Contrats publics
le 19/04/2022

Association en charge d’un musée municipal sur le domaine public : les différentes conventions d’occupation et de subventions doivent être analysées comme des délégations de service public, et les fonds comme des biens de retour

CE, 24 mars 2022, n° 449826

Par un arrêt en date du 24 mars dernier, le Conseil d’État répond à une question préjudicielle posée par le Tribunal judiciaire de Toulouse, et qualifie de délégations de service public une série de conventions par laquelle la ville de Toulouse avait autorisé une association à occuper son domaine public pour y gérer un musée local de la photographie, tout en lui versant des subventions.

Par une délibération du 18 mai 1978, la ville de Toulouse a créé un musée de la Photographie au Château d’eau, monument historique de la ville et appartenant à son domaine public. La Ville a, dans un premier temps, assuré la gestion en régie de ce musée, avant de la confier à l’association pour la Photographie au Château d’eau (l’association PACE), créée en 1981 « dans le but d’apporter son appui à la galerie » (Conclusions de Mireille Le Corre sous CE, 24 mars 2022, req. n° 449826).

Les relations entre la ville et cette association ont ainsi fait l’objet, depuis 1985, d’une série de conventions qui (i) autorisaient l’association à occuper la Galerie en organisant le contrôle de la ville sur l’activité de l’association et en mettant notamment (plus ou moins clairement selon les conventions) à la charge de cette dernière le soin de constituer le fonds de photographies qui devaient être exposées dans la Galerie et (ii) prévoyaient le versement de subventions municipales à l’association pour l’exercice de cette activité.

En 2019, l’association a été placée en procédure de sauvegarde, puis de redressement judiciaire, et a entendu céder les fonds photographique et documentaire. La Ville, considérant que ces fonds avaient été constitués à sa demande, pour la gestion d’un service public qu’elle avait délégué à l’association et qu’ils devaient ainsi être analysés comme des biens de retour lui appartenant ab initio, en a alors revendiqué la propriété devant le Juge-commissaire du Tribunal judiciaire de Toulouse.

Le Juge-commissaire a sursis à statuer pour saisir le Tribunal administratif de Toulouse d’une question préjudicielle relative à la qualification des différentes conventions conclues entre la ville et l’association depuis 1985, et à la nature des biens constitués dans le cadre de ces conventions.

Par un jugement du 2 février 2021, le Tribunal administratif a considéré que les premières conventions (conclues en 1985 et 1987) confiaient effectivement une mission de service public à l’association, mais que les subventions qui les accompagnaient était « de nature à prémunir l’association de tout risque lié à l’exploitation de ce service public », si bien qu’elles étaient en réalité des marchés publics de services. Et il a jugé que les conventions suivantes devaient être qualifiées uniquement de conventions d’objectifs et de moyens, et non pas de marchés publics, en raison de leur contenu, ou de délégations de service public, parce qu’elles ne confiaient pas à l’association un risque lié à l’exploitation de la Galerie. Et il en a déduit que les fonds ne pouvaient être qualifiés de biens de retour, mais sans se prononcer sur leur nature publique ou privée (TA Toulouse, 2 février 2021, req. n° 2005649).

Saisi en cassation, le Conseil d’État a pris le contrepied de ce jugement.

Il rappelle tout d’abord la différence fondamentale entre les contrats de la commande publique (marchés, concessions, délégations de service public) et les subventions : contrairement aux secondes, les premiers « sont conclus pour répondre aux besoins de la personne publique ».

Et ici, il ne faisait pas de doute que « l’ensemble des conventions visaient à répondre à un besoin de la commune ». La Rapporteure publique rappelle à ce titre que la ville a géré la Galerie en régie directe à ses débuts, a mis à la disposition de l’association certains de ses agents, et a surtout entendu, bien que les conventions les plus récentes l’indiquent moins clairement, mettre à la charge de l’association (d’ailleurs créée à cet effet) une mission de service public (Conclusions de Mireille Le Corre sous CE, 24 mars 2022, req. n° 449826).

Ce postulat admis, le Conseil d’État relève que si la ville a effectivement versé des subventions annuelles à l’association, celle-ci « a toujours conservé un risque lié à l’exploitation de la galerie, son équilibre financier n’étant pas garanti par les sommes apportées par la commune ». Il exerce donc un contrôle de la qualification juridique des faits permettant d’établir le transfert d’un risque lié à l’exploitation d’un service public et annule le jugement du Tribunal administratif sur ce fondement.

À ce sujet, on peut souligner que la Rapporteure publique s’appuyait, dans ses conclusions, sur « trois points permanents » pour établir qu’un risque d’exploitation avait été effectivement mis à la charge de l’association : « d’abord, la subvention n’est jamais définie comme une subvention d’équilibre, visant à compenser les charges de l’activité. Ensuite, l’association elle-même reconnaît que la diminution de la subvention a conduit à la réalisation du risque d’exploitation ayant été à l’origine du déficit de l’association de 60 000 euros et finalement à la procédure de sauvegarde. Enfin, même si le risque est faible, il existe et il est supporté par l’association. Rien ne garantit que les dépenses soient couvertes par les recettes tirées de l’exploitation de l’activité. Et, contrairement à la gestion d’une cantine par exemple dont l’activité est prévisible, la fréquentation d’expositions culturelles n’obéit évidemment pas à une telle stabilité » (Conclusions de Mireille Le Corre sous CE, 24 mars 2022, req. n° 449826).

S’agissant ensuite de la qualification des conventions, le Conseil d’État juge que toutes les conventions ont bien eu pour objet de confier à l’association « l’exploitation d’un musée de la photographie créé à l’initiative de la commune et dont elle avait assuré directement la gestion de 1978 à 1985, qu’elle a ensuite repris à compter du 1er janvier 2020 » et plus précisément, au regard du contenu des conventions, « la gestion d’un service public muséal ». Et parce qu’il considère que l’association a bien supporté un risque dans l’exploitation de ce musée, il en déduit que les conventions doivent être qualifiées de délégations de service public.

Par conséquent, le Conseil d’État applique le régime des biens de retour, aujourd’hui codifié à l’article L. 3132-4 du Code de la commande publique, aux fonds photographique et documentaire : il juge qu’ils ont bien été « constitués pour les besoins de l’exploitation du musée […] et notamment aux fins de réaliser des expositions ouvertes au public », si bien qu’ils « constituent des biens de retour », c’est-à-dire des biens « qui sont et demeurent la propriété de la commune de Toulouse ».

La Cour administrative d’appel de Bordeaux s’était d’ailleurs déjà prononcée en ce sens : dans le cadre d’une affaire relative aux conséquences de la liquidation d’une association chargée par la commune de Lourdes de gérer son musée local, elle avait jugé que les biens acquis par l’association pour constituer les collections de ce musée étaient affectés à un service public culturel, et qu’ils appartenaient dès lors au patrimoine de la Ville (CAA Bordeaux, 4 décembre 2000, Commune de Lourdes, req. n° 96BX00709).