Mobilité et transports
le 15/05/2025

Précisions de la Cour de justice de l’Union européenne sur le régime de la modification d’une concession lorsque le titulaire ne remplit plus les conditions de qualification d’entité « in house »

CJUE, 29 avril 2025, Fastned Deutschland GmbH & Co. KG c. Die Autobahn GmbH des Bundes, C‑452/23

Par un arrêt en date du 29 avril 2025 la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « CJUE ») considère qu’une concession ayant fait l’objet d’une attribution sans mise en concurrence peut, par la suite, être modifiée sans mise en concurrence quand bien même son concessionnaire n’a plus la qualité d’entité in house, à condition que la modification ait été rendue nécessaire du fait de circonstances imprévues au moment de la conclusion du contrat.

Pour rappel, l’exception « in house » ou « quasi-régie » est une construction jurisprudentielle « Teckal »[1] de la Cour de justice de l’Union européenne que le législateur européen a consacré à l’article 12 de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et à l’article 17 de la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l’attribution des contrats de concessions.

Elle permet au pouvoir adjudicateur qui exerce sur une personne morale un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services de lui confier un marché ou une concession dont la passation et l’exécution ne seront pas soumises aux règles de droit commun de la commande publique.

Pour ce faire, comme il s’agit de deux personnes morales distinctes, le contrôle exercé par le pouvoir adjudicateur sur la personne morale contrôlée doit être aussi fort que celui exercé sur un « service administratif » du pouvoir adjudicateur et notamment, la personne morale contrôlée ne doit pas comporter de participation directe de capitaux privés au capital.

Parmi les règles dont sont exonérées les concessions dites « in house » figurent celles prévues par les dispositions de l’article 72 de la directive 2014/24/UE sur la passation des marchés publics et de l’article 43 de la directive 2014/23/UE sur l’attribution des concessions sur la modification des marchés publics et des concessions.

Aux termes de ces dispositions, la modification d’un contrat peut se faire sans mise en concurrence, à condition que la nature globale du contrat ne soit pas modifiée et que la modification entre dans l’une des hypothèses de modifications autorisées prévue par les directives 2014/23/UE et 2014/24/UE (modification prévue par le contrat ; changement de cocontractant ; travaux, services ou fournitures supplémentaires ; modification de faible montant ; modification non-substantielle ; circonstances imprévues).

Dans cette espèce, entre 1996 et 1998, l’Etat allemand a attribué à une société dénommée Tank & Rast et dont il était l’unique actionnaire plusieurs concessions portant sur l’exploitation d’installations de services annexes sur les autoroutes fédérales allemandes.

En 1998 la société concessionnaire a fait l’objet d’une privatisation et d’une séparation en deux entités distinctes, les sociétés Autobahn Tank & Rast GmbH et Ostdeutsche Autobahntankstellen GmbH, lesquelles sont devenues concessionnaires d’environ 90 % de l’ensemble des installations de services annexes existantes.

Par suite, la société Die Autobahn des Bundes, société de droit privé détenue par l’Etat allemand et en charge de la planification, la construction, l’exploitation, l’entretien, le financement et la gestion patrimoniale des autoroutes fédérales allemandes, a décidé de modifier les contrats de concessions et d’ajouter aux missions des deux concessionnaires, la construction, l’entretien et l’exploitation d’infrastructures de recharge électrique à haute puissance pour les besoins des véhicules.

Selon l’avis publié par le pouvoir adjudicateur, la modification était justifiée au regard du c) de l’article 43§1 de la directive 2014/23/UE permettant de modifier sans mise en concurrence un contrat de concession en cas de circonstances que le pouvoir adjudicateur ne pouvait pas prévoir (circonstances imprévues).

Une société exploitante d’infrastructures de recharge pour véhicules électriques, dénommée Fastned, laquelle aurait pu se voir attribuer ces missions, a alors décidé de contester la décision de modification des contrats de concession estimant que, la modification ne pouvait pas se justifier par les dispositions du c) de l’article 43§1 de la directive 2014/23/UE dès lors que ces dispositions ne sont pas applicables à la modification d’un contrat attribué à l’origine à une entité in house sans mise en concurrence.

C’est dans ce cadre que la juridiction allemande a saisi la CJUE d’une question préjudicielle afin de savoir si, les dispositions du c) de l’article 43 §1 de la directive 2014/23 sur la modification des concessions du fait de circonstances imprévues s’appliquent aux concessions attribuées à une entité in house lorsqu’au moment de la modification du contrat les conditions de l’attribution in house ne sont plus réunies.

Selon la CJUE, si à la date de la modification le concessionnaire ne répond plus aux conditions de qualification d’entité in house, la modification ne peut être effectuée sans nouvelle procédure d’attribution que si les conditions prévues à l’article 43 de la directive 2014/23/UE sur la modification des concessions sont remplies.

Autrement dit, si au moment de la modification, le concessionnaire n’a plus la qualité d’entité in house, les dispositions de la directive 2014/23/UE sur la modification des concessions trouvent à s’appliquer.

Précisément, selon la Cour et en application de la jurisprudence Comune di Lerici[2] rendue en application de la directive 2014/24/UE sur la passation des marchés publics, si la modification a pour objet de remplacer un cocontractant ayant la qualité d’entité in house par un nouveau cocontractant n’ayant pas cette qualité, cette modification équivaut à une nouvelle attribution de la concession devant faire l’objet d’une mise en concurrence.

En revanche, la situation est différente si la modification porte sur l’objet de la concession et non pas sur la perte par la concession de sa qualité d’entité « in house ». Dans un tel cas, la Cour considère qu’une concession ayant fait l’objet d’une attribution sans mise en concurrence peut, par la suite, être modifiée sans mise en concurrence quand bien même son concessionnaire n’a plus la qualité d’entité in house, à condition que la modification ait été rendue nécessaire du fait de circonstances imprévues au moment de la conclusion du contrat.

_______

[1] CJCE, 18 novembre 1999, Teckal, aff. C-107/98

[2] CJUE, 12 mai 2022, Comune di Lerici, aff. C-719/20