Contrats publics
le 12/03/2025

Concession Autolib’ : résiliation pour défaut d’intérêt économique et indemnisation du concessionnaire

CAA Paris, 21 février 2025, n° 24PA00645

Par un arrêt du 21 février dernier, la Cour administrative d’appel de Paris annule un jugement du Tribunal administratif de Paris du 12 décembre 2023, et condamne le syndicat mixte Autolib’ et Vélib’ métropole (SMAVM) à verser à la société Autolib’ la somme de 66.078.216,79 euros, au titre de la résiliation de la concession de service public portant sur la mise en place, la gestion et l’entretien d’un service d’automobiles électriques en libre-service et d’une infrastructure de recharge de véhicules électriques dont elle était titulaire.

Cet arrêt présente un intérêt particulier au regard du motif de résiliation, qui repose sur le défaut d’intérêt économique de la concession.

Plus précisément, la société Autolib’ avait, après plusieurs années d’exploitation, notifié au SAVM le défaut d’intérêt économique de la concession, et lui avait demandé en conséquence le versement d’une compensation financière.

Le contrat prévoyait en effet à ce sujet la possibilité, pour les parties, de reconnaître l’absence d’intérêt économique de la concession, en cas de « pertes d’une ampleur exceptionnelle » sans amélioration possible (pertes cumulées au-delà de 60 millions d’euros au terme du contrat). Si la perspective de cette situation se présentait, le concessionnaire pouvait solliciter le versement d’une compensation financière par le Syndicat pour ramener le niveau de perte au seuil précité, ou la résiliation du contrat, avec application des clauses indemnitaires prévues en cas de résiliation pour motif d’intérêt général (couvrant notamment la perte de recettes au-delà du seuil de 60 millions d’euros). Après avoir refusé de verser la compensation financière, c’est dans cette seconde voie que s’était engagé le Syndicat, en prononçant la résiliation du contrat de concession, mais en refusant d’indemniser la société Autolib’ à hauteur de ses prétentions au titre de la résiliation pour motif d’intérêt général.

Le Tribunal administratif de Paris avait rejeté la demande de la société Autolib’ à condamner le Syndicat à lui verser les sommes qu’elle réclamait (plus de 253 millions d’euros), au motif que le mécanisme de compensation prévu par le contrat constituait une libéralité consentie par le Syndicat, en méconnaissance de leur interdiction de principe applicable aux personnes publiques, et également en méconnaissance du principe selon lequel un concessionnaire doit supporter le risque financier attaché au contrat[1].

La Cour administrative d’appel de Paris censure ce raisonnement et considère que le contrat de concession ne comportait pas de libéralité, et ne permettait pas au concessionnaire, de toucher une indemnisation supérieure au montant de son préjudice. À cet effet, la Cour relève (i) que le dispositif contractuel conduisait à ce que le montant de la compensation en cas de défaut d’intérêt économique soit adapté « aux pertes réellement subies par le concessionnaire au-delà de 60 millions d’euros », et (ii) qu’en cas de résiliation de la concession pour défaut d’intérêt économique, le concessionnaire ne bénéficiait pas de la compensation, si bien que l’indemnisation de résiliation prévue (qui couvrait les pertes supérieures au seuil de 60 millions d’euros) n’excédait pas le montant du préjudice du concessionnaire (lequel couvre notamment les dépenses qu’il avait exposées et qui n’ont pas été couvertes par la compensation qui lui aurait été versée si le contrat n’avait pas été résilié).

Le raisonnement de la Cour témoigne ainsi de ce que, dans le cadre d’une concession où le concessionnaire doit supporter le risque attaché à l’exploitation du service qui lui est confié, il est possible pour les parties d’organiser contractuellement des dispositifs destinés à parer un niveau de pertes substantiel, et un niveau de pertes tel qu’il remet en cause l’opportunité même de conclure un contrat de concession pour le service concerné.

En conséquence de cette absence de libéralité, la Cour applique, pour calculer le montant de l’indemnité due à la société à raison de la résiliation de la concession, les trois postes indemnitaires prévus par le contrat : (i) la valeur nette comptable des biens de retour de la concession (bornes de charge et de recharge, études préalables à la détermination des emplacements des bornes), (ii) les coûts de résiliation des sous-contrats en cours et (iii) la compensation des pertes dépassant le seuil de 60 millions d’euros.

La Cour réduit toutefois le montant de l’indemnité demandée par la société Autolib’, en considérant qu’au regard des prévisions sur la période 2011-2016, elle aurait dû notifier bien plus tôt le défaut d’intérêt économique de la concession (au plus tard le 30 novembre 2013), et limiter ainsi les « dégâts ». La Cour retient donc que la société peut seulement « prétendre à l’indemnisation du déficit cumulé de la concession excédant 60 millions d’euros jusqu’au 31 décembre 2013 ».

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[1] TA Paris, 12 décembre 2023, req. n° 1919348.