Deux questions ont été posées au Conseil d’État en matière discipline des agents publics, à l’égard d’un agent auteur d’un signalement s’inscrivant dans le cadre de l’article 6 de la loi du 9 décembre 2016 relatif aux « lanceurs d’alerte ».
La première question était relative aux conséquences, sur la régularité de la procédure disciplinaire, de l’absence d’information de l’autorité disciplinaire quant au fait qu’aucune majorité ne s’était dégagée lors du conseil de discipline en faveur d’une proposition de sanction. La Cour administrative d’appel avait écarté le moyen, en se fondant sur la célèbre jurisprudence, et considérant en l’occurrence que ce défaut d’information n’avait pas eu d’influence sur le sens de la décision. Le Conseil d’État n’a pas suivi la Cour sur ce point. Comme l’expliquait le rapporteur public dans ses conclusions sur cette affaire, la notification de l’avis du conseil de discipline s’imposait en application des textes relatifs à la procédure disciplinaire, quelle que soit la teneur de cet avis, et y compris, donc, l’information selon laquelle aucun avis n’avait pas été émis par la formation disciplinaire, à défaut de majorité. Ces dispositions, selon le Conseil d’État, constituaient bien une garantie car tout avis émis reste utile à l’autorité disciplinaire pour se prononcer, et il en allait de même d’une information sur la carence du conseil de discipline à se prononcer sur l’affaire.
Le Conseil d’État n’a toutefois pas infirmé l’arrêt de la Cour, estimant qu’en l’espèce cette information pouvait être regardée comme ayant été donné du seul fait que le Conseil de discipline avait été présidé par la cheffe de service adjointe au directeur général des ressources humaines du ministère, et que l’administration pouvait donc être gardée comme ayant bien reçu l’information relatif à l’avis rendu par l’instance. Il n’y avait donc pas lieu de censurer la sanction en considération de ce défaut d’information formel.
La seconde question, portait sur le contrôle exercé en cassation par le Conseil d’État sur la qualification d’alerte, au sens des dispositions de l’article article 6 de la loi du 9 décembre 2016, et a permis au Conseil d’État et à son rapporteur public de rappeler la dialectique et le régime de preuve qui détermine la reconnaissance à un agent, de la protection des lanceurs d’alerte.
Il rappelle donc que le régime de preuve obéit à un régime de preuve en trois étapes, à l’instar de celui en vigueur en matière de harcèlement moral ou de discrimination, et reposant sur une présomption découlant de l’apport, par le demandeur, d’éléments de preuve permettant de présumer la situation et de faire alors reposer la charge de la preuve sur l’employeur. Ainsi :
- Il appartient à l’agent qui fait l’objet d’une sanction et qui estime qu’elle lui a été infligée en raison de l’alerte effectuée dans le cadre du dispositif des lanceurs d’alerte de présenter des éléments de fait de nature à faire présumer qu’elle bénéficie bien de la protection induite par ce statut ;
- la partie défenderesse doit prouver, au regard de ces éléments, que la décision de sanction est motivée par des considérations étrangères au signalement effectué ;
- le juge forge ensuite sa conviction au regard des éléments produits par les deux parties et après avoir ordonné, le cas échéant, toute mesure d’instruction utile.
En l’occurrence, le Conseil d’État valide l’appréciation de la Cour qui avait considéré que l’agent ne pouvait ni être regardé comme ayant émis une alerte ni considéré comme ayant été sanctionné pour ces faits.
L’agent se prévalait en réalité de deux alertes. La première, bien antérieure à la sanction, a bien été considérée par la Cour comme constitutive d’une alerte, mais la Cour avait constaté que la sanction avait été infligée à l’agent pour des comportements précis et postérieurs à cette alerte. La sanction n’avait donc pas pour objet de les sanctionner.
La seconde alerte dont se prévalait l’agent, ne pouvait en revanche être regardée comme une alerte : s’agissant d’un courriel adressé à la direction de l’établissement qui l’employait, mettant en cause leur probité, elle ne pouvait être regardée comme une alerte puisqu’elle n’avait pas consisté à rendre publique une alerte au sens des dispositions citées au point 7 mais à dénigrer les vice-présidents de la commission de la recherche et la présidente de l’université.
Cette décision montre que le cadre juridique qui s’applique aux lanceurs d’alerte est plus précis et plus rigoureux qu’il ne l’est généralement pensé. Il ne suffit donc pas d’apporter une critique pour être lanceur d’alerte, et le fait d’avoir émis une alerte n’ouvre pas le droit à une protection générale et absolu contre toute sanction infligée par l’administration.