électriques) et TRA-EQ-117 (location de véhicules électriques).

______

[1] Arrêté du 4 septembre 2014 fixant la liste des éléments d’une demande de certificats d’économies d’énergie et les documents à archiver par le demandeur

[2] Prévu à l’article D. 251-1 du Code de l’énergie