Environnement, eau et déchet
le 16/01/2025

Les sites naturels de compensation de restauration et de renaturation : un pas de plus vers le marché de crédits biodiversité ?

La fin de l’année 2024 a été marquée par un certain nombre d’actualités portant sur le développement des crédits biodiversité.

En effet, sur le plan international d’une part, la COP 16 Biodiversité s’est tenue à Cali, en Colombie, du 21 octobre au 1er novembre 2024. Le Comité consultatif international sur les crédits biodiversité (IAPB) a, à cette occasion, présenté sa proposition pour encadrer l’achat et la vente de ces crédits.

Ce Comité a vu le jour en 2023 à la suite de la COP 15 Biodiversité de décembre 2022, sur l’initiative de la France et du Royaume-Uni, cette COP ayant eu pour ambition d’augmenter substantiellement les ressources financières pour mettre en œuvre les stratégies nationales pour la biodiversité. Plus précisément, l’objectif fixé par la COP 15 s’élevait à 200 milliards de dollars par an dont une part croissante devrait venir du monde privé, dont il est attendu une implication massive, selon la Mission Economie de la Biodiversité (MEB) qui a publié son dossier dédié aux crédits biodiversité en juillet 2024[1].

Ce même rapport définit un crédit biodiversité comme étant une « unité standardisée qui quantifie et atteste d’une action positive pour la biodiversité » et qui « permet aux organisations qui veulent agir pour la restauration et/ou la protection de la biodiversité de financer des porteurs de projet ». C’est encore « la combinaison entre la réalisation d’une action positive pour la biodiversité et sa certification par une méthode scientifique et auditée »[2].

Le projet porté par l’IAPB est alors de créer un véritable marché des crédits biodiversité, ce dernier n’étant toutefois, à date, pas structuré ni précisément défini. Selon la MEB, « les marchés d’échange des crédits biodiversité devront à la fois garantir l’intégrité des projets concernés, donc être structurés par des standards et des instances de gouvernance indépendantes et scientifiquement crédibles, mais également assurer un flux de financement suffisamment important pour constater des gains suffisamment nombreux pour contribuer à inverser la tendance actuelle de perte de biodiversité [3]».

Un tel projet est néanmoins vivement critiqué, notamment par les associations de protection de l’environnement et les ONG qui y voient un moyen de mettre « un voile sur le fait qu’on a des impacts difficiles à éviter ou à restaurer et, en face, on finance des actions faciles ; on se soustrait ainsi à l’obligation d’équivalence écologique [4]».

Sur le plan national, d’autre part, c’est l’adoption de deux décrets et d’un arrêté relatifs aux sites naturels de compensation de restauration et de renaturation (SNCRR) qui a marqué l’actualité dans le domaine du crédit biodiversité. En effet, ces sites constituent la mesure phare lancée en France pour décliner cet objectif de développement des crédits biodiversité.

L’ensemble de cette actualité nous conduit donc à présenter le dispositif actuel des SNCRR en vigueur depuis la loi « industrie verte » (I) ainsi que les récentes nouveautés issues des trois textes réglementaires de novembre 2024 (II).

I. Présentation du dispositif des sites naturels de compensation, de restauration et de renaturation

Rappel du dispositif antérieur des sites de compensation

1 – C’est d’abord la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (dite loi Biodiversité) qui a introduit dans le Code de l’environnement un chapitre dédié à la compensation des atteintes à la biodiversité.

Pour rappel, la compensation des atteintes à l’environnement n’est que la troisième étape de la séquence dite « ERC », pour « éviter, réduire, compenser ». Cela signifie dès lors que si un projet est susceptible d’avoir un impact négatif sur l’environnement, le porteur de projet doit, d’abord, chercher à éviter ces impacts, puis à les réduire et, enfin, compenser ceux qui n’ont pu être ni évités ni réduits. Ce principe est posé à l’article L. 110-1 point II, 2° du Code de l’environnement qui énonce que ce dernier doit viser un objectif d’absence de perte nette de biodiversité, voire tendre vers un gain de biodiversité.

2 – La loi Biodiversité est alors venue encadrer la compensation afin, notamment, d’en garantir l’efficacité. Elle a ainsi posé à l’article L. 163-1 du Code de l’environnement, les règles selon lesquelles :

  • les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité visent un objectif d’absence de perte nette, voire de gain de biodiversité ;
  • elles doivent se traduire par une obligation de résultats et être effectives pendant toute la durée des atteintes ;
  • elles ne peuvent pas se substituer aux mesures d’évitement et de réduction, et si les atteintes liées au projet ne peuvent être ni évitées, ni réduites, ni compensées de façon satisfaisante, celui-ci n’est pas autorisé en l’état.

Par ailleurs, la loi a introduit la notion de « sites naturels de compensation » à l’article L. 163-3 du code. La disposition alors en vigueur était assez brève puisqu’elle se bornait à prévoir la possibilité par des personnes publiques ou privées d’avoir recours à de tels sites afin de mettre en œuvre les mesures de compensation, ce recours devant toutefois être fait de manière à la fois anticipée et mutualisée.

Evolutions apportées par la loi Industrie Verte

3 – Plus récemment, sans revenir sur les règles énoncées précédemment introduites par la loi Biodiversité, le dispositif des sites naturels de compensation a été revu et renforcé par la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte (dite loi Industrie Verte). Il est désormais prévu par l’article L. 163-1 A du Code de l’environnement.

Dans le cadre des débats sur le projet de loi Industrie Verte, des critiques concernant le dispositif précédent faisaient apparaître que :

  • la démarche d’agrément était complexe car elle impliquait d’anticiper précisément les gains écologiques théoriques qui devaient être obtenus à l’issue des opérations de restauration[5];
  • l’outil répondait uniquement aux obligations légales et réglementaires de compensation mais n’était pas conçu pour s’articuler avec d’autres projets de restauration de la biodiversité dans les territoires en permettant par exemple aux opérateurs de sites naturels de compensation de vendre des unités de compensation à des personnes qui souhaiteraient s’engager de façon volontaire en faveur de la biodiversité[6];
  • la réglementation n’autorisait que la mise en place de sites naturels de compensation mutualisés entre plusieurs projets[7].

Ainsi, entre 2016 et 2023, seul un site naturel de compensation avait fait l’objet d’un agrément ministériel (le SNC Cossure dans les Bouches-du-Rhône) et deux autres projets avaient été soumis à l’instruction mais n’avaient pas obtenu l’agrément.

4 – L’article L. 163-1 A du Code de l’environnement a alors été imaginé par le législateur pour poursuivre plusieurs objectifs [8]:

  • faire émerger une véritable offre d’écosystèmes restaurés ;
  • permettre aux porteurs de projet de réaliser des opérations de compensation par anticipation, y compris pour des projets isolés, par exemple pour des sites « clés-en-main » ;
  • créer un cadre législatif adapté pour le développement des opérations de restauration de la biodiversité conduites pour des engagements volontaires d’entreprises et collectivités, et faciliter la procédure d’agrément des sites.

Aux termes de cet article, les opérations de restauration ou de développement d’éléments de biodiversité peuvent être mises en place par des personnes publiques ou privées sur des sites dénommés « sites naturels de compensation, de restauration et de renaturation » (SNCRR). Le gain écologique de ces opérations doit être identifié par des « unités de compensation, de restauration et de renaturation » (UCRR) qui peuvent être vendues, par les personnes qui les réalisent, à toute personne publique ou privée. Les SNCRR font l’objet d’un agrément préalable qui doit prendre en compte le gain écologique attendu, l’intégration du site dans les continuités écologiques, sa superficie et les pressions anthropiques s’exerçant sur ce site.

De plus, la loi autorise désormais les personnes soumises à une obligation de mettre en œuvre des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité à y satisfaire de manière anticipée par l’utilisation ou l’acquisition d’UCRR. Cette possibilité est expressément prévue par l’article L. 163-1 A du Code de l’environnement mais elle est également intégrée à l’article L. 163-1 du même code qui prévoit désormais non seulement que les personnes concernées peuvent réaliser les mesures de compensations obligatoires soit directement soit par le biais d’un opérateur de compensation mais également par l’acquisition des UCRR.

Selon la ministre de la Transition écologique, « Les SNCRR offrent aux acteurs privés une nouvelle manière de contribuer activement à la restauration écologique (soutenir financièrement l’émergence des SNCRR, créer une entreprise de crédits biodiversité, acheter des crédits pour compenser ses impacts ou sécuriser sa chaîne de valeur, etc.) »[9].

Il est également prévu que les SNCRR puissent donner lieu à l’attribution de crédits carbone au titre du label « bas-carbone ».

On relèvera enfin que la loi Industrie Verte a également été modifiée pour réaffirmer le principe selon lequel les mesures de compensation obligatoires doivent être en priorité réalisées sur le site endommagé mais il introduit également la notion de « proximité fonctionnelle », qui s’impose lorsque les mesures ne peuvent être mises en œuvre sur le site, en lieu et place de la notion de « proximité » qui peut alors sembler plus contraignante.

Les deux décrets et l’arrêté adoptés en novembre 2024 sont alors venus préciser la mise en œuvre de ce niveau dispositif.

 

II. Les précisions relatives à la mise en œuvre du dispositif issues des textes d’application de novembre 2024

1 – D’abord, le décret n° 2024-1052 du 21 novembre 2024 relatif à la restauration de la biodiversité, à la renaturation et à la compensation des atteintes à la biodiversité fixe les modalités de délivrance de l’agrément des SNCRR.

Règles relatives à l’implantation aux mesures de compensation

A cette fin, il modifie l’article R. 163-1-A de Code de l’environnement qui reprend le principe selon lequel les mesures doivent être prioritairement réalisées sur le site endommagé ainsi que le respect du principe de proximité fonctionnelle. L’article prévoit par ailleurs que, en cas d’impossibilité de mettre en œuvre les mesures de compensation sur le site, elles sont réalisées prioritairement dans les zones de renaturation préférentielle mentionnées au cinquième alinéa du II de l’article L. 163-1, dès lors qu’elles sont compatibles avec les orientations de renaturation de ces zones et que leurs conditions de réalisation sont techniquement et économiquement acceptables.

Personne compétente pour délivrer l’agrément des SNCRR

2 – Le décret modifie également l’article R. 163-2 du Code de l’environnement qui prévoit désormais que les décisions relatives à l’agrément des SNCRR sont prises par le préfet de région territorialement compétent après avis du Conseil scientifique régional du patrimoine naturel ou, lorsqu’elles sont susceptibles d’affecter des espèces animales ou végétales figurant sur la liste prévue par l’article R. 411-13-1, après avis du Conseil national de protection de la nature (rendu dans un délai de deux mois à compter de la saisine de l’organisme consulté). Le principe est par ailleurs posé selon lequel le silence gardé par l’administration pendant un délai de six mois à compter de la réception d’une demande d’agrément ou de modification d’agrément vaut décision d’acceptation.

Conditions relatives aux caractéristiques du SNCRR et à la personne sollicitant l’agrément

3 – Les conditions de délivrance de l’agrément sont également définies par le n° 2024-1053 du 21 novembre 2024.

Il faut alors d’abord se référer à l’article D. 163-1 du Code de l’environnement.

Selon cet article l’agrément doit attester de la pertinence des opérations de restauration écologique, de renaturation ou de développement d’éléments de biodiversité entreprises sur le SNCRR concernés. Ces opérations peuvent être conduites sur un site unique ou sur plusieurs et contribuent à l’amélioration de l’état écologique du territoire dans lequel le site s’insère.

L’article fixe par ailleurs le principe selon lequel le gain écologique attendu des opérations de restauration écologique, de renaturation ou de développement d’éléments de biodiversité est additionnel à celui obtenu par la mise en œuvre, directement sur le site considéré, d’opérations obligatoires ou qui sont déjà soutenues par des aides publiques destinées à la restauration, la renaturation ou le développement d’éléments de biodiversité. Il ne doit alors pas prendre en compte la part de gain écologique provenant de ces opérations obligatoires.

L’article D. 163-1 impose en outre que les SNCRR soient définis en priorité sur les zones de renaturation préférentielle mentionnées à l’article L. 163-1 et dans les zones propices à l’accueil de tels sites.

Les personnes présentant une demande d’agrément doivent par ailleurs :

  • disposer des capacités techniques et financières nécessaires à la mise en œuvre de ces opérations ;
  • justifier des droits permettant la mise en œuvre des obligations sur les terrains d’assiette du SNCRR.

Modalités de vente des UCRR

4 – S’agissant des modalités de vente des UCRR, elles sont également définies par l’article
D. 163-1 du Code de l’environnement qui les définit comme « l’ensemble des gains écologiques attendus d’une ou plusieurs opérations de restauration écologique, de renaturation ou de développement d’éléments de biodiversité, lesquels sont maintenus jusqu’au terme de l’agrément » :

  • elles peuvent être vendues sous forme de prestations de services à des maîtres d’ouvrage tenus de satisfaire à des obligations de compensation des atteintes à la biodiversité mais également à des personnes physiques ou morales souhaitant contribuer pour toute autre raison au rétablissement de la biodiversité.
  • elles peuvent être vendues dès l’octroi de l’agrément mais ne peuvent être revendues.
  • elle ne peut être vendue de manière fractionnée dans le temps ou en fonction des différents éléments de biodiversité qu’elle restaure, qu’elle renature ou qu’elle développe.

L’article précise encore que l’acquisition de ces unités ne préjuge pas de l’appréciation de leur suffisance par l’autorité administrative compétente au titre de la compensation des atteintes à la biodiversité. Par ailleurs, il est indiqué que le bénéficiaire de l’agrément d’un SNCRR peut recourir aux UCRR créées sur ce site et disponibles pour satisfaire ses propres obligations de compensation ou pour contribuer pour toute autre raison au rétablissement de la biodiversité.

L’article indique également les modalités selon lesquelles les unités peuvent donner lieu à l’attribution de crédits carbone au titre du label « bas-carbone ».

Autres précisions

5 – Le décret donne encore d’autres précisions relatives, notamment :

  • au contenu l’agrément (article D. 163-4 du Code de l’environnement) ;
  • aux objectifs assignés aux SNCRR agréés et à leur fonctionnement (article D. 163-6 du Code de l’environnement) :
    • ils mettent en œuvre un projet de restauration écologique, de renaturation ou de développement d’éléments de biodiversité et garantissent la création des gains écologiques pour lesquels l’agrément a été sollicité puis leur maintien jusqu’au terme de la période d’agrément ;
    • le cas échéant, ils permettent la mise en œuvre des opérations de restauration écologique, de renaturation ou de développement d’éléments de biodiversité, pour lesquelles l’agrément a été sollicité, avant l’utilisation des unités de compensation, de restauration et de renaturation correspondantes au titre de la compensation des atteintes à la biodiversité ;
    • Ils font l’objet d’un suivi et d’une évaluation des opérations de restauration, de renaturation ou de développement d’éléments de biodiversité mises en œuvre et de leur efficacité à créer et maintenir un gain écologique.
  • aux modalités de modification ou d’abrogation de l’agrément (article D. 163-7 et D. 163-11 du Code de l’environnement) ;
  • aux modalités de transfert de l’agrément (article D. 163-9 du Code de l’environnement) ;
  • aux modalités de calcul du gain écologique du SNCRR (article D. 163-14 du Code de l’environnement).

4 – Enfin, l’arrêté du 21 novembre 2024 détermine la composition du dossier de demande d’agrément et, à cet égard, les critères de pertinence écologique d’un SNCRR.

 

En conclusion, le nouveau dispositif des SNCRR et des UCRR qui en découle va donc dans le sens de la création d’un véritable marché de crédits biodiversité. Les textes tentent d’encadrer au mieux la création de tels sites afin de garantir notamment l’objectif non pas de perte nette de biodiversité mais de gain de biodiversité. Depuis octobre 2023 deux SNCRR ont déjà été agréés : le site de Cros du Mouton, à Sainte-Maxime (Var) et celui de l’abbaye de Valmagne,  les communes de Villeveyrac et Montagnac (Hérault). Les nouvelles modalités de mise en œuvre de ces sites semblent donc effectivement plus attractives que le dispositif précédent, mais il reste à savoir si les nouvelles règles qui s’appliquent permettront le développement du marché des crédits biodiversité sans présenter les écueils soulevés par les détracteurs de tels projets, notamment en ce qui concerne la nécessité de toujours favoriser l’évitement et la réduction des impacts sur l’environnement. Ce raisonnement prévalant dans le système législatif français et n’étant pas remis en cause par le nouveau dispositif des SNCRR, le risque est sans doute moindre.

 

_____

[1] Crédits Biodiversité : vers un nouveau marché de la nature en Europe ? Dossier de la MEB n° 54 juillet 2024

[2] Crédits Biodiversité : vers un nouveau marché de la nature en Europe ?, précité

[3] Crédits Biodiversité : vers un nouveau marché de la nature en Europe ?, précité

[4] Fabien Quétier cité in Les crédits biodiversité, un nouvel outil de financement en émergence, L. Radisson, Actu-Environnement, 18 octobre 2024

[5] Rapport sur le projet de loi, adopté par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, relatif à l’industrie verte (n° 1443 rectifié), n° 1512, déposé le vendredi 7 juillet 2023.

[6] Rapport n° 1512, précité

[7] Exposé des motifs sur le texte Texte n° 607 (2022-2023) de MM. Bruno LE MAIRE, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté Industrielle et Numérique, Christophe BÉCHU, ministre de la Transition Écologique et de la Cohésion des Territoires et Roland LESCURE, ministre délégué chargé de l’Industrie, déposé au Sénat le 16 mai 2023

[8] Exposé des motifs sur le texte Texte n° 607, précité

[9] Mme Agnès Pannier-Runacher, Ministre de la Transition écologique, citée in Crédits biodiversité : le dispositif lancé en France à travers les SNCRR, L. Radisson, Actu-Environnement, 15 novembre 2024