La Chambre régionale de la Cour des comptes (CRC), dans un rapport d’observations rendu dans le cadre du contrôle d’une commune située dans l’Ain, rappelle que la pratique dite du « saucissonnage » pour permettre le recours à un marché sans publicité ni mise en concurrence, est illégale. L’approche stricte de la CRC permet de revenir sur les éléments essentiels qui permettent de caractériser une telle pratique.
Dans le cadre d’une opération de construction d’une caserne de gendarmerie d’un montant total de 4,3 millions d’euros, la commune avait lancé une procédure de consultation en 2020 pour la passation de marchés de travaux. Juste après attribution de ces marchés, la commune a attribué, en mars 2021, un marché d’un montant de 70.369 euros[1], sans publicité ni mise en concurrence, pour l’aménagement d’un bassin d’eaux pluviales de la nouvelle gendarmerie à une société, alors que cette dernière était déjà titulaire du lot n° 1.
Dans le cadre de son contrôle, la CRC a toutefois relevé que cette opération était « indéniablement en lien avec l’opération de construction de la gendarmerie » et qu’en outre, « la commune ne pouvait valablement considérer que ce marché était inférieur au seuil de publicité et de mise en concurrence puisqu’il s’intégrait dans une opération de travaux, […] malgré le défaut de programmation initiale ».
Dans ces circonstances, la Cour des comptes considère qu’une procédure de publicité et de mise en concurrence aurait dû être mise en œuvre.
Pour rappel, les articles R. 2121-1 à R. 2121-9 du Code de la commande publique (CCP) posent les règles relatives au calcul de la valeur estimée du besoin. Selon la Direction des Affaires Juridiques (DAJ), ces dispositions doivent faire l’objet d’une attention particulière de la part des acheteurs[2] dès lors qu’elles permettent de fixer un cadre pour la computation des seuils et ainsi le choix de la procédure de passation à utiliser pour le marché public.
Sur ces fondements, c’est la pratique dite du « saucissonnage » qui est interdite. Cette notion, qui ne figure pas en tant que telle dans les textes, consiste pour les acheteurs à découper le montant de leurs marchés publics dans le seul but de bénéficier de l’allègement des obligations de publicité et de mise en concurrence[3].
Dans son rapport, la CRC se fonde sur la notion centrale qui permet de déterminer si l’acheteur, dans le cadre de la passation d’un marché de travaux, s’est livré à une pratique de saucissonnage, celle du rattachement du marché à une seule et même « opération de travaux ».
En effet, s’agissant précisément des marchés de travaux, l’article R. 2121-5 du CCP précise que la valeur estimée du besoin est déterminée en prenant en compte la valeur totale des travaux se rapportant à une opération, qui s’entend comme la décision de l’acheteur de mettre en œuvre, dans une période et un périmètre limité, un ensemble de travaux caractérisé par son unité fonctionnelle, technique ou économique.
La notion n’est ainsi pas évidente à manier, et impose à l’acheteur d’être en mesure de pouvoir justifier son choix en cas de contentieux ou de contrôle. Se fondant sur l’article R. 2121-5 du CCP, la doctrine propose donc un faisceau d’indices qui permet aux acheteurs de définir l’opération de travaux : le contenu des prestations, la similitude des modalités de réalisation des prestations, ainsi que la concomitance de la décision de l’achat.
Il peut également être précisé que s’agissant des marchés de fournitures et de services, l’estimation de la valeur globale du besoin est encadrée par l’article R. 2121-6 du CCP, qui renvoie à l’homogénéité des fournitures ou services, en raison de leurs caractéristiques propres ou de leur unité fonctionnelle. Le caractère homogène des fournitures ou services peut notamment se définir par la nomenclature CPV[4] élaborée par la DAJ.
En l’occurrence, la Cour des comptes a déterminé l’existence d’une seule et même opération de travaux en se fondant sur une décision du maire, par laquelle il avait précisé que « dans le cadre de la construction de la nouvelle gendarmerie, il apparaît nécessaire de réaliser un bassin de rétention des eaux pluviale ».
Par ailleurs, la chronologie des évènements a naturellement participé à la définition de l’opération de travaux, dès lors que le marché portant sur le bassin a été attribué dans la foulée de l’attribution de l’ensemble des marchés portant sur la construction de la nouvelle gendarmerie.
L’unité fonctionnelle du marché avec la construction la nouvelle gendarmerie était ainsi caractérisée, le tout formant une seule et même opération de travaux dont le montant total dépassait les seuils européens, emportant ainsi l’obligation pour la Commune d’avoir recours à une procédure de publicité et de mise en concurrence.
En tout état de cause, il est recommandé à l’acheteur de demeurer vigilant lorsqu’il définit son besoin afin de ne pas contourner les règles de computation des seuils en le segmentant de manière factice, et afin de ne pas mettre en œuvre, par voie de conséquence, une procédure de passation inadaptée.
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[1] Inférieur au seuil européen de publicité et de mise en concurrence de 100 000 euros.
[2] DAJ, « Les marchés publics à procédure adaptée et autres marchés publics de faible montant », mise à jour le 1er janvier 2020.
[3] Ibid.
[4] https://achats-durables.gouv.fr/nomenclature-secteurs-dachat-534