Contrats publics
le 31/08/2023

Application de la jurisprudence « Czabaj » au recours « Tarn-et-Garonne » contestant la validité des contrats publics

CE, 19 juillet 2023, Société Seateam Aviation, n° 465308

Pour rappel, aux termes de la décision Czabaj rendue par le Conseil d’Etat le 13 juillet 2016 (n° 387763), le destinataire d’une décision administrative individuelle peut contester celle-ci au-delà du délai de deux mois tel que prévu par l’article R. 421-1 du Code de justice administrative, lorsque ledit délai n’y est pas mentionné ; pour autant, ce destinataire ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable, lequel ne peut, sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant et sous réserve de l’exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance.

En jugeant ainsi, le Conseil d’Etat a entendu, sur le fondement du principe de sécurité juridique, empêcher que puissent être indéfiniment remises en cause des situations qui auraient été consolidées par l’effet du temps.

Cette notion de délai raisonnable pour exercer un recours juridictionnel en l’absence de mention des voies et délais de recours sur l’acte administratif attaqué a été appliquée pour la première fois dans le cadre d’un litige portant sur une décision fixant la pension de retraite d’un brigadier de police.

Depuis lors, son application a été étendue à la plupart des contentieux portant sur des décisions administratives individuelles expresses mais aussi sur des décisions individuelles implicites, qu’elles relèvent du recours pour excès de pouvoir ou du plein contentieux et qu’elles fassent l’objet d’une notification individuelle ou d’une publicité générale.

Et, par sa décision en date du 19 juillet 2023, le Conseil d’Etat étend le champ d’application de la jurisprudence Czabaj aux recours dits « Tarn-et-Garonne » tendant à la contestation de la validité des contrats administratifs par des tiers.

Pour rappel, le recours en contestation de la validité d’un contrat public doit, en principe, être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l’accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d’un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi (CE, 4 avril 2014, Département du Tarn-et-Garonne, req. n° 358994).

Or, dans le cas d’espèce, le marché litigieux – conclu par le ministère de la Défense et qui portait sur la fourniture d’heures de vol d’aéronef pour assurer des essais de matériel et l’entraînement des forces de la marine nationale – a fait l’objet d’une publicité incomplète :  l’avis d’attribution publié au bulletin officiel des annonces des marchés publics le 9 octobre 2010 indiquait certes l’objet du contrat et l’identité des parties contractantes, mais il ne précisait pas les modalités de sa consultation.

Dans ce contexte, la Société Seateam Aviation, candidate évincée, a saisi le Tribunal administratif de Toulon le 15 août 2015 d’un recours tendant à la fois à contester la validité de ce contrat et à obtenir une indemnité en réparation du préjudice résultant de son éviction.

En première instance, le Tribunal administratif avait rejeté l’ensemble des demandes comme tardives, faute d’avoir été introduites dans un délai d’un an à compter de la publication de l’avis d’attribution du 9 octobre 2010.

En appel, la Cour administrative d’appel de Marseille a confirmé le rejet du recours en contestation de la validité du contrat sur le fondement de la jurisprudence Czabaj ; en revanche, elle a jugé qu’il n’y avait pas lieu de faire application du délai d’un an aux demandes indemnitaires, la recevabilité de celles-ci étant déjà encadrée par la prescription quadriennale prévue par la loi du 31 décembre 1968 ; par voie de conséquence, elle a jugé ces demandes indemnitaires recevables et partiellement fondées, le montant du manque à gagner devant être déterminé par un expert.

Saisi en cassation, le Conseil d’Etat a, préalablement à sa décision, refusé d’admettre la partie du pourvoi portant sur la partie indemnitaire du litige, confirmant ainsi implicitement l’analyse retenue par la cour administrative d’appel.

Se prononçant donc uniquement sur les conclusions tendant à contester la validité du contrat et en obtenir l’annulation ou la résiliation, le Conseil d’Etat, confirme que si le délai de deux mois pour présenter de telles conclusions n’était pas opposable à la société Seateam Aviation, compte tenu de l’incomplétude des mesures de publicité mises en œuvre par le ministère, le recours était tout de même tardif pour avoir été introduit au-delà d’un délai d’un an à compter de la publication de l’avis d’attribution le 9 octobre 2010.

En outre, le Conseil d’Etat confirme, comme l’avait fait le juge d’appel, que la circonstance que la Société Seateam Aviation avait introduit un premier recours en contestation de la validité du même contrat devant le Tribunal administratif de Toulon le 4 juin 2012, rejeté par un jugement du 17 octobre 2014 de ce tribunal au motif qu’elle n’avait ni produit l’acte d’engagement signé par le ministre de la Défense et l’attributaire du marché ni justifié d’une impossibilité d’obtenir ce document, ne constituait pas une circonstance particulière justifiant de proroger au-delà d’un an le délai raisonnable dans lequel elle pouvait exercer un recours juridictionnel.

En jugeant ainsi, le Conseil d’Etat franchit donc deux pas, ainsi que l’a souligné le Rapporteur public Nicolas Labrune dans ses conclusions sous cette décision : premièrement, il applique la jurisprudence Czabaj hors du champ des actes unilatéraux et, secondement, il l’applique à un recours qui n’est pas régi par le Code de justice administratif mais par des règles d’origine purement prétorienne.

En outre, cette décision apporte aux acheteurs d’utiles précisions sur les éléments que doit comporter un avis d’attribution pour rendre opposable aux tiers le délai de contestation de deux mois, à savoir :

  • l’identité des parties ;
  • l’objet du contrat ;
  • et, au titre « des modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi », les coordonnées, postales ou électroniques, du service auprès duquel le contrat peut être consulté.