Les porteurs de projets notamment d’intérêt public sont régulièrement confrontés, dans le cadre de la mise en œuvre de leurs opérations, au sujet de l’atteinte aux espèces protégées recensées sur le site d’intervention.
Un régime dérogatoire existe pour permettre la réalisation du projet tout en respectant les considérations environnementales.
S’en suivent alors les interrogations relatives aux modalités d’application du régime de dérogation, à l’appréciation de ses conditions cumulatives, dont la fameuse raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) et évidemment aux enjeux en termes de responsabilité notamment pénale.
Le régime de protection des espèces est d’abord un régime de police administrative ; le juge administratif est en effet en charge du contrôle de l’application du régime de dérogation octroyée par l’administration.
Mais les atteintes aux espèces protégées sont aussi l’affaire du juge pénal qui fait face à une recrudescence de saisines du chef de ces infractions, émanant notamment des associations protectrices de l’environnement.
L’atteinte aux espèces protégées et les manquements aux dérogations prises par l’autorité administrative constituent, en effet, une infraction pénale instaurée par les dispositions de l’article L. 415-3 du Code de l’environnement – qui a connu une récente évolution, par la loi d’orientation agricole du 24 mars dernier – dans son aspect intentionnel.
Ce texte sanctionne deux types d’atteintes à la préservation des espèces protégées :
- d’une part, la violation pure et simple des interdictions ou des prescriptions prévues par les dispositions de l’article L. 411-1 du même code, i.e. la destruction des espèces protégées et de leur habitat ;
- d’autre part, la méconnaissance des règlements ou des décisions individuelles pris en application de l’article L. 411-2 du même code, i.e. la violation des dérogations aux interdictions se traduisant en pratique par le non-respect des mesures d’évitement, de réduction ou de compensation des atteintes prévues par une dérogation.
1. La suffisance d’une négligence avant la loi du 24 mars 2025
Jusqu’à récemment, le délit d’atteintes aux espèces protégées pouvait résulter, indifféremment d’un comportement actif ou passif – alors même qu’il ne s’agissait pas expressément d’une infraction involontaire.
La Cour de cassation considérait en effet qu’une abstention, une négligence ou une imprudence était suffisante pour caractériser l’infraction.
Elle considérait même que l’infraction était imputable, non seulement à l’entrepreneur qui exécute des travaux, mais également au propriétaire qui les ordonne sur son fonds sans prendre les précautions nécessaires.
La simple abstention de satisfaire aux prescriptions d’un arrêté pouvait ainsi suffire.
Dans un arrêt du 18 octobre 2022[1], la Cour de cassation a confirmé la caractérisation d’un délit par l’abstention de remettre en état les lieux ayant été détruits, sous couvert d’arrêtés dérogeant à l’interdiction légale de destruction d’écosystèmes, à l’issue de travaux de construction d’un gazoduc nécessitant le défrichement de zones boisées pour le passage des engins et l’accès au chantier.
En outre, dans une décision en date du 14 novembre 2023[2], la Cour de cassation a confirmé que l’infraction d’atteintes aux espèces protégées était consommée par la simple abstention de satisfaire aux prescriptions prévues aux termes des arrêtés préfectoraux délivrées ; en l’espèce, la propriétaire d’un étang avait fait réaliser des travaux pour remédier à une brèche dans la digue ; pour y procéder, elle avait vidé l’étang, ce qui avait impacté une espèce protégée – la tortue cistude d’Europe. En dépit d’une mise en demeure par arrêté préfectoral de remettre l’étang en eau, la propriétaire avait poursuivi les travaux sans y procéder et été condamnée, du fait de cette abstention, au délit d’atteinte à la conservation des habitats naturels.
Une faute de négligence pouvait également être retenue.
Ainsi, dans une décision en date du 1er juin 2010[3], la Chambre criminelle a rejeté le pourvoi formé par un chasseur condamné pour avoir abattu, lors d’une battue aux sangliers dans le massif des Pyrénées, l’Ours Cannelle – dernier spécimen local femelle d’ours brun, inscrit sur la liste des espèces protégées car menacées d’extinction ; le chasseur avait invoqué l’état de nécessité pour justifier son acte – ce qui n’avait pas été retenu par la Cour d’appel qui avait considéré que le chasseur qui était particulièrement expérimenté s’était placé lui-même dans une situation de danger et s’était donc rendu coupable du délit d’atteinte à la conservation d’espèces protégées, par une faute d’imprudence.
Par ailleurs, s’agissant des dérogations, le juge pénal considère qu’une tolérance administrative ne vaut pas dérogation à l’interdiction de porter atteinte aux espèces protégées.
Dans une décision en date du 16 octobre 2018[4], la Chambre criminelle a écarté le moyen de défense consistant à évoquer l’existence d’une pratique locale traditionnelle pour justifier la chasse à l’ortolan – espèce d’oiseau protégée.
2. L’exigence d’une intention
Désormais et depuis l’entrée en vigueur de la loi d’orientation agricole n° 2025-268 du 24 mars 2025, seule l’atteinte « commise de manière intentionnelle ou par négligence grave » sera sanctionnée au titre de l’article L. 415-3 du Code de l’environnement.
Une faute d’imprudence ou négligence ne devrait donc plus pouvoir caractériser le délit, même si la doctrine nuance ce raisonnement en énonçant que la Chambre criminelle pourrait, dans une volonté de poursuivre sa jurisprudence antérieure et dans la lignée de la position de la Cour de Justice de l’Union européenne[5], considérer qu’il s’agit d’un délit intentionnel à intention présumée fondée sur l’acceptation ou la connaissance, par l’auteur de l’acte, de la possibilité d’une atteinte aux espèces protégées[6].
Elle pourrait également considérer, comme pour d’autres délits environnementaux, que la seule constatation de la violation en connaissance de cause d’une prescription légale ou réglementaire implique ipso facto une intention coupable.
Relevons d’ailleurs que le 15 septembre 2025, le Tribunal judiciaire de Basse-Terre a condamné du chef de cette infraction, deux sociétés et leur gérant pour atteintes par domestication à une colonie d’abeilles sauvages appartenant à l’espèce des Mélipones de Guadeloupe, considérant que le caractère non intentionnel de cette atteinte était indifférent à la caractérisation du délit, et ce, au mépris du principe d’application de la loi pénale la plus douce.
L’imprudence ou la négligence dans la mise en œuvre du régime de dérogation relèvera pour sa part d’une amende administrative de 450 euros maximum, prévu par un nouvel article du Code de l’environnement – l’article L. 171-7-2.
*
Reste qu’en dépit de ces modifications législatives, l’objectif premier du juge pénal en matière environnementale est de privilégier la réparation du préjudice écologique par une remise en état des lieux détruits.
La matière pénale devrait continuer à privilégier pour les atteintes aux espèces protégées, l’outil de la Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), présenté souvent comme une réponse pédagogique, réparatrice et exemplaire et déjà très usitée en la matière[7].
_____
[1] Crim. 18 octobre 2022, n° 21-86.965
[2] Crim. 14 nov. 2023, n° 22-86.922 ;
[3] Crim. 1er juin 2010, n° 09-87.159
[4] Crim. 16 janvier 2018, n° 17-86.821 ;
[5] CJUE 4 mars 2021 C-473/19 et C-474/19
[6] J.-H. Robert, Cistudes à sec : Dr. pén. 2024, comm. 7
[7] TJ FOIX 11 juin 2024 destruction d’espèces à la suite d’une pollution minérale issu d’un bassin de décantation d’une carrière de talc gérée par la société IMERYS TALC LUZENAC – TJ de BESANCON 14 décembre 2023 pour la destruction de l’habitat des couleuvres à collier dans le cadre de travaux réalisés par SNCF RESEAU au niveau d’un cours d’eau – TJ LONS-LE-SAUNIER 25 août 2022 pour destruction d’espèces d’oiseaux protégées dans le cadre de travaux sur un étang réalisés sans demande de dérogation ;