Aux termes d’un arrêt clair et concis, la Cour de cassation est venue clore les débats sur les conditions d’application de l’article L. 1123-1 du Code général de la propriété des personnes publiques permettant la qualification d’un bien sans maître en raison de l’absence de successeur.
Pour rappel, cet article distingue deux hypothèses dans lesquelles des biens sans propriétaire identifié peuvent être qualifié de biens sans maître :
- Des biens qui « font partie d’une succession ouverte depuis plus de trente ans et pour laquelle aucun successible ne s’est présenté» ;
- Ou des « immeubles qui n’ont pas de propriétaire connu et pour lesquels depuis plus de trois ans les taxes foncières n’ont pas été acquittées ou ont été acquittées par un tiers».
C’est sur le premier cas de figure que la Cour de cassation s’est positionnée dans le cadre de l’arrêt du 27 mars dernier.
Dans cette affaire, la propriétaire de trois parcelles était décédée en janvier 1986 en laissant pour lui succéder ses quatre enfants. Le 2 mars 2016, le conseil municipal de la commune a pris une délibération autorisant le maire à constater par arrêté l’appropriation de plein droit de ces parcelles regardées comme des biens sans maître sur le fondement du 1° de l’article L. 1123-1 du CGPPP.
Considérant que les parcelles ne pouvaient pas être qualifiées de « sans maître », certains héritiers ont assigné la commune en vue de la restitution de ces parcelles au motif que certains membres de l’indivision successorale étaient connus du maire de la commune, si bien qu’ils devaient être considérés comme s’étant présentés au sens de l’article L. 1123-1 du CGPPP, et ce en dépit du fait qu’aucun successeur n’avait préalablement exercé l’option successorale.
La Cour d’appel avait rejeté cet argument au motif que la connaissance de l’existence d’un héritier ne saurait présumer que ces derniers entendaient accepter la succession en cause, et ne pouvait donc être considérés comme s’étant présenté à la succession.
Dans le cadre du pourvoi, la Cour de cassation valide ce raisonnement :
« 6. Selon l’article 713 du Code civil, les biens qui n’ont pas de maître appartiennent à la commune sur le territoire de laquelle ils sont situés.
7. Selon l’article L. 1123-1, 1°), du Code général de la propriété des personnes publiques, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022, sont considérés comme n’ayant pas de maître les biens autres que ceux relevant de l’article L. 1122-1 qui font partie d’une succession ouverte depuis plus de trente ans et pour laquelle aucun successible ne s’est présenté.
8. Doit être regardé, au sens du deuxième de ces textes, comme s’étant présenté à la succession le successible qui se manifeste dans le délai de trente ans suivant le décès du propriétaire pour réclamer la transmission successorale des immeubles concernés, et, ainsi, faire obstacle à leur appropriation publique ».
Aussi, pour la Cour de cassation, afin de faire échec à l’appropriation publique d’un bien sous le régime des biens sans maître, il est nécessaire que l’héritier ait manifesté son intention d’accepter la succession, seule condition lui permettant de justifier de sa « présentation » au sens de l’article L. 1123-1 du CGPPP.
Cette jurisprudence est à mettre en relation avec les dispositions de l’article 782 du Code civil qui organise l’acceptation expresse ou tacite d’une succession :
« L’acceptation pure et simple peut être expresse ou tacite. Elle est expresse quand le successible prend le titre ou la qualité d’héritier acceptant dans un acte authentique ou sous seing privé. Elle est tacite quand le successible saisi fait un acte qui suppose nécessairement son intention d’accepter et qu’il n’aurait droit de faire qu’en qualité d’héritier acceptant ».
En l’espèce, aucun élément n’avait été apporté par les requérants afin de prouver l’acceptation tacite de la succession (le paiement en 2018 par certains héritiers de sommes dues au titre de taxes foncières dues par la défunte ayant été considéré comme des actes conservatoires au sens de l’article 784 du Code civil).
La présentation d’un héritier au sens de l’article L. 1123-1 du CGPPP concernant les biens sans maître suppose donc nécessairement l’acceptation de la succession, faute de quoi la commune pourra s’approprier le bien « sans maître ».