Lorsque le licenciement d’un salarié se fonde sur la commission de faits de harcèlement moral, de harcèlement sexuel, ou d’agissements sexistes ou à connotation sexuelle, il appartient aux juges du fond d’apprécier la force probante de l’enquête interne réalisée par l’employeur, au regard, le cas échéant, des autres éléments de preuve versés aux débats par les parties.
Dans la continuité d’une jurisprudence foisonnante concernant les faits de harcèlement sexuel et moral, et plus précisément les enquêtes internes menées, cet arrêt vient mettre en exergue l’importance du pouvoir d’appréciation du juge concernant la valeur probante d’une enquête interne menée.
Remise en contexte. Un salarié, occupant un poste de directeur de développement puis de directeur associé, a fait l’objet d’une mise à pied conservatoire et a été licencié pour faute à la suite de plaintes de collaboratrices pour des propos et comportements sexistes. A la suite de ces signalements la direction RH a pris les devants, avec le CHSCT, en menant une enquête interne.
L’enquête a abouti à la conclusion suivante : les propos et agissements, à connotation sexuelle et sexiste de la part du salarié et la nuisance à l’ambiance provoquée par ces agissements sont fréquents et inacceptables.
Les arguments des parties. Le salarié conteste son licenciement en arguant notamment la partialité de l’enquête. Ce dernier souligne entre autres que cette enquête était uniquement à charge du fait que plusieurs membres du CHSCT ayant participé à l’enquête sont des amis des collaboratrices plaignantes. Il pointe également le caractère tronqué de l’enquête, notamment par un versement partiel et caviardé des comptes-rendus d’entretiens qui ne reflètent pas la réalité des propos tenus.
En réplique, la société défend l’impartialité de la commission et justifie l’absence de certains documents par la volonté de salariés de rester anonymes, tout en rappelant que le juge peut tenir compte de témoignages anonymisés puisque la preuve est libre en matière prud’homale.
Si la juridiction prud’homale avait donné raison à la société, c’est une tout autre position qu’a adopté la Cour d’appel, qui sera confirmée par la Cour de cassation.
Décision : une enquête interne jugée insuffisante. L’enquête produite a été considérée comme très incomplète et pas suffisamment probante. A ce titre, les faits reprochés au salarié ne sont pas établis avec certitude, le doute subsistant doit donc lui profiter.
Penchons-nous sur l’argumentation développée par la Cour d’appel, confirmée par la Cour de cassation. Les juges ont reproché à la société le versement partiel de l’enquête aux débats (5 comptes-rendus versés sur 14 entretiens réalisés).
Les juges du fond considèrent, concernant le non-versement de témoignages par la volonté de salariés de conserver l’anonymat avancée par la société, que cet argument ne tient pas. Et pour cause, la société n’explique pas en quoi elle n’aurait pas pu anonymiser ces éléments et ne verse pas aux débats de courriels adressés à ces derniers pour leur demander leur accord, ni de réponse de refus de leur part (alors qu’elle produit ces échanges de mails pour ceux y ayant consenti).
La Cour estime que rien ne justifie le non-versement de ces pièces. Elle va même plus loin et en déduit une abstention fautive de la part de la société portant préjudice au salarié.
En outre, elle indique que certains comptes-rendus d’entretien étaient tronqués et que certains faits décrits ne permettaient pas de s’assurer que la personne interrogée en avait été personnellement témoin.
Par conséquent, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi établi par la société. En application de l’article L 1235-1 du Code du travail et en raison du caractère incomplet de l’enquête interne et donc son caractère non probant, le doute doit profiter au salarié dont le licenciement a été reconnu sans cause réelle et sérieuse.
Constat. Cet arrêt vient confirmer que le rôle des juges du fond est clé pour apprécier la valeur probante d’une enquête interne. En cas d’enquête incomplète ou tronquée, le doute profitant au salarié concerné par la mesure de licenciement pourrait voir cette dernière remise en cause, à son avantage.
Cet arrêt s’inscrit dans la même lignée qu’un précédent arrêt de la Cour de cassation qui indiquait qu’il appartenait aux juges du fond d’apprécier la valeur probante d’une enquête interne produite par l’employeur (Cass. Soc. 29 juin 2022 no 21-11.437).
Echo à une jurisprudence en mouvement. Cet arrêt est à rapprocher de la position de la Cour d’appel de Paris qui s’était prononcée sur un harcèlement d’ambiance et pour lequel elle avait considéré que l’enquête interne menée par l’employeur était insuffisante (CA Paris, 26 nov. 2024 – n° 21/10408). Était critiqué le manque de rigueur de l’enquête interne, qui ne permettait pas d’écarter la possibilité de harcèlement discriminatoire (voir notre article : Sexisme au travail : Rappel à l’ordre des employeurs face au « harcèlement d’ambiance »).
Rappelons-le, même si la Cour de cassation a récemment considéré que l’absence d’enquête ne caractérisait pas, en soi, un manquement à son obligation de sécurité (Cass. Soc. 12 juin 2024 no 23-13.975) elle reste recommandée.
Concernant l’anonymat, la Cour de cassation s’est récemment positionnée sur le sujet. Si le Juge ne peut se fonder uniquement sur des témoignages anonymes, il peut prendre en considération des témoignages anonymisés (Cass. Soc. 19 mars 2025 n° 23-19.154).
Dans le présent arrêt de la Cour de cassation du 18 juin 2025, la société aurait pu anonymiser les comptes-rendus d’entretien ce qui aurait garanti l’anonymat des témoins dans l’enquête, plutôt que de s’abstenir de les verser.
En outre, les enquêtes devenant un sujet majeur et délicat pour les entreprises, le Défenseur des droits s’en est fait l’écho et a récemment publié une méthodologie détaillée pour tout employeur qui souhaiterait mener une enquête interne à la suite d’un signalement pour des faits de discrimination et d’harcèlement (Décision-cadre du Défenseur des droits 2025-19 du 5 fév. 2025).