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le 13/02/2025

Expropriation : Revirement de la jurisprudence concernant la sanction pour communication tardive des pièces en appel (phase judiciaire)

Cass. Civ., 3ème, 16 janvier 2025, n° 23-20.925

Par un arrêt du 16 janvier 2025, la Cour de cassation est venue préciser la portée de l’article R. 311-26 du Code de l’expropriation concernant la sanction du dépôt des pièces annexées aux conclusions d’appel au-delà du délai de trois mois.

Pour rappel, l’article R. 311-26 du Code de l’expropriation rythme la procédure d’appel dans le cadre d’une fixation judiciaire devant le juge de l’expropriation (concernant tant le prix d’acquisition d’un bien préempté que l’indemnité d’expropriation) avec un calendrier de procédure fixe sanctionné par la caducité des conclusions d’appel. Il en résulte que l’appelant (comme l’intimé) dispose d’un délai de 3 mois pour déposer ses conclusions :

« A peine de caducité de la déclaration d’appel, relevée d’office, l’appelant dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu’il entend produire dans un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel.

A peine d’irrecevabilité, relevée d’office, l’intimé dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu’il entend produire dans un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant. Le cas échéant, il forme appel incident dans le même délai et sous la même sanction. […] ».

La sanction de la caducité de la déclaration d’appel particulièrement stricte en cas de non-respect de ce délai pourra par ailleurs être relevée d’office.

En l’espèce du présent litige, la Cour de cassation avait à juger si le dépôt tardif des pièces, après l’expiration du délai de trois mois laissé par le code, et ce alors même que les conclusions de l’appelant ont été déposées dans ce délai, faisait encourir la caducité à l’ensemble de la procédure d’appel.

Sur le fondement des dispositions de l’article 6, § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Cour de cassation a répondu par la négative en ne sanctionnant que par l’irrecevabilité le dépôt des pièces après l’expiration du délai prévu par le code :

« 13. Si l’obligation de communication simultanée des conclusions et des pièces dans le délai de trois mois de la déclaration d’appel poursuit l’objectif d’intérêt général de célérité de la procédure d’appel en matière d’expropriation, la sanction de caducité de la déclaration d’appel qui s’attache à la production tardive de pièces lorsque les conclusions ont été communiquées dans le délai ne s’inscrit pas dans un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

14. En conséquence, il doit être jugé que la caducité de la déclaration d’appel n’est encourue que lorsque l’appelant n’a pas conclu dans le délai prévu par l’article R. 311-26 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, le défaut de communication des pièces dans ce délai n’étant sanctionné que par leur irrecevabilité lorsque le juge estime qu’elles n’ont pas été communiquées en temps utile».

 

La Cour de cassation opère ainsi un revirement de sa jurisprudence rendue en la matière d’expropriation selon laquelle l’appelant qui dépose les pièces produites au soutien de son mémoire après l’expiration du délai prévu pour conclure, était déchu de son appel (Cass, 3ème civ., 29 février 2012, n° 10-27.346, Publié au bulletin), y compris lorsque celles-ci étaient identiques à celles produites en première instance (Cass, 3ème civ., 15 juin 2017, n° 16-50.039, Publié ; Cass, 3ème civ., 27 avril 2017, n° 16-11.078, Publié).

Ainsi, en dépit de l’objectif de célérité de jugement ayant guidé l’adoption de l’article R. 311-26, la Cour de cassation considère que la sanction de caducité de l’appel est disproportionnée au regard de l’objectif de célérité de la procédure poursuivi dans l’hypothèse du seul dépôt tardif des pièces alors que les conclusions d’appel ont, quant à elles, bien été déposées dans le délai.

La communication tardive des pièces annexées aux conclusions d’appelant (déposées quant à elles dans le délai) ne sera donc sanctionnée que par l’irrecevabilité des pièces, le juge d’appel devant ainsi les écarter.

Autrement dit, la caducité de l’appel n’est désormais encourue que si l’appelant ne conclut pas dans le délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel.

La Cour de cassation conclut sa décision en précisant que, selon le même raisonnement, l’irrecevabilité des conclusions de l’intimé ne sera encourue uniquement quand ce dernier n’aura pas conclu dans le délai de 3 mois imposé par l’article R. 311-26 du Code de l’expropriation, la communication tardive des pièces n’étant sanctionnée par le juge d’irrecevabilité que lorsqu’il estimera qu’elles n’ont pas été communiquées en temps utiles.