Urbanisme, aménagement et foncier
le 11/04/2024

Biens sans maître : clarification bienvenue de la compétence juridictionnelle

CE, 18 mars 2024, n° 474558

CE, 18 mars 2024, n° 463364

Par deux arrêts rendus le 18 mars dernier, le Conseil d’Etat a clarifié un aspect de l’épineux régime des biens sans maître, concernant le partage de compétence juridictionnelle entre le juge administratif et le juge judiciaire.

Dans la première affaire (n° 474558), le Tribunal administratif de Strasbourg avait été saisi à la suite de l’incorporation d’une parcelle non-bâtie, en juillet 2016, au sein du patrimoine de la commune de Châtenois conformément au régime des biens sans maître. La Cour administrative d’appel de Nancy avait refusé d’engager la responsabilité de la commune et rejeté la demande d’indemnisation. Pour rappel, l’article L. 1123-1 du Code général de la propriété des personnes publiques distinguent deux hypothèses dans lesquelles des biens sans propriétaire identifié peuvent être qualifié de biens sans maître :

  • Des biens qui font partie d’une succession depuis plus de 30 ans et pour lesquels aucun successible ne s’est présenté ;
  • Ou des « immeubles qui n’ont pas de propriétaire connu et pour lesquels depuis plus de trois ans les taxes foncières n’ont pas été acquittées ou ont été acquittées par un tiers».

A la suite de l’identification d’un tel bien, l’autorité administrative compétente peut engager la procédure d’incorporation selon les dispositions des articles L. 1123-2 et L. 1123-3 du Code général de la propriété des personnes publiques.

  • Soit le bien relève d’une succession ouverte depuis plus de 30 ans, la procédure d’incorporation du bien est celle prévue à l’article 713 du Code civil ;
  • Soit le bien relève de la deuxième hypothèse et sont présumés sans maître à l’issue d’une enquête de l’autorité administrative y compris auprès des services fiscaux. Il convient alors de prendre un arrêté prescrivant l’engagement de la procédure, de l’afficher sur le terrain et de le notifier aux derniers domiciles des derniers propriétaires, s’ils sont identifiés.

Si aucun propriétaire ne se manifeste dans le délai, le bien peut être incorporé dans le patrimoine de l’autorité administrative. L’arrêt commenté porte sur la compétence juridictionnelle en cas de litige à la suite de cette incorporation. En effet, les anciens propriétaires de l’immeuble ayant fait l’objet de la procédure peuvent introduire un recours indemnitaire pour obtenir réparation du préjudice qu’ils estiment avoir subi du fait de cette procédure. Le Conseil d’Etat précise que litiges indemnitaires visant à indemniser une faute commise dans la conduite de la procédure relèvent de la compétence du seul juge administratif tandis que l’indemnisation de la perte du bien sans maître relève du seul juge judiciaire :

« 4. Si relève en principe du juge administratif la demande d’indemnisation formée par la personne qui prétend être propriétaire d’un immeuble présumé sans maître à raison des fautes commises par une personne publique à l’occasion de l’incorporation de cet immeuble dans le domaine communal en application des dispositions mentionnées au point 2, les dispositions de l’article L. 2222-20 du code général de la propriété des personnes publiques, citées au point 3, impliquent que la demande tendant à l’indemnisation du préjudice né de la perte du bien lui-même, indemnisable à hauteur de la valeur de cet immeuble, relève, faute d’accord amiable, de la compétence du seul juge judiciaire ».

Par conséquent, la faute alléguée au soutien d’un recours indemnitaire déterminera le juge compétent :

  • Soit la faute alléguée a été commise au cours de la procédure rappelée ci-avant, le juge administratif pourra être saisi pour obtenir réparation du préjudice subi ;
  • Soit le préjudice résulte de la perte de la propriété du bien et il conviendra alors de saisir le juge judiciaire.

En l’espèce, la somme de 111.500 euros était demandée en réparation de la perte de la propriété du bien. En considération du principe sus-évoqué, le Conseil d’Etat a pu confirmer la décision de la Cour administrative d’appel qui refuse d’engager la responsabilité de la commune de Châtenois pour l’incorporation de la parcelle dans son patrimoine (par le biais d’une substitution de motif avec celui de l’arrêt de la CAA). Il revient donc au juge judiciaire de se prononcer sur ce type de litige.

La deuxième affaire (n° 463364) est l’occasion pour le Conseil d’Etat de rappeler que le contentieux des actes d’incorporation des biens dans le domaine communal à la suite de l’engagement d’une procédure de biens sans maître relève de la compétence de principe du juge administratif. Dans le présent contentieux, était contesté la légalité de la délibération du conseil municipal de Cannet-des-Maures décidant de l’incorporation d’une parcelle sur laquelle était édifiée une chapelle ainsi que l’arrêté constatant l’incorporation. Le Conseil d’Etat rappelle dans cette décision que le juge administratif est compétent pour connaître des contentieux portant sur la légalité des tels actes, sous réserve de devoir statuer sur le droit de propriété du bien concerné qui devra donner lieu à une question préjudicielle auprès du juge judiciaire, gardien du droit de la propriété :

« 3. La délibération que prend le conseil municipal pour incorporer dans le domaine de la commune, sur le fondement de ces dispositions du code général de la propriété des personnes publiques, les biens qui sont présumés sans maître, de même que l’arrêté du maire constatant cette incorporation à l’issue de la procédure qu’elles instituent, ont le caractère de décisions prises par une autorité administrative dans l’exercice d’une prérogative de puissance publique. Le contrôle de leur légalité relève, sous réserve de la question préjudicielle qui peut naître d’une contestation sur la propriété de la parcelle appréhendée et qui serait à renvoyer à l’autorité judiciaire, de la compétence du juge administratif ».