le 04/11/2021

Actualités jurisprudentielles en matière d’épandage des pesticides

TA Cergy Pontoise, 21 octobre 2021, Préfet des Hauts-de-Seine, n° 2105854

CE, 22 octobre 2021, association Générations Futures et autres, n° 440210

 

I. Annulation d’un arrêté municipal anti-pesticide fondé sur la compétence « déchets » du Maire

A la suite du coup d’arrêt porté par la décision du Conseil d’Etat du 31 décembre 2020 en matière d’arrêtés anti-pesticides pris par plusieurs maires sur le fondement de leurs pouvoirs de police générale (voir notre brève), le collectif des maires anti-pesticides a voulu proposer une nouvelle base légale pour fonder de nouveaux arrêtés municipaux.

Ainsi, le Maire de Malakoff a, dans un arrêté du 3 mars 2021, tenté de limiter l’épandage des pesticides sur le territoire de sa commune au titre de sa compétence en matière de police des déchets. A cette fin, l’arrêté qualifiait les résidus d’épandage de ces pesticides de déchets, rendait obligatoire l’élimination de ces déchets et subordonnait l’utilisation des produits visés à la condition qu’aucun résidu ne se disperse au-delà des parcelles traitées ou, à défaut, que leur utilisateur soit en mesure de gérer et d’éliminer lesdits déchets.

Dans la droite lignée de la décision du Conseil d’Etat précitée, le Tribunal retient cependant que l’utilisation des produits visés dans l’arrêté litigieux ressort d’une police spéciale confiée à l’Etat, laquelle fait dès lors obstacle à l’édiction de mesures réglementaires de portée générale tendant à l’encadrement de l’utilisation de ces produits.

Le Tribunal retient dès lors que, quand bien même les résidus d’épandage pourraient être qualifiés de déchets, point sur lequel le juge ne se prononce pas, le maire n’a pas la compétence pour s’immiscer dans l’exercice de la police spéciale de l’Etat et qu’ainsi l’arrêté est illégal et doit être annulé.

 

II. Règlementation des distances d’épandage de pesticides : légalité des mesures dérogatoires prises pendant la crise sanitaire à la condition de leur signature par toutes les autorités compétentes

Saisi par plusieurs associations environnementalistes, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la légalité de divers documents (une instruction technique, un communiqué de presse et une note relative aux « Eléments de mise en œuvre ») publiés en février et mars 2020 sur le site du Ministère de l’agriculture, relatifs à l’épandage des pesticides et prévoyant des dérogations au cadre réglementaire prévu pour l’épandage des produits phytosanitaires.

En effet, l’utilisation de ces produits est notamment encadré par les dispositions de  l’article L. 253-8 du Code rural et de la pêche maritime, qui prévoit que, lorsque les produits phytopharmaceutiques sont utilisés à proximité des zones d’habitation, cette utilisation « est subordonnée aux mesures de protection contenues dans des chartes d’engagements des utilisateurs, approuvées par l’autorité administrative lorsqu’elle constate que les mesures qui y sont inscrites sont suffisantes pour protéger les personnes habitant à proximité des zones traitées. Ces chartes doivent nécessairement faire l’objet d’une décision de l’autorité administrative pour produire des effets juridiques ».

L’arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques prévoit quant à lui des distances minimales de sécurité destinées à protéger les personnes habitant à proximité des zones susceptibles d’être traitées. Et ces distances peuvent être adaptées lorsque les techniques de réduction de la dérive sont mises en œuvre conformément aux chartes d’engagements précitées. Or, en invoquant des « difficultés à mener la concertation publique, dans le contexte en cours de la crise Covid19 », les documents attaqués prévoient des dérogations à l’application de la règlementation liée aux distances minimales d’épandage des produits phytosanitaires lorsque les utilisateurs de ces produits sont « engagés dans un projet de charte ».

En d’autres termes, les documents attaqués permettent d’adapter (et notamment de réduire) les distances minimales d’épandage des produits dès lors que la concertation relative à l’adoption d’une charte d’engagement était engagée sans avoir pu aboutir du fait de la situation sanitaire provoquée par la crise COVID19, et quand bien même cette dernière ne serait pas encore signée, à la condition de respecter les mesures de protection prévues dans le cadre des textes précités.

Le Conseil d’Etat retient tout d’abord la légalité tant externe qu’interne de l’instruction technique, au regard de ce que cette dernière émane de toutes les autorités compétentes (cf. infra), qu’elle ne peut pas être regardée comme ayant une incidence directe sur l’environnement et que les autorités signataires, en se bornant à prévoir que les utilisateurs de produits phytopharmaceutiques pourraient temporairement appliquer les distances de sécurité prévues dans les chartes non encore approuvées à la conditions de respecter les autres conditions réglementaires, ont fait usage de la compétence générale qui leur était conférée au titre du cadre réglementaire précité.

En revanche, le Conseil d’Etat annule le communiqué de presse ainsi que la note relative aux « Eléments de mise en œuvre » pour incompétence dans la mesure où ils n’émanent que du Ministre de l’agriculture alors « qu’il appartenait le cas échéant aux ministres chargés de l’agriculture, de la santé, de l’environnement et de la consommation d’édicter conjointement » les mesures ainsi prévues, ainsi que cela ressort des dispositions de l’article R. 253-45 du Code rural et de la pêche maritime[1].

 

 

[1] Aux termes duquel : « L’autorité administrative mentionnée à l’article L. 253-7 est le Ministre chargé de l’agriculture. / Toutefois, lorsque les mesures visées au premier alinéa de l’article L. 253-7 concernent l’utilisation et la détention de produits visés à l’article L. 253-1, elles sont prises par arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture, de la santé, de l’environnement et de la consommation ».