Fonction publique
le 11/04/2024

Attention à la notification du droit de se taire dans les procédures disciplinaires

CAA Paris, 2 avril 2024, n° 22PA03578

Le fonctionnaire faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne peut être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire.

Pour la première fois, le juge administratif annule une sanction prise contre un fonctionnaire en méconnaissance de son droit de garder le silence en matière disciplinaire. Dans un arrêt en date du 2 avril 2024, la Cour administrative de Paris a en effet annulé la sanction disciplinaire d’exclusion temporaire de fonctions dont avait fait l’objet un agent public hospitalier au motif que cette sanction est intervenue au terme d’une procédure irrégulière. Elle a estimé que dans la mesure où l’intéressé n’avait pas été informé du droit qu’il avait de se taire lors de la procédure disciplinaire, cette circonstance l’a privé d’une garantie. La Cour fonde cette décision sur le droit de se taire, lequel découle du droit de ne pas s’auto-incriminer, lui-même résultant du principe de la présomption d’innocence garanti par l’article 9 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen[1].

Il s’agit ici de la première déclinaison, en droit de la fonction publique, d’une jurisprudence récente en matière de droit disciplinaire. A l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) transmise par la Cour de cassation relative à la conformité d’une ordonnance encadrant la discipline des notaires et de certains officiers ministériels, le Conseil constitutionnel avait récemment élargi le champ d’application du droit au silence au-delà de la procédure pénale « à toute sanction ayant le caractère d’une punition, y compris dans les procédures disciplinaires » (Décision n° 2023-1074 QPC du 8 décembre 2023). Les Sages ont retenu que « le professionnel faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne [peut] être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire ».

La Cour administrative de Paris s’est ainsi clairement approprié ces motifs en reconnaissant à « un fonctionnaire faisant l’objet de poursuites disciplinaires » le droit de se taire, et son corollaire, celui d’être informé du droit à garder le silence[2]. Si cette décision bouleverse largement la pratique des procédures disciplinaires, rappelons toutefois que le Conseil d’État, saisi de la question quelques mois avant la décision du Conseil constitutionnel, a refusé de renvoyer une QPC relative à l’absence de notification aux magistrats de leur droit de se taire lors d’une procédure disciplinaire en considérant que « ce principe a seulement vocation à s’appliquer dans le cadre d’une procédure pénale » (CE, 23 juin 2023, n° 473249). Le risque d’annulation sur ce fondement est donc désormais bien réel, pour les sanctions disciplinaires des fonctionnaires. Reste à voir quelle sera la portée que la jurisprudence lui accordera, notamment lorsque le Conseil d’Etat en sera de nouveau saisi. L’annulation sera-t-elle systématique, chaque fois que l’administration aura omis ce rappel de principe, ou nuancera-t-elle la portée de l’irrégularité en considération de l’espèce et du grief qu’il a pu causer à l’agent mis en cause ?

En tout état de cause, afin de se prémunir de tout risque, il est désormais vivement conseillé aux employeurs publics de notifier à l’agent poursuivi le droit de se taire dès le courrier l’informant de l’ouverture de la procédure disciplinaire[3].

 

[1] Article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789  » Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi « .

[2] « Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. Elles impliquent que le fonctionnaire faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire ».

[3] Article 4 du décret n° 89-677 du 18 septembre 1989