Contrats publics
le 10/07/2025
Antonin GRAS
Zoe HABRAN

Une simple réponse à un courrier du maître d’ouvrage peut-elle faire naître un décompte général et définitif tacite ?

CE, 12 mai 2025, n° 494301

Dans une décision rendue le 12 mai 2025, le Conseil d’État rappelle avec les conditions strictes dans lesquelles un décompte général et définitif tacite peut naître dans le cadre d’un marché public de travaux.

Il annule l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Toulouse en date du 19 mars 2024 dans lequel cette dernière a considéré à tort qu’un projet de décompte général avait été valablement notifié par l’entreprise titulaire du marché.

Dans cette affaire, l’INRAE (Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) avait conclu un marché portant sur la construction d’un bâtiment dédié à la conservation des ressources génétiques des plantes. Le lot n° 5 concernant les « menuiseries extérieures et façades » avait été confié à un groupement composé des sociétés Entreprise Carré et SMAC.

Un litige est né quant au solde du marché. La Cour administrative d’appel de Toulouse a alors retenu qu’un projet de décompte général avait été notifié par l’entreprise Carré le 17 mars 2020. Cette notification déclenchait ainsi le mécanisme de tacite acceptation, prévu à l’article 13.4.4 du CCAG Travaux 2014, en l’absence de réponse de l’INRAE dans les 30 jours suivant cette même notification (délai par le CCAP par dérogation au CCAG). La Cour avait par conséquent accordé 68 000 euros au groupement au titre du solde.

Le Conseil d’État annule cet arrêt. Il juge en effet que la Cour a dénaturé les pièces du dossier : le courrier du 17 mars 2020 ne constituait ni en forme ni en contenu un véritable projet de décompte général. Il s’agissait, en effet, d’une réponse de l’entreprise à un document de l’INRAE daté du 11 mars 2020, intitulé « décompte général » mais ne concernant en réalité que la tranche optionnelle n° 1. Par ailleurs, l’annexe du courrier de l’entreprise, bien qu’intitulée « projet de décompte général définitif », était une copie d’un précédent décompte final envoyé en novembre 2019.

Le rapporteur public a souligné que la Cour avait conféré à ce courrier « un sens grossièrement erroné tant par rapport à son contenu qu’à son contexte », et que le caractère non équivoque d’une notification de projet de décompte général était une condition impérative pour faire naître un décompte tacite.

Pour rappel, le CCAG Travaux 2014, applicable en l’espèce, distingue :

  • Le projet de décompte final transmis par l’entreprise (art. 13.3.2 et 13.3.3)
  • Le projet de décompte général, établi par le maître d’œuvre (art. 13.3.4 et 13.4)
  • Et la possibilité, en l’absence de ce dernier, pour l’entreprise de transmettre elle-même un projet de décompte général (art. 13.4.4), déclenchant un décompte général définitif tacite à défaut de réponse (dans un délai de 10 jours selon le CCAG, et dans un délai de 30 jours selon le CCAP en l’espèce)

Encore faut-il, comme le souligne le Conseil d’État, que la notification soit explicite et régulière, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

Cette exigence de notification formelle, qui faisait défaut en l’espèce, s’inscrit dans une jurisprudence plutôt rigoureuse en matière de formalisme contractuel et de preuve dans les marchés publics.

Parmi ces décisions figure notamment la décision du 29 décembre 2023 Commune de Saint-Thibéry[1], dans lequel le Conseil d’État avait censuré un arrêt de la Cour administrative d’appel de Toulouse. Celle-ci avait déduit la notification d’un décompte général à partir d’éléments ambigus.

Le Conseil d’État annule l’arrêt. Il constate que la preuve de cette notification n’est pas rapportée dans le dossier, alors même que la commune contestait expressément le caractère définitif du décompte. L’absence de preuve de la notification rendait ainsi la créance incertaine et inopposable à la personne publique.

Ainsi, à l’instar de l’arrêt rendu le 29 décembre 2023, le Conseil d’Etat affirme le 12 mai 2025 que le caractère définitif d’un décompte général, conditionnant l’existence d’une créance exigible, suppose une notification à la fois régulière, certaine et non équivoque.

Dans cette décision, la jurisprudence rappelle qu’elle s’en tient au contenu objectif des décision contractuelles notifiées.

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[1] CE, 29 décembre 2023, n° 470274.