A la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale le 10 juin 2024[1], les électeurs ont été convoqués, les 30 juin et 7 juillet suivants, en vue de procéder à une nouvelle élection des députés. Dans la deuxième circonscription du département du Jura, six candidatures avaient été enregistrées pour le premier tour de scrutin.
Parmi elles figurait celle de Monsieur MOSCA, candidat du Rassemblement National dont la candidature pour le premier tour de scrutin a été enregistrée par la préfecture en dépit de son placement sous curatelle renforcée, information qui n’était alors pas publique.
A cet égard, notons que, en vertu de l’article L.O. 129 du Code électoral, les majeurs en tutelle ou en curatelle sont inéligibles et que, conformément à l’article L.O. 127 du même Code, cette inéligibilité s’apprécie au premier tour de scrutin.
Dans ces conditions, la personne dont la mesure de tutelle ou de curatelle n’a pas été levée à la date du premier tour de scrutin doit être considérée comme inéligible[2], ce qui était le cas, le 30 juin, 2024 de Monsieur MOSCA, celui-ci faisant l’objet d’une mesure de curatelle renforcée depuis le 23 novembre 2023 et pour une durée de vingt-quatre mois.
Toutefois, le Code électoral ne prévoit d’interdiction de faire acte de candidature aux élections législatives qu’à l’égard des personnes déclarées inéligibles par le juge administratif ou le Conseil constitutionnel[3], ce qui n’est pas le cas des majeurs protégés, de sorte que, en l’occurrence, rien ne faisait obstacle, d’un point de vue juridique, à ce que Monsieur MOSCA se porte candidat aux élections législatives.
En revanche, il appartient au préfet, en application de l’alinéa 1er de l’article LO. 160 du Code électoral, de refuser d’enregistrer la candidature d’une personne inéligible et, ce, quelle que soit la cause de cette inéligibilité.
Toutefois, il convient d’observer que le préfet ne peut exiger des candidats d’autres pièces que celles qui permettent de justifier de leur identité et de leur qualité d’électeur – étant précisé que les majeurs protégés sont titulaires du droit de vote[4] – ainsi que de celles de leur remplaçant[5], de sorte que la préfecture n’était pas en mesure d’accéder, lors de l’enregistrement des candidatures au premier tour, au jugement rendu par le juge des tutelles à propos de Monsieur MOSCA.
L’inéligibilité du candidat Rassemblement national a été rendue publique par voie de presse à la veille du premier tour.
Trois candidats ont finalement été retenus pour le second tour de scrutin : Madame DALLOZ, candidate sortante Les Républicains avec 38,59 % des voix, Monsieur MOSCA, candidat du Rassemblement National avec 32,76 % des voix et Madame TERNANT, candidate du Nouveau Front Populaire avec 24,75 % des voix.
La direction du RN ayant décidé de maintenir son candidat, Madame TERNANT, arrivée en troisième position, a fait le choix, dans le cadre du front républicain, de se désister au profit de Madame DALLOZ.
Seuls deux candidats, Madame DALLOZ et Monsieur MOSCA, se sont donc présentés pour le second tour dans la deuxième circonscription du Jura.
Le 7 juillet 2024, avec un score de 65,02 % des voix, Madame DALLOZ a été réélue face à Monsieur MOSCA, qui a, quant à lui, recueilli 34,98 % des voix.
Le 17 juillet suivant, Madame TERNANT, candidate arrivée en troisième position, a saisi le Conseil constitutionnel d’une requête tendant à l’annulation de ces opérations électorales et soutenait, en particulier, que la préfecture du Jura n’aurait pas dû enregistrer la candidature de Monsieur MOSCA et que la présence de ce candidat inéligible avait faussé la sincérité du scrutin.
De son côté, la préfecture du Jura estimait ne pouvoir apprécier l’éligibilité de Monsieur MOSCA qu’au premier tour de scrutin, ce qu’elle n’avait pu faire compte tenu de ce qu’elle n’était pas en mesure d’accéder au jugement rendu par le juge des tutelles, si bien qu’elle ne pouvait régulièrement refuser d’enregistrer sa candidature au second tour.
Saisi de cette requête, le Conseil constitutionnel a considéré que la présence irrégulière de Monsieur MOSCA avait, dès le premier tour de scrutin, compte tenu du nombre de suffrages qu’il a recueillis, affecté de manière déterminante la répartition des suffrages exprimés par les électeurs.
Il a ainsi annulé l’élection de Madame DALLOZ en jugeant que cette irrégularité, bien qu’elle ne soit pas imputable à la candidate élue, devait être regardée comme ayant porté atteinte à la sincérité du scrutin.
Le Conseil constitutionnel n’est toutefois pas revenu sur les obligations qui sont celles du préfet lorsqu’il est confronté à une telle situation lors de l’enregistrement des candidatures. En effet, la question était, en particulier, de savoir si le représentant de l’Etat peut, d’une part, se fonder sur d’autres éléments que les documents que le candidat est tenu de présenter en application du Code électoral pour apprécier son éligibilité et, d’autre part, apprécier cette éligibilité au second tour de scrutin et, le cas échéant, de refuser d’enregistrer sa candidature à ce stade des opérations électorales.
___________
[1] Décret du 9 juin 2024 portant dissolution de l’Assemblée nationale.
[2] V. par ex. la confirmation de l’irrecevabilité de la candidature aux élections législatives d’un candidat placé sous tutelle : cons. const. 17 mai 1973, AN, Val-d’Oise, 3e circ., n° 73-580.
[3] Article LO. 128 du Code électoral.
[4] Nous précisons que la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a abrogé l’article L. 5 du Code électoral, qui permettait au juge des tutelles de priver les majeurs placés sous un régime de tutelle de leur droit de vote.
[5] Articles L. 154 et L. 155 du Code électoral.