Par un arrêt n° 498841 du 2 octobre 2025, rendu sur conclusions conformes de son rapporteur public[1], le Conseil d’État rejette le recours introduit par sept autorités organisatrices de la mobilité à l’encontre des dispositions relatives à la tarification de l’usage du réseau ferré national incluses dans le document de référence du réseau ferré national pour l’horaire de service 2024 et les horaires de service 2025 et 2026.
Conformément aux dispositions de l’article L. 2122-5 du Code des transports, il appartient à SNCF Réseau, en sa qualité de gestionnaire du réseau ferré national de publier chaque année un document de référence du réseau (ci-après, le « DRR ») du réseau ferré national qui décrit les caractéristiques de l’infrastructure mise à disposition des entreprises ferroviaires, les tarifs des prestations offertes, les règles de répartition des capacités, ainsi que les informations nécessaires à l’exercice des droits d’accès au réseau. En d’autres termes et très schématiquement, le DRR a notamment pour objet de définir les « redevances d’infrastructures » soit le coût d’utilisation du réseau ferré national. L’article L. 2111-25 du Code des transports et plusieurs dispositions règlementaires définissent les modalités de calcul de ces « redevances d’infrastructures » et les modalités procédurales relatives à leur établissement.
Plusieurs autorités organisatrices avaient déjà introduit un recours à l’encontre des dispositions tarifaires du DRR du réseau ferré national pour l’horaire de service 2024 et le Conseil d’État avait, par une décision en date du 5 mars 2024[2], annulé les dispositions tarifaires du DRR du réseau ferré national pour l’horaire de service 2024, et décidé que cette annulation prendrait effet le 1er octobre 2024. La société SNCF Réseau a donc publié un nouveau DRR du réseau ferré national pour les horaires de service 2024 à 2026. Les mêmes autorités organisatrices ont toutefois estimé que les dispositions tarifaires n’étaient toujours pas conformes à la législation en vigueur et ont saisi le Conseil d’État pour en obtenir l’annulation. Le Conseil d’État a donc été amené à se prononcer une nouvelle fois sur la régularité du DRR du réseau ferré national.
Plusieurs autorités organisatrices invoquaient un vice de légalité externe tenant à une violation du principe de transparence dans l’adoption des dispositions tarifaires du DRR. En vertu des articles L. 2111-9 et L. 2111-25 du Code des transports précités, il appartient effectivement à SNCF Réseau de consulter les régions préalablement tout projet portant modification de la structure ou du barème des redevances d’infrastructure pouvant avoir une incidence dans le ressort territorial d’une région. Et, les modifications des conditions tarifaires du DRR tombent dans le champ de cette obligation. À ce titre, SNCF Réseau doit fournir aux régions une information suffisante pour les mettre en mesure d’exprimer un avis éclairé sur les dispositions tarifaires en cause. Les autorités organisatrices estimaient ne pas avoir reçu suffisamment d’informations pour leur permettre d’émettre un avis éclairé. Le Conseil d’État rejette toutefois leur argumentaire en jugeant que les informations communiquées leur permettaient d’émettre un tel avis éclairé sur les dispositions tarifaires du DRR.
Toujours sur le plan de la légalité externe, certaines autorités organisatrices soutenaient également que SNCF Réseau avait violé l’article 7 du règlement intérieur de son conseil d’administration en ne convoquant pas ses membres dans le délai minimum de dix jours, prévu par l’article précité, préalablement à la réunion portant sur l’adoption du DRR. Toutefois, ce même article prévoit que les membres peuvent être convoqués seulement 24 heures avant la réunion du conseil d’administration en cas d’urgence. Or, au cas particulier, compte tenu de l’annulation contentieuse de la dernière version du DRR et de la nécessité d’adopter un nouveau DRR dans un délai restreint, le Conseil d’État a jugé qu’une telle situation d’urgence était caractérisée et justifiait la convocation des membres du conseil d’administration dans ce délai de 24 heures. En outre, le Conseil d’État relève que, contrairement à ce que soutenaient les autorités requérantes, les membres du conseil d’administration avaient bien reçu tous les documents leur permettant d’y participer en connaissance de cause et qu’avaient notamment été portés à leur connaissance l’ensemble des observations émises sur le DRR par les autorités organisatrices de la mobilité. Partant, le Conseil d’État rejette également ce moyen.
Sur le plan de la légalité interne, les autorités organisatrices de la mobilité soutenaient que les dispositions tarifaires attaquées méconnaissaient l’exigence de soutenabilité budgétaire en ce qu’elles conduisaient le montant des redevances au titre des services conventionnés à excéder la part de coût complet du réseau qui leur était imputable, en raison de lacunes et d’erreurs méthodologiques importantes. Toutefois, après une analyse de la méthodologie retenue par SNCF Réseau et de la structure de la redevance, le Conseil d’État a jugé que les autorités requérantes n’étaient pas fondées à soutenir que les dispositions tarifaires contestées méconnaitraient l’exigence de soutenabilité au motif que le montant des redevances au titre des services conventionnés n’avait pas été fixé à un niveau qui excéderait la part de coût complet du réseau qui leur est imputable.
Les autorités avançaient ensuite que les effets de cette tarification sur l’utilisation de l’infrastructure seraient insoutenables et sous-optimaux. Au soutien de ce moyen, les autorités requérantes soutenaient en substance que ces dispositions tarifaires allaient emporter un déficit dans l’exécution de leurs contrats de services qu’elles ne seraient pas en mesure de subventionner indéfiniment. Toutefois, le Conseil d’État rejette ce moyen au motif que les éléments produits au soutien de cet argument n’établissaient pas que « les majorations atteignent un niveau de nature à les conduire à prendre des mesures susceptibles d’affecter sensiblement l’utilisation de l’infrastructure sur le segment de marché correspondant ».
Les autorités requérantes affirmaient ensuite que le caractère forfaitaire d’une partie de la redevance d’infrastructures méconnaissait nécessairement l’article 6 du décret du 5 mai 1997 qui prévoyait que la redevance est « établie sur la base d’unités d’œuvre liées à l’utilisation de l’infrastructure ». Les autorités estimaient que la redevance ne pouvait pas être forfaitaire puisque le forfait est, par définition, indépendant de l’utilisation effective de l’infrastructure. Cependant, le Conseil d’État rejette ce moyen après avoir relevé que les dispositions tarifaires comportent un mécanisme de régularisation a posteriori de cette redevance forfaitaire en fonction du trafic réel, lequel permet de conserver « un certain rapport entre le montant facturé et l’utilisation réelle de l’infrastructure »[3].
Enfin, les autorités organisatrices affirmaient que les dispositions tarifaires méconnaissaient le principe d’impartialité et de sécurité juridique. Toutefois, le Conseil d’État a rejeté ces deux moyens aux motifs qu’ils n’étaient pas assortis des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé
Le Conseil d’État rejette donc les conclusions des autorités organisatrices de la mobilité à l’encontre du DRR pour le cycle 2024-2026.
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[1] D. Pradines, Conclusions sur CE, 2 octobre 2025, Région Auvergne-Rhône-Alpes et autres, n°s 498841 et a. ; les conclusions de madame le rapporteur public sont disponibles sur le site Ariane web.
[2] CE, 5 mars 2024, Région Auvergne-Rhône-Alpes et autres, n°s 472859 et a.
[3] D. Pradines, Conclusions sur CE, 2 octobre 2025, Région Auvergne-Rhône-Alpes et autres, n°s 498841 et a.