Economie sociale et solidaire
le 20/01/2022
Benoît ROSEIRO
Alix MERCERON

Associations gestionnaires d’ESSMS :  nouvelles précisions jurisprudentielles sur le droit disciplinaire au sein des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées

Cass. Soc., 22 septembre 2021, n° 18-22.204

Dans une décision importante de la Cour de cassation rendue le 22 septembre 2021 [1] complétée par un arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles ce 9 décembre 2021, les Magistrats ont précisé l’articulation entre le Code du travail et les dispositions de la Convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 (IDCC 413) en matière disciplinaire avec l’épineux sujet de qualification et de l’échelle des sanctions.

Une décision avait déjà été rendue concernant une garantie similaire prévue par un règlement intérieur[2].

La Cour de cassation considère que s’il résulte de l’article L. 1332-2 du Code du travail que l’employeur n’est en principe pas tenu de convoquer un salarié à un entretien avant de lui notifier un avertissement ou une sanction de même nature, il en va autrement lorsque des dispositions d’une convention collective, instituant une garantie de fond, subordonnent le licenciement d’un salarié à l’existence de deux sanctions antérieures.

Précisément, l’article 33 de la convention collective précitée et applicable au litige prévoit que :

  • les mesures disciplinaires applicables aux personnels de ces établissements ou services sont : 1°) l’observation ; 2°) l’avertissement ; 3°) la mise à pied avec ou sans salaire pour un maximum de 3 jours ; 4°) le licenciement ;
  • sauf en cas de faute grave, un salarié ne peut pas être licencié s’il n’a pas fait l’objet précédemment d’au moins 2 des sanctions précitées.

Pour débouter le salarié de ses demandes au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’arrêt de la Cour d’appel a retenu que l’intéressé a fait l’objet de deux observations constitutives de sanctions disciplinaires qui, en l’absence de dispositions conventionnelles contraires, ne nécessitaient pas d’entretien préalable et que ces deux sanctions disciplinaires régulières pouvaient ouvrir la voie à l’engagement d’une procédure de licenciement.

La Cour de cassation considère que c’est à tort que la Cour d’appel a statué ainsi, alors que la convention collective nationale de 1966 subordonnait le licenciement à l’existence de deux sanctions antérieures pouvant être notamment une observation, en sorte que l’employeur était tenu de convoquer le salarié à un entretien préalable avant de lui notifier les deux sanctions qui étaient de nature à avoir une incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l’entreprise du salarié au sens de l’article L. 1332-2 du Code du travail.

La Cour de cassation considère néanmoins que s’il appartenait à la juridiction prud’homale d’apprécier si ces sanctions irrégulières en la forme devaient être annulées, la Cour d’appel n’encourt pas toutefois le grief du moyen dès lors qu’il résulte du dispositif des conclusions du salarié que celui-ci ne demandait pas l’annulation des sanctions disciplinaires.

En résumé, le salarié qui a fait l’objet de deux sanctions sans entretien préalable et qui se voit notifier un licenciement pour faute sera tenté de demander l’annulation des sanctions prononcées en l’absence d’entretien préalable pour voir remettre en cause son licenciement.

L’employeur qui use de son pouvoir disciplinaire doit donc anticiper un éventuel licenciement pour faute. Il est donc conseillé à l’employeur d’organiser un entretien préalable avant toute mesure disciplinaire même si elle se limite à un simple avertissement voire « observation » pour que ce dernier soit valablement pris en compte ultérieurement dans l’appréciation de la garantie de fond conventionnelle qui consiste à subordonner le licenciement pour faute simple d’un salarié à l’existence de deux sanctions antérieures.

Cette décision importante est à mettre en perspective avec une intéressante et récente décision rendue par Cour d’appel de Versailles[3].

La Cour d’appel indique classiquement qu’en application de l’article L. 1333-2 du Code du travail, il appartient à la juridiction prud’homale d’apprécier si la sanction, irrégulière en la forme, doit être annulée.

Elle note qu’il est constant qu’en l’espèce, une observation formulée par un courrier n’avait pas été précédée d’un entretien préalable. Pour autant, si cette sanction est donc irrégulière en la forme, il n’y a pas eu lieu à annulation, d’ailleurs non demandée, dès lors que les faits sont reconnus et qu’il est établi que la salariée a bien reçu la lettre litigieuse, laquelle lui a été remise en main propre ainsi qu’il résulte de la mention apposée, et qu’elle attirait son attention sur les éventuelles conséquences de cette sanction.

Pour la Cour d’appel, l’absence d’entretien préalable pour une telle sanction disciplinaire n’est qu’une irrégularité de forme qui n’est pas de nature dans cette affaire à entraîner son annulation car les faits sont reconnus (en l’espèce il s’agissait d’une absence injustifiée d’une journée).

Doit-on conclure que si les faits à l’appui de l’avertissement sont non contestés, le salarié ne pourra pas demander l’annulation de sa sanction disciplinaire pour défaut d’entretien préalable ?

Il n’est pas certain que la Cour de cassation soit du même avis et il conviendra d’être attentif à un éventuel pourvoi pour déterminer si l’absence d’un entretien préalable à une sanction non contestée et reconnue par le salarié permet à l’employeur de s’en prévaloir au titre des deux sanctions préalables à un licenciement pour faute simple.

 

 

[1] Cass. soc., 22 sept. 2021, n° 18-22.204

[2] Cass. soc. 3 mai 2011 n° 10-14.104

[3] Cour d’appel, Versailles, 6e chambre, 9 décembre 2021, n° 19/01694