Le 24 juin dernier, la Cour administrative d’appel de Nantes a reconnu la responsabilité de l’Etat pour le décès de M. C… provoqué par l’inhalation des gaz toxiques dégagés par les algues vertes dans l’estuaire du Gouessant.
Pour rappel, les proches de M. C… avaient recherché la responsabilité de l’Etat, de la Communauté d’agglomération de Saint-Brieuc et de la Commune d’Hillion après que ce dernier a trouvé la mort alors qu’il pratiquait la course à pied dans l’estuaire du Gouessant. Le Tribunal administratif de Rennes, alors saisi de cette affaire, avait rejeté ces demandes au motif qu’il n’avait pas été établi que le décès de la victime avait été causé par l’inhalation d’un gaz toxique, l’hydrogène sulfuré, provenant de la décomposition d’algues vertes accumulées sur place.
A l’occasion de l’appel de ce jugement devant la Cour administrative d’appel de Nantes, seule la responsabilité de l’Etat est remise en cause.
A cet égard, le juge d’appel reconnaît la faute de l’Etat du fait de sa carence dans la mise en œuvre des mesures nécessaires au respect de la Directrice Nitrates du 12 décembre 1991 (Directive 91/676/CEE), d’une part, et de la Directive Eaux brutes du 16 juin 1976 (Directive 75/440/CEE), d’autre part.
Le juge rappelle d’abord la jurisprudence communautaire reconnaissant la responsabilité de l’Etat du fait du non-respect des directives précitées (CJCE, 8 mars 2001, aff. C-266/99 et CJCE 13 juin 2013, aff. C-193/12).
Il reproche ensuite à l’Etat une insuffisance dans les politiques publiques menées pour faire respecter ces directives, en estimant, d’une part, qu’elles n’avaient pas respecté les principes définis par le législateur pour préserver la ressource en eau des pollutions diffuses d’origine agricole et, d’autre part, que l’inapplication de la législation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement, de même que la régularisation massive, sans fondement légal, des exploitations agricoles existantes et l’insuffisance des contrôles ont eu pour conséquence la dégradation continue des cours d’eau et des nappes aquifères par l’activité agricoles.
Le juge se fonde encore sur différents rapports faisant état de « l’absence de résultats visibles de diminution des phénomènes de marées vertes » ou encore de la « faiblesse et la lenteur des progrès mesurables sur les milieux aquatiques » devant conduire le législateur à repenser les politiques publiques mises en place. Le juge retient par ailleurs qu’en 2018, « 100 % des surfaces agricoles bretonnes [étaient] toujours classées en « zones vulnérables » » et que « la plupart des masses d’eau souterraines [étaient] en mauvais état pour le paramètre nitrates et que de nombreux territoires [étaient] concernés par des problèmes d’eutrophisation pour les masses d’eau souterraines ».
Le juge écarte en revanche le moyen des appelants tendant à faire reconnaître la carence de l’Etat du fait de la publication tardive d’une étude réalisée par les services de l’Etat identifiant les vasières à risque. Il considère en effet que le défaut d’information du public sur les dangers représentés par la prolifération des algues vertes, allégué par les requérants, n’était pas établi.
Puis la Cour administrative d’appel examine de manière très précise le lien de causalité entre les fautes incombant à l’Etat et le décès de M. C… Il établit l’existence de ce lien en considérant, en substance, que :
- la prolifération des algues vertes n’aurait pas connu une telle ampleur si l’Etat n’avait pas fait preuve de carence dans la mise en œuvre de ses différentes politiques publiques ;
- le décès de M. C… a été causé par une asphyxie rapide liée à un œdème évoquant une intoxication par inhalation d’un gaz dangereux ;
- la décomposition des algues vertes est à l’origine d’émissions d’hydrogène sulfuré ;
- les analyses réalisées ont révélé des concentrations d’hydrogène sulfuré susceptibles de provoquer une intoxication mortelle (le niveau d’hydrogène sulfuré à proximité de la zone où M. C… a trouvé la mort atteignait à plusieurs reprises 1 000 ppm).
Par cet arrêt, la responsabilité de l’Etat est donc engagée. Le juge l’atténue néanmoins au motif que M. C… aurait fait preuve d’imprudence en traversant, lors de sa session sportive, la filière du Gouessant, qu’il n’avait pas l’habitude d’emprunter, « dans la mesure où il connaissait les risques d’envasement et d’intoxication à l’hydrogène sulfuré liés à la présence d’algues vertes dans la vasière ».