Contrats publics
le 08/02/2022

Accords-cadres : précisions sur le champ d’application de l’obligation d’indiquer un maximum de commandes

CE, 28 janvier 2022, Communauté de communes Convergence Garonne, n° 456418

CE, 3 février 2022, Société Fore Iles du Nord, n° 457233

 

Le 17 juin 2021, la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) avait rendu un arrêt Simonsen & Weel A/S (aff. C-23/20) par lequel elle avait dit pour droit que les avis de marché ayant pour objet la passation d’un accord-cadre doivent indiquer la quantité et/ou la valeur estimée ainsi qu’une quantité et/ou une valeur maximale des produits à fournir. La CJUE avait déduit ce principe non pas d’une interprétation littérale de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 – qui n’imposait aucune obligation expresse de prévoir un maximum de commandes dans les accords-cadres – mais des principes de transparence et d’égalité de traitement, ainsi que de l’économie générale de la directive (cf. notre brève sur cet arrêt ici).

Cette jurisprudence a été rapidement transposée en droit national, par le décret n° 2021-1111 du 23 août 2021 qui a supprimé la possibilité pour les acheteurs de passer des accords-cadres sans maximum. Néanmoins, le décret a précisé que ces nouvelles dispositions relatives aux accords-cadres ne s’appliqueraient qu’aux marchés pour lesquels une consultation est engagée ou un avis d’appel à la concurrence est envoyé à la publication à compter du 1er janvier 2022.   

Dans l’affaire ayant donné lieu à la décision n° 456418 du 28 janvier 2022 ici commentée, le Conseil d’Etat a été amené à se prononcer pour la première fois sur les conséquences à tirer de l’arrêt Simonsen & Weel A/S en matière de référé précontractuel, et ce dans l’hypothèse particulière où le recours visait une procédure pour laquelle un avis d’appel public à la concurrence avait été publié au BOAMP le 8 mai 2021, soit antérieurement à l’arrêt Simonsen & Weel A/S du 17 juin 2021 et, a fortiori, à l’entrée en vigueur des dispositions du décret du 23 août 2021.

Dans cette affaire, la Communauté de communes Convergence Garonne avait engagé une procédure d’appel d’offres ouvert en vue de l’attribution d’un marché sous forme d’accord-cadre ayant pour objet la collecte en porte-en-porte et en apport volontaire, tri et valorisation des déchets. La Société COVED, candidate évincée pour l’attribution du lot n°1, a obtenu du Juge des référés du Tribunal administratif de Bordeaux l’annulation des décisions relatives à la procédure de passation de ce lot.

Saisi en cassation par la Communauté de communes, le Conseil d’Etat juge qu’il résulte de l’arrêt Simonsen & Weel A/S dégage le principe suivant :

« 6. Il résulte de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne mentionné au point 5 que, pour tout appel à concurrence relatif à un marché destiné à être passé sous la forme d’un accord-cadre qui, eu égard à son montant, entre dans le champ d’application de cette directive, l’avis publié à cet effet doit comporter la mention du montant maximal en valeur ou en quantité que prévoit le pouvoir adjudicateur, cette indication pouvant figurer indifféremment dans l’avis de marché ou dans les documents contractuels mentionnés dans l’avis de marché et librement accessibles à toutes les personnes intéressées. Il n’en va différemment que pour les accords-cadres qui ne sont pas régis par cette directive, pour lesquels le décret du 23 août 2021, modifiant notamment les dispositions de l’article R. 2162-4 du code de la commande publique, a supprimé la possibilité de conclure un accord-cadre sans maximum, en différant, en son article 31, l’application de cette règle aux avis de marché publiés à compter du 1er janvier 2022 afin de ne pas porter une atteinte excessive aux intérêts privés et publics en cause ».

En d’autres termes, le Conseil d’Etat précise le champ d’application temporel de l’obligation d’indiquer dans l’avis de marché le montant maximal en valeur ou en quantité de la façon suivante :

  • Pour les marchés d’une valeur supérieure au seuil de procédure formalisée et entrant donc, de ce fait, dans le champ d’application de la directive 2014/24/UE : cette obligation s’applique quelle que soit la date de publication de l’avis de marché, par l’effet de l’arrêt Simonsen & Weel A/S, et ce même si la publication de l’avis de marché est antérieure audit arrêt, la jurisprudence de la CJUE étant revêtue d’un effet rétroactif (CJCE 27 mars 1980, Denkavit Italiana, Aff. C-61/79);
  • Pour les marchés d’une valeur inférieure au seuil de procédure formalisée : cette obligation s’applique lorsque l’avis de marché est publié postérieurement au 1erjanvier 2022, par l’effet des dispositions du Code de la commande publique telles que modifiées par le décret du 23 août 2021.

Faisant application de ce principe au cas d’espèce, le Conseil d’Etat constate que le Juge des référés du Tribunal administratif n’a pas dénaturé les pièces du dossier en jugeant, d’une part, que ni l’avis de marché, ni le cahier des clauses techniques particulières, ni aucune autre pièce du marché ne mentionnait la quantité ou la valeur maximale des produits à fournir dans le cadre du lot n° 1 de l’accord-cadre litigieux, lequel relevait du champ d’application de la directive 2014/24/UE et, d’autre part, que le défaut de mention d’un maximum de commandes n’avait pas mis la Société requérante à même de présenter une offre adaptée aux prestations maximales auxquelles elle pourrait être amenée à répondre, ce qui avait donc pu la léser. Le Conseil d’Etat en conclut que la Communauté de communes n’est pas fondée à demander l’annulation de l’ordonnance de référé et rejette son pourvoi.

Dans la foulée, le Conseil d’Etat a eu à connaitre d’une seconde affaire relative à la même problématique, concernant cette fois-ci une procédure d’appel d’offres lancée en janvier 2021 – donc, là encore, avant que ne soit rendue l’arrêt Simonsen & Weel A/S et l’entrée en vigueur des dispositions du décret du 23 août 2021 – par la collectivité de Saint-Martin en vue de la passation d’un accord-cadre à bons de commande en matière de formation professionnelle, contre laquelle un concurrent évincé pour l’attribution du lot n° 2 avait introduit un recours en référé précontractuel.

Saisi par la Collectivité de Saint-Martin (qui s’est désistée par la suite) et la société attributaire d’un pourvoi contre l’ordonnance du Juge des référés du Tribunal administratif de Saint-Martin ayant annulé la procédure, le Conseil d’Etat a dû déterminer si les marchés passés pour la fourniture de services sociaux entraient dans le champ d’application de l’arrêt Simonsen & Weel A/S. A cette question, il a répondu sans surprise par l’affirmative et pour cause : dès lors que les marchés en question sont d’une valeur égale ou supérieure aux seuils de procédure formalisée, ils entrent dans le champ de la directive 2014/UE/24, même si celle-ci prévoit, pour ces marchés particuliers, des procédures de passation allégées.

Par ailleurs, dans le cadre d’un raisonnement que le Rapporteur public Marc de Pichon de Vendeuil a lui-même qualifié d’ « astucieux », la Société requérante soutenait que les règles particulières applicables pour les marchés de services sociaux ne renvoyaient pas explicitement aux informations devant figurer dans les accords-cadres selon le C de l’annexe V, visé par l’arrêt Simonsen & Weel A/S, mais qu’au contraire, l’article 75 de la directive prévoit que les  pouvoirs adjudicateurs qui entendent passer un marché pour des services sociaux font connaître leur intention par un avis de marché ou un avis de pré-information qui comportent respectivement les informations mentionnées aux parties H ou I de l’annexe V, lesquelles ne comportent aucune référence à un montant  maximal en valeur ou en quantité.

Malgré la subtilité du raisonnement, le Conseil d’Etat écarte le moyen, dans les termes suivants :

« 7. Si la société requérante soutient cependant que la partie H de l’annexe V de la directive du 26 février 2014, relative au contenu des avis de marché passés pour la fourniture de services sociaux, n’impose pas de faire figurer un montant maximal en vue de la passation d’un accord-cadre, sa partie I prévoit toutefois que l’avis de préinformation doit comporter une  » brève description du marché en question comprenant la valeur totale estimée du marché  » et les formulaires prévus aux annexes XVIII et XIX du règlement d’exécution (UE) 2015/1986 du 11 novembre 2015, respectivement consacrés aux avis de préinformation et de marchés de services sociaux, comportent des mentions relatives, pour les accords-cadres, à leur valeur totale maximale pour toute leur durée. Par suite, contrairement à ce que soutient la société requérante, le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Martin n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que cette obligation s’appliquait aux marchés de services sociaux et, par voie de conséquence, à la procédure de passation de l’accord-cadre en litige ».

Par suite, le Conseil d’Etat a considéré que le Juge des référés n’avait pas inexactement qualifié les faits en retenant que l’absence dans l’avis d’appel à concurrence de mention de la quantité ou valeur maximale des prestations à fournir en vertu de l’accord-cadre en litige n’avait pas mis la société requérante à même de présenter une offre adaptée aux prestations maximales auxquelles elle pourrait être amenée à répondre. Il a donc, comme pour l’affaire précédente, rejeté le pourvoi.