Le Conseil d’Etat apporte d’importants éclairages sur l’effet utile de l’annulation d’un refus de dresser un procès-verbal de constat d’infraction aux règles d’urbanisme dans un avis contentieux du 2 octobre 2025, n° 503737.
Pour rappel, le fait d’exécuter des travaux sans autorisation d’urbanisme, en violation des règles d’urbanisme ou en méconnaissance de l’autorisation d’urbanisme délivrée est puni d’une amende comprise entre 1.200 euros et un montant qui ne peut excéder, soit, dans le cas de construction d’une surface de plancher, une somme égale à 6.000 euros par mètre carré de surface construite, démolie ou rendue inutilisable au sens de l’article L. 430-2, soit, dans les autres cas, un montant de 300.000 euros. En cas de récidive, outre la peine d’amende ainsi définie un emprisonnement de six mois peut être prononcée[1].
Et le maire, agissant en tant qu’autorité de l’Etat, a l’obligation de faire dresser un PV de constat d’infraction lorsqu’il a connaissance d’une infraction mentionnée à l’article L. 480-4 du même code et d’en transmettre sans délai copie au ministère public[2], ce dernier disposant alors de l’opportunité des poursuites.
C’est ainsi que toute personne qui s’estime lésée par l’infraction peut demander au maire de faire constater l’infraction. Si le maire refuse d’en dresser procès-verbal, son refus peut être attaqué devant le juge administratif[3].
C’était précisément le cas dans l’affaire portée devant le Tribunal administratif de Poitiers.
En l’espèce, les deux requérants avaient constaté que des travaux avaient été entrepris sans autorisation sur un terrain voisin et demandé au Maire de Champagne-Mouton de dresser un procès-verbal d’infraction et de le transmettre au ministère public. Selon les termes du rapporteur public, « [L]e maire a préféré temporiser afin de permettre aux dits voisins de solliciter et d’obtenir un permis de régularisation des travaux entrepris »[4].
Ils ont ensuite attaqué le refus de dresser le PV d’infraction ainsi que le permis de régularisation. Le recours contre le permis de régularisation ayant été rejeté, la question se posait du sort à réserver au refus de dresser le PV, puisqu’une régularisation était intervenue et que, par conséquent, l’infraction avait cessé.
Cela supposait de s’interroger sur la date qui devait être prise en compte par le juge pour statuer sur ce refus, au regard notamment de sa jurisprudence sur l’appréciation dynamique de la légalité des décisions de refus[5]. Cela permet au juge, par exception au principe selon lequel il statue à la date de la décision en recours pour excès de pouvoir, de se placer à la date à laquelle il statue. La question se posait également au regard des conclusions aux fins d’injonction, qui relèvent du plein-contentieux.
Comme le rappellent les conclusions très fournies du rapporteur public, ces questions avaient fait l’objet de divergences d’interprétation par les juges du fond.
Le tribunal a donc posé les questions suivantes au Conseil d’Etat :
« 1° L’effet utile de l’annulation du refus du Maire de Champagne-Mouton de dresser un procès-verbal d’infraction en application de l’article L. 480-1 du Code de l’urbanisme et de procéder à sa transmission au ministère public impose-t-il que le juge de l’excès de pouvoir apprécie la légalité de ce refus au regard de la situation de droit et de fait prévalant à la date à laquelle cette décision de refus est intervenue ou au regard de la situation de droit et de fait prévalant à la date de sa propre décision ?
2° Dans l’hypothèse où le juge de l’excès de pouvoir doit apprécier la légalité du refus contesté au regard de la situation de droit et de fait prévalant à la date à laquelle cette décision de refus est intervenue, y-a-t-il lieu d’enjoindre à l’autorité administrative, chargée de dresser un procès-verbal en application de l’article L. 480-1 du Code de l’urbanisme, de procéder à l’établissement d’un tel acte et à sa transmission au ministère public ? ».
Le Conseil d’Etat a tranché de la manière suivante :
« 1. Le juge de l’excès de pouvoir apprécie, en principe, la légalité d’un acte administratif à la date de son édiction. Si, par exception, il se place à la date à laquelle il statue, c’est afin de conférer un effet pleinement utile à son intervention, eu égard à la nature des droits en cause et à la nécessité de prendre en compte l’écoulement du temps et l’évolution des circonstances de droit et de fait. […]
-
- […] le maire est tenu de faire dresser un procès-verbal en application de l’article L. 480-1 du Code de l’urbanisme lorsqu’il a connaissance d’une infraction mentionnée à l’article L. 480-4, résultant soit de l’exécution de travaux sans les autorisations prescrites par le livre IV du code, soit de la méconnaissance des autorisations délivrées et d’en transmettre une copie au ministère public. Cette obligation, qui a notamment pour objet d’informer le ministère public auquel il appartient de décider de la poursuite de l’infraction, n’est pas susceptible de s’éteindre par l’effet de l’écoulement du temps. Si des travaux irrégulièrement exécutés peuvent être régularisés, notamment par la délivrance ultérieure d’une autorisation, un tel changement de circonstances ne fait pas disparaitre l’infraction et ne saurait priver d’objet l’action publique.
- Dans ces conditions, l’effet utile de l’annulation du refus du maire de faire dresser un procès-verbal d’infraction en application de l’article L. 480-1 du Code de l’urbanisme et de procéder à la transmission d’une copie au ministère public impose que le juge de l’excès de pouvoir, saisi d’une demande d’annulation de ce refus, en apprécie la légalité au regard de la situation de droit et de fait à la date à laquelle cette décision de refus est intervenue, et non au regard de la situation de droit et de fait existant à la date de sa propre décision.
- Lorsque le juge administratif annule une telle décision de refus au motif qu’une infraction mentionnée à l’article L. 480-4 était caractérisée à la date de ce refus, il lui incombe en principe d’enjoindre au maire de faire dresser procès-verbal de cette infraction et d’en transmettre une copie au ministère public. Il en va cependant différemment lorsque l’action publique est prescrite à la date à laquelle le juge statue. »
Il faut ici comprendre que :
- Le Conseil d’Etat affirme que l’obligation du maire de dresser un PV de constat d’infraction et de le transmettre au ministère public ne s’éteint pas par l’écoulement du temps ;
- Il rappelle que l’infraction pénale ne disparaît pas du seul fait d’une régularisation des travaux du point de vue administratif et ne saurait priver d’objet l’action publique ;
- Il en déduit que la légalité du refus de dresser un procès-verbal de constat d’infraction s’apprécie au jour de la décision de refus, comme c’est le cas classiquement en recours pour excès de pouvoir ;
- Il en déduit également que le juge doit, en cas d’annulation de ce refus, enjoindre au maire de faire dresser procès-verbal de cette infraction et d’en transmettre une copie au ministère public ;
- Il apporte une nuance en estimant que le juge administratif ne doit cependant pas procéder à une telle injonction lorsque l’action publique est prescrite à la date à laquelle il statue, soit pour le cas des délits, six années révolues à compter de la commission de l’infraction[6]. Cela imposera donc au juge administratif – et donc aux avocats – de se poser la difficile question de la prescription de l’action publique avant de prononcer l’injonction.
Cette jurisprudence invite donc les maires à systématiquement dresser des procès-verbaux d’infraction et à les transmettre sans délai au ministère public. Et ce, même en cas de régularisation postérieure de la construction.
En pratique, la question se pose de savoir comment constater une infraction qui a cessé, puisque régularisée. Selon les conclusions du rapporteur public, après la régularisation, pourraient figurer dans le constat, l’existence-même du permis de régularisation, les courriers ou courriels échangés avec l’intéressé ou des voisins de celui-ci permettant de constater rétrospectivement l’existence d’une infraction et d’en délimiter l’ampleur ou les éventuels constats d’huissiers produits par des voisins.
Reste à savoir ce que le Parquet en fera.
En somme, si le ministère public a l’opportunité des poursuites, le maire n’a pas l’opportunité du constat d’infraction.
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[1] Article L. 480-4 du Code de l’urbanisme.
[2] Article L. 480-1 du Code de l’urbanisme.
[3] CE, 25 octobre 2006, ministre des Transports, de l’Equipement, du Tourisme et de la Mer c/ Mme X, n° 289515.
[4] Conclusions Dorothée PRADINES sous CE, Avis contentieux, 2 octobre 2025, n° 503737.
[5] CE Ass. 19 juillet 2019, Association des Américains accidentels, n° 424216, 424217.
[6] Article 8 du Code de procédure pénale.