TA Nice, ord., 20 août 2024, n° 2404567
La période estivale n’a pas échappé aux désormais habituels arrêtés municipaux interdisant la baignade et l’accès aux plages en fonction de critères vestimentaires. Sont directement concernés par ces interdictions les « burkinis », tenues qui permettent à certaines femmes de confession musulmane de se baigner dans le respect de leurs convictions religieuses[1]. Selon les cas, cette tenue est considérée par les édiles comme non-conforme aux bonnes mœurs, au principe de laïcité ou encore à l’hygiène et à la sécurité de la baignade.
En la matière, rappelons qu’aux termes du considérant de principe dégagé dans son ordonnance du 26 août 2016[2], le juge des référés du Conseil d’Etat a jugé que les mesures de police tendant à réglementer l’accès à la plage et la pratique de la baignade – au rang desquelles figurent les arrêtés « anti-burkini » – « […] doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées au regard des seules nécessités de l’ordre public, telles qu’elles découlent des circonstances de temps et de lieu, et compte tenu des exigences qu’impliquent le bon accès au rivage, la sécurité de la baignade ainsi que l’hygiène et la décence sur la plage ».
La Haute juridiction avait ainsi rappelé, comme il est de principe en matière de police administrative, que les restrictions que le maire apporte, en tant qu’autorité de police, aux libertés, doivent être justifiées par des risques avérés d’atteinte à l’ordre public.
A noter qu’à la suite de cette ordonnance du Conseil d’État, plusieurs autres arrêtés municipaux ont été suspendus par les juges des référés des tribunaux administratifs, retenant l’absence de troubles à l’ordre public générés par les tenues prohibées[3]. Les 19 et 20 août derniers, ce sont les juges des référés des Tribunaux administratifs de Bastia (1) et de Nice (2) qui ont été amenés à se prononcer sur la légalité de telles interdictions.
1. Sans surprise et conformément à la jurisprudence constante sus-rappelée, l’interdiction du port du burkini sur la plage de Lecci, en Corse, a été suspendue par le juge des référés du Tribunal administratif de Bastia.
Dans cette affaire, le maire avait interdit, pour la période estivale, l’accès aux plages et la baignade à « toute personne n’ayant pas une tenue correcte respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité ainsi que le port de vêtements pendant la baignade ayant une connotation contraire à ces principes ». Le juge des référés a d’abord relevé qu’il n’était pas établi que le port des tenues prohibées par l’arrêté litigieux ait été susceptible de troubler l’ordre public sur le territoire communal. En l’absence de tels risques, il a en outre estimé que le contexte de menace terroriste et le climat de tension international dont l’arrêté́ faisait état, ainsi que la circonstance, au demeurant inexacte, relative au maintien de l’état d’urgence, ne pouvaient suffire à justifier légalement l’interdiction prévue par l’arrêté litigieux. Enfin, les considérations tenant au respect des règles d’hygiène et de sécurité́, qui figuraient également dans l’arrêté du maire de Lecci, n’ont pas davantage emporté la conviction du juge des référés puisqu’il n’était pas établi que le port des tenues prohibées serait constitutif d’un risque pour l’hygiène ou la sécurité́ des usagers des plages et des baigneurs.
Dans ces conditions, dès lors que l’interdiction ne reposait ni sur des risques avérés de troubles à l’ordre public, ni sur des motifs d’hygiène ou de sécurité́ de la baignade, le juge des référés a considéré que l’arrêté querellé portait une atteinte grave et illégale à la liberté d’aller et venir, à la liberté de conscience et à la liberté personnelle. Il en a, ce faisant, ordonné la suspension.
2. A l’inverse, et de manière plus remarquée, la demande de suspension de l’arrêté du maire de Mandelieu-la-Napoule a été rejetée sans audience (au motif de son caractère manifestement infondé, en application de l’article L. 522-3 du CJA) par le juge des référés du Tribunal administratif de Nice.
En l’occurrence, le maire a interdit, pour la période estivale, l’accès aux plages et la baignade à « toute personne ayant une tenue non respectueuse des règles de l’hygiène et de sécurité́ des baignades adaptées au domaine public maritime, à toute personne dont la tenue est susceptible d’entraver ses mouvements lors de la baignade et de compliquer les opérations de sauvetage en cas de noyade et à toute personne dont la tenue est susceptible d’entrainer, à l’instar des années 2012 et 2016, des troubles à l’ordre public, voire des affrontements violents ».
Saisi de cette interdiction, le juge des référés a considéré que celle-ci était justifiée, « dans le contexte actuel de cohabitation particulièrement tendue interreligieuse et intercommunautaire », par le risque de troubles à l’ordre public qu’est susceptible d’entraîner le port d’une tenue manifestant de manière ostentatoire la pratique d’un culte. C’est donc, selon les termes de l’ordonnance, « sans porter une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté́ de manifester ses convictions religieuses, ni commettre une discrimination à l’égard des femmes musulmanes, ni enfin, suggérer un quelconque lien entre le port du burkini et la menace terroriste » – répondant sur ce dernier point aux requérants, qui dénonçaient l’existence d’une stigmatisation résultant du lien direct que ferait l’arrêté́ entre le port du burkini et la menace terroriste –, que le maire a pu interdire l’accès aux plages et la baignade aux personnes vêtues de tenues regardées comme présentant un caractère religieux ostentatoire. Du point de vue des exigences en matière d’hygiène et de sécurité, le juge des référés a également retenu qu’en interdisant l’accès aux plages à toute personne dont la tenue est de nature à contrevenir à l’hygiène publique et à gêner les secours en cas de noyade, le maire n’a fait qu’user de manière adéquate et proportionnée de ses pouvoirs de police, sans porter une atteinte grave et manifestement illégale à aucune liberté fondamentale.
Cette ordonnance – rendue pour rappel sans audience – apparaît pour le moins surprenante dans la mesure où, en juillet 2023, le Conseil d’Etat avait déjà annulé une ordonnance similaire par laquelle le juge des référés du Tribunal administratif de Nice avait refusé de suspendre l’exécution d’un arrêté pris en des termes identiques par le maire de Mandelieu-la-Napoule[4].
La Haute juridiction avait en effet considéré que les incidents de 2012 et de 2016 sur lesquels se fondait l’arrêté de 2023 – au demeurant repris par l’actuel arrêté de 2024 –, qui avaient eu lieu plusieurs années auparavant, n’étaient pas susceptibles de faire apparaître que l’interdiction de tenues manifestant de manière ostensible une appartenance religieuse serait justifiée par des risques avérés de troubles à l’ordre public. Elle avait par ailleurs relevé que la commune n’apportait aucun élément relatif à un risque pour l’hygiène ou la sécurité des usagers de la plage et des baigneurs qui serait lié, par nature, au port de telles tenues, risque ici encore à nouveau repris par l’arrêté de 2024.
L’ordonnance rendue le 20 août dernier par le juge des référés du Tribunal administratif de Nice, qui apparaît donc s’inscrire à rebours de la solution dégagée par le Conseil d’Etat en juillet 2023, n’a, pour l’heure, semble-t-il, pas été frappée d’appel devant la Haute juridiction – ce compte tenu, probablement, de la sortie de vigueur prochaine de l’arrêté litigieux, dont l’exécution prendra fin le 31 août prochain.
Il est néanmoins permis de gager que, selon toute vraisemblance, la Haute juridiction aurait été amenée à retenir la même solution qu’en 2023.
[1] Plus précisément, contraction des termes « burqa » et « bikini », il s’agit d’un vêtement composé de deux ou trois éléments et couvrant l’ensemble du corps de la femme, à l’exception du visage, des mains et des pieds (Défenseur des droits, décision n° 2018-303 du 27 décembre 2018 relative au refus d’accès d’un établissement de bain à une femme musulmane portant un burkini).
[2] CE, ord., 26 août 2016, n° 402742.
[3] V. pour un exemple parmi d’autres : TA Toulon, ord., 30 août 2016, n° 1602545.
[4] CE, ord., 17 juillet 2023, n° 475636.