La Cour administrative d’appel de Toulouse a récemment confirmé la solution posée par une décision du 8 février 1999 du Conseil d’Etat, aux termes de laquelle les observations formulées, même définitivement, par une chambre régionale des comptes (CRC), sur la gestion d’une collectivité territoriale ou d’un organisme entrant dans le champ du contrôle de gestion de la Chambre, ne présentent pas le caractère de décisions susceptibles de faire l’objet d’un recours devant le juge administratif[1].
Cette solution traditionnelle était motivée par trois séries de motifs, à savoir :
- L’absence de modification de l’ordonnancement juridique par les rapports d’observations définitives ;
- La limitation de l’office du juge de l’excès de pouvoir, auquel il n’appartient pas de s’immiscer dans l’appréciation portée par les CRC, dans le cadre de leurs compétences légales, sur la gestion des collectivités territoriales et autres organismes concernés ;
- Les garanties d’ores-et-déjà prévues au profit des collectivités territoriales et organismes contrôlés (caractère contradictoire de la procédure suivie par la CRC, adoption collégiale du rapport, existence d’une procédure de rectification soumise au contrôle du juge administratif[2] et publication, en annexe au rapport, de la réponse aux observations définitives formulée par la personne mise en cause)[3].
Toutefois, depuis la décision Commune de la Ciotat, la jurisprudence du Conseil d’Etat a, en parallèle, évolué, dans le sens d’un élargissement plus général de la recevabilité des recours, s’agissant des actes de « droit souple ». Ainsi, ont été jugés recevables des recours dirigés contre :
- Les actes des autorités administratives qui, sans modifier l’ordonnancement juridique, sont susceptibles d’avoir des effets extra-juridiques notables, non seulement économiques mais également sur des pratiques professionnelles ou sur l’honneur ou la réputation d’une personne[4];
- Les documents de portée générale émanant d’autorités publiques, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation des personnes autres que les agents chargés de leur mise en œuvre[5];
- La décision de publier un rapport de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires et contre le refus de le modifier, mais également contre le contenu du rapport lui-même lorsqu’il comporte des mentions susceptibles d’exercer une influence significative ou de présenter des effets notables de nature à léser les intérêts de la personne concernée[6].
Il était ainsi possible de s’interroger sur le maintien de la solution issue de la décision Commune de la Ciotat susmentionnée. Et la rapporteure publique avait d’ailleurs conclu à la recevabilité du recours dont était saisie la Cour administrative d’appel de Toulouse.
Dans cette affaire, la Cour était saisie d’un recours d’une société délégataire de service public pour le compte d’un syndicat mixte qui avait fait l’objet d’un contrôle de sa gestion des années 2014 à 2020 par la CRC Occitanie. A la suite de cet examen, la gestion de la société avait en effet fait l’objet de critiques dans le rapport d’observations définitives de la chambre, dont l’intéressée avait demandé l’annulation devant le Tribunal administratif de Montpellier, qui avait rejeté sa requête comme irrecevable.
Plus précisément, la rapporteure publique considérait que les rapports d’observations définitives correspondaient aux critères d’identification du droit souple, dès lors qu’ils peuvent contenir des recommandations et des critiques sur la gestion de l’entité contrôlée, et donc des prises de position ayant des effets extra-juridiques notables, bien qu’indirects.
La Cour administrative d’appel de Toulouse a cependant maintenu l’irrecevabilité du recours dirigé contre ces actes, et ce sur le fondement des mêmes motifs que ceux énoncés supra :
« Toutefois, les rapports d’observations définitives des chambres régionales des comptes s’inscrivent dans le cadre de l’examen de la gestion d’une collectivité territoriale, d’un établissement public local ou d’un des établissements, sociétés, groupements et organismes mentionnés aux articles L. 211-4 à L. 211-6 et L. 211-8 du Code des juridictions financières, procèdent de la mise en œuvre de garanties procédurales particulières et peuvent faire l’objet d’une demande de rectification, en vertu des articles L. 243-10 et R. 243-21 du Code précité. Ainsi, ils ne sont pas susceptibles d’un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif, eu égard notamment à l’office de ce dernier, alors même qu’ils seraient susceptibles de produire des effets notables ou d’influer de manière significative sur les comportements de quelque personne que ce soit ».
On retiendra donc que, si l’on souhaite critiquer le contenu d’un rapport CRC, il conviendra de préférer la rédaction d’une réponse aux observations formulées, laquelle sera annexée audit rapport, voire d’en solliciter la rectification sous le contrôle, au besoin, du juge administratif.
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[1] CAA Toulouse, 10 octobre 2024, SASU Econotre, n° 23TL02829 ; CE, 8 février 1999, Commune de La Ciotat, n° 169047
[2] CE avis, 15 juillet 2004, n° 267415 ; CAA Marseille, 19 décembre 2023, n° 21MA03704
[3] V. sur ce point : M. Torelli, Recours contre le rapport d’observations définitives d’une chambre régionale des comptes, AJDA 2025.74
[4] CE, 21 mars 2016, Société Numéricable, n° 390023 et Société Fairvesta International GmbH, n° 368082 ; CE 19 juillet 2017, Société Menarini France, n° 399766 ; CE, 19 juillet 2019, n° 426389
[5] CE, 12 juin 2020, GISTI, n° 418142
[6] CE, 10 février 2023, Association Shri Ram Chandra mission France et autre, n° 456954