En suite de l’arrêt du 25 juin 2024[1], la Chambre criminelle reconnait pour la première fois par arrêt du 21 janvier 2025 la notion de harcèlement moral institutionnel – i.e. un harcèlement résultant d’une politique d’entreprise conduisant à la dégradation des conditions de travail des salariés, en toute connaissance de cause.
Cette décision intervient dans le cadre de l’affaire médiatisée des suicides au sein du groupe France Télécom, faisant suite à la politique de restructuration mise en place par les dirigeants de ce groupe, prévoyant notamment une réduction des effectifs à hauteur de 22.000 salariés ou agents.
A la suite de la plainte déposée par le syndicat en décembre 2009, une procédure d’information judiciaire a été ouverte, à l’issue de laquelle les principaux dirigeants ont été condamnés par la Cour d’appel de Paris des faits de harcèlement moral institutionnel sur le fondement des dispositions de l’article 222-33-2 du Code pénal.
Le pourvoi formé par les dirigeants pose ainsi la question de savoir si le harcèlement moral institutionnel entre dans les prévisions de l’article 222-33-2 du Code pénal.
La Cour de cassation y répond par l’affirmative.
Elle rappelle en premier lieu la définition donnée par les juges du fond à cette notion, savoir « des agissements définissant et mettant en œuvre une politique d’entreprise ayant pour but de structurer le travail de tout ou partie d’une collectivité d’agents, agissements porteurs, par leur répétition, de façon latente ou concrète, d’une dégradation, potentielle ou effective, des conditions de travail de cette collectivité et qui outrepassent les limites du pouvoir de direction ».
La Haute juridiction réaffirme en second lieu la distinction entre les agissements ayant pour objet une dégradation des conditions de travail et ceux ayant un tel effet. Ainsi :
- La caractérisation des agissements ayant pour effet une dégradation des conditions de travail suppose que les victimes soient précisément identifiées ;
- En revanche, les agissements ayant pour objet une telle dégradation n’exigent pas que les faits reprochés à leur auteur concernent un ou plusieurs salariés en relation directe avec lui ni que les salariés victimes soient individuellement désignés. En effet, dans cette hypothèse, le caractère formel de l’infraction n’implique pas la constatation d’une dégradation effective des conditions de travail.
Elle en conclut que l’élément légal du délit n’exige pas que les agissements répétés s’exercent à l’égard d’une victime déterminée ou dans le cadre de relations interpersonnelles entre leur auteur et la ou les victimes, pourvu que ces dernières fassent partie de la même communauté de travail et aient été susceptibles de subir ou aient subi les conséquences visées à l’article 222-33-2 du Code pénal.
Dans ces conditions, la Cour de cassation reconnait la notion de harcèlement moral institutionnel qu’elle définit comme « des agissements visant à arrêter et mettre en œuvre, en connaissance de cause, une politique d’entreprise qui a pour objet de dégrader les conditions de travail de tout ou partie des salariés aux fins de parvenir à une réduction des effectifs ou d’atteindre tout autre objectif, qu’il soit managérial, économique ou financier, ou qui a pour effet une telle dégradation, susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de ces salariés, d’altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel ».
Enfin, pour rejeter l’argument tiré de la méconnaissance du principe de prévisibilité de la loi pénale, la Cour de cassation répond que la jurisprudence n’a jamais interprété l’infraction comme exigeant, dans toutes les situations, qu’un rapport direct et individualisé entre la personne poursuivie pour harcèlement et sa ou ses victimes soit constaté, et que les agissements qui lui sont imputés soient identifiés salarié par salarié, pas plus qu’elle n’a exclu de dimension collective à ce délit. La Haute juridiction ajoute que le harcèlement moral institutionnel ne constitue qu’une des modalités du délit prévu à l’article 222-33-2.
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[1] Crim. 25 juin 2024, n° 23-83.613, B